Bourdaret - En Corée, 1904/Chapitre XIII

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Librairie Plon (p. 327-340).


CHAPITRE XIII


Une visite à l’île de Kang-hoa. — Départ en sampan de Tchémoulpo. — Navigation sur le fleuve Hane. — Îles et flots. — Kang-hoa. — Autels du ciel. — Monastères de Tcheun-toung-sa. — Retour par le fleuve Hane.


Le petit bateau à vapeur de Hai-tjou qui fait le service de Kang-hoa venait de partir au moment où je m’apprêtais à faire ce voyage. Je dus y aller en sampan, depuis Tchémoulpo, en remontant un bras du Hane-kang, à la marée montante.

Nous partons à midi. Malgré l’hiver exceptionnellement froid, ces premiers jours de printemps sont très doux ; le ciel clair et un gai soleil nous promettent un agréable petit voyage en rivière. C’est surtout la marée qui nous pousse, car malgré que les bateliers sifflent au vent — coutume également chinoise et annamite — nous avançons lentement.

Nous passons d’abord au pied et à l’est de l’île Roze, dans un étroit chenal — à travers les bancs de sable et d’alluvions du fleuve — et qui n’est possible qu’à marée montante. Nous voyons les pêcheurs occupés à fouiller les bancs d’huîtres dont sont recouverts tous les rochers environnants. Des vols nombreux d’oies sauvages passent au-dessus de Tchémoulpo, et s’en vont vers l’île et les nombreux îlots de l’archipel. Notre petite voile se gonfle gracieusement au léger souffle du vent ; mais nous n’allons guère vite, ce qui nous permet d’observer les progrès de la marée.

Passons devant la grande île de Hioung-tjon, et voyons défiler une rangée d’îlots rocheux, inhabités : îles Guerrière, Oxen, Zuber, Gordo, etc., etc. À trois heures, nous côtoyons l’îlot de Pome-seun, ainsi appelé parce qu’il a la forme d’un tigre couché. Plus loin c’est un rocher auquel les Coréens donnent la forme d’un chaudron renversé. Çà et là quelques îles possèdent de tout petits villages de pêcheurs. L’île de Tong-keun-to (ou de Tricault) se dessine à son tour. Elle est habitée par des Chinois tailleurs de pierre, car c’est surtout de là qu’on extrait le beau granit bleu et gris que l’on transporte à Seoul pour les constructions nouvelles. Une autre île, Ma-heun-to, à l’ouest, donne également de la très belle pierre granitique.

À tribord on aperçoit les collines de Pou-pyong qui bordent le fleuve, et plus au nord, à l’endroit où le Hane commence à se resserrer pour n’avoir plus bientôt après que cinq cents mètres de largeur, on aperçoit le village de Tok-tjine sur la côte de la grande terre.

Enfin, voici les premiers contours de Kang-hoa qui deviennent plus nets. Des collines élevées forment l’ossature de cette île très mamelonnée. Nous distinguons aussi sa muraille, tantôt longeant la côte, tantôt escaladant les rochers et les pics avec audace. L’aspect de ces rochers et de ces côtes hérissés de vieilles murailles évoque un passé de place forte maintes fois assiégée. En effet — comme nous le verrons par la suite — cette île eut à subir les invasions mongoles et les coups de main des pirates japonais, et son appareil guerrier n’était que trop justifié. Actuellement, avec ses murs gris et solitaires, Kang-hoa a l’air d’une citadelle abandonnée. En glissant sur l’eau, dans mon sampan, je donne libre cours à mon imagination, et rêve que j’entends résonner dans l’air les vibrations des gongs guerriers appelant les Coréens aux armes, tandis que le fleuve se couvre de jonques chinoises prêtes à livrer l’assaut à ces remparts, jadis de premier ordre.

Nous voici sur les rapides du fleuve et à une courbe brusque, vers l’est, s’élève la forteresse de Sone-tol-mok dont nous apercevons le village un peu en arrière. Une porte dans la muraille la mettait en communication avec le Hane.

Après les rapides, nous reprenons notre route vers le nord. Çà et là se voient des forts et des fortins protégeant des villages de l’intérieur. La longue ligne des murs crénelés serpente sous les rayons du soleil couchant et projette son ombre sur l’eau. Ce pittoresque tableau retient mes regards, car je sais que là — comme partout ailleurs en Orient — la vue de loin est la meilleure. Le charme cesse quand on s’approche.

