◄ Acte premier | Acte III ► |
ACTE DEUXIÈME
Scène PREMIÈRE
Les tringles des sistres tintaient
Avec un éclat métallique,
Et sur cette étrange musique
Les zingarellas se levaient ;
Tambours de basque allaient leur train,
Et les guitares forcenées
Grinçaient sous des mains obstinées…
Même chanson, même refrain,
La la la la la la !
Les anneaux de cuivre et d’argent
Reluisaient sur les peaux bistrées ;
D’orange ou de rouge zébrées,
Les étoffes flottaient au vent ;
La danse au chant se mariait,
D’abord indécise et timide,
Plus vive ensuite et plus rapide…
Cela montait, montait, montait !…
La la la la la la !
Les bohémiens à tour de bras,
De leurs instruments faisaient rage,
Et cet éblouissant tapage
Ensorcelait les zingaras !
Sous le rythme de la chanson,
Ardentes, folles, enfiévrées,
Elles se laissaient, enivrées,
Emporter par le tourbillon !
La la la la la la !
Vous avez quelque chose à nous dire, maître Lillas Pastia ?
Mon Dieu, messieurs…
Parle, voyons…
Il commence à se faire tard… et je suis, plus que personne, obligé d’observer les règlements, monsieur le corrégidor étant assez mal disposé à mon égard… je ne sais pas pourquoi il est mal disposé…
Je le sais très bien, moi. C’est parce que ton auberge est le rendez-vous ordinaire de tous les contrebandiers de la province.
Que ce soit pour cette raison ou pour une autre, je suis obligé de prendre garde… Or, je vous le répète, il commence à se faire tard.
Cela veut dire que tu nous mets à la porte !…
Oh ! non, messieurs les officiers… oh ! non… je vous fais seulement observer que mon auberge devrait être fermée depuis dix minutes…
Dieu sait ce qui s’y passe dans ton auberge, une fois qu’elle est fermée !…
Oh ! mon lieutenant !…
Enfin, nous avons encore, avant l’appel, le temps d’aller passer une heure au théâtre… Vous y viendrez avec nous, n’est-ce pas, les belles ?
Non, messieurs les officiers, non… nous restons ici, nous.
Comment ! vous ne viendrez pas ?…
C’est impossible…
Mercédès !…
Je regrette…
Frasquita !…
Je suis désolée…
Mais toi, Carmen, je suis bien sûr que tu ne refuseras pas…
C’est ce qui vous trompe, mon lieutenant !… je refuse, et encore plus nettement qu’elles deux, si c’est possible !…
Tu m’en veux ?
Pourquoi vous en voudrais-je ?
Parce qu’il y a un mois, j’ai eu la cruauté de t’envoyer à la prison…
À la prison ?…
J’étais de service : je ne pouvais pas faire autrement.
À la prison ?… je ne souviens pas d’être allée à la prison…
Je le sais, pardieu ! bien que tu n’y es pas allée… le brigadier qui était chargé de te conduire ayant jugé à propos de te laisser échapper… et de se faire dégrader et emprisonner pour cela…
Dégrader et emprisonner ?…
Mon Dieu, oui !… on n’a pas voulu admettre qu’une aussi petite main ait été assez forte pour renverser un homme…
Oh !
Cela n’a pas paru naturel…
Et ce pauvre garçon et redevenu simple soldat ?…
Oui… et il a passé un mois en prison…
Mais il en est sorti ?
Depuis hier seulement !
Tout est bien, puisqu’il en est sorti, tout est bien !
À la bonne heure ! tu te consoles vite…
Et j’ai raison… (Haut.) Si vous m’en croyez, vous ferez comme moi : vous voulez nous emmener, nous ne voulons pas vous suivre… vous vous consolerez…
Il faudra bien !
Vivat ! vivat le torero !
Vivat ! vivat Escamillo !
Jamais homme intrépide
N’a, par un coup plus beau,
D’une main plus rapide,
Terrassé le taureau !
Vivat ! vivat le torero !
Vivat ! vivat Escamillo !…
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Une promenade aux flambeaux…
Et qui promène-t-on ?
Je le reconnais… C’est Escamillo… un torero qui s’est fait remarquer aux dernières courses de Grenade et qui promet d’égaler la gloire de Montès et de Pepe Illo…
Pardieu, il faut le faire venir… nous boirons en son honneur !
