Calligrammes/La Nuit d’avril 1915

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Calligrammes
Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916)
Mercure de France (p. 112-113).
LA NUIT D’AVRIL 1915


À L. de C.-C.


Le ciel est étoilé par les obus des Boches
La forêt merveilleuse où je vis donne un bal
La mitrailleuse joue un air à triples-croches
Mais avez-vous le mot
Mais avez-vous le motEh ! oui le mot fatal
Aux créneaux Aux créneaux Laissez là les pioches

Comme un astre éperdu qui cherche ses saisons
Cœur obus éclaté tu sifflais ta romance
Et tes mille soleils ont vidé les caissons
Que les dieux de mes jeux remplissent en silence

Nous vous aimons ô vie et nous vous agaçons

Les obus miaulaient un amour à mourir
Un amour qui se meurt est plus doux que les autres
Ton souffle nage au fleuve où le sang va tarir

Les obus miaulaient
                              Entends chanter les nôtres
Pourpre amour salué par ceux qui vont périr

Le printemps tout mouillé la veilleuse l’attaque

Il pleut mon âme il pleut mais il pleut des yeux morts

Ulysse que de jours pour rentrer dans Ithaque

Couche-toi sur la paille et songe un beau remords
Qui pur effet de l’art soit aphrodisiaque

Mais
      orgues
                aux fétus de la paille où tu dors
L’hymne de l’avenir est paradisiaque