À six heures du soir, nous arrivons en face du port de la ville de Kang-hoa — Tchei-moul — ou Kap-tcheun — ou Ka-kou-tjo — dont le fortin se dresse sur un mamelon escarpé, bordant le fleuve. C’est le terminus de notre navigation. Nous avons franchi — poussés par la marée et un faible vent — environ trente-deux kilomètres.

Ne voulant pas coucher dans ce port peu engageant, je fais chercher des porteurs pour mes bagages afin de me rendre tout de suite à la capitale. Mes domestiques se restaurent à l’auberge, et pendant ce temps je vais errer le long de la vieille muraille, bâtie en pierre et en chaux, dont les sinuosités remarquables suivent le terrain accidenté de cette partie de la côte. Quelques jonques passent devant Tchei-moul pour gagner l’embouchure du Hane-kang et remonter jusqu’à Seoul. Dans la nuit tombante se dessinent leurs voiles blanches et jaunes, formées de petits carrés de toile cousus et maintenus par des bambous. Elles disparaissent à nos yeux, et je m’oublie à contempler le spectacle de ces murs ruinés si pittoresquement perchés avec leurs fortins, tantôt longeant les mamelons, tantôt s’enfonçant dans les petites vallées. Ma rêverie ne vient pas de ce que j’ai l’estomac dans les talons, mais de l’impression d’un « déjà vu ». Enfin il me semble que — sans avoir recours à l’intervention d’une précédente incarnation dans la peau d’un guerrier ou d’un pirate de la mer Jaune — cette impression est plutôt un souvenir d’enfance, des images d’Épinal, des illustrations des contes de fées avec leurs merveilleux châteaux et leurs murs crénelés peuplés de guerriers courageux et de fées puissantes qui ont tant fait vagabonder nos imaginations enfantines.

Bientôt mes Coréens étant lestés, nous gagnons la ville à travers la plaine bien cultivée en rizières dont nous voyons, à la nuit tombante, les nappes d’eau claire. La distance depuis le port est de quatre kilomètres et demi environ. À sept heures, nous sommes à la porte du Sud de Kang-hoa. Là, nous trouvons à nous loger chez un marchand de vin qui nous cède sa meilleure chambre, celle où la maîtresse du logis trône et distribue à ses nombreux clients de la garnison et du voisinage les petites tasses de soul et le vermicelle des grands jours. Nous nous intlallons aussi bien que possible, c’est-à-dire très mal. Heureusement, j’ai ma couchette, et pendant que mon « boy » prépare un bon bouillon, je me dirige vers la porte du Sud, juste au moment où sonne le bourdon de la ville, dont les sons — assez semblables à ceux de la cloche de Seoul — s’égrènent au-dessus des toits de chaume, et se répercutent au delà des collines à peine visibles à cette heure. Les seuls points lumineux que l’on puisse voir sont envoyés par une caserne d’où part aussi une sonnerie militaire formée surtout de « couacs ».

Ce n’est certes pas commode de gravir les escaliers de pierre de cette porte qui date, comme l’enceinte de la ville, de 1223. C’est même un tour de force d’en escalader les marches (60° de pente) disjointes, déjetées, et il faut s’aider des mains pour cela.

Au moment où j’atteins le sommet, j’entends le chœur des soldats dans la cour de la caserne, et quelques lumières brillent au yamen du gouverneur. Tout est calme et bientôt l’île s’endormira. Les oies sauvages ont fait halte dans les rizières pour passer la nuit. Elles sont si nombreuses aux alentours que Kang-hoa nous semble encore plus giboyeux que la grande terre. Les ruelles sombres ne renfermant rien d’attrayant, je regagne mon kane où il s’agit d’achever la confection de mon dîner. Il se compose d’un potage et d’une omelette, et je lui fais honneur, adossé contre une des grandes jarres qui meublent mon salon, dans lesquelles fermentent cent litres de vin coréen dont l’odeur fade va m’empêcher de dormir. Nous passerons sous silence les autres impedimenta d’un campement d’auberge. Mais je dois dire — pour être juste — que l’odeur de ce vin en fermentation, et les bouillonnements à l’intérieur de ces jarres diaboliques, ne sont pas aussi désagréables que les émanations et le bruit des pipes d’opium, tels que j’ai eu à en souffrir au Yunnan, dans des pagodes où couchaient vingt Chinois fumeurs d’opium.