C’est cela !… je vais l’inviter… (Il va à la fenêtre.) Monsieur le torero… voulez-vous nous faire l’amitié de monter ici ? vous y trouverez des gens qui aiment fort tous ceux qui, comme vous, ont de l’adresse et du courage… (Quittant la fenêtre.) Il vient…
Messieurs les officiers, je vous avais dit…
Ayez la bonté de nous laisser tranquille, maître Lillas Pastia, et faites-nous apporter de quoi boire…
Vivat ! vivat le torero !
Vivat ! vivat Escamillo !
Scène II
Ces dames et nous, vous remercions d’avoir accepté notre invitation… Nous n’avons pas voulu vous laisser passer sans boire avec vous au grand art de la tauromachie.
Messieurs les officiers, je vous remercie.
Votre toast… je peux vous le rendre,
Señors, car avec les soldats
Les toreros peuvent s’entendre :
Pour plaisir ils ont les combats !…
Le cirque est plein, c’est jour de fête,
Le cirque est plein du haut en bas.
Les spectateurs perdant la tête
S’interpellent à grands fracas :
Apostrophes, cris et tapage
Poussés jusques à la fureur,
Car c’est la fête du courage.
C’est la fête des gens de cœur…
Toréador, en garde !
Et songe en combattant
Qu’un œil noir te regarde
Et que l’amour t’attend.
Etc.
Tout d’un coup l’on fait silence ;
Plus de cris ! que se passe-t-il ?
C’est l’instant, le taureau s’élance
En bondissant hors du toril…
Il entre, il frappe, un cheval roule
En entraînant un picador :
« Bravo, toro !… » hurle la foule,
Le taureau va, vient, frappe encor…
En secouant ses banderilles,
Il court : le cirque est plein de sang ;
On se sauve, on franchit les grilles…
Allons ! c’est ton tour maintenant.
Toréador, en garde !
Et songe en combattant
Qu’un œil noir te regarde
Et que l’amour t’attend.
Etc.
Messieurs les officiers, je vous en prie…
C’est bien, c’est bien, nous partons…
Dis-moi ton nom, et, la première fois que je frapperai le taureau, ce sera ton nom que je prononcerai.
Je m’appelle la Carmencita.
La Carmencita ?
Carmen, la Carmencita, comme tu voudras.
Et bien ! Carmen ou la Carmencita, si je m’avisais de t’aimer et d’être aimé de toi, qu’est-ce que tu me répondrais ?
Je répondrais que tu peux m’aimer tout à ton aise, mais que, quant à être aimé de moi pour le moment, il n’y faut pas songer !
Ah !
C’est comme ça.
J’attendrai, alors, et je me contenterai d’espérer…
Il n’est pas défendu d’attendre et il est toujours agréable d’espérer.
Vous ne venez pas décidément ?
Mais non, mais non…
Mauvaise campagne, lieutenant !…
Bah ! la bataille n’est pas encore perdue… (Bas, à Carmen.) Écoute-moi, Carmen : puisque tu ne veux pas venir avec nous, c’est moi qui, dans une heure, reviendrai ici…
Ici ?…
Oui, dans une heure… après l’appel.
Je ne vous conseille pas de revenir…
Je reviendrai tout de même. (Haut.) Nous partons avec vous, torero, et nous nous joindrons au cortège qui vous accompagne.
C’est un grand honneur pour moi ; je tâcherai de ne pas m’en montrer indigne lorsque je combattrai sous vos yeux.
Toréador, en garde !
Et songe en combattant,
Etc.
Scène III
Pourquoi étais-tu si pressé de les faire partir et pourquoi nous as-tu fait signe de ne pas les suivre ?
Le Dancaïre et le Remendado viennent d’arriver… ils ont à vous parler de vos affaires, des affaires d’Égypte.
Le Dancaïre et le Remendado ?…
Oui, les voici… tenez…
Scène IV
Eh bien, les nouvelles ?…
Pas trop mauvaises les nouvelles… Nous arrivons de Gibraltar…
Jolie ville, Gibraltar !… on y voit des Anglais, beaucoup d’Anglais… de jolis hommes, les Anglais… un peu froids, mais distingués…
Remendado !…
Patron ?…
Vous comprenez ?
