Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 18 avril 1831

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Seizième séance. — 18 avril 1831.


M. Cordier occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le Président annonce la perte douloureuse que la Société M vient de faire de l’un de ses membres, par le décès de M. Coquebert de Montbret.

On passe à la correspondance.

M. Bailly de Merlieux envoie à la Société le numéro 3 (mars 1831) du Mémorial encyclopédique et progressif des connaissances humaines ; un cahier in-8o.

M. Boubée présente à la Société le prospectus d’un Cours élémentaire et pratique, dans lequel il se propose de réunir ensemble l’étude de la géognosie, de la minéralogie et de la conchyliologie, en les coordonnant avec la succession des terrains. Ce cours sera accompagné d’excursions dans les environs de Paris, et suivi tous les ans d’un voyage dans les Pyrénées, pour l’étude de l’histoire naturelle et notamment de la géologie. Le départ a lieu dans la première quinzaine d’août.

M. le comte Munster écrit qu’il répondra sous peu aux questions qui lui ont été adressées par le secrétaire en fonction sur la distribution géognostique des bélemnites, des ammonées et des orthocères ; il annonce qu’il est près d’achever trois mémoires relatifs à ce sujet. De plus il a découvert entre le grès vert et les couches jurassiques supérieures, près de Ratisbonne, des Lumachelles composées du Monotis (Pecten) salinarius, fossile caractéristique du calcaire salifère des Alpes du Salzbourg.

M. Boué présente à la Société des échantillons 1o du Pleurodictium problematicum, Goldfus ; 2o un échantillon de Spicules d’alcyon dans une roche siliceuse du calcaire alpin et dans un calcaire à encrines d’Ischel, en Autriche ; 3o une suite de morceaux calcaires et quarzeux présentant des surfaces lustrées, polies ou striées ; 4o des morceaux qui font voir le passage du calcaire compacte au calcaire poreux et magnésien, puis à la Rauchwacke ou au calcaire cellulaire et à cavités remplies d’une substance terreuse, enfin à la dolomie à cavité déchiquetée et tapissée de cristaux de chaux carbonatée magnésienne, ou quelquefois contenant encore de la matière terreuse noirâtre. Il observe que certaines variétés des Rauchwackes magnésiennes et à cellules vides sont quelquefois assez dures pour fournir des pierres à meules d’une qualité passable, comme à Ninsenbach, près de Siegsdorf, sur le Traun, en Bavière. Quant aux roches polies, il pense qu’une grande partie de ces polis naturels sont dus à des glissemens ou des frottemens plus ou moins considérables. Les polis par glissement non répété sont bien connus dans un grand nombre de roches argileuses, marneuses, bitumineuses, charbonneuses, et même arénacées ou calcaires, ainsi que dans certains minerais. Ces accidens se rencontrent souvent près des failles, des petits filons et des plissemens des couches. Ils ont eu lieu le plus fréquemment sur une très-petite échelle, et l’on peut les reproduire artificiellement avec de l’argile plastique. D’un autre côté, les polis dus à des frictions d’une longue durée ou à des glissemens immenses existent aussi, quoique plus rarement, dans les mêmes roches, ainsi que dans certains minerais de filons et les dépôts d’éruption ignée. Naturellement, dans une même masse, le nombre de ces surfaces polies n’égale jamais celui des autres dont nous venons de parler. Quelquefois les roches paraissent altérées ou décolorées par les acides ou d’autres agens sur le bord de ces fentes, comme cela se voit souvent dans le granite et le calcaire. Il la s’y est passé, en un mot, des accidens analogues à ceux qui ont donné aux filons métallifères leurs caractères. Les calcaires à fente polie sont, comme les dolomies et les calcaires magnésiens fendillés ou bréchiformes, des accidens très-fréquens dans les Alpes ; et lorsque ces surfaces présentent des stries, l’on peut en déduire la direction dans laquelle la friction a eu lieu. De grandes masses de rocher paraissent non-seulement avoir glissé les unes sur les autres, mais de plus, dans de grands massifs calcaires fendillés, les parties séparées semblent avoir été frottées les unes contre les autres par un mouvement qui a été plutôt d’une certaine durée que violent et passager.