Ce matin nous faisons rapidement notre tour de ville qui n’a rien d’intéressant ; les maisons sont de misérables huttes en chaume, séparées par de minuscules ruelles.

La ville est traversée par un ruisseau, qui coule de l’ouest à l’est, et qui entre et sort des murailles sous deux ponts à trois arches, supportant la muraille et le chemin de ronde. La seule rue méritant ce nom va de la porte du Sud vers l’ouest, puis au centre de la ville remonte au nord et se termine à la porte extérieure du yamen du gouverneur, à l’emplacement duquel devait se trouver autrefois la résidence royale, entourée de murailles branlantes.

Ici, comme à Seoul, existent les collines aux quatre points cardinaux, entre lesquelles les géomanciens ont installé la capitale ; les murailles, hautes de cinq mètres, datent de 1232 ; elles gravissent les crêtes des collines, et les cols sont occupés par les quatre portes.

Le palais du premier roi qui vint habiter Kang-hoa et les autres bâtiments datent de 1234 ; mais un incendie et les guerres mongoles les détruisirent à différentes époques. Les murailles, vieilles constructions en pierre et chaux, furent réparées en 1290 et en 1652.

Le yamen est en ruine, et n’offre rien d’intéressant. Dans la partie nord de la rue principale, se trouve le pont et près de là le pavillon de la cloche, le seul ornement de la capitale, à coup sûr. Les Français voulurent l’emporter en 1866 lorsqu’ils débarquèrent dans l’île.

PONT PRÈS DE KANG-HOA

Cette cloche a un mètre vingt de diamètre, un mètre cinquante de hauteur, et pèse, d’après l’inscription, environ quatre tonnes. À la partie supérieure, deux dragons extraordinaires forment l’anneau qui sert à la suspendre, et un bloc de bois supporté par une grosse chaîne fait office de battant. Une longue inscription en chinois raconte son histoire.

Du haut de la première porte du yamen, on a vue sur la ville, encaissée entre les collines et ne présentant qu’une trouée au sud et une autre à l’ouest ; les mamelons du nord sont boisés et sur la colline du sud se voient deux arbres sacrés et un minuscule pagodon.

À l’ouest, la muraille barre la vallée dans laquelle coule le ruisseau qui traverse la ville, puis va se perdre derrière la colline de Name-sane pour reparaître près de la porte du Sud ; à droite du yamen, une ancienne caserne à demi ruinée sert d’entrepôt, et à gauche, au meilleur emplacement de la cité, se dresse l’église anglaise, bâtiment à la coréenne, à toit surélevé comme celui des portes de Seoul, datant de deux années environ et dont les vives couleurs et les taikouks[1] flamboyants jettent la note gaie sur cette cité triste. En arrière sont les deux casernes.

Le fond de la vallée est occupé par le groupe le plus important des maisons de la capitale, le quartier des commerçants, et pour descendre jusqu’à la place du marché nous passons par de petites ruelles bordées de murs de soutènement en pierres sèches.

À la porte d’une maison, des sorcières frappent à tour de bras, et sans discontinuer, sur des gongs en cuivre, tandis qu’une autre fait des gestes et des signes bizarres devant un homme qui se tient debout, immobile et silencieux au milieu de cet affreux vacarme. C’est, paraît-il, un fou, que les sorcières sont en train de guérir. Nous partons avec la conviction que ce pauvre homme n’échappera pas à un pareil traitement.

De retour à l’auberge, nous assistons à la fabrication du vermicelle pendant qu’une foule compacte remplit la cour, absorbée par ce travail qu’elle revoit chaque jour.

Dans l’après-midi de ce premier jour de voyage, nous allons visiter les dolmens de Ha-heun, à une heure de la capitale, au mord-ouest ; la route, en assez bon état, serpente à travers des collines pittoresques, ou bien coupe les rizières qui constituent à Kang-hoa aussi la principale culture.

Au col qui sépare la vallée de la capitale de celle de Ha-heun, où nous allons, j’assiste à un enterrement. Un sorcier, complètement ivre, est en train de disposer, sur un tabouret élevé, la tablette en papier du mort, et les offrandes offertes au Sane-sine. Parents et enfants sont là, et assistent d’un œil presque indifférent à la préparation du tumulus, vêtus en grand deuil, avec un gros bâton en main, et portant la couronne et la ceinture en branchages.