Parfaitement, patron !…
Taisez-vous alors… Nous arrivons de Gibraltar, nous avons arrangé avec un patron de navire, le débarquement de marchandises anglaises. Nous irons les attendre près de la côte, nous en cacherons une partie dans la montagne et nous ferons passer le reste… Tous nos camarades ont été prévenus… ils sont ici, cachés… mais c’est de vous trois surtout que nous avons besoin… vous allez partir avec nous…
Pourquoi faire ? pour vous aider à porter les ballots ?…
Oh ! non… faire porter des ballots à des dames… ça ne serait pas distingué.
Remendado ?
Oui, patron.
Nous ne vous ferons pas porter des ballots, mais nous aurons besoin de vous pour autre chose.
Nous avons en tête une affaire !
Mais nous avons besoin de vous.
Car nous l’avouons humblement
Et très respectueusement,
Quand il s’agit de tromperie,
De duperie,
De volerie,
Il est toujours bon, sur ma foi,
D’avoir les femmes avec soi.
Et sans elles,
Mes toutes belles,
On ne fait jamais rien
De bien !
De bien ?
De cet avis.
De duperie,
De volerie,
Il est toujours bon, sur ma foi,
D’avoir les femmes avec soi !
Et sans elles,
Les toutes belles,
On ne fait jamais rien
De bien.
À Mercédès et à Frasquita.
S’il vous plaît de partir, partez,
Mais je ne suis pas du voyage ;
Je ne pars pas, je ne pars pas !
Et tu n’auras pas le courage
De nous laisser dans l’embarras.
Mais au moins la raison, Carmen, tu la diras ?
La raison, c’est qu’en ce moment
Je suis amoureuse.
Mais ce n’est pas le premier jour
Où vous aurez su, ma mignonne,
Faire marcher de front le devoir et l’amour.
De partir avec vous ce soir ;
Mais cette fois, ne vous déplaise,
Il faudra que l’amour passe avant le devoir.
Que tu te laisses attendrir !
Pour notre affaire,
C’est nécessaire…
Car, entre nous…
De duperie,
De volerie,
Etc.
En voilà assez !… je t’ai dit qu’il fallait venir, et tu viendras… je suis le chef…
Comment dis-tu ça ?…
Je te dis que je suis le chef…
Et tu crois que je t’obéirai ?…
Carmen !…
Eh bien ?…
Je vous en prie… des personnes si distingués !…
Attrape ça, toi !…
Patron !…
Qu’est-ce que c’est ?…
Rien, patron !…
Amoureuse… ce n’est pas une raison, cela !…
Le fait est que ce n’en est pas une… moi aussi, je suis amoureux… et ça ne m’empêche pas de me rendre utile…
Partez sans moi… j’irai vous rejoindre demain… mais, pour ce soir, je reste…
Je ne t’ai jamais vue comme cela… Qui attends-tu, donc ?…
Un pauvre diable de soldat qui m’a rendu service…
Ce soldat qui était en prison ?
Oui.
Et à qui, il y a quinze jours, le geôlier a remis de ta part un pain dans lequel il y avait une pièce d’or et une lime ?…
Oui.
Il s’en est servi, de cette lime ?…
Non.
Tu vois bien ! ton soldat aura eu peur d’être puni plus rudement qu’il ne l’avait été ; ce soir encore il aura peur… tu auras beau entr’ouvrir les volets et regarder s’il vient, je parierais qu’il ne viendra pas.
Ne parie pas, tu perdrais…
Halte-là !
Qui va là ?
— Dragon d’Almanza !
— Où t’en vas-tu par là,
Dragon d’Almanza ?
— Moi, je m’en vais faire
À mon adversaire
Mordre la poussière.
— S’il en est ainsi,
Passez, mon ami :
Affaire d’honneur,
Affaire de cœur,
Pour nous tout est là,
Dragons d’Almanza !
C’est un dragon, ma foi !
Et un beau dragon !
Eh bien, puisque tu ne veux pas venir que demain, sais-tu au moins ce que tu devrais faire ?
Qu’est-ce que je devrais faire !…
Tu devrais décider ton dragon à venir avec toi et à se joindre à nous.
Ah !… si cela se pouvait !… mais il n’y faut pas penser… ce sont des bêtises… il est trop niais.
Pourquoi l’aimes-tu puisque tu conviens toi-même…
Parce qu’il est joli garçon, donc !… et qu’il me plaît.
