Caracataca et Caracataqué

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Caracataca et Caracataqué
Caracataca et CaracataquéÉdouard Rouveyre.


PERSONNAGES

Le maître, ou M. De Parlaventrebleu.
Sans-quartier, valet de chambre.
Divertissant, grand laquais.
Gilles, petit laquais.
Gillette, femme de gilles.
Un magicien.
Monsieur Suc, Juif.
Monsieur Cornibus, bègue.

.


ACTE I


Scène I

Le Maitre, Divertissant, Sans-quartier, Gilles
LE MAITRE
.

Approchez-vous enfants, il n'est pas aussi naturel qu'ayant gagné le gros lot, je vive comme un gredin, et que je mange mon pain dans ma poche, je viens d'acheter la Principauté de Baslevent, à laquelle est joint le Marquisat de Feramongul, or je prétends dorénavant que vous ne m'appeliez plus que mon Prince, ou bien, Monseigneur, entendez-vous ?

GILLES

Il ne fallait pas vous mettre en dépense pour ce marquisat, je vous en aurais fait présent, sans qu'il vous en eût rien coûté.

LE MAITRE
.

Toi, gilles, et comment donc cela mon ami ?

GILLES

Et parguienne, fleurez à mon cul, Monsieur, et dans mes chausses, fort à votre service.

LE MAITRE
.

Oh l'impertinent, je te dis Feramongul...

GILLES

Oh, c'est une autre affaire, et Monsieur, avez-vous acheté bien cher cette principauté et ce marquisat ?

LE MAITRE
.

Pas mal, mon ami, pas mal, la principauté me coûte trois mille neuf cents livres.

GILLES

Et le marquisat put, n'est-il pas vrai notre Maître ?

LE MAITRE
.

Oh l'insolent, tu ne diras aujourd'hui que des sottises, le marquisat m'a été donné par-dessus le marché ; mais je suis bien bon de répondre ainsi à de pareilles sottises. Or ça je veux aller voir cette acquisition, et me fouetter des airs de qualité, comme j'ai acheté aussi tous les domestiques qui sont dans ces terres, je n'en veux point mener la queue d'un, ainsi je vous laisse tous ici, et je vous recommande toute ma maison ; toi, gilles, de mon petit laquais, je te fais mon portier, te voilà haussé d'un degré ; toi, divertissant, mon grand laquais, tu seras mon valet de chambre ; et toi, sans-quartier, de mon valet de chambre, je veux que tu deviennes mon intendant. Adieu donc mes enfants, je vais prendre la poste.

DIVERTISSANT

Mon Prince, peut-on vous demander si vous serez longtemps à faire ce voyage ?

SANS-QUARTIER

Et puis-je savoir aussi, Monseigneur, ce que vous me laissez d'argent, pour faire votre intendance ?

LE MAITRE
.

Voici un pouvoir pour en aller chercher chez mes débiteurs pendant mon absence, qui ne durera que quinze jours au plus ; pendant tout ce temps je ne veux point que gilles quitte sa porte un seul moment.

GILLES

Si cela est ainsi, Monsieur, j'ai une grâce à vous demander, c'est que comme vous savez que je suis tout nouvellement marié, et que l'amour me trotte encore dans le ventre, comme les souris dans votre grenier, je veux vous prier de trouver bon, que Madame gillette, ma femme, vienne demeurer ici, sans cela ma foi, la porte pourrait bien demeurer ouverte.

LE MAITRE
.

Eh bien, mon ami, j'y consens. SANS-QUARTIER Aparté Bon, tant mieux, voici bien mon affaire. Haut Mon Prince, vous savez qu'étant votre intendant, je dois être le maître, il est bon que vous le disiez devant divertissant et Gilles .

LE MAITRE
.

Tu as raison, je leur ordonne de t'obéir dans tout ce que tu jugeras à propos ; et te laisse le maître absolu de leur sort.

DIVERTISSANT

Et qu'aurai-je à faire moi pendant votre absence ?

LE MAITRE
.

Tout ce que t'ordonnera mon nouvel intendant, pour lequel gilles, sa femme et toi, vous aurez le même respect que vous avez pour moi.

GILLES

Oh ! Volontiers, ce n'est pas beaucoup dire ; mais, Monsieur, où allez-vous, vous embarquer, à Montmartre ?

LE MAITRE
.

Non, mon ami, le terme d'embarquer est ici mal à propos, Montmartre n'est point un port de mer, si tu savais la Géographie, tu ne parlerais pas ainsi incivilement, il n'y a que les ânes comme toi qui vont dans ce pays.

GILLES

Grand merci, notre Maître.

LE MAITRE
.

Notre Maître, notre Maître ! ne t'ai-je pas dit, imbécile, qu'il fallait à présent m'appeler mon Prince ?

GILLES

Cela est vrai, mais je veux être pendu comme une andouille à la cheminée, si je puis jamais me pouvoir accoutumer à ce drôle de nom-là.

LE MAITRE
.

Il le faut pourtant, sinon notre intendant te l'apprendra à grands coups de bâton.

SANS-QUARTIER

Ce sera quand il vous plaira, car gilles a la tête bien dure.

GILLES

Oh n'en prenez pas la peine, je tâcherai de m'en souvenir. Adieu donc notre Maî... notre Prince, dis-je, puisque vous partez absolument.

LE MAITRE
.

Adieu mes enfants, je vais prendre la poste, je vais monter à cheval rue des Poulies.

GILLES

Il va monter à cheval sur une poulie ; qu'eu chienne de monture, tenez bien la corde au moins, si vous ne voulez vous casser le col.

LE MAITRE
.

Oh l'animal !

DIVERTISSANT

Monseigneur, peut-on demander à Votre Éminence, dans quel pays sont situées vos terres ?

LE MAITRE
.

Oh par ma foi, voilà qui est en vérité plaisant, il faut que je passe chez mon notaire pour le savoir ; sans ta demande je partais comme un sot, sans savoir où j'allais, il me semble cependant que c'est en Champagne vers le Chesnepouilleux, je m'imagine l'avoir entendu lire dans le contrat.

GILLES

Je crois plutôt que c'est en Brie.

LE MAITRE
.

En Brie ?

GILLES

Oui, Monseigneur, n'est-ce pas en Brie qu'est Chauxconnin ?

LE MAITRE
.

Oui, mon ami.

GILLES

Eh bien. Monsieur notre Prince, m'est avis que la principauté de Baslevent et de Fleure-à-mon-cul, est dans le voisinage. [1]

LE MAITRE
.

Tu feras toujours le mauvais plaisant, mais l'heure se passe, il faut que je parte au plutôt, adieu, ayez bien soin de ma maison.


Scène II

Divertissant, Sans-quartier, Gilles
DIVERTISSANT

Or ça, Monsieur l'Intendant, pendant l'absence du prince nous ferez vous faire bonne chère ?

SANS-QUARTIER

Sans doute, mon ami, je veux que tout aille par écuelle, principalement Madame gillette, venant pour demeurer avec nous ; mais comme il est juste de la régaler à son arrivée, cours à la Rôtisserie, apporte-nous un cochon de lait, et quatre pintes de bon vin, il faut nous fouetter le sang aujourd'hui, surtout n'oublie pas d'amener avec toi Madame Gillette

DIVERTISSANT

Laissez-moi faire.

GILLES

Morguenne, Monsieur l'Intendant, vous êtes un brave homme, les honneurs ne vous changent point les moeurs, mais si vous m'en croyez, n'y faites pas tant de façons, tenez du rognon, du boudin, du cervelat, de l'andouille, cela suffit pour notre maîtresse, parguienne je ne puis la rassasier de cela, et si j'en suis mieux fourni qu'un autre.

SANS-QUARTIER

Va, va, mon ami, elle en aura sa suffisance avec moi.

GILLES

Nous allons avoir cent fois plus de plaisir qu'un galeux qu'on étrille.

SANS-QUARTIER

Vous êtes bien-heureux, mon ami gilles, d'avoir une femme si gentille et si sage.

