Carnaval par Mireille Havet

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Carnaval

par Mireille Havet


Ce soir-là, ils dînent au Chatham.

Germaine avait dit : « Je vais mettre une petite robe rose. » En réalité, sa robe est noire.


Je ne sais si Mlle Mireille Havet accepterait qu’on cherchât un symbole dans ces lignes, les trois premières de son roman : Carnaval, mais comment oublier que nos plus belles amies ont l’âme de leurs robes ? Certes, si Germaine s’était habillée de rose candide, elle n’eût point imaginé tant de jeux singuliers, mais, les épaules nues sous la dentelle où scintille et roule, avec une fraîcheur marine, la rondeur d’admirables perles, se pouvait-il qu’elle ne devînt pas la créature fatale, occupée à conquérir : conquête facile, au reste, que celle du jeune homme qui l’accompagne : il aime l’amour, les Champs-Élysées, les grandes automobiles et les cocktails  ; mais de tels goûts, des goûts bien à la mode, ne font point de Daniel le petit snob qu’on serait tenté de craindre : il aime l’amour, les Champs-Élysées, les grandes automobiles et les cocktails, très simplement, parce qu’il s’est toujours bien porté, parce qu’il a le goût de ce qui est bon, agréable, facile. Quoi de plus naturel ? Quoi de plus naturel à ses yeux, aussi, que d’être pour Germaine un amant délicat : il est, en effet, de ces hommes qui ne demandent qu’à causer le bonheur des femmes ; le malheur est que les femmes ne laissent guère se réaliser de si charmantes et de si saines attentions.

L’héroïne de Carnaval a beaucoup de robes. Je veux dire qu’elle ne sait pas toujours comment s’habiller ou se conduire vis-à-vis de tel et tel : son mari, Jérôme, n’est pas de ceux qui s’imposent brutalement et transforment pour et par le plus spontané bonheur les créatures capricieuses, incertaines : il est le compagnon d’une vie, non le maître d’une vie ; encore moins définitif, parce que, plus jeune, Daniel a obtenu ce qu’il demandait, mais il n’a point pris, dans un triomphe vraiment mâle. Alors, Germaine hésite, va de l’un à l’autre ; afin de s’étourdir, elle se livre aux jeux de la plus cruelle coquetterie ; ce n’est point qu’elle manque de cœur, comme on l’entend à l’ordinaire, mais elle est incapable de se laisser aller, car elle n’a pas rencontré l’être assez fort pour venir à bout de son ennui ; c’est qu’en dépit d’une existence d’aventure, elle demeure une petite fille craintive, peureuse même ; le jour où, Jérôme parti et Daniel à jamais guéri d’un amour dont il manqua de mourir, elle se trouve seule, abominablement libre, sa détresse est telle qu’elle n’a plus de force que pour se tuer.

Comme les femmes qui, affligées d’incapacité voluptueuse, essaient de toutes les sortes d’amours et, affolées de demeurer insensibles, se conduisent comme les plus dévergondées, ainsi Germaine, dans un doute affectif qui est presque un cas de psychologie morbide, complique tout à l’envi sans parvenir à oublier les mesquineries quotidiennes, dont la mémoire lui vaut de ne pas connaître la forme la plus simple du bonheur. Elle en veut à Daniel qu’il soit un genre de garçon avec lequel on entend les voitures de laitier, comme avec Jérôme : telle une enfant malade, elle invente les jeux diaboliques parce que les autres ne lui suffisent pas, elle attend le départ des grandes personnes pour saccager la maison ; elle est surtout incapable d’une sorte de santé dans la douleur, de cette sorte de santé que Mlle Mireille Havet appelle égoïsme. La saison continue… Daniel, en son égoïsme, n’en revient pas, et la saison continue avec ses toilettes claires, ses tennis, ses voitures à ânes. De cet égoïsme, d’ailleurs, Daniel se dépouillera ; mais il y a moins de danger, pour un homme, à perdre son souci affectif. Germaine meurt de ne pas trouver un sentiment qui la domine ; Daniel, au contraire, n’a de force que le jour où il triomphe de son amour.

… Mais n’ai-je point trahi les intentions de l’auteur en parlant ainsi de Carnaval, qui est un tout petit livre, sans complexe, en marge des formules. Mlle Mireille Havet a toute la subtilité qu’il faut pour l’anatomie de ces impondérables que les doigts masculins ne peuvent effleurer sans catastrophe. (Alb. Michel)

René CREVEL.