Le patron ne comprend pas ça, lui… qu’il suffise d’être joli garçon pour plaire aux femmes…
Attends un peu, toi !… attends un peu !…
Halte-là !
Qui va là ?
— Dragon d’Almanza !
— Où t’en vas-tu par là,
Dragon d’Almanza ?
— Exact et fidèle,
Je vais où m’appelle
L’amour de ma belle.
— S’il en est ainsi,
Passez, mon ami :
Affaire d’honneur,
Affaire de cœur,
Pour nous tout est là,
Dragons d’Almanza !
Scène V
Enfin… te voilà… C’est bien heureux !
Il y a deux heures seulement que je suis sorti de prison.
Qui t’empêchait de sortir plus tôt ? Je t’avais envoyé une lime et une pièce d’or : avec la lime il fallait scier le plus gros barreau de ta prison ; avec la pièce d’or il fallait, chez le premier fripier venu, changer ton uniforme pour un habit bourgeois.
En effet, tout cela était possible.
Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?
Que veux-tu ? j’ai encore mon honneur de soldat, et déserter me semblerait un grand crime… Oh ! je ne t’en suis pas moins reconnaissant… Tu m’as envoyé une lime et une pièce d’or… La lime me servira pour affiler ma lance et je la garde comme souvenir de toi. (Lui tendant la pièce d’or.) Quant à l’argent…
Tiens, il l’a gardé !… ça se trouve à merveille… (Criant et frappant dans ses mains) Holà !… Lillas Pastia, holà !… Nous mangerons tout… tu me régales… holà ! holà !…
Prenez donc garde !…
Tiens, attrape !… et apporte-nous des fruits confits ; apporte-nous des bonbons, apporte-nous des oranges, apporte-nous du manzanilla… apporte-nous de tout ce que tu as, de tout, de tout !…
Tout de suite, mademoiselle Carmencita !
Tu m’en veux alors, et tu regrettes de t’être fait mettre en prison pour mes beaux yeux ?
Quant à cela, non, par exemple !
Vraiment ?
On m’a mis en prison, l’on m’a ôté mon grade, mais ça m’est égal.
Parce que tu m’aimes ?
Oui, parce que je t’aime, parce que je t’adore !
Je paie mes dettes… c’est notre loi, à nous autre bohémiennes… Je paie mes dettes… je paie mes dettes…
Mets tout cela ici… d’un seul coup… n’aie pas peur… (Pastia obéit et la moitié des objets roule par terre. Ça ne fait rien… nous ramasserons tout cela nous-mêmes… sauve-toi maintenant, sauve-toi, sauve-toi ! (Pastia sort.) Mets-toi là et mangeons de tout ! de tout ! de tout !
Tu croques les bonbons comme un enfant de six ans…
C’est que je les aime… Ton lieutenant était ici tout à l’heure, avec d’autres officiers, ils nous ont fait danser la romalis…
Tu as dansé ?
Oui… et quand j’ai eu dansé, ton lieutenant s’est permis de me dire qu’il m’adorait…
Carmen !
Qu’est-ce que tu as ?… Est-ce que tu serais jaloux, par hasard ?…
Mais certainement, je suis jaloux…
Ah bien !… Canari, va !… tu es un vrai canari, d’habit et de caractère… Allons, ne te fâche pas… Pourquoi es-tu jaloux ? parce que j’ai dansé tout à l’heure pour ces officiers… eh bien, si tu le veux, je danserai pour toi maintenant, pour toi tout seul.
Si je le veux ?… je crois bien que je le veux !…
Où sont mes castagnettes ?… qu’est-ce que j’ai fait de mes castagnettes ? (En riant.) C’est toi qui me les a prises, mes castagnettes ?
Mais non !
Mais si, mais si !… je suis sûr que c’est toi… ah bah ! en voilà des castagnettes. (Elle casse une assiette, avec deux morceaux de faïence, se fait des castagnettes et les essaie…) Ah ! ça ne vaudra jamais mes castagnettes… Où sont-elles donc ?
Tiens, les voici…
Tu vois bien… c’est toi qui les avais prises…
Ah ! que je t’aime, Carmen, que je t’aime !
Je l’espère bien !
