Cécilia/4/1

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Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
(2p. 174-178).



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LIVRE IV.


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CHAPITRE PREMIER.

Complainte.


Cécile persuadée que tous les soupçons sur son penchant pour M. Belfield étaient dissipés, se hâta de se rendre chez lui pour chercher avec sa sœur le moyen de lui être utile. Son domestique l’annonça quand elle fut à la porte, et elle fut tout de suite admise dans la chambre où elle était déjà entrée deux fois.

Elle trouva la jeune Henriette alarmée sur l’état de son frère ; il est perdu !… je ne le crains que trop, perdu pour toujours !… Et cela, par sa malheureuse vanité ! Il oublie que son père était un simple marchand ; il est honteux de son extraction, et son desir unique est de vivre avec les gens de qualité comme s’il était leur égal. À présent que sa situation ne le lui permet plus, il en est si affecté, qu’il ne saurait s’en consoler ; il m’a dit ce matin qu’il voudrait être mort ; qu’en prolongeant sa vie, il n’avait d’autre perspective qu’une affreuse misère. Et quand il m’a vu pleurer amèrement, il a paru très-touché ; car il a toujours été, à mon égard, le meilleur des frères, sur-tout lorsqu’il a cessé de fréquenter les grands seigneurs qui l’ont perverti. Pourquoi, m’a-t-il dit, Henriette, pourquoi voulez-vous que je vive, tandis qu’au lieu de vous placer vous et ma pauvre mère, dans un rang plus élevé, je me vois moi-même tombé si bas, que je ne sers plus qu’à vous priver de vos petits revenus ?

Je suis réellement fâchée, répliqua Cécile, qu’il soit si affecté de son état ; mais comment se peut-il que vous, qui êtes beaucoup moins âgée que lui, ayez des idées saines ? La solidité de votre jugement et la justesse de vos remarques m’étonnent autant qu’elles m’enchantent. Il me paraît que M. Belfield aurait actuellement moins besoin d’un médecin que d’un ami. Il lui reste un ami, mademoiselle, un ami généreux ; s’il voulait seulement accepter ses services…… Mais la présence de cet ami n’adoucit point ses maux ; au contraire, sa fièvre augmente chaque fois qu’il vient le voir. Eh bien ! s’écria Cécile en se levant, je m’apperçois que notre tâche sera pénible, et que nous aurons de la peine à le conduire ; mais prenez courage, et comptez que, s’il est possible de le sauver, nous ne le laisserons pas périr. Alors, quoique craignant encore de l’offenser, elle lui offrit de nouveau sa bourse. Mademoiselle Belfield ne fut pas aussi révoltée de sa proposition ; et la remerciant avec reconnaissance, elle lui dit qu’elle n’était pas précisément dans le cas d’en avoir besoin, et ne s’exposerait au risque de déplaire à son frère, qu’autant que la nécessité l’y contraindrait d’avoir recours à elle, et l’assura qu’elle ne manquerait jamais d’argent tant qu’elle aurait le moyen de lui en fournir.

Après quoi elle la quitta remplie d’estime et d’amitié pour cette jeune personne, et déterminée à chercher quelque moyen de procurer un emploi ou quelque place avantageuse à M. Belfield, qui, en lui présentant un avenir plus agréable, lui redonnerait le courage, et faciliterait sa guérison.

Elle se proposa de consulter M. Monckton, dont l’expérience et la grande connaissance du monde pouvaient la guider dans les démarches que le desir de servir M. Belfield l’obligerait de faire.

Malgré l’extrême confiance qu’elle avait en lui, et la persuasion où elle était qu’il se prêterait à ses vues, une autre idée tout aussi flatteuse, quoiqu’elle en attendît moins d’utilité, lui passa dans l’esprit : ce fut de faire part au jeune Delvile de ses idées. Elle savait déjà qu’il n’ignorait rien de ce qui concernait la situation de Belfield, et elle espérait, en lui demandant ouvertement son sentiment, de lui confirmer par cette démarche qu’elle n’avait aucun engagement avec lui.