Cahiers de la quinzaine - VI-13/Texte entier

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TREIZIÈME CAHIER DE LA SIXIÈME SÉRIE


l’Église et l’État
les événements actuels en Russie

TRADUCTION J.-W. BIENSTOCK



CAHIERS DE LA QUINZAINE
paraissant vingt fois par an
PARIS
8, rue de la Sorbonne, au rez-de-chaussée

Nous avons publié dans nos éditions antérieures et dans nos cinq premières séries, 1900-1904, un si grand nombre de cahiers de lettres, — nouvelles, romans, drames, dialogues, poèmes et contes ; — un si grand nombre de cahiers d’histoire et de philosophie ; un si grand nombre de cahiers d’action ; et ces cahiers de lettres, d’histoire et de philosophie, d’action étaient si considérables que nous ne pouvons pas songer à en donner ici l’énoncé même le plus succinct ; pour savoir ce qui a paru dans les cinq premières séries des cahiers, il suffit d’envoyer un mandat de cinq francs à M. André Bourgeois, administrateur des cahiers, 8, rue de la Sorbonne, rez-de-chaussée, Paris, cinquième arrondissement ; on recevra en retour le catalogue analytique sommaire, 1900-1904, de nos cinq premières séries.

Ce catalogue a été justement établi pour donner, autant qu’il se pouvait, une image en bref, un raccourci, une idée, abrégée, mais complète, de nos éditions antérieures et de nos cinq premières séries ; tout y est classé dans l’ordre ; il suffit de le lire pour trouver, à leur place, les références demandées.

Ce catalogue, in-18 grand jésus, forme un cahier très épais de XII + 408 pages très denses, marqué cinq francs ; ce cahier comptait comme premier cahier de la sixième série et nos abonnés l’ont reçu à sa date, le 2 octobre 1904, comme premier cahier de la sixième série ; toute personne qui s’abonne à la sixième série le reçoit, par le fait même de son abonnement, en tête de la série ; nous l’envoyons contre un mandat de cinq francs à toute personne qui nous en fait la demande.



Nous avons eu par les soins de Léon Deshairs une photographie de Tolstoï et Gorki se promenant ensemble à lasnaia Poliana ; cette photographie a été prise par une des filles de Tolstoi ; elle a été communiquée à Deshairs par le docteur Schlepianoff ; nous l’avons fait reproduire à trois cents exemplaires ; nous la vendons deux francs

Notre vieil abonné M. J.-W. Bienstock nous avait apporté il y a plusieurs années le premier des deux fragments que l’on va lire ; on verra ci-après pourquoi ce fragment présente un intérêt véritablement unique ; le moment nous paraît venu de le sortir, au moment où commencent en France les débats parlementaires d’où peut résulter cette opération que l’on nomme la séparation des Églises et de l’État, et qu’il vaudrait mieux nommer et effectuer le désétablissement des Églises.

Le texte que l’on va lire n’a point encore été publié en France ; il n’y sera sans doute pas publié en dehors de ces cahiers, au moins de sitôt et jusqu’à sa publication dans les éditions définitives ; il n’est point compris en effet dans le volume que M. Bienstock prépare en même temps que nous préparons ce cahier, et qui va paraître incessamment.

Sous ce titre : Dernières paroles, M. Bienstock réunit en un corpus les diverses manifestations que nous avons de la pensée de Tolstoï pendant ces trois dernières années ; ces différentes manifestations et textes recueillis et rassemblés forment un volume de trois francs cinquante aux éditions du Mercure de France ; on peut le commander dès aujourd’hui à la librairie des cahiers.



l’Église et l’État

Au cours d’une de mes visites à L. N. Tolstoï, à Jasnaia Poliana, en 1885 ou 1886, je remarquai dans son cabinet, sur le rayon d’une bibliothèque ouverte, une liasse de papiers jetés négligemment. J’avais déjà le respect de chaque ligne de Tolstoï, et j’exprimai le désir de compulser cette liasse, pensant y trouver quelque page précieuse que je demanderais à l’auteur, en souvenir. Parmi des papiers sans importance, j’avisai un petit cahier sur lequel était inscrit : l’Église et l’État. L’ayant parcouru, je demandai à en prendre une copie. Tolstoï acquiesça ajoutant que ce manuscrit n’était pas destiné à la publicité, que c’était un fragment de son grand ouvrage : La Critique de la Théologie dogmatique, qu’il en avait retranché en en faisant la révision au cours des années 1879-1881.

J’emportai l’opuscule à Pétersbourg. Je le montrai à des amis qui le recopièrent et bientôt même il était lithographié par des étudiants de l’Université.

Comme L. N. Tolstoï ne destinait pas cet article à l’impression, nous, ses amis, longtemps nous nous sommes fait scrupule de le publier ; nous nous le permettons maintenant que nous faisons paraître ses œuvres complètes. Jusqu’aujourd’hui cet article n’a été inséré nulle part, sauf dans une éphémère revue anglaise, The New Order. J’ai raconté ceci pour ôter à Tolstoï la responsabilité de la forme de ces pages.

P. Birukov

L’ÉGLISE ET L’ÉTAT

Léon Tolstoï


L’ÉGLISE ET L’ÉTAT


La foi c’est le sens donné à la vie, c’est ce qui imprime à la vie sa force et sa direction. Chaque homme la subit et vit en s’y conformant ; s’il ne l’a pas trouvée, il meurt. Dans cette recherche, l’homme profite de tout ce qu’a élaboré l’humanité. Tout ce qu’a élaboré l’humanité s’appelle la révélation. La révélation, c’est ce qui aide l’homme à comprendre le sens de la vie. Voilà le rapport direct de l’homme envers la foi.


Alors pourquoi cette chose étonnante ? des hommes paraissent qui font tout pour que d’autres hommes profitent exclusivement d’une forme de la révélation et non d’une autre ; ils ne peuvent rester indifférents tant que les autres n’acceptent pas leur forme de révélation. Ils maudissent, ils supplicient, ils tuent tous ceux des dissidents qu’ils peuvent atteindre. Les autres agissent de même : ils maudissent, supplicient, tuent tous ceux des dissidents qu’ils peuvent atteindre. Une troisième catégorie fait de même. Ainsi tous se maudissent les uns les autres, se torturent, se tuent, exigeant que tous croient comme eux. Le résultat c’est qu’il y a des centaines de croyances diverses toutes ennemies.

Tout d’abord j’étais frappé de ce qu’une pareille insanité évidente, une pareille contradiction, ne détruise pas la foi même, que des hommes croyants puissent se prêter à une telle tromperie.

En effet, au point de vue général, il est incompréhensible mais il est prouvé indiscutablement que toute religion n’est que tromperie et superstition, et c’est ce que tâche de démontrer la philosophie qui domine aujourd’hui. En me plaçant au point de vue général, je suis arrivé à la conclusion définitive que toutes les croyances sont des tromperies humaines ; toutefois, ce fait, que malgré la sottise et l’évidence de la tromperie, toute l’humanité s’y soumet, me sembla la preuve qu’au fond de cette tromperie il y a quelque chose de vrai. Autrement tout cela est si sot, qu’on ne pourrait s’y laisser prendre. Cette soumission générale de l’humanité à la tromperie, m’a même fait reconnaître l’importance du phénomène qui en est cause ; et ainsi convaincu, je me suis mis à étudier la doctrine chrétienne, base de la tromperie de toute l’humanité chrétienne. C’est ce qui résulte de mes observations au point de vue général. Mais au point de vue personnel, c’est-à-dire en partant de l’idée que chaque homme et moi devons, pour vivre, avoir foi dans le sens de la vie, et avons cette foi, le fait de la violence exercée en faveur de la foi est encore plus surprenant d’insanité.