L’auteur cite en particulier les localités du pied septentrional et méridional du mont Untersberg, les environs de St-Gilgen et de St-Lorenz, en Salzbourg ; les environs de Reichenhall, de Ninsenbach en Bavière, Idria, etc. Quant aux roches arénacées et quarzeuses, il en a vu plusieurs exemples en Écosse, et il présente à la Société des échantillons d’un grès quarzeux carpathique de Dunajoc, en Hongrie ; cette roche est polie et striée sur les bords d’une faille qui a dérangé son inclinaison.

M. Clément-Mullet présente un échantillon de poisson fossile dans la craie des environs de Troyes : il parait très-voisin du genre Zéa. De plus, M. Clément croit intéresser la Société en lui communiquant deux anciennes cartes géologiques ; 1° l’une par M. J.-L. Dupain-Triel, intitulée la France considérée dans les différentes hauteurs de ses plaines (une feuille ; Paris, 1791), carte ou l’auteur a essayé de diviser la France en terrasses placées en étage les unes sous les autres ; 2° une carte minéralogique de la France, dressée par Dupain-Triel père, d’après les observations de Guéttard (une feuille, 1784) ; la France y est divisée en sol marneux, sablonneux et métallique, et de nombreux signes y indiquent, à la manière de Monnet, un nombre considérable de roches ou de matières minérales.

M. Boubée montre à la Société des échantillons du terrain des environs de Toulouse et du puits foré dans cette ville.

M. Boblaye met sous les yeux de la Société des échantillons à l’appui de son mémoire lu dans la séance précédente.

M. Fleuriau de Bellevue lit une Notice sur de nouveaux fossiles du calcaire jurassique de Larepentie, près de La Rochelle.

Je prie la Société de fixer son attention sur certains fossiles très-bizarres, qui nous semblent avoir appartenu soit à quelques polypes nus, soit à des alcyons ou à des éponges, et que j’ai recueillis l’an dernier, avec MM. Gaboreau, Emy et Clairian, à une lieue au nord-ouest de la Rochelle, le long des falaises battues par la mer, entre Larepentie et le Plomb, vis-à-vis l’île de Rhé.

Ces fossiles sont remarquables non-seulement par leur volume, mais surtout par leur abondance. Ils forment une couche de huit pouces à un pied d’épaisseur, qui se montre sans interruption sur une étendue de 7 à 800 toises, et qui repose sur un lit de marne calcaire jaunâtre, d’un à deux pieds d’épaisseur.

La couche, uniquement composée de ces fossiles, est située dans la partie moyenne du calcaire jurassique compacte, presque lithographique, donnant de la chaux hydraulique, et divisé en bancs de 6 à 18 pouces d’épaisseur, horizontaux et séparés par des lits très-minces d’argile calcaire.

Ces bancs recouvrent cette couche de fossiles sur une hauteur qui varie de 2 à 30 pieds, selon que la colline prend plus ou moins d’élévation. Dans ce dernier cas, on aperçoit aussi çà et là une ou deux autres couches de ces mêmes animaux, mais elles ont peu d’étendue.

Le principal de ces corps organisés, qui est parfois gigantesque, et qui occupe la plus grande partie de cet immense dépôt, se compose de tiges et de branches plus ou moins courbes, contournées et anastomosées, qui furent vraisemblablement cylindriques, mais qui, comme celles des lignites, sont d’autant plus comprimées qu’elles sont plus petites : circonstance qui les fit prendre au premier abord pour des fucus.

Ces tiges et ces branches augmentent de volume à leurs extrémités et se terminent en forme de massues alongées, qui ont quelquefois la grosseur de la cuisse, mais elles sont tellement entrelacées les unes avec les autres, qu’il ne nous a pas été possible de reconnaître les caractères distinctifs de l’animal auquel elles ont appartenu.

