Cendres et Poussières (1902)/Invocation

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Cendres et PoussièresAlphonse Lemerre. (p. 3-5).


INVOCATION


Les yeux tournés sans fin vers les splendeurs éteintes,
Nous évoquons l’effroi, l’angoisse et le tourment
De tes baisers, plus doux que le miel d’hyacinthes,
Amante qui versas impérieusement,
Devant l’Aphroditâ dont le furtif sourire
Dépasse en cruauté les flèches de l’Erôs,
L’orage et l’éclair de ta lyre,
Ô Psapphâ de Lesbôs !


Les siècles attentifs se penchent pour entendre
Les lambeaux de tes chants. Ton visage est pareil
À des roses d’hiver recouvertes de cendre
Et ton lit nuptial ignore le soleil.
Ta chevelure ondoie au reflux des marées
Comme l’algue marine et les sombres coraux,
Et tes lèvres désespérées
Boivent la paix des eaux.

Que t’importe l’éloge éloquent des Poètes,
À Toi dont le front large est las d’éternités ?
Qu’importent le frisson des strophes inquiètes,
Les éblouissements et les sonorités ?
La musique des flots a rempli ton oreille,
Ce remous de la mer qui murmure à ses morts
Des mots dont le rythme ensommeille
Comme de lourds accords.

Ô parfum de Paphôs ! ô Poète ! ô Prêtresse !
Apprends-nous le secret des divines douleurs,

Apprends-nous les soupirs, l’implacable caresse
Où pleure le plaisir, flétri parmi les fleurs !
Ô langueur de Lesbôs ! Charme de Mitylène !
Apprends-nous le vers d’or que ton râle étouffa,
De ton harmonieuse haleine
Inspire-nous, Psapphâ !