En effet : comment, pourquoi et à qui peut-il être nécessaire qu’un autre, non seulement croie comme moi, mais professe comme moi ? L’homme vit, donc il connaît le sens de la vie. Il a établi son rapport envers Dieu, il connaît donc la vérité des vérités, et moi aussi je la connais. Leurs expressions doivent être différentes, leur sens doit être le même étant tous deux des hommes.

Comment, pourquoi, puis-je être contraint d’exiger de n’importe qui qu’il exprime sa vérité comme moi ?

Je ne puis ni par la violence, ni par la ruse, ni par la tromperie (le faux miracle), forcer un homme à changer sa foi.

La foi, c’est sa vie, comment puis-je la lui ôter et lui en donner une autre ? C’est exactement comme si je lui prenais son cœur pour lui en donner un autre. Je ne puis faire cela que si sa foi et la mienne ne sont que des paroles et non l’essence même de notre vie, non le cœur. Cela on ne peut pas le faire. C’est pourquoi on ne peut tromper un homme ou le forcer de croire à ce qu’il ne croit pas. Et on ne le peut pas, parce que celui qui croit, — c’est-à-dire qui a établi son rapport envers Dieu, et sait que la foi est le rapport de l’homme envers Dieu, — ne peut pas désirer établir le rapport d’un autre homme envers Dieu, par la violence ou la tromperie. C’est impossible mais cela se fait partout et toujours ; c’est-à-dire cela ne peut pas se faire, parce que c’est impossible, mais il s’est fait et se fait quelque chose y ressemblant beaucoup. Il s’est fait et il se fait que des hommes imposent aux autres un semblant de foi, et les autres acceptent ce semblant de foi, — c’est-à-dire la tromperie religieuse.

La foi ne peut être imposée, de même qu’elle ne peut être acceptée ni par la violence, ni par la tromperie, ni par l’intérêt ; il ne s’agit donc pas de la foi, mais de la tromperie de la foi, et cette tromperie de la foi est l’ancienne condition de la vie de l’humanité.

En quoi donc consiste cette tromperie et sur quoi est-elle basée ? Par quoi est-elle excitée chez les trompeurs, par quoi se maintient-elle chez les trompés ? Je ne parlerai pas du brahmanisme, du bouddhisme, du confucianisme, du mahométisme, où se sont produits les mêmes phénomènes, non parce qu’il est impossible d’y trouver la même chose, — pour tous ceux qui ont étudié ces religions il est clair qu’il s’y est produit la même chose que dans le christianisme, — mais je parlerai exclusivement du christianisme, religion qui nous est connue, nécessaire et chère. Dans le christianisme toute la tromperie est basée sur la conception fantaisiste de l’Église, conception qui ne repose sur rien et qui frappe, au début de l’étude du christianisme, par son insanité inattendue et inutile.

Parmi toutes les conceptions et paroles athées, il n’y en a pas de pires que celles de l’Église. Il n’y a pas de conception qui ait engendré plus de mal, il n’y en a pas de plus contraire à la doctrine du Christ. En réalité, le mot Ecclesias signifie réunion et pas plus, et c’est ainsi qu’il est employé dans les évangiles. Dans les langues de tous les peuples nouveaux, le mot ecclesias signifie lieu de prières.

Malgré l’existence de quinze cents ans de tromperie de l’Église, ce mot n’a pénétré dans aucune langue en d’autre sens. Selon les significations que donnent à ce mot les pontifes auxquels est nécessaire la tromperie de l’Église, il résulte que ce mot n’est rien d’autre que la préface qui déclare : Tout ce que je dirai maintenant, c’est la vérité, et si tu ne crois pas, je te brûlerai, ou te maudirai ou t’insulterai de toutes les manières. Cette conception est un sophisme nécessaire pour certain but dialectique et elle reste le bien de ceux à qui elle est nécessaire. Dans le peuple, et non seulement dans le peuple mais dans la société, dans les milieux instruits, bien qu’on l’apprenne dans le catéchisme, cette conception n’existe nulle part. Quelque honteux qu’il soit de discuter sérieusement cette définition, il faut le faire puisque tant de gens la donnent sérieusement pour quelque chose d’important. Cette définition est tout à fait mensongère. Quand on dit que l’Église est la réunion des vrais croyants, à proprement parler, on ne dit rien, parce que si je disais que la chapelle est la réunion de tous les vrais musiciens, je n’aurais rien dit tant que je n’aurais pas défini les vrais musiciens. Selon la théologie, les vrais croyants sont ceux qui suivent la doctrine de l’Église, c’est-à-dire qui font partie de l’Église.

Sans répéter ici qu’il y a des centaines de vraies croyances pareilles, cette définition ne dit rien et semble aussi insuffisante que la définition de la chapelle comme réunion des vrais musiciens. Mais derrière cela on voit le fil blanc. L’Église est vraie et unique et il y a en elle les pasteurs et le troupeau, et les pasteurs, établis par Dieu, enseignent cette doctrine vraie et unique, c’est-à-dire : « Nous jurons que tout ce que nous vous disons est la vraie vérité. »

Il n’y a rien de plus. Toute la tromperie est là : dans la définition et la conception de l’Église. Et l’essentiel de cette tromperie c’est qu’il y a des gens qui veulent, coûte que coûte, inculquer leur foi aux autres.

Pourquoi donc veulent-ils tant faire accepter leur foi aux autres hommes ? S’ils avaient la vraie religion, ils sauraient que la religion c’est le sens de la vie, le rapport envers Dieu établi par chaque homme et qu’ainsi on ne peut enseigner la foi, mais la tromperie de la foi. Mais ils la veulent enseigner. Pourquoi ? La raison la plus simple serait que la galette et les œufs sont nécessaires aux prêtres, et qu’il faut aux archevêques, les palais, les gâteaux et les soutanes de soie. Mais cette réponse ne suffit pas. C’est sans doute la raison intérieure, psychologique de la tromperie, le prétexte qui soutient la tromperie, mais, en raisonnant ainsi, comment pourrait-on comprendre qu’un homme (le bourreau) puisse se décider à en tuer un autre contre qui il n’a aucune colère ? Ce serait insuffisant de dire que le bourreau tue, parce qu’on lui donne de l’eau-de-vie, du pain blanc et une chemise rouge ; de même il est insuffisant de dire que le Métropolite de Kiev, et les moines, remplissent des sacs de paille et les appellent des reliques des saints seulement pour avoir 30.000 roubles de revenus. L’une et l’autre action sont trop horribles et trop contraires à la nature humaine pour qu’une explication aussi simple et grossière puisse suffire. De même que le bourreau, le Métropolite, pour expliquer son acte, donnera une série de preuves basées principalement sur la tradition historique : « Il faut tuer l’homme ; on a supplicié depuis que le monde existe ; si ce n’est moi ce sera un autre ; j’espère, avec l’aide de Dieu, le faire mieux qu’un autre ! » De même le Métropolite dira : « L’adoration extérieure de Dieu est nécessaire ; depuis que le monde existe on a adoré les reliques des saints ; on respecte les reliques des caveaux ; on vient ici. Si je ne les dirige pas, ce sera un autre ; moi j’espère, avec l’aide de Dieu, employer plus pieusement cet argent gagné par le sacrilège. »

Pour comprendre la tromperie religieuse il faut remonter à sa source.

Parlons de ce que nous connaissons, du christianisme. S’adressant aux origines de la doctrine chrétienne, aux évangiles, nous trouvons une doctrine qui exclut nettement l’adoration extérieure de Dieu, qui la condamne et nie, nettement, absolument son enseignement. Mais depuis le Christ, jusqu’à nos jours, nous constatons que la doctrine s’écarte des bases posées par Christ. Cet écart commence depuis les apôtres, et surtout depuis que l’apôtre amateur, Paul, enseigna cette doctrine ; et plus le christianisme s’est propagé, plus il s’est transformé et a adopté cette adoration extérieure de Dieu et son enseignement, si fortement déniés par le Christ. Dans les premiers temps du christianisme, la conception de l’Église sert seulement à définir tous ceux qui partagent cette croyance, et que je considère comme vraie. Cette conception est absolument juste, si elle s’applique non à la croyance par les paroles mais par toute la vie, car la croyance ne peut être exprimée par des paroles.