Nous avons remarqué seulement qu’il existe à leurs surfaces des appendices, ou peut-être des tentacules souvent bifurqués, annonçant par leurs formes qu’ils sont sortis de ces branches dans un état de mollesse, et se sont appliqués irrégulièrement à ces surfaces : appendices qui se confondent quelquefois avec certains petits madrépores cylindriques et entrelacés qui couvrent aussi ce fossile.

Nous avons remarqué également que ces tiges sont souvent cassées transversalement ; que quelques-unes ont été soudées ensuite par le suc calcaire qui a pénétré ces animaux ; et que ce même syc a fait disparaître complètement leur organisation intérieure : en sorte que ces fossiles présentent à peu près le même grain, la même dureté et la même couleur que les bancs calcaires qui les recouvrent.

Enfin diverses coquilles, et notamment des térébratules et des trigones, ont pénétré ça et lç dans l’intérieur de leur corps : ce qui fait présumer qu’à l’état vivant, ils étaient plus ou moins mous.

Malgré beaucoup de recherches, nous n’avons pu recueillir que des fragmens de ces tiges et des ces bras entrelacés. Je le mets sous les yeux de la Société pour faire partie de ses collections. Mais, comme il ne peuvent lui donner une idée suffisante de ce que nous avons vu, M. le Colonel Emy a pris la peine d’en tracer l’ensemble dans le, dessin qu’il vient de m’envoyer et que je joins ici. Il a eu soin de me prévenir que ce dessin n’est pas un portrait spécial d’après nature, mais seulement un plan d’ensemble qui présente, autant qu’il l’a pu, la contexture de ce singulier fossile.

En effet, j’en reconnais les principaux traits pour les avoir vus sur ces sortes de plafonds que les vagues de la mer mettent à découvert lorsqu’elles ont détrempé le lit de marne qui sert de support à ces fossiles. Ce plan désigne d’une manière satisfaisante l’entrelacement continuel de ces tiges et de ces branches, plus ou moins rompues et chargées de leurs appendices.

Quelques autres espèces, pétrifiées et plus ou moins aplaties de la même manière que celles que nous venons de décrire, se trouvent disséminées dans la même couche, mais ces derniers fossiles ont beaucoup moins de volume et peu ou point d’appendices ; et, comme celui-ci, ils ne nous ont offert jusqu’à présent que des parties rompues, ce qui nous prive des moyens de les décrire suffisamment.

L’un d’entre eux, ayant 4 à 5 lignes de diamètre et quelques pouces de longueur, est couvert de rides transversales, parallèles et fort serrées, et il est très-contourné.

Un autre, moins gros encore, n’est que peu courbé et montre des articulations, comme celles des Isis, mais plus rapprochées.

Un troisième se présente sous la forme d’une petite lance droite et pointue, de 3 à 4 pouces de longueur, dont la surface est tantôt lisse et tantôt plissée dans le sens longitudinal et sans régularité, comme si la peau de l’animal s’était crispée en se desséchant, avant ou pendant la pétrification.

Enfin, l’on aperçoit dans le même lieu les fragmens de quelques autres corps pétrifiés analogues aux précédens, mais qui sont trop incomplets pour qu’on puisse en faire mention.

Il me reste, Messieurs, à vous prier d’examiner ces fossiles, de vouloir bien m’apprendre si vous à avez rencontré de semblables, soit dans la formation jurassique, soit dans d’autres, et de m’indiquer aussi in quelles familles les êtres organisés vous croyez devoir les rapporter.

M. Prévost rappelle la pétrification appelée par M. Buckland Paramoudra, et trouvée dans la craie inférieure de l’île de Wight. Il signale les analogies de ce fossile avec celui de M. Fleuriau. L’argile de Honfleur lui a offert des pétrifications sous la forme de tiges singulières.