GILLES

Oh ! Point du tout, il est vrai qu'elle a les joues rebondies comme les fesses d'un Suisse, et les dents affilées comme les rasoirs d'un chaudronnier ; mais Monsieur l'Intendant, belle ou non, je l'aime voyez-vous.

SANS-QUARTIER

Je le crois bien, et moi aussi.

GILLES

Comment, et vous aussi, cela ne m'accommode point.

SANS-QUARTIER

Tu ne me comprends pas, on aime ce qui est aimable, voilà ce que je veux dire.

GILLES

Oh pour cela passe, vous m'aviez déjà donné martel en tête.

SANS-QUARTIER

Comment nigaud, tu serais assez sot pour être jaloux ?

GILLES

Non pas tout-à-fait, mais je ne voudrais pas que l'on grouinât ma femme, cela les accoutume à mal faire voyez-vous, et j'ai ouï-dire à ma grand'mère, qui par révérence, s'appelait Madame Gratte-cul, que les huîtres trop maniées s'ouvraient d'elles-mêmes. [2]

SANS-QUARTIER

Madame Gratte-cul avait raison, elle savait la manigance ; mais mon ami l'on a beau garder sa femme, quand elle le veut l'on est bientôt cocu.

GILLES

Cela est vrai, mais ma femme ne le veut pas voyez-vous ; je sens bien qu'il n'y a trou qui ne veuille sa cheville, lardoire son lardon, et gaine qui ne souhaite son couteau ; mais je n'entends pas que ma femme qui a de tout cela, le prête jamais à personne. [3]

SANS-QUARTIER

Eh mon ami, pourquoi te fâches-tu, te voilà plus rouge de colère que les fesses d'un postillon ; mais voici qui t'apaisera.

GILLES

Morguenne vous avez raison, je suis tout hors de moi quand je vois ma pauvre Gillette


Scène III

Sans-quartier, Gilles, Gillette
GILLETTE

Eh bonjour mon gros trouillard, Monsieur divertissant qui vient de passer par chez nous, m'a dit que j'allais demeurer ici avec toi, comme cela me ferait bien plaisir ; mais je crains que ce ne soit un godan qu'il me baille-là ; dis-moi un peu la vérité. [5]

GILLES

Parguenne, gillette, cela est pourtant bien vrai, notre maître, comme un champignon est devenu en une nuit prince de Baslevent, ainsi que marquis de Fleure-à-mon-cul, dame on ne l'appelle plus à présent que Monseigneur.

GILLETTE

Bon, qu'eu chien de conte d'Arobert, mon oncle !

SANS-QUARTIER

Ce n'est point un comte ni un baron, belle gillette, c'est une histoire qui est véritablement remarquable.

GILLETTE

Vous vous gaussez de nous, Monsieur Sans-quartier

GILLES

Non parguienne, ce ne sont point des moqueries, gillette, Monsieur sans-quartier, n'est-il pas devenu intendant de notre maître, et divertissant n'est-il pas à présent valet de chambre, et moi ne suis-je pas son portier ? [6]

GILLETTE

Son portier, qu'est-ce à dire, quoi tu resterais toujours à la porte, tu n'entrerais jamais dedans, oh cela ne ne m'accommoderait pas du tout, entends-tu ?

GILLES

Et nenni dea, gillette, je ne suis pas si sot de me laisser ainsi morfondre à l'air, je ne voudrais pas être portier du Roi, à celle condition d'être toujours dehors, c'est en dedans que je serai avec toi.

GILLETTE

Oh, passe pour cela.

SANS-QUARTIER

Oui, oui, gillette, vous serez très contente en ce point ; et comme intendant j'aurai soin de votre loge, elle sera bien couverte, Mademoiselle Gillette .

GILLETTE

Ça me fera bien plaisir, Monsieur l'Intendant.

GILLES

Et pour ce qui est en cas de ça, c'est mon affaire, Monsieur Sans-quartier .

SANS-QUARTIER

Je l'entends bien aussi ; mais comme il y a de petites douceurs que tu n'es pas en état de donner à ta femme, je me charge d'y pourvoir.

GILLES

Oh non pas, s'il vous plaît, par la tetiguenne quel pourvoyeux, il n'y a qu'à ma foi lui donner des draps blancs, il chiera bientôt dedans.

GILLETTE

Ah, fi donc mon cher gilles, il y a trop de grossièreté dans toutes vos expressions. Monsieur l'Intendant n'est point de ces vilaines gens qui tondraient sur un oeuf, et mordraient sur un étron. Puisqu'il veut être si libéral, laissez-le faire, tu sais qu'il manque toujours quelque chose à une femme, et on ne doit pas être fâché quand un galant homme vous le présente. [7]

GILLES

Oh morguenne, je n'entends pas que tu l'y prennes rien du tout, entends-tu, Gillette?

GILLETTE

Mais s'il me le met dans la main, ce ne sera pas moi qui le prendrai.

GILLES

Je ne veux pas qu'il te le mette, ouais qu'est-ce donc que cela veut dire ?

SANS-QUARTIER

Mais, mon ami gilles, vous vous fâchez sans raison, par exemple supposons que Madame gillette laisse tomber son manchon, je le lui ramasse et le lui mets dans la main poliment.

GILLES

Oh pour le manchon il n'y a point de mal.

SANS-QUARTIER

Son éventail lui échappe, je lui retiens, et je lui présente.

GILLES

Si ce n'est que cela, c'est une autre paire de manches.

SANS-QUARTIER

Pour moi je n'y entends point d'autre finesse, Bas Voilà un benêt qu'il faut que j'éloigne d'ici. Or ça, mon ami gilles, va un peu voir à la cuisine si divertissant est de retour, et ensuite tu descendras à la cave chercher de l'huile pour la salade.

GILLES

Oh très volontiers, j'obéis aisément quand il s'agit de la gueule, et gillette ne viendra-t-elle pas avec moi ?

SANS-QUARTIER

Elle va te suivre, j'ai seulement deux mots à lui dire pour la propreté de la maison.

GILLES

Eh bien je m'en vais toujours devant. Aparté. Queu niais, ce drôle d'Intendant a bien la mine d'un filou, qui voudrait crocheter la serrure de notre ménagère, je vais avoir l'oeil, et je me cacherai ici près, pour examiner à quoi cela aboutira.


Scène IV

Sans-quartier, Gillette
SANS-QUARTIER

Les moments sont chers, or ça ma chère gillette, savez-vous que je ressemble comme deux gouttes d'eau, à la personne qui vous aime le mieux.

GILLETTE

Oh que nenni, vous ne ressemblez en rien à Gilles .

SANS-QUARTIER

J'en serais bien fâché, c'est une bête qui ne sait point ce que vous valez.

GILLETTE

Eh, Monsieur, cela peut fort bien être.

SANS-QUARTIER

Je gage que ce nigaud-là ne vous a jamais dit que vous étiez charmante.

GILLETTE

Eh mon Dieu non, Monsieur sans-quartier, il aurait eu bien tort de m'appeler ainsi, il n'y a que les magiciennes qui faisions des charmes, il m'a seulement dit quand nous faisions l'amour qu'il me trouvait assez drôlette.

SANS-QUARTIER

Assez drôlette, assez drôlette, c'était un insolent de vous parler ainsi, si je m'étais alors trouvé auprès de vous, je lui aurais donné des coups de bâton. [8]

GILLETTE

Oh, Monsieur, assurément vous avez trop de bonté.

SANS-QUARTIER

Assez drôlette, voilà, je vous l'avoue, un plaisant faquin, oui gillette, vous êtes à mes yeux toute adorable, et vantez-vous-en je n'oublierai jamais la mémoire de vos perfections. [9]

GILLETTE

Dame, Monsieur, je vous jure que je n'entends rien à tout ce beau parler-là.

SANS-QUARTIER

Comment faut-il donc que je m'explique avec vous. Eh bien gillette, cela veut dire, que vous pouvez disposer de moi comme des choux de votre jardin.

GILLETTE

Ah ! je commence à vous entendre ; mais, Monsieur l'Intendant, tenez il n'y a rien à faire, Gilles m'a dit qu'il fallait bien avoir attention à conserver son honneur.