La conception de l’Église vraie fut encore employée comme palliatif entre les discordants. Mais jusqu’à Constantin et jusqu’au concile de Nicée l’Église n’est qu’une conception ; et depuis Constantin et le concile de Nicée, elle devient une institution et une institution de mensonge. Or, que dire de cette tromperie du Métropolite avec les reliques, des prêtres avec l’Eucharistie, du Saint-Synode, etc., qui frappe et terrifie tant et ne trouve pas l’explication suffisante de son ignominie dans le seul avantage de ces personnes. Cette tromperie est ancienne et elle n’a pas commencé par les seuls avantages de quelques individus : il n’y a pas de monstre pouvant se décider à agir ainsi le premier, s’il n’y avait pas à cela d’autres causes. Les causes qui amenèrent cela étaient mauvaises : « à leur fruit vous les reconnaîtrez. »

Leur origine fut le mal, la haine, l’orgueil, l’hostilité contre Arius et les autres et, le mal encore plus grand : l’union des chrétiens avec le pouvoir. Le pouvoir, c’est Constantin, qui, selon la conception païenne, est au sommet de la grandeur humaine (il est considéré comme un Saint), qui accepte le christianisme, donne l’exemple à tout le peuple, le convertit, prête main forte contre les hérétiques, établit par un concile universel la seule religion vraie, chrétienne.

La religion catholique, chrétienne est établie pour toujours. Il était si naturel de se laisser prendre à cette tromperie, et jusqu’ici encore on croit au bienfait de cet événement. Et pourtant la majorité chrétienne renonçait à sa foi. C’étaient les portes, par lesquelles l’énorme majorité des chrétiens s’engagea précisément dans la voie païenne où elle marche encore. Charlemagne, Vladimir, continuent la même chose. Et jusqu’à présent dure la tromperie de l’Église, qui consiste en ceci : que l’acceptation du christianisme par le pouvoir est nécessaire pour ceux qui comprennent la lettre et non l’esprit du christianisme, car l’acceptation du christianisme sans le renoncement au pouvoir n’est que la parodie du christianisme et sa défiguration.

La bénédiction du pouvoir par le christianisme, c’est un sacrilège, c’est la perte du christianisme.

Après avoir vécu quinze cents ans dans cette alliance sacrilège du pseudo-christianisme et de l’État, il faut faire un grand effort pour oublier tous les sophismes compliqués à l’aide desquels, pendant quinze cents ans, partout la doctrine chrétienne fut défigurée pour la concilier avec l’État, pour expliquer la sainteté, la légitimité de l’État et sa possibilité d’être chrétien.

En réalité ces mots : « l’État chrétien », c’est la même chose que la glace chaude ou tiède. Ou il n’y a pas d’État, ou il n’y a pas de christianisme.

Pour le bien comprendre il faut oublier toutes ces fantaisies qu’on nous enseigne avec tant de soins, et demander nettement la signification de ces sciences historiques et juridiques qu’on nous enseigne. Ces sciences n’ont aucune base, toutes ne sont rien que l’apologie de la violence.

Passant l’histoire des Perses, des Mèdes, etc., arrêtons-nous à l’histoire de cet État qui le premier conclut alliance avec le christianisme.

À Rome il y avait un nid de brigands, il s’agrandit par le pillage, la violence, le meurtre ; il conquit tous les peuples. Les brigands et leurs descendants, avec des chefs appelés ou César ou Auguste, pillaient et torturaient les peuples pour la satisfaction de leurs plaisirs. Un des héritiers de ces chefs de brigands, Constantin, après avoir lu beaucoup de livres et s’être rassasié de la vie de débauches, préféra quelques dogmes du christianisme aux anciennes croyances : aux victimes humaines il préféra la messe, à l’adoration d’Apollon, de Vénus et de Zeus, il préféra celle du Dieu unique et de son fils Christ, et il ordonna d’introduire cette religion parmi ceux qu’il tenait en son pouvoir.

« Les rois règnent sur les peuples, et parmi vous qu’il n’en soit pas ainsi. Ne tue point, ne commets pas l’adultère, n’aie pas de richesses, ne juge pas, ne condamne pas, souffre le mal. » Personne ne lui dit cela. Mais on lui dit : « Tu veux t’appeler chrétien et continuer d’être chef de brigands : battre, incendier, faire la guerre, vivre dans la débauche et le luxe ? C’est bien. » Et on lui installe le christianisme même plus aisément qu’on ne pouvait s’y attendre. Ils ont prévu qu’après avoir lu l’évangile il pourrait se ressaisir, que là, on exige la vie chrétienne et non la construction des temples et leur fréquentation. Ils ont pensé cela, et, avec soin, ils lui ont arrangé tel christianisme qu’il pouvait, sans se gêner, vivre en païen, comme avant. D’un côté, Christ, fils de Dieu, ne venait que pour le racheter et racheter tous. C’est pourquoi Christ est mort ; c’est pourquoi Constantin peut vivre comme il veut. Ce n’est pas tout : on peut se repentir et avec un peu de pain et de vin, ce sera le salut et tout sera pardonné.

C’est peu, ils ont encore béni son pouvoir de brigand, ils l’ont déclaré divin et l’ont oint. En échange il a arrangé comme ils le désiraient la réunion des prêtres et leur a ordonné de dire quel doit être le rapport de chaque homme envers Dieu, en donnant l’ordre à chacun de le répéter.

Et tous commencèrent à le répéter, furent contents, et depuis quinze cents ans, cette religion vit et les autres chefs de brigands l’ont acceptée, et tous sont oints et tout est divin. Si un malfaiteur quelconque pille et tue beaucoup de gens, on l’oint et on déclare qu’il vient de Dieu. (Chez nous, il y avait de Dieu une débauchée, meurtrière de son mari ; chez les Français, Napoléon.)

Pour cette raison, les prêtres, non seulement viennent de Dieu, mais eux-mêmes sont presque Dieu, car ils ont en eux le Saint-Esprit ; de même le Saint-Esprit est dans le pape, dans notre Saint-Synode et ses fonctionnaires.

Et quand un empereur, c’est-à-dire un chef de brigands, voudra étrangler son peuple ou un peuple étranger, on lui donnera aussitôt de l’eau bénite. On y trempera la croix (cette même croix sur laquelle mourut Christ parce qu’il dénonçait ces mêmes brigands), et l’on bénira pour l’étranglement, la pendaison, la décapitation.

Tout irait bien, mais même ici, ils ne peuvent tomber d’accord, et les souverains sacrés commencent à se traiter de brigands, — ce qu’ils sont en effet, — et le peuple commence à écouter et cesse de croire aux souverains sacrés et à la présence du Saint-Esprit, ils apprennent à les nommer justement, comme ils le font eux-mêmes, c’est-à-dire brigands et menteurs.

Je parle des brigands comme ça, pour la bonne bouche, parce qu’ils ont dépravé des trompeurs. Ici il ne s’agit que des trompeurs, c’est-à-dire des soi-disant chrétiens. Ils sont devenus tels par l’union avec les brigands. Et il ne pouvait en être autrement. Ils ont descendu la pente dès qu’ils ont sacré le premier tsar et l’ont convaincu qu’il peut, par la violence, aider à la religion, à la religion d’amour, de sacrifice, d’endurance. Toute l’histoire de l’Église vraie, non fantaisiste, c’est-à-dire l’histoire de la hiérarchie sous le pouvoir des souverains, n’est qu’une série de tentatives vaines de la part de cette hiérarchie malheureuse pour conserver la vérité de la doctrine en la propageant par le mensonge, et en s’écartant d’elle en réalité.