M. de Beaumont dit avoir observé dans les argiles à gryphée virgule de la Champagne des corps cylindriques en partie ondulés et un peu comprimés. Il en a vu aussi, ainsi que M. Thirria, dans la Haute-Saône.

M. Clément Mullet indique la localité de Gérodot (Aube) comme contenant encore les corps cylindroîdes mentionnés par M. de Beaumont.

M. Boué dit avoir trouvé des fossiles identiques avec ceux de M. Fleuriau dans les Pyrénées-Occidentales, dans la commune de Doguen, non loin de Navarreins, dans le département des Landes, à Tercis, près de Dax. et à Seldenau. près de Vilshofen, sur le Danube, en Bavière. Dans toutes ces localités, la roche qui contient ces pétrifications lui a paru appartenir aux assises jurassiques supérieures. Il rappelle aussi certains fossiles ondulés et branchus, qui sont très-fréquens et connus dans le muschelkalk. Si ces derniers corps ont une certaine ressemblance avec ceux présentés à la Société par M. Flauriau, ils en diffèrent cependant sous certains rapports, Autrefois on les a aussi comparés a des serpens, et plus tard à des tiges d’Isis. On a aussi cité des prétendus serpens dans la grauwacke.

M. Fieuriau promet à la Société de lui présenter, à la séance prochaine, une seconde suite de ces curieux fossiles.

M. Reboul lit un Précis d’une comparaison des terrains de la deuxième époque tertiaire dans les bassins hétérogènes

J’ai exposé dans un précédent mémoire les rapports géognostiques des terrains tertiaires inférieurs, et j’ai essayé de démontrer que les marnes bleues et le calcaire marin qui leur est associé autour de la Méditerranée forment le terrain correspondant au calcaire grossier parisien, non-seulement par leur position entre les dépôts secondaires et le calcaire d’eau douce gypseux et siliceux, mais aussi par l’analogie des dépôts coquilliers. Cette détermination est justifiée par la comparaison des terrains tertiaires supérieurs ou de deuxième époque.

§ 1. Les terrains supérieurs ou de la deuxième époque tertiaire, dans les bassins métalymnéens et dans les prolymnéens[1] ont entre eux des rapports de ressemblance que n’ont pas les inférieurs. La différence de ceux-ci provient de ce qu’ils sont purement marins ou homogènes dans les bassins métalymnéens, et mixtes dans les prolymnéens ; au lieu que, dans les deux espèces de bassins, les terrains supérieurs sont pareillement lacustres ou mixtes.

Trois dépôts spéciaux ou au moins principaux ont été produits pendant cette deuxième époque, qu’on peut appeler lymnéenne.

L’inférieur est le calcaire d’eau douce assez ordinairement siliceux et gypseux (paléothérien. Br.).

Le dépôt moyen est marin ou plutôt mélangé de produits marins et de sédimens lacustres (protéique. Br.)

Le supérieur est encore un calcaire d’eau douce très-chargé de silex (épilymnique. Br.)

C’est là le type le plus ordinaire de la formation supérieure dans les bassins hétérogènes ; mais le nombre et l’ordre des parties qui composent cette formation demeurent indéterminés. À ces trois terrains, désignés par M. Brongniart, M. Desnoyers en a ajouté un quatrième. Les faits locaux autoriseraient peut-être à les multiplier encore davantage ; mais l’irrégularité de leurs alternances et de leurs mélanges ne permet guère de les considérer comme généraux, si ce n’est dans leur ensemble et pris en masse.

Le calcaire marin inférieur ou de la première époque paraît bien être le produit d’une même mer ; mais le parallélisme des autres dépôts ne s’étend pas plus loin. Dès que les eaux douces y sont survenues, tout ce qui s’est opéré dans les lacs a été local et accidentel. Le rapport commun à tous les dépôts est d’appartenir à une deuxième époque. Considérés dans leur composition, ils se divisent en deux espèces : les lacustres et les mixtes.