SANS-QUARTIER

Il a raison, c'est aussi ce que je veux faire à votre endroit ; mais, par exemple, comment conserve-t-on de l'eau de la Reine d'Hongrie, n'est-ce pas en bouchant exactement la bouteille.

GILLETTE

Oui, vraiment, et je ne m'étonne plus qu'à tout moment il me reproche que je suis éventée, parguienne c'est sa faute, que ne bouche-t-il bien la bouteille de Congrie.

SANS-QUARTIER

Puisqu'il n'y entend rien, j'y veux remédier.

GILLETTE

Que je vous serai obligée.

SANS-QUARTIER

Venez donc avec moi dedans ma chambre.

GILLETTE

Oh, Monsieur, doucement s'il vous plaît, je ne veux point m'enfermer ainsi dans l'extérieur de votre appartement. Sans-quartier, La tiraillant Allons donc vous faites l'enfant.

GILLETTE

Oh non, non, je vois bien à présent où vous en voulez venir.

SANS-QUARTIER

Je vois bien qu'il faut vous faire un peu de violence. Il veut la faire entrer de force Dame à la fin je vous enlèverai.

GILLETTE

Oui-da, oh que nenni, je m'en vais crier tout comme un dragon. gilles, Gilles .


Scène V

Sans-quartier, Gillette, Gilles
GILLES

Qu'est-ce donc qui gnia, ah Monsieur Lestafier de la Samaritaine, vous voulez donc escalader l'honneur de ma femme ; ah parguenne je vous apprendrai à vous jouer ainsi à moi... Il le rosse.

SANS-QUARTIER

Au secours, au secours, ah le coquin, traiter ainsi un intendant, je te ferai pendre sur-le-champ, misérable.

GILLES

Oui, oui, je t'en répond, ah, ah parguenne, ce n'est point pour toi que le four chauffe.

GILLETTE

M'est avis pourtant que la pâte était bien levée.

GILLES

Oh ! Tétiguenne, je m'en gausse ; mais gillette, allons manger le cochon de lait avec divertissant, je pense que mon Jérôme a fait perdre tout l'appétit à notre intendant.

ACTE II


Scène I

Le magicien, Gilles
LE MAGICIEN

Je suis le grand Robillardus Carbazus, hic aut hac Grossus, ce fameux Magicien, protecteur de l'innocence opprimée ; je quitte exprès le Congo où j'ai voulu assister au coucher de la Princesse Mansmoubansa, pour secourir gilles, qu'un coquin d'Intendant veut faire pendre pour quelques coups de bâton qu'il a reçus, et qu'il méritait bien ; voici le pauvre diable bien effrayé... Lazzi de frayeur

GILLES

Ah, Monsieur le Bourreau, puisqu'il en faut passer par-là, ne me faites point languir, graissez la corde avec du savon.

LE MAGICIEN

Que veux-tu dire mon ami ?

GILLES

Que l'on voit bien à votre physionomie qui vous êtes, et que vous portez le deuil de tous ceux que vous avez branchés. [10]

LE MAGICIEN

Tu t'égares, mon enfant, tu me prends pour un autre ; loin d'être celui que tu penses, je suis un magicien qui vient pour te tirer des pattes de ce fripon de sans-quartier, et pour te venger de lui ; il a voulu te faire pendre, n'est-il pas vrai ?

GILLES

Hélas oui ! Et j'en suis encore tout pâle.

LE MAGICIEN

Eh bien, ce sera lui qui prendra ta place aujourd'hui.

GILLES

Allons doucement, s'il vous plaît, si c'est celle qu'il me destinait à la potence, à la bonne heure.

LE MAGICIEN

Je l'entends ainsi.

GILLES

Ah ! Je craignais que ce fut ma place auprès de Gillette.

LE MAGICIEN

Nullement, mon ami.

GILLES

Dame, voyez-vous Monsieur le marsouin.

LE MAGICIEN

Dis donc le magicien !

GILLES

Eh bien, Monsieur le magicien, vous ne sauriez vous imaginer combien gillette m'aime, si vous aviez vu comme elle pleurait quand elle a vu qu'on m'allait pendre, cela vous aurait fendu le cour, elle m'a embrassé plus de dix fois ; ah , mon cher gilles ! Me disait-elle, quoi faut-il donc que tu me quittes pour toujours ? Quel congé ! Quel triste congé ! Quel grand congé !

LE MAGICIEN

Ah ! Je le crois bien sans en jurer ; eh bien mon enfant, avec deux mots et cette bague, tu vas jouir d'un plaisir parfait, en étrillant l'intendant comme il le mérite, tu connaîtras toute la vertu de ta femme.

GILLES

Cela serait bien drôle, oui, voyons un peu ces deux mots.

LE MAGICIEN

Les voici ; Caracataca.

GILLES

Miséricorde, je ne pourrai jamais dire Caracataca.

LE MAGICIEN

Fort bien, regarde-toi à présent dans ce miroir.

GILLES

Parguenne je n'y verrai pas la figure d'un sot.

LE MAGICIEN

Regardes, regardes.

GILLES

Ah, notre maître ! Mais où diable s'est-il donc fourré ?

LE MAGICIEN

Qui ?

GILLES

Monsieur le Prince de Bas-le-vent, Marquis de Fleur-à-mon-cul.

LE MAGICIEN

Que veux-tu dire ?

GILLES

Je viens de le voir tout à l'heure.

LE MAGICIEN

Où ?

GILLES

Là, là, à travers ce miroir.

LE MAGICIEN

Quel conte !

GILLES

Parguienne je n'ai pas la vue trouble, regardez vous-même.

LE MAGICIEN

Jouis de ton étonnement, sans y penser tu as prononcé Caracataca et dans le moment tu as pris la figure de ton maître, voilà assurément tout le secret.

GILLES

Effectivement, en effet parguienne je lui ressemble comme deux gouttes d'eau.

LE MAGICIEN

Il n'y a personne qui n'y soit trompé ; mais ce n'est pas tout, au lieu de Caracataca, en disant Caracataqué tu reviendras ce que tu es ordinairement, c'est-à-dire que tu reprendras la figure de Gilles .

GILLES

Houlas ! Sera-t-il possible que je le pourrai ? Comment avez-vous donc dit ?

LE MAGICIEN

Caracataqué.

GILLES

Carabata...

LE MAGICIEN

Non, Caracataqué.

GILLES

Caracabaqué.

LE MAGICIEN

Eh non, Caracataqué.

GILLES

Ah, j'y suis, Barbaca...

LE MAGICIEN

Non, non, non, de par tous les diables non, prononcez en même temps que moi, Caracataqué, Cara...

GILLES

Cara.

LE MAGICIEN

Cara.

GILLES

Cataraca.

LE MAGICIEN

Tout au contraire, Caracata.

GILLES

Ah oui, oui, Caracata.

LE MAGICIEN

Caracataqué.

GILLES

Caracataqué.

LE MAGICIEN

Fort bien, Caracataqué. Regardes-toi à présent dans le miroir.

GILLES

Ma foi cela est merveilleux, effectivement je me reconnais à présent.

LE MAGICIEN

Ah ça, au lieu de Caracataqué dis, et prononces avec moi Caracataca.

GILLES

Oh ! Celui-là sera bien plus difficile.

LE MAGICIEN

Eh non, c'est la même chose, au lieu de que il faut dire ca, Caracataca, Caracataca. Gilles, Se regardant au miroir Caracataca... oui, je suis à présent notre maître tout craché.

LE MAGICIEN

Fort bien.

GILLES

De grâce, Monsieur, mettez-moi bien ces deux mots dans la tête, et laissez-moi, je vous prie, ce miroir, afin que je voie si je ne me trompe pas.

LE MAGICIEN

Volontiers : Caracataca, Caracataqué. Gilles, Après quelques lazzis Caracataca, Caracataqué ; oh parguienne, ce n'est pas sans peine que j'en suis venu à bout ; Caracataca. Il se regarde. Fort bien ; Caracataqué, à merveille : eh, dites-moi s'il vous plaît, cela durera-t-il autant que je le voudrai ?