L’importance de la hiérarchie n’est basée que sur la doctrine qu’elle veut enseigner. La doctrine enseigne l’humilité, le sacrifice, l’amour, la pauvreté, mais elle se propage par la violence et le mal.

Pour que la hiérarchie ait matière à enseigner, pour qu’elle ait des disciples, elle ne doit pas s’écarter de la doctrine, mais se purifier et purifier son union illégitime avec le pouvoir ; il faut par les moyens les plus retors cacher le sens de la doctrine et, pour cela, transporter le centre de gravité de la doctrine non en l’essence de la doctrine, mais en son côté extérieur. C’est précisément ce que fait la hiérarchie, — source de cette tromperie religieuse que l’Église propage. La source, c’est l’union par la violence, de la hiérarchie, sous le nom d’Église, avec le pouvoir ; et la source de ce fait que les hommes veulent inculquer aux autres la religion, est dans ce que la vraie religion les dénonce eux-mêmes, et il leur faut, au lieu de la religion vraie, substituer leur religion inventée qui les justifie.

La vraie religion peut exister partout sauf là où elle est clairement mensongère, c’est-à-dire violente, pas dans la religion d’État. La vraie religion peut être dans tout ce qu’on nomme hérésie, mais assurément elle ne peut être là où elle s’est unie à l’État. C’est étrange à dire mais les appellations (religions orthodoxe, catholique, protestante), telles qu’elles sont établies dans le langage habituel, ne signifient rien d’autre que la « religion unie au pouvoir », la religion d’État et, par suite, la religion mensongère.

La conception de l’Église, c’est-à-dire l’unité de pensée de plusieurs, de la majorité, et, en même temps, l’approche à la source de la doctrine, pendant les deux premiers siècles du christianisme n’était qu’un des mauvais prétextes extérieurs. Paul disait : « Je sais du Christ lui-même » ; un autre disait : « Je sais de Luc » et tous disaient : « Nous pensons juste et la preuve, c’est que nous sommes une grande réunion, l’ecclésias, l’église. Mais c’est seulement depuis le concile de Nicée, établi par l’empereur, qu’a commencé, pour ceux qui professent la même doctrine, la tromperie directe, évidente.

« Obéis à nous et à l’Esprit », comme on disait alors. La conception de l’Église devenait déjà non seulement un mauvais argument, mais, pour certains, le pouvoir. Elle s’unissait au pouvoir et commençait à agir comme pouvoir, et tous ceux qui s’unissaient au pouvoir et se soumettaient à lui, cessaient d’être religieux et s’adonnaient à la tromperie.

Qu’est-ce qu’enseigne le christianisme en le comprenant comme la doctrine de n’importe quelle Église ou de toutes les Églises ?

Discutez comme vous le voulez, en unissant, ou séparant, mais toute la doctrine chrétienne se divise en deux parties bien distinctes : la doctrine des dogmes, en commençant par le fils de Dieu, le Saint-Esprit, le rapport mutuel de ces personnes, jusqu’à l’Eucharistie, avec le vin ou sans le vin, jusqu’au pain azyme ou non ; et la doctrine morale : humilité, désintéressement, pureté corporelle et spirituelle, abstinence de condamner, affranchissement de l’esclavage et amour de la paix. Malgré tous les efforts des maîtres de l’Église, ces deux côtés de la doctrine ne se mêlèrent jamais et, comme l’huile dans l’eau, furent toujours séparés en gouttes grandes et petites.

La différence de ces deux côtés de la doctrine est claire pour chacun, et chacun peut voir le résultat de l’un et de l’autre dans la vie des peuples, et par ces résultats, il peut conclure quel côté est plus important et si l’on peut s’exprimer ainsi, « plus vrai ». Quand on regarde d’un côté l’histoire du christianisme, on est saisi d’horreur. Sans exception, depuis le commencement et jusqu’au bout, jusqu’à nous, de quelque côté qu’on porte les yeux, quelque dogme qu’on prenne, par exemple le dogme de la divinité du Christ, jusqu’à l’apposition des mains, jusqu’à la communion avec le vin ou sans vin, les résultats de tous ces effets spirituels employés pour l’interprétation de ces dogmes sont : la colère, la haine, les supplices, l’exil, les massacres des femmes et des enfants, les bûchers, les tortures. Regarde-t-on de l’autre côté de la doctrine, du côté moral, depuis l’isolement au désert pour la communion avec Dieu jusqu’à la coutume de donner le pain dans la prison, et les résultats sont toutes nos conceptions du bien, toute la joie et la consolation qui nous servent de flambeau dans l’histoire…

Les hommes aux yeux de qui ne se montraient pas encore nettement les résultats de l’un et l’autre côtés pouvaient encore se tromper, ils ne pouvaient point ne pas se tromper. Ceux qui étaient sincèrement entraînés dans les discussions sur les dogmes, sans remarquer que grâce à ces dogmes ils servent Satan et non Dieu, sans remarquer que Christ disait clairement qu’il est venu pour détruire tous les dogmes, ceux-là pouvaient aussi se tromper ; de même ceux qui, après avoir hérité de la tradition sur l’importance de ces dogmes, avaient reçu une éducation si perverse qu’il leur était impossible de voir leur erreur, pouvaient se tromper. Et pouvaient aussi se tromper les humbles pour qui ces dogmes ne représentaient rien, sauf des paroles et des images fantaisistes. Mais nous, à qui est dévoilé le sens primitif de l’évangile qui nie tous les dogmes, nous qui avons devant les yeux les résultats de ces dogmes dans l’histoire, nous ne pouvons nous tromper. Pour nous, l’histoire est le contrôle de la véracité de la doctrine, contrôle même mécanique.

Le dogme de l’Immaculée Conception est-il nécessaire ou non ? Qu’en résulte-t-il ? La colère, les injures, les railleries. Présente-t-il quelque utilité ? Aucune. La doctrine qui défend de tuer la fornicatrice est-elle nécessaire ou non ? Qu’en résultera-t-il ? Des milliers de fois les hommes furent adoucis à son souvenir.

Autre chose. Dans n’importe quel dogme, tous étaient-ils d’accord ? Non. Pour donner à celui qui demande tous étaient-ils d’accord ? Oui.

Voilà donc un premier fait : les dogmes sur lesquels personne n’est d’accord, qui ne sont nécessaires à personne, qui perdent les hommes, c’est ce que la hiérarchie donnait et donne pour religion, — et, deuxièmement, ce sur quoi tous sont d’accord, ce qui est nécessaire à tous, ce qui sauve les hommes, cela, la hiérarchie, bien qu’elle n’ose le nier, n’ose aussi le donner comme doctrine, car cette doctrine la renierait elle-même.

Léon Tolstoi

les événements actuels en Russie

La lettre que l’on va lire a été publiée pour la première fois en français dans le Courrier Européen ; deuxième année, numéro 18, vendredi 10 mars 1905 ; nous publions plus loin, disait le Courrier dans sa première page, un important article de Tolstoy sur les événements de Russie. C’est l’article dont il a été question récemment dans la presse et que l’on attendait. Il paraît en même temps en français dans le Courrier Européen et en anglais dans le Times. Il sera publié en russe dans quelques jours.

M. Bienstock a relu sur épreuves l’édition que nous donnons ici de cette lettre.



Léon Tolstoï

LES ÉVÉNEMENTS ACTUELS EN RUSSIE

Il y a deux mois, je reçus d’un journal de l’Amérique du Nord, un câblogramme, avec réponse payée de cent mots ; on me demandait mon opinion sur l’importance, le but et les conséquences probables de l’agitation des Zemstvos. Ayant sur ce sujet une opinion très nette, et en désaccord avec celle de la majorité, je crus nécessaire de la donner.