§ 2. Rien n’est plus manifeste que le contraste des terrains tertiaires formés par les eaux douces et de ceux formés par les eaux marines. La différence des fossiles qui ont vécu dans ces eaux diverses ne fait que confirmer ce qu’indiquent au premier abord l’aspect des roches et leur examen minéralogique. Comme il existe des bassins exclusivement marins ou lacustres, on y peut apprendre à distinguer avec certitude les formes et les caractères qui dérivent de chacun des deux modes de formation, ce qui donne le moyen de mieux apprécier les phénomènes géologiques des contrées alternativement immergées par les eaux marines et les eaux douces.

Le calcaire lacustre des bassins homogènes et celui des bassins hétérogènes présentent dans leur substance les mêmes caractères, et se trouvent associés aux mêmes corps étrangers, ce qui prouve que la condition des bassins hétérogènes, lorsque ce calcaire s’y est formé, avait été entièrement assimilée à celle des bassins lacustres homogènes.

La variété pierreuse la plus compacte a un grain fin passant à l’aspect crayeux ; sa cassure est conchoïde ou esquilleuse. Ce calcaire est quelquefois sonore comme le phonolithe, et se brise par le choc des outils tranchans. On y rencontre fréquemment des cavités sinueuses vides, ou remplies d’un limon coloré par le fer. Sa couleur est d’un blanc jaunâtre ou nuancé de teintes rougeâtres. Les strates les plus épais et qui se rencontrent le plus fréquemment sont moins fortement aggrégés, et passent à l’état de tufs blanchâtres marneux ou arénacés, dont les uns sont encore lithoïdes et les autres se durcissent étant exposés à l’air. Une autre espèce de ce calcaire pierreux, bien moins répandu, se distingue par sa texture concrétionnée, souvent feuilletée et alabastrine : c’est celle que les Italiens désignent par le nom de travertin.

Les tufs d’eau douce passent fréquemment à l’état de marnes blanchâtres, ou bleuâtres, ou bigarrées de bleu et de rouge. C’est aux bancs marneux que sont spécialement associés les gypses et les lignites de cette formation.

§ 3. Le silex est souvent intercalé dans ces marnes, mais il se trouve aussi infiltré dans la substance du calcaire pierreux. Ce calcaire contient la silice en diverses proportions disséminée dans sa pâte on réunie en concrétions. Celles-ci sont noduleuses ou stratiformes. Elle existe dans le bassin de l’Aude en bancs épais d’un demi-mètre, qui alternent avec des marnes gypseuses au-dessus du terrain manrneux. Comme ce dernier est entièrement exempt de mélanfes siliceux dans les bassins métalymnéens, où il est homogène, tandis que ces mélanges abondent dans le terrain marin inférieur prolymnéen, qui est mixte ; il m’a paru probable que les produits siliceux tertiaires devaient leur origine au travail et au mélange des eaux douces. Je me suis long-temps défié de cette induction, vu la grande importance qu’elle aurait sur l’histoire des phénomènes géologiques, mais je me suis confirmé de plus à plus dans cette doctrine de fait, que les dépôts siliceux de la période tertiaire ne se rencontrent que dans les terrains lacustres ou mixtes. En poursuivant cette analogie, je me suis demandé si les silex de la craie et la texture de ses roches semblables aux tufs d’eau douce tertiaires n’indiquaient pas aussi le concours des eaux fluviatiles à cette formation marine ?… Une question pareille demande à être traitée à part.

§ 4. Les gypses de la Seine et ceux de l’Aude occupent la même position géognostique. Ils diffèrent par leurs formes et par la disposition de leurs alternances. Les strates gypseux sont épais et massifs dans le bassin de la Seine ; ils sont, au contraire, minces et schisteux dans celui de l’Aude. La plâtrière de Malvésy, près Narbonne, est composée de plus de deux mille lits alternes de gypse et de marne qui n’ont d’épaisseur qu’un à deux centimètres.

C’est dans le dépôt gypseux du bassin de Paris qu’on a trouvé le plus grand nombre d’espèces fossiles d’animaux anciens, de quadrupèdes, d’oiseaux et de poissons.