Je vais en ton honneur danser la romalis,
Et tu verras, mon fils,
Comment je sais moi-même accompagner ma danse…
Mettez-vous là, don José : je commence !
Attends un peu, Carmen… rien qu’un moment… arrête.
Oui, ce sont nos clairons qui sonnent la retraite :
Ne les entends-tu pas ?
De danser sans orchestre… et vive la musique
Qui nous tombe du ciel !
Tu ne m’as pas compris… Carmen, c’est la retraite…
Il faut que moi, je rentre au quartier pour l’appel.
Au quartier !… pour l’appel !… J’étais vraiment bien bête !
Je me mettais en quatre et je faisais des frais
Pour amuser monsieur, je chantais, je dansais…
Je crois, Dieu me pardonne,
Qu’un peu plus, je l’aimais…
Ta ra ta ta ! c’est le clairon qui sonne !
Il part ! il est parti !…
Va-t’en donc, canari !
Avec fureur, lui envoyant son shako à la volée.
Prends ton shako, ton sabre, ta giberne,
Et va-t’en, mon garçon, retourne à ta caserne !
Je souffre de partir… car jamais, jamais femme,
Jamais femme avant toi
Aussi profondément n’avait troublé mon âme.
Je vais être en retard… » Il court, il perd la tête…
Et voilà son amour !
À mon amour ?
Tu vas te faire attendre.
La fleur que tu m’avais jetée
Dans ma prison m’était restée,
Flétrie et sèche, mais gardant
Son parfum terrible, enivrant ;
Et pendant des heures entières,
Sur mes yeux fermant mes paupières,
Ce parfum, je le respirais,
Et dans la nuit je te voyais…
Car tu n’avais eu qu’à paraître,
Qu’à jeter un regard sur moi
Pour t’emparer de tout mon être,
Et j’étais une chose à toi.
Je me prenais à te maudire,
À te détester, à me dire :
« Pourquoi faut-il que le destin
L’ait mise là, sur mon chemin ?… »
Puis je m’accusais de blasphème
Et je ne sentais en moi-même
Qu’un seul désir, un seul espoir,
Te revoir, Carmen, te revoir !…
Car tu n’avais eu qu’à paraître,
Qu’à jeter un regard sur moi
Pour t’emparer de tout mon être,
Et j’étais une chose à toi.
Là-bas, là-bas tu me suivrais.
Sur ton cheval tu me prendrais,
Et, comme un brave, à travers la campagne,
En croupe tu m’emporterais…
Là-bas, là-bas tu me suivrais :
Point d’officier à qui tu doives obéir,
Et point de retraite qui sonne
Pour dire à l’amoureux qu’il est temps de partir…
Pour pays l’univers, pour toi la volonté,
Et surtout la chose enivrante,
La liberté ! la liberté !…
Là-bas, là-bas, si tu m’aimais,
Là-bas, là-bas, tu me suivrais.
Là-bas, là-bas tu me suivras ;
Tu m’aimes et tu me suivras.
Quitter mon drapeau, déserter,
C’est la honte, c’est l’infamie…
Je n’en veux pas !
Scène VI
Holà ! Carmen ! holà ! holà !
Il entre et voit José. — À Carmen.
Ah ! fi, la belle,
Le choix n’est pas heureux : C’est se mésallier
De prendre le soldat quand on a l’officier.
À José.
Allons, décampe !
Le lieutenant dégaine à moitié.
Appelant.
À moi ! à moi !
Mon officier, l’amour
Vous joue en ce moment un assez vilain tour ;
Vous arrivez fort mal et nous sommes forcés,
Ne voulant être dénoncés,
De vous garder au moins pendant une heure.
Vous viendrez avec nous…
Consentez-vous ?
Consentez-vous ?
D’autant plus que votre argument
Est un de ceux auxquels on ne résiste guère…
Mais gare à vous plus tard !
En attendant, mon officier,
Passez devant sans vous faire prier.
Es-tu des nôtres maintenant ?
Mais qu’importe ?… tu t’y feras,
Quand tu verras
Comme c’est beau, la vie errante,
Pour pays l’univers, pour loi ta volonté,
Et surtout la chose enivrante,
La liberté ! la liberté !
Pour pays l’univers, pour loi sa volonté,
Et surtout la chose enivrante,
La liberté ! la liberté !
↑ | Acte premier | Acte II | Acte III | Acte IV