Cœlestia fata (Guaita)

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Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 109-111).
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Cœlestia fata

(tercets cosmiques)


Globe pétrifié, lépreux et froid — la Lune
Errant, défunte, au ciel, roule son infortune :
— Vous périrez ainsi, Jupiter et Neptune !

Mercure, Uranus, Mars, ainsi vous périrez !
Et toi, Saturne, effroi des esprits timorés !
Et toi, Vénus, témoin des cœurs énamourés !

Et tu mourras aussi, nourrice auguste, ô Terre !
Le vieux Soleil, mélancolique et solitaire,
Luira sur le néant du monde planétaire :


Sur les tombeaux errants des peuples abolis,
Des grands peuples drapés au linceul des Oublis,
Au linceul noir dont rien n’agitera les plis…

Ironie !… — Où seront à cette heure, planètes,
Vos arbres verts ? Vos fiers palais ? Vos grands poètes ?
Vos conquérants ? Vos Astartés ? Vos proxénètes ?

Où vos savants ployés au faix de leurs cerveaux ?
Où vos trésors de vie exubérante ? Où vos
Zéphyrs dont flottait l’aile et par monts et par vaux ?

— Plus rien… Mais le Soleil vieillissant, malitorne,
Dardant son œil igné par l’espace sans borne,
Verra de ses fils morts errer le cercueil morne !…

Lors, évoquant l’orgueil des siècles radieux
Où sa postérité peuplait les vastes cieux,
Le Soleil maudira la cruauté des dieux ;


Puis, aïeul attristé que l’abandon torture,
Lui-même refroidi, vêtant l’écorce obscure,
(Tels autrefois Vénus, et la Terre, et Mercure),

Le Soleil, à son tour fleuri, vivant encor,
Continuera son vol effaré de condor,
Aveugle — par le ciel fourmillant d’astres d’or.


Janvier 1884.