Voici ce que je répondis :

L’agitation des Zemstvos a pour but la limitation du despotisme et l’institution d’un gouvernement représentatif. Les meneurs de cette agitation atteindront-ils leur but ou continueront-ils seulement à troubler la société ? Dans les deux cas, le résultat probable de tout cela sera l’ajournement de la véritable amélioration sociale, puisque la véritable amélioration sociale ne s’obtient que par le perfectionnement religieux et moral de l’individu. Tandis que l’agitation politique, plaçant devant les individus l’illusion pernicieuse de l’amélioration sociale par le changement des formes extérieures, arrête, ordinairement, le vrai progrès, ce qu’on peut remarquer dans tous les États constitutionnels : France, Angleterre, Amérique.

Le contenu de ce télégramme parut dans les Moskovskïa Viédomosti, avec quelques inexactitudes ; et, aussitôt après, je commençai à recevoir, et reçois encore, des lettres pleines de reproches pour l’idée que j’ai exprimée ; de plus les journaux américains, anglais et français me demandent ce que je pense des événements qui se produisent actuellement en Russie. Je ne désirais répondre ni aux uns ni aux autres, mais, après le massacre de Saint-Pétersbourg et les sentiments d’indignation, de peur, de colère et de haine qu’il a provoqués dans la société, j’ai cru de mon devoir d’exprimer avec plus de détails et de netteté ce que j’avais exposé brièvement dans les cent mots du journal américain.

Ce que j’ai à dire aidera peut-être quelques hommes à s’affranchir de ces sentiments pénibles de blâme, de honte, d’irritation, de haine, de désir de la lutte, de vengeance et de conscience de son impuissance qu’éprouvent maintenant la plupart des Russes ; peut-être cela les aidera-t-il à reporter leur énergie sur cette activité intérieure, morale, qui seule procure le vrai bien aux individus ainsi qu’à la société et qui, maintenant, est d’autant plus nécessaire que les événements qui se déroulent sont plus compliqués et plus pénibles.

Voici ce que je pense des événements actuels :

Je considère, non seulement le gouvernement russe, mais chaque gouvernement, comme une institution compliquée, consacrée par la tradition et la coutume pour commettre impunément la violence, les crimes les plus épouvantables, les meurtres, les pillages, et répandre l’alcoolisme, l’étourdissement, la dépravation, l’exploitation du peuple par les riches et les forts. C’est pourquoi je pense que tous les efforts de ceux qui désirent améliorer la vie sociale, doivent tendre à affranchir les hommes des gouvernements, dont l’inutilité devient, en notre temps, de plus en plus évidente. Ce but, selon moi, s’atteint par un moyen, un seul : par le perfectionnement intérieur religieux et moral des individus.

Plus les hommes seront supérieurs sous le rapport religieux et moral, plus les formes sociales dans lesquelles ils se grouperont seront bonnes, et moins le gouvernement commettra de violence et de mal. Et au contraire, plus les hommes d’une certaine société seront inférieurs, au point de vue religieux et moral, plus le gouvernement sera puissant et plus le mal qu’il commettra sera grand.

De sorte que le mal causé aux hommes par les agissements du gouvernement est toujours proportionnel à l’état religieux et moral de la société quelle que soit sa forme.

Cependant, certaines gens, devant tout le mal commis présentement par le gouvernement russe, — gouvernement particulièrement cruel, grossier, stupide et mensonger, — pensent que tout ce mal ne se produirait pas si le gouvernement russe était organisé comme il devrait l’être, sur le modèle des autres gouvernements existants (qui sont les mêmes institutions, bonnes à commettre impunément, sur leurs peuples, des crimes de toutes sortes) ; et, pour y remédier, ces gens emploient tous les moyens qui sont en leur pouvoir, s’imaginant que le changement des formes extérieures peut modifier le contenu.

Une pareille activité me semble inefficace, déraisonnable, irrégulière (c’est-à-dire que les hommes s’attribuent des droits qu’ils n’ont pas) et inutile.

Je trouve cette activité inefficace, parce que la lutte par la force, et, en général, par les manifestations extérieures (et non par la seule force morale), d’un petit groupe de gens contre un gouvernement puissant qui défend sa vie, et qui dispose pour cela de millions d’hommes armés et disciplinés et de milliards, parce que, pareille lutte, au point de vue du succès possible, n’est que ridicule, et elle est pénible au point de vue du sort de ces malheureux hommes entraînés qui perdent leur vie dans cette lutte inégale.

Cette activité me semble déraisonnable, parce que, même dans l’hypothèse la plus improbable, — le triomphe de ceux qui luttent actuellement contre le gouvernement, — la situation des hommes ne pourrait pas s’améliorer.

Le gouvernement actuel, qui agit par la force, est tel, seulement parce que la société qu’il domine est composée d’hommes moralement très faibles, dont les uns, guidés par l’ambition, le lucre et l’orgueil, sans être gênés par la conscience, tâchent, par tous les moyens, d’accaparer et de retenir le pouvoir, et les autres, par crainte et aussi par l’amour du gain et l’ambition, ou grâce à l’étourdissement, aident les premiers ou se soumettent. Aussi, de quelque façon et sous quelque forme que se groupent ces hommes, il en résultera toujours un gouvernement pareil et aussi violent.

Je trouve cette activité irrégulière, parce que les hommes, qui actuellement, en Russie, luttent contre le gouvernement, — les membres libéraux des Zemstvos, les médecins, les avocats, les écrivains, les étudiants, les révolutionnaires et quelques milliers d’ouvriers détachés du peuple et influencés par la propagande, — bien qu’ils se croient et s’intitulent les représentants du peuple, n’ont aucun droit à ce titre.

Ces hommes, au nom du peuple, réclament du gouvernement la liberté : liberté de la presse, liberté de conscience, liberté de réunion, la séparation des Églises et de l’État, la journée de travail de huit heures, la représentation nationale, etc. Et demandez au peuple, aux cent millions de paysans, ce qu’ils pensent de ces réclamations, et le vrai peuple, les paysans, aura beaucoup de peine pour répondre, parce que toutes ces réclamations, même la journée de travail de huit heures, pour la grande masse des paysans, ne présentent aucun intérêt.

Les paysans n’ont que faire de tout cela, il leur faut autre chose : ce qu’ils attendent et désirent depuis longtemps, ce à quoi ils pensent et dont ils parlent sans cesse, — et dont il n’y a pas un mot dans toutes les adresses libérales et les discours, et qu’on mentionne à peine, en passant, dans les programmes révolutionnaires et socialistes, — ce que le peuple attend et désire, c’est l’affranchissement de la terre du droit de propriété, la socialisation de la terre. Quand le paysan jouira de la terre, ses enfants n’iront plus aux fabriques, et ceux qui iront établiront eux-mêmes, pour eux, le nombre d’heures de travail et le salaire.

On dit, donnez la liberté et le peuple exposera ses réclamations. C’est faux. En Angleterre, en France, en Amérique, la liberté de la presse est absolue, cependant, dans les parlements, on ne parle pas de la socialisation de la terre, on en parle à peine dans les journaux, et la question du droit du peuple sur la terre, reste reléguée à l’arrière-plan.

C’est pourquoi les libéraux et les révolutionnaires qui rédigent les cahiers de doléances du peuple n’y ont aucun droit ; ils ne représentent pas le peuple, ils ne représentent qu’eux-mêmes.

Aussi, selon moi, cette activité est-elle inefficace, déraisonnable et irrégulière. De plus, elle est nuisible, parce qu’elle détourne les hommes de cette activité unique, — le perfectionnement moral de l’individu, — par laquelle, et exclusivement par laquelle, peuvent être atteints les buts que se proposent les hommes qui luttent contre le gouvernement.