LE MAGICIEN

Non, mon ami, tu ne jouiras du pouvoir de la métamorphose qu'aujourd'hui seulement.

GILLES

Qu'est-ce que la morchose ? Oh je veux tout savoir.

LE MAGICIEN

Je t'ai dit métamorphose, c'est-à-dire le pouvoir de changer de figure, tu pourras le faire pendant tout le jour, et le soir tu me remettras ma bague et le miroir, duquel tu ne connais point encore toute la vertu.

GILLES

Et quelle vertu a-t-il donc ?

LE MAGICIEN

Premièrement, il fait connaître, à n'en point douter, la sagesse d'une fille si elle n'a point fait faux-bons à son honneur, elle s'y voit la bouche si petite, si petite.

GILLES

Attendez un peu, Monsieur le magicien, qu'est-ce que cela veut dire, faire faux, faux-bons à son honneur ?

LE MAGICIEN

Cela signifie, si elle n'a pas laissé aller le chat au fromage.

GILLES

Laisser aller le chat au fromage, je n'entends pas cela.

LE MAGICIEN

Comment veux-tu donc que je m'explique autrement ?

GILLES

Comme il vous plaira ; mais je ne croirai jamais qu'une fille en soit moins sage, pour avoir laissé manger son fromage par un chat.

LE MAGICIEN

Ne vois-tu pas, mon ami, que c'est une allégorie, c'est-à-dire une façon de parler allégorique, qui fait entendre qu'une fille s'est laissée approcher de trop près par un garçon, et qu'il s'est passé entr'eux certaines choses, certaines privautés... Tu commences à m'entendre je gage.

GILLES

Oui, je comprends l'amphigouri ; ah parguienne, il y a bien des filles qui se crèveraient de ce fromage là, si elles ne craignaient trop la pressure. [12]

LE MAGICIEN

T'y voilà justement, pour revenir donc à mon miroir, je t'ai dit sa vertu pour les filles véritablement sages.

GILLES

Oui je m'en souviens, elles l'ont si petit, si petit.

LE MAGICIEN

Je t'ai dit, mon ami, qu'elles s'y voyent la bouche entièrement petite, mais au contraire si elles se sont dérangés de leur devoir.

GILLES

Oh je comprends cela, alors elles sont fendues jusqu'aux oreilles ?

LE MAGICIEN

Justement.

GILLES

Monsieur, pourrai-je faire regarder gillette dans le miroir ?

LE MAGICIEN

Cela ne t'avancerait de rien, car gillette est ta femme, et ce miroir n'est que pour les filles, cela aurait été bon avant ton mariage.

GILLES

Oh ! vous avez raison, que je suis fâché de ne l'avoir pas eu dans ce temps-là.

LE MAGICIEN

Est-il vrai que tu n'aurais point été content ?

GILLES

Pardonnez-moi, mais...

LE MAGICIEN

Mon ami, il y a des choses sur lesquelles il ne convient pas de pousser trop loin la couriosité, tiens-toi à tes premières idées.

GILLES

Ma foi, vous avez raison ; mais, Monsieur, ne m'avez-vous pas dit que ce miroir avait encore une autre vertu ?

LE MAGICIEN

Cela est vrai. Voilà de quoi il s'agit, en mettant le miroir du haut en bas, si un homme qui s'y regarde est un cocu, il s'aperçoit au front une grande mouche en forme de croissant.

GILLES

Sérieusement ?

LE MAGICIEN

Très sérieusement.

GILLES

Je veux parbleu en juger par moi-même ; mais non, si j'apercevais la mouche, je ferais tapage à la maison, je battrais Gillette, ma foi j'aime beaucoup mieux rester dans l'ignorance.

LE MAGICIEN

C'est fort bien penser, divertis-toi seulement aux dépens des autres.

GILLES

Je n'y manquerai pas ; mais à propos, Monsieur, dites-moi un peu votre nom ?

LE MAGICIEN

Mon ami, l'on m'appelle ordinairement Robillardus, Carbassus, hic aut hac Grossus.

GILLES

C'est bien pis que Caracataca. Je ne pourrai jamais, Monsieur, retenir votre nom.

LE MAGICIEN

Tu n'en as pas besoin, dans deux heures je reviendrai prendre mon miroir et ma bague.

GILLES

Ne pourriez-vous pas me laisser tout cela jusqu'à demain matin seulement ?

LE MAGICIEN

Non. Avant que huit heures sonnent, il faut que je monte sur le cheval de Pacolet, pour me trouver en Turquie au coucher du Grand Seigneur qui m'attend.

GILLES

Pourquoi faire ?

LE MAGICIEN

Pour éplucher les puces des Sultannes, c'est-là ma charge.

GILLES

Pardi voilà un drôle d'emploi d'éplucher les Sultannes ; eh ne pourrai-je point vous aider ?

LE MAGICIEN

Je te dis chercher les puces des Sultannes.

GILLES

C'est à peu près la même chose, et parguenne prenez-moi pour votre second.

LE MAGICIEN

Je le veux bien, je te ferai même recevoir en survivance de garçon éplucheur, mais il faudra prendre le bénéfice avec les charges.

GILLES

Et quelles sont les charges ?

LE MAGICIEN

S'il laisse échapper une puce, on lui donne aussitôt trois cents coups de pieds dans le ventre, cinq cents croquignoLles, et soixante coups de bâton sur la plante des pieds ; tu vois qu'il ne faut pas avoir les mains gourdes, ni la vue courte. [13]

GILLES

Malpeste.

LE MAGICIEN

Il est vrai qu'on te donnera d'abord à éplucher des vieilles décrépites, dont la moins âgée aura bien quatre-vingts ans, celles-là sont moins frétillantes sous la main d'un beau garçon comme toi, mais après trente ou quarante ans de travail, on te mettra en exercice auprès des jeunes.

GILLES

Monsieur, je renonce dès à présent à la survivance.

LE MAGICIEN

Tu fais fort bien mon garçon ; or ça ressouviens-toi bien de Caracataca et de Caracataqué.

GILLES

Allez, laissez-moi faire.

LE MAGICIEN

Lorsque ta vengeance sera complète, si je ne reviens point assez tôt, tu n'auras qu'à me rapporter mon miroir et ma bague, rue du Loup-Garou, à l'enseigne du Pet, et si tu ne te ressouviens point de mon nom, tu n'auras qu'à demander le Signor Mago.

GILLES

Qui est ce Magot ? [14]

LE MAGICIEN

Moi, mon ami.

GILLES

Fi donc, après les obligations que je vous aurai, j'irai moi vous appeler Magot.

LE MAGICIEN

Tu me fais rire, apprends que, il Signor Mago en italien, veut dire en français, Monsieur le Magicien .

GILLES

Oh si cela est, vous êtes un vrai Magot, c'est-à-dire un très grand Magicien.

LE MAGICIEN

Adieu, Caracataca, Caracataqué.

GILLES

Oui, oui, je m'en ressouviens fort bien, à merveille, Caracataca, Caracataqué. Parbleu ! cela est plaisant, oui : mais je veux rentrer dans la maison et me cacher, jusqu'à ce que je puisse trouver, comme je le souhaite, l'occasion de me venger.


Scène II

Gillette, seule

Je suis bien malheureuse, ce fripon de divertissant dit que mon pauvre gilles s'est sauvé des mains de ceux qui feignaient de l'emmener pendre ; je n'en crois rien, cependant je vais de côté et d'autre pour apprendre de ses nouvelles, et je ne trouve personne qui m'en puisse donner ; bon voilà une personne qui vient à propos et qui m'en donnera peut-être.


Scène III

Gillette, Monsieur Suc, juif
GILLETTE

Mon cher Monsieur, ne savez-vous point ce qu'est devenu mon mari ?

MONSIEUR SUC

Non.

GILLETTE

On voulait le pendre.

MONSIEUR SUC

Oui.

GILLETTE

Parce qu'il a rossé d'importance un drôle qui voulait me caresser à sa barbe.