Les gypses tertiaires d’Aix abondent en ichtyolithes et entomolithes Dans ceux du bassin de l’Aude, on n’a encore reconnu que quelques cyprius papyracés mêlés aux feuillets de dusodyle.

Les gypses et les marnes lacustres du bassin métalymnéen reposent immédiatement sur le terrain marin inférieur, sans alterner avec lui. Dans le bassin prolymnéen de la Seine, après quatre premières couches lacustres ou gypseuses, il en survient trois autres de calcaire grossier, et celle-ci reposait encore après six nouvelles couches gypseuses. Ainsi les mêmes causes qui, pendant la première époque, avaient déjà introduit par alternatives dans ce bassin les eaux de la mer et les eaux douces, ont continué d’agir de la mène manière, avant que les dépôts du calcaire grossier aient été plus complètement remplacés par ceux du terrain lacustre.

Les alternats de cette espèce, beaucoup plus rares dabs les bassins métalymnéens, n’ont commencé à s’y produire qu’après l’expiration de la première époque.

§ S. Les lignites tertiaires de la deuxième époque ont leurs gîtes dans la même position et dans les mêmes assises lacustres que les gypses ; ils sont même assez généralement représentés dans cette formation gypseuse par les marnes bitumineuses avec empreinte de feuilles, de tiges et de graines de dicotylédones.

Dans le bassin de l’Aude, les marnes à impressions végétales se trouvent éparses parmi les gypses de Malvésy et de Portels. Celles d’Armissen, dont les couches inférieures sont parsemées de petites cyclades, renferment quelques cristaux gypseux et des parcelles de bois converties en charbon.

Les lignites en couches et en amas paraissent essentiellement liés aux terrains d’eau douce. Ceux-ci se rencontrent à la première et la seconde époque dans les bassins prolymnéens, mais, dans les métalymnéens, ils appartiennent exclusivement à la deuxième : il doit en être de même des lignites.

M. Marcel de Serres en a décrit plusieurs gîtes dans le midi de la France ; ceux de Saint-Paulet, près le Saint-Esprit, sont situés, comme le calcaire d’eau douce métalymnéen, entre les glaises bleues à coquilles marines de la première époque et les dépôts mixtes de la seconde, où ces coquilles sont mélangées avec les fluviatiles[2].

Au plan. d’Aulps, M. Pareto a observé deux dépôts charbonneux qui alternent avec deux terrains à coquilles mélangées. Comme le dépôt inférieur repose immédiatement sur des roches secondaires il est possible que celui-ci se rapporte au groupe marno-charbonneux de la première époque tertiaire, et que le dépôt supérieur corresponde au calcaire d’eau douce de la deuxièmes

Les lignites de la Suisse, considérés pendant long-temps comme contemporains du groupe marno-charbonneux de la première époque, sont maintenant attribués au calcaire lacustre de la deuxième. Comme la constitution des molasses, même coquillières, de la Suisse indique un terrain mixte, il est probable qu’à l’exemple des autres bassins prolymnéens, les calcaires d’eau douce s’y trouvant dans les deux époques, il en est de même des lignites.

§ 6. Les terrains marins supérieurs des bassins métalymnéens diffèrent peu de ceux des prolymnéens ; les uns et les autres sont mixtes, et dans tous, c’est la formation lacustre qui prédomine. Les auteurs de la Description géologique du bassin de la Seine ont caractérisé d’un seul trait information marine supérieure, en disant qu’elle était beaucoup plus quaraeuae que calcaire[3].

Or, l’étude des bassins métalymnéens et celle des bassins homogènes nous enseignent qu’une formation tertiaire est d’autant plus quarzeuse, qu’elle est plus lacustre. En effet, les concrétions et les infiltrations siliceuses, les coquilles marines empâtées dans le silex, les psammites quarzeux pareils aux grès de Fontainebleau, ou même aux molasses subalpines, n’ont leurs analogues dans les bassins métalymnéens que parmi les dépôts supérieurs et mixtes, jamais parmi les inférieurs, qui sont purement marins.