« L’un n’empêche pas l’autre », dira-t-on. Mais ce n’est pas vrai. On ne peut faire deux choses à la fois. On ne peut se perfectionner moralement et participer, en même temps, à des actes politiques qui entraînent les hommes dans les intrigues, les ruses, les luttes, la colère allant jusqu’au meurtre. L’activité politique non seulement n’aide pas à l’affranchissement des violences gouvernementales, mais, au contraire, elle rend les hommes de plus en plus inaptes à l’unique activité qui les puisse affranchir.

Tant que les hommes seront incapables de résister aux séductions de la peur, de l’étourdissement, du lucre, de l’ambition, de la vanité, qui asservissent les uns et dépravent les autres, ils se grouperont toujours en une société composée de violateurs et d’imposteurs, et de leurs victimes. Pour que cela ne soit pas, chaque individu doit faire un effort moral sur lui-même. Les hommes sentent cela, au fond de leur âme, mais ils veulent atteindre d’une façon quelconque, sans efforts, ce qui ne s’atteint que par l’effort.

S’expliquer, par ses propres efforts, son rapport envers le monde et s’y tenir, établir son rapport envers les hommes, en se basant sur cette loi éternelle : « ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas que les autres te fassent », réprimer ces mauvaises passions qui nous livrent au pouvoir des autres hommes, n’être ni le maître ni l’esclave de personne, ne pas feindre, ne pas mentir, ni par crainte ni par lucre, ne pas éluder les exigences de la loi suprême de la conscience, tout cela exige l’effort.

S’imaginer, au contraire, que l’institution d’une certaine forme de gouvernement amènera, par une voie mystique quelconque, tous les hommes, et soi-même dans ce nombre, à l’équité et à la vertu, et, pour arriver à cela, sans aucun effort de la pensée, répéter ce que disent les hommes d’un parti, s’émouvoir, discuter, mentir, feindre, insulter et se battre, tout cela se fait de soi-même, sans qu’il y ait besoin d’efforts. Les hommes veulent tellement qu’il en soit ainsi, qu’ils se persuadent que cela est.

Et alors, voilà une théorie d’après laquelle on tâche de prouver que les hommes peuvent, sans efforts, obtenir les résultats de l’effort. Cette théorie est semblable à celle d’après laquelle, la prière pour son propre perfectionnement, la foi en la rédemption des péchés par le sang du Christ, ou la grâce divine transmise par les sacrements, peuvent remplacer l’effort personnel. Sur la même aberration psychologique est basée aussi cette théorie extraordinaire de l’amélioration de la vie sociale par le changement des formes extérieures qui a produit et produira tant de maux horribles et qui, plus que tout, empêche le vrai progrès de l’humanité.

Les hommes reconnaissent qu’il y a, en leur vie, quelque chose de mauvais, qu’il y a quelque chose qu’il faut améliorer. Mais l’homme ne peut améliorer qu’une seule chose qui est en son pouvoir, lui-même. Mais pour s’améliorer soi-même, il faut, avant tout, reconnaître qu’on n’est pas bon, et cela, l’homme ne le veut pas. Et voilà, on attire toute l’attention non sur ce qui est toujours en notre pouvoir, non sur nous-mêmes, mais sur des conditions extérieures qui ne sont pas en notre pouvoir et dont le changement ne peut pas plus améliorer la situation des hommes que le transvasement du vin ne peut changer ses qualités. Et voilà que commence une activité : 1o stérile ; 2o nuisible, orgueilleuse, (nous corrigeons les autres), méchante (on peut tuer ceux qui font obstacle au bien commun), et dépravante.

« Reconstituons les formes sociales et la société prospérera. » Ce serait beau si le bien de l’humanité s’atteignait aussi facilement ! Malheureusement, ou plutôt heureusement (parce que si les uns pouvaient arranger la vie des autres, ceux-là seraient les plus malheureux des hommes), il n’en est pas ainsi. La vie humaine se modifie non par le changement des formes extérieures, mais seulement par le travail intérieur de chaque individu sur lui-même. Et chaque effort pour agir sur les formes extérieures ou sur autrui, ne change pas la situation des hommes, mais ne fait qu’altérer, diminuer la vie de celui ou de ceux qui, — comme tous ces hommes politiques, rois, ministres, membres du parlement, révolutionnaires de toutes sortes, libéraux, — cèdent à cette erreur pernicieuse.

Les hommes qui jugent superficiellement, les hommes légers, émus particulièrement par la boucherie fratricide commise récemment à Saint-Pétersbourg, et par tous les événements qui accompagnèrent ce crime, pensent que la cause principale de ces événements est dans le despotisme du gouvernement russe, et que si la forme autocratique du gouvernement russe était remplacée par la forme constitutionnelle ou républicaine, de pareils événements ne pourraient se répéter.

Mais le mal principal, (si l’on en pénètre attentivement toute l’importance), dont souffre maintenant le peuple russe, n’est pas dans les événements de Saint-Pétersbourg : c’est dans la guerre honteuse et cruelle, commencée à la légère, par une dizaine d’hommes immoraux. Cette guerre a déjà tué et mutilé des centaines de mille Russes et menace d’en tuer et d’en mutiler encore autant ; elle a ruiné non seulement les hommes de cette génération, mais ceux de la génération future qu’elle accable d’impôts énormes, sous la forme de dette, et elle perd les âmes des hommes qu’elle déprave. Ce qui s’est passé à Saint-Pétersbourg le 9 janvier, n’est rien en comparaison de ce qui se fait là-bas. Là-bas, à la guerre, on tue et mutile cent fois plus d’hommes qu’il n’en a péri le 9 janvier, à Saint-Pétersbourg. Et la perte de ces hommes, là-bas, non seulement ne révolte pas la société, comme les massacres de Saint-Pétersbourg, mais la plupart envisagent avec indifférence, d’autres avec compassion, ce fait que des milliers d’hommes sont de nouveau chassés là-bas, pour la même tuerie insensée et sans but.

Ce mal est horrible ! Si donc l’on parle des maux du peuple russe, il faut parler de la guerre ; les événements de Saint-Pétersbourg ne sont qu’une circonstance accessoire qui accompagne le mal profond, et s’il faut chercher le moyen de le délivrer de ses maux, il faut le trouver tel, qu’il le délivre des deux à la fois.

Le changement de la forme despotique du gouvernement en forme constitutionnelle ou républicaine ne délivrera la Russie ni de l’un ni de l’autre. Tous les États constitutionnels, aussi bien que l’État russe, s’arment stupidement, et comme en Russie, quand il le leur vient en tête, les quelques hommes qui ont le pouvoir envoient leur peuple à la lutte fratricide : guerre d’Abyssinie, du Transvaal, de l’Espagne avec Cuba et les Philippines, de Chine, du Thibet, guerre contre les peuplades d’Afrique, toutes guerres menées par les gouvernements les plus constitutionnels et les plus républicains ; et de même tous ces gouvernements, quand ils le trouvent nécessaire, répriment, avec la force armée, les révoltes et les manifestations de la volonté du peuple quand ils les considèrent comme la violation de la légalité, c’est-à-dire de ce que ces gouvernements, à un moment donné, considèrent comme la loi.

Quand dans un État, ayant n’importe quelle constitution, le pouvoir se maintient par la violence et peut être accaparé par quelques hommes, par des moyens quelconques, quelle qu’en soit la forme, il y aura toujours la possibilité des mêmes événements que ceux qui se produisent maintenant en Russie, — la guerre et la répression des révoltes.

De sorte que l’importance des événements qui se passent à Saint-Pétersbourg n’est pas du tout ce que pensent les hommes légers, à savoir qu’ils nous ont montré la malfaisance particulière du gouvernement despotique russe et que, par conséquent, il faut tâcher de le remplacer par un gouvernement constitutionnel. L’importance de ces événements est beaucoup plus grande : c’est que, dans les actes du gouvernement russe, particulièrement sot et grossier, nous voyons plus clairement que par les actes des autres gouvernements, la malfaisance et l’inutilité non de tel ou tel gouvernement, mais de tous les gouvernements, c’est-à-dire d’un groupement d’hommes ayant la possibilité de soumettre à leur volonté la majorité des peuples.