MONSIEUR SUC

Oh, oh !

GILLETTE

Mais on m'assure qu'il est sauvé.

MONSIEUR SUC

Soit.

GILLETTE

Il faut que cet homme-là ne soit pas fils d'une femme pour parler si bref : Monsieur de quel nation êtes-vous s'il vous plaît ?

MONSIEUR SUC

Juif.

GILLETTE

On vous a donc coupé ?...

MONSIEUR SUC

Chut.

GILLETTE

Pardi voilà un drôle de corps, mais apparemment vous en avez encore. monsieur suc, en se donnant un coup de la main gauche sur le bras droit, entre la main et le coude, lève en même temps la main. Tant !

GILLETTE

Comment vous appelle-t-on ?

MONSIEUR SUC

Suc.

GILLETTE

Vous êtes apparemment marier ?

MONSIEUR SUC

Point.

GILLETTE

Cherchez-vous quelqu'un ici ?

MONSIEUR SUC

Vous.

GILLETTE

C'est un espèce de fou, il faut que je m'en réjouisse quelques moments. Vous êtes donc amoureux de moi ? monsieur suc, portant la main sur le sein de Gillette Fort.

GILLETTE

Que cherchez-vous là ?

MONSIEUR SUC

Sein.

GILLETTE

Malpeste quel égrillard, et comment le trouvez-vous ?

MONSIEUR SUC

Mol.

GILLETTE

Vous êtes un insolent, on ne dit pas une pareille sottise en face, je vous soutiens moi qu'il est...

MONSIEUR SUC

Dur ?

GILLETTE

Oui assurément il est dur, et je m'en vante.

MONSIEUR SUC

Zeste.

GILLETTE

Oh finissez, si vous me chiffonnez davantage, je vous appliquerai un soufflet.

MONSIEUR SUC

Bon.

GILLETTE

Je le ferai comme je le dis.

MONSIEUR SUC

Crac. Gillette, En lui donnant un soufflet Comment le trouvez-vous ?

MONSIEUR SUC

Su... Il veut encore la caresser.

GILLETTE

Je crierai.

MONSIEUR SUC

Paix.

GILLETTE

Oh c'en est trop, à moi quelqu'un.

MONSIEUR SUC

Foin.

GILLETTE

Sauvons-nous des mains de ce drôle-ci... Elle se sauve et elle est poursuivie par Monsieur Suc.


Scène IV

Gilles, seul

Ce fripon de sans-quartier n'est point à la maison, non plus que divertissant, je ne sais ce qu'est devenue gillette, ça me chiffonne l'esprit, j'ai été tenté cinq ou six fois de me regarder dans ce miroir de la façon que le magicien me l'a dit ; mais je n'ai jamais osé le faire de peur de la mouche. Ah, ah, j'aperçois mon voisin, il est bien en colère, à qui diable en a-t-il donc ?


Scène V

Gilles, Monsieur Cornibus
MONSIEUR CORNIBUS

Co... Co... Co... Comment, des vi... vi... vi... vilains fri... fri...fri... fripons, qui... qui... qui... voulaient four... four... fourber ma... ma... ma femme.

GILLES

Diantre j'ai cru qu'il s'agissait d'autre chose, monsieur cornibus avec son bégaiement, est sujet à dire bien des impertinences.

MONSIEUR CORNIBUS

Je pu... pu... pu... pu...

GILLES

On le sait bien.

MONSIEUR CORNIBUS

Non... non... non, je... je... je dis que je pu... pu... punirai ces fi... fi... fi... filou-là.

GILLES

Et comment les punirez-vous ?

MONSIEUR CORNIBUS

Ah, ah, j'ai... j'ai... j'ai... fait caca... caca... ca... ca...

GILLES

Oh ! Le vilain.

MONSIEUR CORNIBUS

J'ai fait caca... caca... caca...

GILLES

J'entends, vous avez fait caca à la porte de ces drôles-là.

MONSIEUR CORNIBUS

Non... non... non, j'ai... j'ai... j'ai ca... ca... caché des gens pou... pou... pou... pour les su... su... surprendre.

GILLES

Mais connaissez-vous. Monsieur, ces personnes-là.

MONSIEUR CORNIBUS

J'en... j'en... j'en connais une fille qui... qui... qui... qui était du nombre de ces fri... fri... fri... fripons-là ?

GILLES

C'est quelque chose.

MONSIEUR CORNIBUS

Si je la... la... la... l'attrape, je la fou... fou... fou... fourerai en pri... pri... pri... prison ?

GILLES

Ce sera fort bien fait à vous, et je vous le conseille très fort.

MONSIEUR CORNIBUS

La co... co... co... coquine, me... me... me disait, voyez... voyez mon... mon com... com... compère, j'ai du com... com... com... comptant.

GILLES

Il n'y avait rien à dire à cela.

MONSIEUR CORNIBUS

Moi... moi... moi qui suis tout vi... vi... vi... vigilant, j'ai vu... vu... vu... vu... vu de ces drôles-là, qui... qui... qui mettait la main au con... con... con... comptoir de ma... ma... ma fem... fem... femme.

GILLES

Mais à la fin ils ne lui ont rien pris.

MONSIEUR CORNIBUS

Le cu... cu... cu... coureur de puits de chez nous, est ve... ve... ve... venu ma... ma... mal à propos, en ce... ce... cette occasion, sans ce cu... cu... coureur de puits, qui... qui... qui est voisin de Con... Con... Conflans, où j'ai... j'ai... j'ai ma maison, j'au... j'au... j'aurais au moins chi... chi... chi... chiffonné la drô... drô... drôlesse qui... qui... qui... qui était avec ces vi... vi... vi... vilains gueux-là.

GILLES

Mais pourquoi vous tant échauffer la bile, puisqu'ils n'ont rien pris à votre femme, et qu'avez-vous donc tant à vous plaindre ?

MONSIEUR CORNIBUS

Il est vrai, mais... mais.

GILLES

Aparté. Il faut que je fasse un peu l'épreuve du miroir. Haut Tenez regardez-vous dans cette glace, vous verrez que vous êtes tout en feu. Aparté. Je connaîtrai bientôt s'il est de la grande Confrérie.

MONSIEUR CORNIBUS

Oui... oui... oui, je suis rou... rou... rouge co... co... co... comme un cor... cor... cornillard. Il se frotte le front. Mais... mais... mais à quoi s'a... s'a... s'a... s'amuse ma... ma... ma pe... pe... pe... petite femme de me... me... me... me planter... des mou... mouches sur le vi... vi... vi... vi... visage.

GILLES

Aparté. Il porte sa main au front Oh ! Ma foi le pauvre diable en tient, Haut Que diantre faites-vous ?

MONSIEUR CORNIBUS

Je... je... je veux m'ô... m'ô... m'ôter ce... ce... ce... ce... que ma... ma... ma femme m'a... m'a... m'a mis sur... su... su... su... sur le front.

GILLES

Cela ne sera point aisé, je crains bien plutôt que ce ne soit votre apprentif qui vous ait ainsi enjolivé le front. [15]

MONSIEUR CORNIBUS

Qu'est... qu'est... qu'est-ce à dire, je n'en... n'en... n'entends pas raillerie, au moins j'en... j'en... j'en... j'en souffre de... de... de vous un peu trop, vous... vous... vous êtes un plat bou... bou... bou... bouffon, Monsieur, entendez-vous. Gilles, Le contrefaisant Et vous... vous... vous êtes un co... co... co... co... cocu fieffé.

MONSIEUR CORNIBUS

Tu... tu... tu te... te... te mo... mo... moque donc de... de... de moi vi... vi... vi... vilain fa... fa... fa... Farinier, je te... te... te fou... fou... fou... foulerai aux pieds.

GILLES

Toi : oh parguenne viens y voir.

MONSIEUR CORNIBUS

Je... je... je... le... le... veux... veux... bien.

GILLES

Et moi aussi. Ils se battent en finissant le deuxième Acte.