Parmi les dolmens que j’ai rencontrés à travers la Corée, ceux de Kang-hoa sont des plus intéressants, l’un d’eux surtout est de grande dimension. Ayant publié quelques notes sur les dolmens coréens[2], je ne parlerai pas ici de ces monuments mégalithiques ; je me contente de signaler leur présence en de nombreux points du pays.

De Ha-heun, une riante vallée nous conduit au pied du Pong-hong-sane que nous gravissons avec peine, à cause de la marche pénible dans les rochers de la gorge que nous suivons.

Notre ascension de trois cents mètres dure une heure ; et au sommet nous trouvons le fameux autel du Ciel dont l’histoire nous avait parlé et que nous désirions voir de près. C’est une pyramide tronquée quadrangulaire, mesurant sept mètres de hauteur, et six mètres quatre-vingts à la base. Elle est construite en pierres sèches, et le sommet sur lequel elle est perchée est escarpé et dénudé. Les Coréens attribuent à cet autel du Ciel, comme date de construction, l’époque du Tane-koun (2332 ans avant J.-C.).

Un autel semblable est élevé sur le sommet du Mari-sane, autre colline du sud de l’île, et on assure que, par un temps clair, de l’un de ces autels on aperçoit l’autre.

Nous avons vu, en effet, dans une échancrure de la chaîne centrale de l’île, le Mari-sane ; mais la brume ne nous a pas permis d’apercevoir le monument situé environ à vingt-sept kilomètres. Sur ces autels, on sacrifiait au Ciel au temps des grandes guerres ou des calamités publiques, comme j’ai eu l’occasion de le dire précédemment.

De ce sommet du Pong-hong-sane, on aperçoit toute l’île et les bateaux de pêche répandus sur la mer, ainsi que la côte du Houan-hai-to sur la grande terre. À l’ouest l’île de Kyo-dong à peine dégagée de la brume.

Le lendemain, par un gai soleil, mais par un vent frais, nous partons visiter la fameuse forteresse de Tcheun-toung-sa.

Nous avons quinze kilomètres à faire dans le sud, et comme nous allons à pied, nous mettons environ trois heures pour effectuer ce trajet. Aux différents cols nous retrouvons les poteaux-fétiches et les arbres auxquels sont accrochées des loques ; les flancs de collines (toute cette île est très mamelonnée) sont couverts de rhododendrons, d’azalées en fleurs ; sur les sommets, des bois touffus de pins abritent faisans et pigeons ramiers ; des loriots au plumage magnifique filent devant nous, et dans les rizières de longues bandes d’oies sauvages et de canards s’envolent bruyamment à notre approche.

D’une crête que suit la route, nous apercevons à un moment dans le Pouk-hane la montagne de Seoul, qui se détache nettement dans le beau ciel limpide de cette radieuse matinée. De minuscules villages se cachent dans la verdure. La population de l’île doit être de quarante mille habitants, et la cité de Kang-hoa renferme huit mille âmes, y compris une faible garnison.

Enfin nous voici au pied de la montagne Tchion-tchok-sane (des trois pieds de chaudron), entre les trois pics de laquelle s’abrite le fameux monastère de Tcheun-toun-sa ; les murailles de la forteresse sont visibles sur les crêtes des mamelons, à travers le joli bois de pins qui recouvre toute la montagne.

Nous contournons le contrefort et faisons l’ascension de la bonzerie par le sentier abrupt qui conduit à la porte de l’Est de la citadelle.

Derrière nous, le Mari-sane se dresse, et nous apercevons vaguement l’autel du Ciel à son sommet. Le nom de la bonzerie que nous allons visiter veut dire : Temple de la Transmission de la Lampe, expression bouddhique qui indique la transmission de la foi.

À une heure, après une courte mais fatigante escalade, nous sommes au pied de la muraille qui mesure trois kilomètres de tour ; ce lieu de repos que les bonzes ont choisi est ravissant, planté de pins et de chênes séculaires, et, du point élevé où nous sommes, nous dominons les bâtiments du monastère, enfouis littéralement sous la verdure. C’est du haut de la muraille que les bonzes militaires, en 1866, tinrent en échec, et obligèrent à la retraite le faible détachement de marins français qui montaient à l’assaut.