Presque tous les phénomènes des terrains mixtes supérieurs se rattachent à cette considération. Les marnes sont, comme celles des eaux douces, blanchâtres ou tirant sur le jaune et le gris avec des teintes rougeâtres. Cependant quelques lambeaux de marnes bleues reparaissent aussi dans les dépôts supérieurs métalymnéens avec les sables et les psammites jaunes de la formation marine inférieure. Ceci nous rappelle que ces grès et ces sables sont le plus récent de tous les sédimens marins dans les contrées où ne sont point intervenues les eaux douces, et on y a signalé les mêmes débris osseux qu’on observe ailleurs dans les dépôts lacustres et les mixtes.

C’est dans les dépôts purement lacustres qu’il faut chercher les véritables types de la plupart des psammites et des sables des terrains supérieurs hétérogènes. La couleur de ces psammites est généralement blanchâtre ou d’un gris quelquefois bleuâtre. Ils diffèrent des grès marins jaunes et incohérens par une force d’aggrégation et une dureté qui les rend quelquefois propres a étinceler par le choc de l’acier ; plusieurs sont entièrement quarzeux. On y rencontre aussi, mais plus rarement, des impressions végétales pareilles à celles des schistes lacustres.

Les poudingues ou pséphites des terrains mixtes supérieurs sont tous cimentés parle calcaire d’eau-douce. Dans le bassin de l’Hérault, quelques-uns, plus faiblement aggrégés, se composent de graviers et de galets quarzeux ; les autres, beaucoup plus étendus, forment un véritable nagelflue ou pséphite gomphoïde, dont les cailloux roulés appartiennent la plupart au calcaire d’eau douce. On voit dans ce même bassin ces pséphites gomphoïdes tertiaires à peu de distance d’autres roches ayant la même forme, mais intercalées dans le terrain secondaire, et alternant avec les dernières assises jurassiques ou oolithiques.

§ 7. Les bancs à coquilles marines du terrain mixte supérieur sont bien moins puissans que ceux de la formation inférieure, auxquels ils ressemblent quelquefois de manière à rendre l’observateur indécis. Les coquilles qui sont rarement en place dans les dépôts inférieurs, semblent avoir subi dans les supérieurs un nouveau transport. Les dents de squale y ont perdu leurs pointes et le tranchant de leurs arêtes. Les fossiles y sont bien moins abondans et plus disséminés ; On n’y trouve point de genres, et peut-être bien peu d’espèces qui ne soient aussi dans les dépôts inférieurs. Quant aux espèces douteuses ou fausses et aux variétés, comment seraient-elles les mêmes dans des terrains que séparent plusieurs siècles, quand on voit les coquilles des plages changer aussi sensiblement dans deux contrées voisines dans un même temps, et d’une saison à l’autre dans un même lieu ?

§ 8. L’état de dispersion où se trouvent les fossiles marins dans les terrains de la deuxième époque semble une suite naturelle des révolutions qu’ont dû subir des lacs livrés alternativement aux eaux des fleuves et à celles de la mer. Un autre phénomène y démontre combien les produits de la mer ont été modifiés par leur séjour dans les lacs. Une grande partie de ces fossiles, et notamment les valves d’huître erratiques, se trouvent converties par l’infiltration des eaux douces, en écailles pesantes et compactes, dont la pâte fine ressemble au marbre blanc et a l’albâtre.

Le mode de cette transmutation est mis à découvert dans les strates du calcaire d’eau douce qui enveloppent ces fragmens d’huître alabastrins avec des lymnées et des planorbes[4].

Ces mêmes huîtres, ayant leurs valves juxta-posées, mais grossièrement pétrifiées, forment des bancs considérables dans le terrain inférieur du bassin de l’Hérault. On en trouve aussi quelques amas informes dans le terrain supérieur, mais elles y sont mêlées de graviers et de galets qui attestent leur charroi : la terrasse escarpée qui supporte la ville de Béziers en offre un exemple.