ACTE III


Scène I

.
Gilles, seul

Par-là mordombille, il faut avouer que le magicien est un bien habile homme, son miroir m'a bien réjoui avec monsieur cornibus mon voisin, je me doutais bien que sa femme lui faisait avaler le goujon ; et j'en ai été convaincu. Mais j'aperçois, si je ne me trompe, gillette, vite prenons la figure de mon maître, Caracataca.


Scène II

Gilles, Gillette
GILLETTE

Il faut avouer que je joue bien de malheur, de ne trouver personne qui puisse me donner des nouvelles de mon pauvre gilles ; mais que vois-je, notre Maître déjà de retour. Gilles, Faisant l'important Bonjour, gillette, qu'as-tu, vous êtes triste, ma mie.

GILLETTE

Oh ! mon bon Monsieur, j'en ai bien le sujet, mon pauvre gilles n'est plus de ce monde, ce scélérat de sans-quartier l'a fait pendre, sauf son recours contre qui il avisera bon être.

GILLES

Ça n'est pas possible, à propos de quoi cela serait-il arrivé ?

GILLETTE

Ça n'est que trop vrai, il a voulu, sauf votre respect, me faire l'amour, dame il engainait son compliment, de manière que si gilles n'était venu, voyez-vous, Monsieur... révérence parler j'étais une femme perdue d'honneur... mon mari s'est fâché, sans-quartier s'est mis en colère, gilles l'a rossé avec un Jérôme de bonne mesure, il ne l'a pas trouvé bon, il l'a fait arrêter, l'a fait pendre, et je suis à présent sans mari, hi, hi, hi. Elle pleure. Gilles, Affectant un air grave Je vous plains, gillette, mais je vous ferai bonne justice de mon coquin d'intendant, je le ferai pendre à son tour.

GILLETTE

Grand merci, Monsieur, mais cela ne me rendra point mon pauvre gilles, et je vous avouerai bien naturellement, que depuis que j'ai goûté du mariage, je ne puis plus me passer de mari.

GILLES

Oh, oh, et bien je veux vous en servir.

GILLETTE

Oh ! Monsieur, vous vous gaussez des pauvres gens, à moi n'appartient pas tant d'honneur, et puis on n'oublie pas ainsi un pauvre cher homme comme une chemise sale, hi, hi, hi. Gilles, en ce moment passe de l'autre côté, prononce caracataqué, embrasse gillette, repasse promptement à sa place, en disant caracataca. Ah, ah, je me meurs. Monsieur notre Maître, ah, ah, gilles, gilles, qui vient de m'embrasser.

GILLES

Quel conte, mais il n'est donc point mort.

GILLES

Ah ! Pardonnez-moi. Monsieur, il faut qu'il le soit.

GILLES

Pourquoi cela ?

GILLETTE

Il ne m'a dit mot, et de plus c'est qu'il puait comme un bouc.

GILLES

Aparté. C'est que j'ai fait une grosse vesse. Haut Allez, mignonne, rassurez-vous, vous avez la berlue, regardez-moi bien, quelle comparaison de gilles avec moi ; votre mari à tout prendre n'était qu'un butor.

GILLETTE

Il est vrai qu'il n'avait pas grand esprit, mais il allait bien droit en besogne.

GILLES

C'était un ivrogne fieffé.

GILLETTE

D'accord, il aimait un peu le vin et l'eau-de-vie ; mais quoiqu'il but comme un pourceau, il s'enivrait sobrement.

GILLES

Il vous battait aussi quelquefois.

GILLETTE

Il faut convenir que cela lui est arrivé cinq ou six jours après notre mariage ; mais il n'avait pas tout à fait tort, c'est le diable qui se mêlit de ça. [16]

GILLES

Effrayé. Le diable.

GILLETTE

Oui, Monsieur notre Maître, je rêvais que j'étais sur le grand chemin de Saint Denis, et que le diable, sauf votre respect, me montrait un trésor, je ne savais comment reconnaître cet endroit, et parguenne parole ne pue point, ce malin diable ne me disait-il pas, te voilà bien embarrassée, chié là, personne n'y touchera, et tu retrouveras aisément la place, vous sentez bien notre maître, que j'eus de la peine à prendre la résolution de m'y résoudre, se mettre là le cul en l'air en pleine campagne, ça n'est pas modeste, cependant l'intérêt m'y engagit ; mais hélas malheureusement en me réveillant au lieu d'un trésor, je ne trouvai dans mon lit qu'un gros tas de merde. Dame voyez-vous, gilles se fâchit de ça, il disait qu'on avait eu tort de me marier, puisque je n'étais pas nette de nuit, il m'appliquait cinq ou six coups de poing, et je nous gourmandimes, car révérence parler, je ne suis pas endurante, mais ça ne durit pas, nous lavâmes les draps, et je fis bientôt la paix. gilles prononce caracataqué, se regarde dans le miroir, passe de l'autre côté, se prend le nez comme si cela sentait encore mauvais, repasse à sa place, et dit caracataca. Miséricorde, je viens de voir encore l'ombre de Gilles .

GILLES

Est-tu folle ma pauvre gillette ?

GILLETTE

Ah, Monsieur, je l'ai vu, il se tenait le nez bouché, comme si j'étions encore couchés ensemble.

GILLES

Eh fi, gillette, ne pensez plus à cet animal-là, je vous aime, je vous l'ai dit. Il veut la caresser.

GILLETTE

Vraiment, je vois bien que les mains vous démangent, elles sont composées de la chair de Ciron. [17]

GILLES

Vous me rebutez, vous ne voulez donc pas m'aimer, et consentir... la... Vous m'entendez bien.

GILLETTE

Mais ce n'est pas que je vous refuse.

GILLES

Aparté. Fort bien, gare la mouche, me voilà plus d'à moitié cocu.

GILLETTE

Mais... C'est que tenez... Voyez-vous... Vous n'avez pas ce qu'il me faudrait.

GILLES

Je l'ai bien autant que Gilles .

GILLETTE

Oh, que nenni, nous autres femmes sommes connaisseuses sur cette matière, je sentons notre avoine d'un quart de lieue de loin.

GILLES

Elle a ma foi raison. Oh ça gillette, vous y ferez réflexion, vous viendrez dans mon cabinet dans un quart d'heure, je vous veux donner de l'argent pour vous mettre en deuil.

GILLETTE

Dame ça s'appelle mettre un bouchon au cabaret. gilles, feint de sortir, et après avoir prononcé caracataqué, il court et renverse Gillette . Oh parguenne je l'ai échappé belle.

GILLETTE

Ah ? Je suis morte, mon Maître, mon Maître.

GILLES

Est-tu folle, femme, de ne me point reconnaître, parguenne je suis ton mari cependant.

GILLETTE

Ça ne se peut, car il a été pendu.

GILLES
Eh non, te dis-je, j'ai pensé l'être, mais je me suis sauvé des mains de Sans-quartier .
GILLETTE

Tout de bon.

GILLES

Et parguenne si t'en doute, tâte-moi depuis les pieds jusqu'à la tête, tu me trouveras tout envie.

GILLETTE

Il a raison, c'est lui-même, c'est mon pauvre gilles, je ne me sens pas de joie, il faut un peu que je t'embrasse. Elle saute au cou de gilles qui prononce caracataca. Ciel ! Que vois-je, c'est mon Maître, oh dame il y a de la tricherie là-dessous. Gilles, Caracataqué Tu extravagues, regarde-moi donc bien encore.

GILLETTE

Par ma figuette, baise-moi tant seulement en gaudinette.

GILLES

Oh! volontiers... Il prononce caracataca.

GILLETTE

Miséricorde ! gilles, gilles, à mon secours. Gilles, Caracataqué À qui diable en as-tu ?

GILLETTE

Je te dis, et je te douze, que c'est Monsieur de Parlaventrebleu que je baisais tout à l'heure.

GILLES

Et non, c'était moi.

GILLETTE

C'était toi ?

GILLES

Oui, parguienne, mais il faut te conter le tout, gillette, c'est un Seigneur Magot qui m'a rendu ce service.

GILLETTE

Qu'est-ce à dire, perds-tu le peu d'esprit que tu as ?