Le rapport, la situation et les impressions des Russes, des Européens et surtout des Américains sont tout à fait analogues à ceux de ces deux hommes venus dans le temple et dont on parle dans l’évangile de Luc, chapitre XVIII, versets 10-11-13 (Pharisiens et péagers).

En Angleterre, en Amérique, en France, en Allemagne, la malfaisance des gouvernements est si bien masquée que les citoyens de ces divers pays, à la vue des événements de la Russie, s’imaginent naïvement que ce qui se passe en Russie ne se fait que là, et qu’eux-mêmes jouissent de la liberté absolue et n’ont point besoin d’améliorer leur situation, c’est-à-dire qu’ils se trouvent dans l’état le plus excessif de l’esclavage : l’esclavage de ceux qui ne comprennent pas qu’ils sont esclaves et sont fiers de leur situation.

Sous ce rapport notre situation, à nous, Russes, d’une part est plus pénible, (en ce sens que les violences commises sont plus grossières), et d’autre part, meilleure, parce qu’il nous est plus facile de comprendre de quoi il s’agit ; et le voici : chaque gouvernement soutenu par la force, est, par essence même, un grand fléau inutile, et c’est pourquoi le devoir des Russes, et de tous les hommes asservis par les gouvernements, est non de remplacer une forme de gouvernement par une autre, mais de supprimer tout gouvernement.

En résumé, mon opinion sur les événements actuels est la suivante : le gouvernement russe, comme chaque gouvernement existant, — américain, français, japonais, anglais, — est un horrible, inhumain et impuissant brigand dont l’activité malfaisante se manifeste sans cesse. C’est pourquoi tous les hommes raisonnables doivent, de toutes leurs forces, tâcher de se délivrer de tout gouvernement, comme les Russes doivent tâcher de se débarrasser du gouvernement russe.

Pour se débarrasser des gouvernements il ne faut pas lutter contre eux par les moyens extérieurs, (minimes jusqu’au ridicule auprès des moyens dont disposent les gouvernements), il faut seulement n’y point participer, ne pas les soutenir, et alors, ils seront anéantis. Et pour ne pas participer aux gouvernements et ne les pas soutenir, il faut être affranchi des faiblesses qui entraînent les hommes dans les pièges des gouvernements et les rendent leurs esclaves ou leurs participants.

Être affranchi de ces faiblesses n’est possible que pour l’homme qui a établi son rapport envers Tout, c’est-à-dire envers Dieu, et qui vit selon la loi unique, supérieure, qui découle de ce rapport, — pour l’homme religieux et moral.

C’est pourquoi plus les hommes voient et sentent nettement la malfaisance des gouvernements, — comme actuellement, nous, les Russes, qui sentons nettement, maladivement, le mal de notre gouvernement stupide, cruel et mensonger qui a perdu déjà des centaines de mille hommes, qui ruine et déprave des millions de gens, et maintenant, provoque les Russes au fratricide, — plus opiniâtrement, ils doivent tâcher d’établir en eux une conscience, nette, ferme, religieuse ; plus scrupuleusement ils doivent accomplir la loi divine qui découle de cette conscience et qui exige de nous non la transformation du gouvernement existant, ou l’établissement de cette organisation sociale, qui, selon nos opinions bornées, garantirait le bien général, mais qui exige de nous une seule chose : le perfectionnement moral, c’est-à-dire notre affranchissement de toutes les faiblesses, de tous les vices qui font de nous les esclaves des gouvernements et les complices de leurs crimes.

J’avais terminé cet article et me demandais s’il fallait le publier ou non, quand je reçus une remarquable lettre, non signée.

La voici :

Depuis déjà plusieurs jours, je ne puis me ressaisir. Quand quelqu’un commence à me parler des ouvriers massacrés, je ressens pour lui de la haine et j’éprouve une sorte de mal physique.

Il y avait des monceaux de cadavres, des femmes et des enfants ensanglantés, emmenés dans des voitures. Mais est-ce là ce qui est horrible ? Non, ce sont les soldats avec leurs visages bonasses, ordinaires, sans pensées, sans compréhension, qui sont horribles ! Les soldats qui battent la semelle, sur la neige, et attendent l’ordre de fusiller quelqu’un. C’est le public aussi, avec son aspect ordinaire, curieux, qui est horrible. Même les plus braves gens viennent là pour apprendre des autres ou voir eux-mêmes des choses épouvantables, les cadavres ensanglantés, mutilés, etc… Comme si l’on pouvait voir quelque chose de plus effroyable que ces soldats qui sont comme toujours et ces braves gens qui ne veulent qu’une chose, des frissons d’horreur.

Je ne puis définir ce qui est le plus terrible. C’est, il me semble, ce fait qu’ils ne comprennent pas et que leurs visages sont ordinaires, bien qu’une heure plus tard ils iront tuer, et que le sang rougira les pavés. Le plus épouvantable, il me semble, c’est de sentir qu’entre les hommes n’existe aucun lien. Oui, je crois que c’est le plus terrible ! Ils sont du même village, seulement les uns sont en capotes grises, et les autres en paletots noirs, et l’on ne peut nullement comprendre pourquoi les gris plaisantent en causant du froid et regardent pacifiquement les hommes en noir qui passent devant eux, tandis que chacun d’eux sait qu’il possède des cartouches pour dix coups et qu’une ou deux heures plus tard, ces cartouches seront dépensées. Et les hommes noirs les regardent comme si cela devait être.

On lit dans les livres, on parle sur ce qui désunit les hommes et l’on ne sent pas combien c’est horrible, et quand cela est partout autour de soi, comme ces jours-ci, momentanément tout le reste cesse d’exister et il n’y a plus que les capotes grises, les paletots noirs, les pelisses élégantes et tous sont occupés d’une seule chose mais chacun de façon différente ; personne ne s’étonne, personne, parmi eux, ne sait pourquoi les uns tirent, pourquoi les autres tombent, pourquoi les autres regardent. En d’autres temps, il y a la même vie terrible et incompréhensible, où il est dans l’ordre des choses de tirer, d’après le commandement, sans hostilité ni haine ! Mais ces jours-ci, tout le reste est momentanément suspendu. Il ne reste plus que cette seule chose épouvantable !… Il semble qu’un abîme te sépare de chaque homme, et que tu ne puisses le franchir, bien que tu sois près. Ce sentiment est épouvantable !

Cinq fois j’ai pris et laissé cette lettre, à la fin je me suis décidé à l’écrire. Peut-être parce qu’il est pénible de se taire toujours. Tous parlent de la nécessité d’aider aux ouvriers et paraissent compatir à leur sort. Mais ce n’est pas la situation des ouvriers qui est terrible, ce n’est pas eux qui ont besoin d’aide, mais ceux qui attirent les gens et les piétinent, et ceux, qui, le lendemain, regardent les vitres brisées, les réverbères renversés, les traces des balles, et, sans voir le sang glacé sur le trottoir, marchent dessus.

Oui, le principal c’est que quelque chose désunit les hommes, qu’il n’y a pas de lien entre eux. L’important est donc d’écarter ce qui désunit les hommes et de le remplacer par ce qui les unit. C’est toute forme extérieure violente du gouvernement qui désunit les hommes ; la seule chose qui les unisse, c’est le rapport envers Dieu, l’aspiration vers lui, parce que Dieu est seul pour tous et que le rapport des hommes envers Dieu est un.

Que les hommes le veuillent reconnaître ou non, devant nous tous, se dresse le même idéal de perfectionnement supérieur et seule l’aspiration vers cet idéal anéantit la désunion et rapproche les hommes.