§ 9. Le mélange des matières roulées est l’un des caractères les plus saillans des terrains mixtes supérieurs, et notamment de ceux qui contiennent des fossiles marins. On l’observe même auprès de Montpellier, dans les couches supérieures d’un terrain marin qui n’est pas hétérogène. Quant aux dépôts supérieurs métalymnéens et prolymnéens, ils sont doublement mixtes, puisqu’au mélange des produits marins et de ceux des lacs se joint celui des graviers et des galets, qui indiquent le passage de la seconde époque à ne troisième.

§ 10. Il résulte de ces rapprochemens, brièvement exposés :

1° Que les bassins tertiaires métalymnéens se composent, comme les prolymnéens, de terrains de plusieurs époques ;

2° Que, dans ces divers bassins, les terrains de la deuxième époque sont pareillement lacustres ou mixtes.

3° Que ces formations se correspondent dans les divers bassins par leur formation générale et par l’ensemble de leurs produits, non par la disposition de leurs parties et la série de leurs alternances, qui sont partout accidentelles et locales ;

4° Que les lignites, les gypses, les silex, les sables et les pasammites quarzeuses, et les pséphites gomphoïdes de la deuxième époque tertiaire paraissent avoir été spécialement le produit des eaux douces qui ont occupé les lacs, ou y ont été mélées aux marines ;

S° Que les débris marins qui s’y trouvent le plus souvent associés à des matériaux de transport, demeurent subordonnés à la formation lacustre, qui est la principale.

M. d’Omalius d’Halloy lit un mémoire dans lequel il cherche à faire connaître la Structure de l’écorce solide du globe, sans parler des phénomènes qui ont concouru à la formation de cette écorce, parce qu’il croit avantageux de réduire la géognosie proprement dite à la simple exposition des faits, dégagée de toute considération hypothétique.

Il fait remarquer en premier lien que l’écorce du globe n’est pas une masse cohérente, mais qu’elle se compose de parties séparées par des joints, et il divise ces joints en cinq modifications, qu’il appelle joints de texture, joint de stratification, joint d’injection, fissure et failles.

Les trois premières espèces de joints donnent aux matières qui composent l’écoree du globe des formes que l’auteur range dans quatre divisions. qu’il appelle : formes massives, fragmentaires, cristallines et organiques. L’étude des deux dernières de ces divisions ne lui paraissant pas faire partis de la géognosie, il se borne à traiter des formes massives et fragmentaires, qu’il considère comme embrassant toute l’écorce du globe, parce que les corps doués de formes cristallines et organiques sont généralement renfermés dans les masses et dans les fragmens qui composent les deux autres divisions.

Il subdivise celles-ci de la manière suivante :

Couches Couche p. d.
Massives Bancs
Lits.
Masses non stratifiés.
FORMES Filons Dykes
filons p. d.
Filons fragmentaires.
Veines.
Coulées.
Amas.
Fragmentaires. Blocs.
Rognons.
Nids.
Cailloux.
Noyaux.
Fragmens anguleux.
Grains.

Tout en cherchant à attribuer des caractères précis à chacune de ces subdivisions, M. d’Omalius convient qu’elles sont de former un système rationnel qu’elles ne se rapportent pas toujours à des différences aussi tranchés que leurs noms semblent l’indiquer.

La lecture d’un mémoire de M. Tournal sur les ossemens humains fossiles est renvoyée à la séance prochaine.


  1. prolymnéens ou antérieurement lacustres ; métalymnéens ou postérieurement lacustres. Le bassin de la Seine est prolymnéen ceux de l’Hérault et de l’Aude sont métalymnéens.
  2. Voyez leur description dans la Géognosie des terrains tertiaires de M. de Serres.
  3. Descrip. géologique, p. 500.
  4. Observés au ravin de Dareilles, commune de Fontes, vallée de la Boïne, bassin de l’Hérault.