GILLES

Non, te dis-je.

GILLETTE

Un Magot.

GILLES

Oui, un Magot, c'est-à-dire, un magicien, qui avec deux mots m'a donné le pouvoir d'être tantôt mon Maître, et puis celui de redevenir Gilles .

GILLETTE

Mais quelle apparence.

GILLES

Tiens regardes-moi bien, pour qui me prends-tu ?

GILLETTE

Pour Gilles .

GILLES

Eh bien ne me perds pas de vue, caracataca.

GILLETTE

Oh Ciel ! C'est le Maître. Gilles, Faisant l'important Viens ma mignonne que je t'embrasse tout à l'heure, avancez donc. Gillette, Caressée Nommez, nommez. Elle le repousse rudement. Il y là quelque anguille sous roche, finissez donc, ou je vous baillerai une mornifle. [18] Gilles, Caracataqué Sans diable tu as la main bien dure.

GILLETTE

Oh dame je n'entends point raillerie pour ce qui est du cas de l'honneur, je suis pis qu'un dragon.

GILLES

Mais gillette, tu n'étais pas tout-à-fait méchante et si revêche au commencement.

GILLETTE

Dame, vois-tu, la chair est quelquefois fragile, les absents ont toujours tort, et pis il ne faut qu'une pelure de poire, pour faire trébucher une honnête femme.

GILLES

Morguenne tu as raison, mais je crois apercevoir sans-quartier ; à ça rentrons un moment pour concerter ensemble de quelle bonne manière je l'étrillerai.


Scène III

Sans-quartier, seul

Cet imbécile de gilles à qui je ne voulais que faire peur, s'est imaginé bonnement qu'on allait le pendre, il s'est sauvé, c'est ce que je souhaitais, cela me facilitera la facilité de voir sa femme ; pour en être mieux reçu, j'ai pris dans la garde-robe de mon Maître, un de ses vieux habits. En effet il est censé naturel qu'un intendant soit habillé d'une manière indécente ; mais je vois gillette, elle me paraît de mauvaise humeur, il faut l'aborder civilement. Ils se font plusieurs révérences.


Scène IV

Sans-quartier, Gillette
GILLETTE

Eh, Monsieur l'Intendant, trêve de chapeau.

SANS-QUARTIER

Ah ! Mademoiselle gillette, trêve de fesses, eh bien, ma belle enfant, qu'avez-vous, vous êtes toute chose ?

GILLETTE

Ah ! Plut à Dieu que cela fût. Monsieur, mais voyez-vous, quand on a du chagrin on n'est pas gaie.

SANS-QUARTIER

Vous êtes donc toujours fâchée, vous avez tort au fond, vous étiez mal à votre aise avec gilles, vous serez contente avec moi, je veux vous épouser.

GILLETTE

Monsieur, épouser, quoi gilles est donc pendu ?

SANS-QUARTIER

Non vraiment, mais il s'est sauvé, qui quitte la partie la perd, et voilà votre mariage rompu.

GILLETTE

Cela est-il possible ?

SANS-QUARTIER

Oui vraiment, mais je vois bien que vous ne voulez pas le faire, car vous me faites toujours la mine.

GILLETTE

Oh, Monsieur l'Intendant, si je vous la faisais, vous l'auriez meilleure que vous ne l'avez ; d'ailleurs je n'aime point le mariage qui se casse comme un verre, et si je vous épousais, je voudrais, Monsieur, m'unir à vous par un lien si raide, qu'il ne se rompit jamais.

SANS-QUARTIER

Ah, ma reine, je puis vous assurer qu'il ne pliera jamais de mon côté.

GILLETTE

Vous êtes donc bien fort, ah quelle gasconnade, et allez, allez, la plus petite femme est plus vaillante que l'homme le plus grand.

SANS-QUARTIER

Pourquoi cela ?

GILLETTE

C'est qu'un homme ne saurait porter deux femmes, et qu'une femme portera six hommes sans se fatiguer.

SANS-QUARTIER

Pour ce qui est en cas de ça, vous n'avez pas tort, mais il est question de savoir si vous voulez bien m'épouser, après tout c'est bien de l'honneur pour vous, entendez-vous la belle.

GILLETTE

De l'honneur ?

SANS-QUARTIER

Oui vraiment, sachez que Monsieur mon père était le premier de Saint-Denis en France.

GILLETTE

Le premier ?

SANS-QUARTIER

Oui, il en était le portier ; voilà ce qui s'appelle de bonne noblesse cela.

GILLETTE

Ah ! Parguenne, si j'avais pour deux liards de pareille noblesse dans le ventre, je prendrais pour cinq cents écus de rhubarbe pour la chasser, mais on peut dire sans vanité que c'est mon père qui était de la condition la plus élevée.

SANS-QUARTIER

La plus élevée ?

GILLETTE

Sans doute, puisqu'il était couvreur ; mais comme il pensa se casser le col, il prit un autre emploi qui lui donna le pas devant les plus grands seigneurs de la Cour.

SANS-QUARTIER

Quel fichu conte.

GILLETTE

Il n'y a pas de conte, il se fit postillon. [19]

SANS-QUARTIER

Ah, ah, gillette, mais concluons donc ; voulez-vous être ma femme oui ou non ?

GILLETTE

J'en aurais t'assez d'envie, mais hélas franchement, gilles me tient trop au cour.

SANS-QUARTIER

Eh fi donc, pouvez-vous encore pensez à ce benêt-là ? je gage que ce butor aura eu si grand peur, qu'il sera passé dans les pays étrangers.

GILLETTE

Il y a-t-il bien loin aux pays étrangers ?

SANS-QUARTIER

Il peut y avoir dix à douze mille lieues. [20]

GILLETTE

Dix ou douze mille lieues, si je savais ça je vous dévisagerais tout à l'heure, entendez-vous ?

SANS-QUARTIER

La, la, que vous êtes vive. Gillette, Feignant de pleurer Quoi je ne verrai plus mon pauvre cher homme ; ah misérable que tu est... Je ne sais à quoi il tient que je ne prenne le parti de t'étrangler.

SANS-QUARTIER

Tout beau gillette, comme vous y allez, tranquillisez-vous donc.

GILLETTE

Je ne le veux pas, moi.

SANS-QUARTIER

Écoutez, il n'y a qu'un mot qui serve, j'ai le moyen de vous rendre riche, je viens de rompre l'armoire de notre Mmaître, je lui ai volé cent louis, argent comptant. Gillette, Riant Tout de bon.

SANS-QUARTIER

Oui vraiment, vous voyez bien que c'est une petite fortune pour nous, nous passerons en Hollande. Gillette, Riant En Hollande, Monsieur l'Intendant ?

SANS-QUARTIER

Oui en Hollande, et par ce moyen nous serons à l'abri de toute poursuite.

GILLETTE

Baillez-moi la main, Monsieur de sans-quartier, me voilà en vérité toute déterminée.

SANS-QUARTIER

Le Ciel soit loué.

GILLETTE

À vous faire pendre ; ah Monsieur le fripon, au voleur, au voleur, au Guet, au Commissaire.


Scène V

Sans-quartier, Gillette, Gilles

Gilles, Caracataca Quel tintamarre est cela ?

GILLETTE

Ah ! Monsieur notre Maître, vous voilà de retour bien à propos.

SANS-QUARTIER

Voilà bien le diable, tâchons de nous sauver.

GILLETTE

Si tu branles je t'étrangle. Monsieur voici un fripon qu'il faut faire pendre. [21]

GILLES

Le pendre, qu'a-t-il fait pour cela ?

SANS-QUARTIER

Elle a l'esprit dérangé.

GILLETTE

Oui, oui, notre Maître, ce fripon sauf votre respect, en a voulu à mon honneur, dame il fallait beau jeu bon argent, gilles heureusement est venu à mon secours bien à propos.

GILLES

Enfin.

GILLETTE

Enfin ce fripon d'Intendant, pour se venger des coups de bâton, l'a fait pendre.

GILLES

Cela n'est pas possible.