Iasnaia-Poliana, février 1905


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LES ŒUVRES DE TOLSTOI

On sait que M.  J.-W. Bienstock a entrepris une traduction littérale et intégrale des Œuvres complètes du comte Léon Tolstoï, d’après les manuscrits originaux de Tolstoï ; cette édition formera quarante-trois volumes d’au moins trois cent cinquante pages ; le volume deux francs cinquante.

La publication des volumes suit autant que possible l’ordre chronologique ; des notes bibliographiques font connaître au lecteur quelques circonstances intéressantes relatives à l’apparition et à la composition de l’œuvre ; ainsi que les indications de la bibliographie française ; enfin les éditeurs ont entrepris d’écrire une biographie de Tolstoï qui formera les deux derniers volumes de l’édition.


 Les volumes dont la liste suit ont paru et sont en vente à la librairie des cahiers :

Tome I. — L’enfance. — L’adolescence (nouvelles). Un fort volume in-16, avec couverture illustrée, et orné de deux illustrations.
Tome II. — La Jeunesse. Nouvelle (1855-1857). — La Matinée d’un Seigneur. Nouvelle (1852). Un fort volume in-16, sous couverture illustrée et orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1848.
Tome III. — Les Cosaques. Nouvelle (1852). — L’Incursion. Nouvelle (1852). — La Coupe en Forêt. Nouvelle (1854-1855). Un fort volume in-16, sous couverture illustrée, orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1851.
Tome IV. — Sébastopol. Nouvelle (1855-1856). — Une Rencontre au Détachement. Nouvelle (1856). — Deux Hussards. Nouvelle (1856). — Préface inédite (1889). Un fort volume in-16, sous couverture illustrée, orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1855 et d’un plan de Sébastopol.
Tome V. — Le Journal d’un Marqueur, nouvelle (1856) ; Une Tourmente de Neige, récit (1856) ; — Albert, récit (1857) ; — Du Journal du Prince Nekhludov (Lucerne, 1857) ; — Le Bonheur conjugal, roman (1859). Un fort volume in-16, sous couverture illustrée, orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1857.
Tome VI. — Trois Morts, récit (1859) ; Polikouchka, nouvelle (1860) ; — Kholstomier, histoire d’un cheval (1861) ; — Les Décembristes, fragments d’un roman projeté (1863-1878). Un fort volume in-16, sous couverture illustrée, orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1860.
Tomes VII, VIII, IX et X. — Guerre et Paix, roman (1864-1869). — Quatre forts volumes in-16 sous couverture illustrée ; le tome 7 est orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1868.
Les Tomes XI et XII. — Guerre et Paix, tomes 5 et 6.
Tome XXVI. — Que devons-nous faire ? (1884-1885). Un fort volume in-16, sous couverture illustrée, orné d’un portrait de Tolstoï pris en 1885.


 Dernier volume paru, en vente à la librairie des cahiers :

Volume XIII. — 1o  Articles pédagogiques du Journal de Iasnaïa-Poliana. 1862 ; — 2o  L’École de Iasnaïa-Poliana, en novembre et décembre. 1862.

Paraîtront successivement :

Volume xiv. — 1o  Contes et traductions pour les enfants. 1869-1872 ; — 2o  Sur l’Instruction du peuple. 1875.
Volumes xv, xvi, xvii, xviii. — Anna Karenina.
Volume xix. — La Confession. 1879-1882 ; 2o  Récits populaires. 1881-1886.
Volume xx. — Critique de Théologie dogmatique.
Volumes xxi, xxii, xxiii. — Concordance et Traduction des Quatre Évangiles. 1881-1883.
Volume xxiv. — 1o  En quoi consiste ma foi. 1883 ; — 2o  L’Église et l’État. 1883.
Volume xxv. — 1o  Récit succinct des Évangiles. 1883 ; — 2o  Lettre à N. N. 1884 ; — 3o La Doctrine des douze Apôtres. 1885.
Volume xxvii. — 1o  La mort d’Ivan Ilitch. 1884-1886 ; — 2o  Marchez dans la lumière pendant qu’il y en a. 1887 ; — 3o  Nicolas Palkine. 1889 ; — 4o  Sonate à Kreutzer et post-face. 1890.
Volume xxviii. — 1o  Sur la vie. 1887 ; — 2o  Sur la vie et la mort. (Première variante) 1887 ; — 3o  Sur la vie et la mort. (Deuxième variante) 1887  ; — 4o  Pensées sur le sens de la vie. — 5o  Le Travail manuel et l’activité intellectuelle. Lettre à un Français. 1888 ; — 6o  Préface pour les œuvres de Bondarev. 1888.
Volume xxix. — Œuvres dramatiques : 1o  La Puissance des Ténèbres. 1886 ; — 2o  Les Fruits de l’Instruction. 1887 ; — 3o  Le premier Bouilleur.
Volume xxx. — 1o  La Fête de l’Instruction. 1889 ; — 2o  Pourquoi les hommes s’étourdissent-ils ? 1889 ; — 3o  Il est temps de se ressaisir. 1889  ; — 4o  Le Premier échelon. 1892 ; — 5o  Articles sur la famine. 1890-1892.
Volume xxxi. — Le Royaume de Dieu est en vous. 1891-1893
Volume xxxii. — 1o  Ça coûte cher ; — 2o  Le Café de Surate ; — 3o  Françoise ; — 4o  Karma ; — 5o  Lettre de Mazzini sur l’Immortalité ; — 6o  Lettre d’Élise Burns. 1893 ; — 7o  Préface à la Tocologie ; — 8o  Préface aux œuvres de Guy de Maupassant. 1894 ; — 9o  Préface au Journal d’Amiel ; — 10o  Le Non-Agir. 1894 ; — 11o  La Religion et la Morale ; — 12o  Christianisme et Patriotisme. 1894.
Volume xxxiii. — 1o  L’Ouvrier Émélian et le Tambour vide. 1892 ; — 2o  Le Patron et l’Ouvrier. 1895 ; — 3o  Trois paraboles. 1895 ; — 4o  Post-face au livre « La vie et la mort de Drojgine ». 1894 ; — 5o  Post-face à la brochure « La persécution des Chrétiens en 1895 » ; — 6o  Post-face à la brochure « Au secours » ; — 7o  L’Approche de la fin ; — 8o  Le Chrétien et l’État. 1896 ; — 9o  Carthago delenda est.10o  Les deux guerres ; — 11o  Lettres diverses. 1890-1895.
Volume xxxiv. — 1o  La Doctrine chrétienne. 1897 ; — 2o  Pensées sur Dieu. 1885-1900 ; — 3o  Lettres diverses.
Volume xxxv. — 1o  Qu’est-ce que l’art ? 1897-1898 ; — 2o  Pensées sur l’art. (Variantes et lettres) 1890-1900.
Volume xxxvi, xxxvii. — Résurrection. 1899-1900.
Volume xxxviii. — 1o  L’Esclavage contemporain. 1900 ; — 2o  Où est l’issue ? 1901 ; — 3o  Le faut-il ainsi ? 1901 ; — 4o  Sur la question sexuelle. — 5o  L’Unique moyen, 1901 ; — 6o  Raison, Foi, Prière. 1901.
Volume xxxix. — 1o  Qu’est-ce que la religion ? 1902 ; — 2o  Carnet du soldat. 1902 ; — 3o  Carnet de l’Officier. 1902 ; — 4o  Aux Travailleurs. 1902 ; — 5o  Au clergé. 1903.
Volumes xl, xli. — Lettres.
Volumes xlii, xliii. — Biographie de L.-N. Tolstoï.

TABLE DE CE CAHIER


pages
P. Birukov. — Au cours d’une de mes visites 
 9
La lettre que l’on va lire 
 37