Le temple et les autres bâtiments que nous visitons rapidement, conduits par le gardien, ont été construits en 1266 ; ils sont en ruine et présentent la même ornementation que les temples de la montagne de Diamant dont nous aurons occasion de parler plus loin. Nous trouvons là quelques jolis Bouddhas en bronze, des tableaux et des fresques remarquables, représentant diverses scènes religieuses.

Dans la grande salle, les bonzes nous offrent un bol de riz et quelques condiments ; nous acceptons ce frugal déjeuner de prêtres qui sont végétariens par devoir. Très propres, très soignés, rasés de frais, nous les trouvons en grande lecture parce que le lendemain ils ont une importante prière à faire.

Grâce à notre interprète, nous apprenons d’eux l’histoire du monastère que malheureusement nous ne pouvons, faute de place, donner ici. Un bâtiment curieux, la « tour », permet de voir la mer sans être vu, et servait autrefois de « mirador » pour surveiller l’arrivée des assaillants. Enfin à l’ouest, en arrière des magasins, dépôts divers, dépendances du sanctuaire, notre guide nous montre les deux bicoques où est enfermée une copie des archives de la dynastie. Nous étions curieux, depuis longtemps, de voir ces dépôts ; mais ces modestes pavillons, dont la façade est à claire-voie, nous montrent que les Coréens sont bien peu soucieux d’assurer à leurs archives, renfermées dans des malles, empilées les unes sur les autres, un refuge suffisant contre l’incendie, ou les accidents de toutes sortes. Les rats — sans doute — ont dû déjà se mettre au courant des secrets de l’État qui s’accumulent là. Chaque année est représentée par une malle, et voici déjà deux pavillons complètement remplis et confiés à la garde d’un bonze muet et idiot.

En quittant le monastère nous admirons encore les magnifiques arbres de ce lieu d’éternelle contemplation ; l’un d’eux, un chêne, mesure quatre mètres de diamètre. Quand nous disparaissons derrière la muraille, la cloche tinte à la porte du temple et nous apercevons les robes blanches des bonzes s’empressant vers le sanctuaire pour la prière de l’après-midi.

Nous rentrons à la capitale à six heures du soir, trop tard pour achever notre visite.

Le lendemain, jour du marché, nous jetons un coup d’œil sur la foule et les éventaires, mais nous ne découvrons rien de plus que ce que nous avons vu ailleurs. L’industrie spéciale de l’île est la confection de nattes fines en roseau, ornées de dessins en couleur ; les plus belles sont faites à Kyo-dong, et celles du palais de Seoul y sont spécialement commandées.

Le granit de Kang-hoa est également remarquable par sa dureté et la finesse de son grain.

Notre retour à Seoul s’effectue en jonque. Nous louons à Kap-tcheun un bateau à voile où nous nous installons le mieux possible, et poussés à la fois par le vent et la marée montante, nous dépassons bientôt Oueul-kol où finit la muraille qui protège l’île. Sur la rive gauche disparaît peu à peu la forteresse de Moune-on-sane, car nous tournons à l’est dans le fleuve Hane que nous allons remonter doucement jusqu’au jour.

Les matelots chantent en manœuvrant la voile, aux divers coudes du fleuve. Les rives, basses la plupart du temps, sont escarpées par moments et dominées par des rochers qui paraissent fantastiques, à la nuit tombante. Lentement nous avançons, la nuit descend, et le ciel s’éclaire de scintillantes étoiles.

Plaines, rizières et collines se succéderont toute la nuit, et j’entends, de la minuscule cabine où je suis étendu, les cris des oies sauvages dérangées de leur quiétude, au passage de notre jonque.

Nous franchissons quelques rapides. Là, nos hommes se mettent à l’eau et tirent à la cordelle ou poussent avec une perche l’embarcation ; la voile se gonfle, craque, puis nous démarrons enfin et reprenons notre lente navigation.

Du Kang-hoa à Seoul, ou plutôt à Ma-pou, il y a environ cinquante-cinq kilomètres et le lendemain, de bonne heure, nous débarquons à ce petit port, encore tout endormi.

  1. Emblèmes de la Corée.
  2. Bull. Soc. d’Anthropologie de Lyon, 1903.