SANS-QUARTIER

Eh non. Monsieur, c'est une frime que j'ai faite, parce qu'il m'avait manqué de respect, et il s'en est enfui.

GILLES

Cela ne va point à la corde.

GILLETTE

Ce n'est pas le tout, ce scélérat, Monsieur, vous a volé cent louis dans votre armoire qu'il a fracassée.

GILLES

Oh diable le cas est pendable, mais il faut le fouiller... Il veut s'enfuir.

GILLETTE

Jour de gueux, si tu remue de la place, je te hacherai en morceaux à belles dents. Gilles, Le fouillant Ah ! Voilà ma bourse. Eh bien, pendard, qu'as-tu à dire à cela ?

SANS-QUARTIER

Monsieur, c'est une petite espièglerie.

GILLES

Une petite espièglerie, Monsieur le fripon, son procès est tout fait, et comme j'ai justice haute, moyenne et basse, qu'on l'aille tout-à-l'heure accrocher dans mon jardin au plus grand arbre qui se trouvera. [22] Sans-quartier, A genoux Ah ! Monsieur, ayez pitié de moi.

GILLETTE

Point de pitié.

SANS-QUARTIER

Ne pourrait-on point au lieu d'être pendu, en être quitte pour les galères, ou pour quelques coups de bâton.

GILLETTE

Non, non, je veux avoir le plaisir de le pendre moi-même.


Scène VI et dernière

Le Maitre, Sans-quartier, Gillette, Gilles
LE MAITRE
.

Que ce fut d'un rude vilain,
Que la poste eut son origine,
Il avait trois plaques d'airain,
Autre part qu'en la poitrine.

Voilà de la prose d'un certain Pellisson qui est assez bien troussé, si je m'en étais souvenu, je n'aurais point fait la sottise de vouloir courir la poste avec des hémorroïdes qui m'ont obligé de revenir sur mes pas ; mais que vois-je, un autre moi-même : ai-je la vue trouble ? [23]

SANS-QUARTIER

Miséricorde, mon maître est double : ah, Monsieur, qui que vous soyez, je vous demande aussi sincèrement pardon.

LE MAITRE
.

Et de quoi ? Gilles, D'un air important Et qui êtes-vous, s'il vous plaît, vous qui me ressemblez si fort ?

LE MAITRE
.

Qui je suis ? Ceci m'étonne au point que je ne sais que répondre.

GILLES

Pour moi, je suis Monsieur de Parlaventrebleu, prince de Bas-le-vent, marquis de Fleur-à-mon-cul, qui vient d'ordonner que l'on branche ce fripon, pour avoir voulu débaucher gillette, faire pendre gilles, et de plus pour m'avoir avec effraction, volé cette bourse de cent louis d'or que je viens de lui reprendre.

LE MAITRE
.

Ô Ciel ! mais c'est moi qui suis ce Monsieur de Parlaventrebleu, et cette bourse m'appartient.

SANS-QUARTIER

Accommodez-vous, Messieurs, pour moi je n'y prétends plus rien.

LE MAITRE
.

Je le crois bien. Je n'aurais pas cru sans-quartier capable d'une pareille friponnerie, elle mérite une punition exemplaire ; mais ce n'est pas ce qui m'inquiète, c'est de voir qu'un autre passe pour moi, et devienne le maître dans ma maison.

GILLES

Si vous voulez vous joindre avec moi pour faire pendre ce fripon, je vous éclaircirai ce mystère.

LE MAITRE
.

Oh, de tout mon cour, pourvu que l'on me rende ma bourse.

GILLES

La voilà, il ne nous en coûtera rien pour l'exécution, je le brancherai moi-même, caracataqué.

LE MAITRE
.

Ah, ah, voilà Gilles .

SANS-QUARTIER

C'est le Diable.

GILLES

Oui, Monsieur, voilà toute l'histoire.

LE MAITRE
.

Je n'y comprends rien. Gilles, Caracataca Qu'en dites-vous ?

LE MAITRE
.

Je m'y perds, je ne sais plus où j'en suis, il faut que gilles soit devenu un franc Magicien.

GILLES

Caracataqué. Pas tout-à-fait, mais il ne s'en faut guère ; tenez, notre Maître, il ne s'en est rien fallu que notre femme fut déshonorée par ce pendard-là et sans un fameux Magicien qui est venu à mon secours, j'étais pendu, et vous volé à présent, je vais lui rapporter cette bague et ce miroir.

LE MAITRE
.

Cela est merveilleux, mais je vous demande grâce pour ce misérable, qu'il reçoive seulement cent coups de bâton de la main de gilles et de sa femme, et qu'il soit chassé de ma maison.

SANS-QUARTIER

Je n'appelle pas de la sentence ; j'en suis quitte à bon marché.

Gilles et Gillette le rossent, et finissent ainsi.




Notes [1] Fleurer : Répandre, exhaler une odeur. Au XVIIème, il n'y avait aucune distinction, pas plus auparavant, entre fleurer et flairer. [L]

[2] Grouiner : grogner ne parlant du cochon. [Larousse]

[3] Lardoire : Petit instrument qui est à larder. C'est une sorte de brochette creusée et fendue en quatre par un des bouts, afin d'y pouvoir mettre le lardon à mesure qu'on larde quelque viande que ce soit. [F]

[4] Godan : Terme populaire. Conte, tromperie. [L]

[5] Bailler : donner, mettre la main. [F]

[6] Parguienne : ou parguenne par corruption de Pardienne. Serment burlesque. [T]

[7] Fi : Particule qui sert à faire une exclamation pour témoigner le mépris, la haine, l'aversion qu'on a pour quelque personne ou quelque chose. [F]

[8] Drôlette : dimninutif de drôle ; Se dit d'un homme ou d'un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d'exciter quelque inquiétude, et sur lequel d'ailleurs on s'attribue quelque supériorité. [L]

[9] Faquin : se dit aussi en quelque sorte figuré, pour un homme sans mérite, sans honneur, sans coeur, digne de toute sorte de mépris. [F]

[10] Brancher : Pendre un soldat, ou un vagabond à la branche du premier arbre. Cela n'a d'usage qu'à la guerre, et chez les prévôts. [F]

[11] Amphigouri : Écrit burlesque et qu'on rempli de galimatis. Etym. Origine inconnue [L]

[12] Pressure : Action d'enpointer les aiguilles ou les épingles. Pressure se disait dans l'ancienne langue pour gêne, oppression. [L]

[13] Croquignole : espèce de chiquenaude ou de nasarde. C'est un coup qui se donne sur le visage, en lâchant avec violence un doigt qu'on a posé sur un autre. [F]

[14] Magot : Gros singe sans queue du genre des macaques. Fig. et familièrement. Un magot, un homme fort laid. [L]

[15] Apprentif : Celui qui est novice dans les arts et les sciences. [F]

[16] Mêlit : mauvaise conjugaison du verbe Mêler au passé simple. Idem pour engagît et fâchit.

[17] Ciron : Très petit animal qui est une espèce de petit ver rond et blanc, qui s'engendre d'une humeur acre, et aduste en plusieurs endroits du corps, mais principalement en la main, et qui en se traînant sous le cuir le ronge petit à petit. [F]

[18] Mornifle : Soufflet ; coup de la main sur le visage. [F]

[19] Postillon : Valet de poste qui conduit les gens qui courent le poste. C'est aussi le courrier qui porte l'ordinaire. C'est aussi un palefrenier, ou valet de cocher, qui monte sur le premier cheval d'un attelage, quand il y a six, ou huit chevaux. [F]

[20] Lieue : Mesure des chemins, elle valait 3,898 km depuis 1674.

[21] Branler : Se mouvoir en deçà et en delà, chanceler, ne pas tenir ferme. [F]

[22] Espièglerie : Petites malice, qui fait un enfant vif et éveillé. [F]

[23] Pelisson, Paul [1624-1693] : Premier commis de Fouquet, il partagea sa disqrâce et fut embastillé en 1661. Cinq ans après, de retour en grâce, il fut nommé historiographe du roi et est admis à l'Académie Française.