La Muse gaillarde/Chanson d’automne

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La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 261-263).



CHANSON D’AUTOMNE


Trop de raisins cette année.
(Journaux.)


L’été n’a pas été tenable.
Il fit une chaleur du diable.
— C’est imprimé, ça me suffit.
Car moi, j’ai joui, dans ma cave,
Tout l’été, d’un froid scandinave,
Ce qui fut pour moi tout profit.

Pendant des mois et des semaines,
Il paraît qu’en certains domaines
Il ne tomba pas assez d’eau
Pour réaliser un baptême.
Il n’en tomba pas de quoi même
M’en faire un modeste cadeau !


Le soleil pompa les courages.
Les arbres et les pâturages
N’étaient plus que des fumerons.
Les vaches, en quelques provinces,
Durent — leurs pis étant trop minces, —
Nourrir les veaux au biberon !

Les brebis grasses étaient maigres,
Les gens plus roussis que des nègres,
Paraît-il, en ces jours maudits.
Pour manger des pommes de terre,
Il fallait être milliardaire…
On faillit manquer de radis.

Ainsi se plaignit le vulgaire.
Mais ce que l’on ne nous dit guère,
Où l’on n’insiste pas surtout,
C’est que, pendant ces jours torrides,
Où les citernes étaient vides,
— Ce dont je me moque après tout —

Aux fins et but de Vendémiaire,
Le soleil versait sa lumière
Sur nos admirables coteaux,
Et, pour nos futures agapes,
Nous façonnait de telles grappes
Qu’elles résistaient aux couteaux.

Mon exigence n’est pas grande :
C’est tout ce que je lui demande
Au soleil. S’il plut seulement

De quoi faire gonfler la vigne,
Pendant cette saison maligne,
Il aura plu suffisamment.

Ainsi, nous aurons, cette année,
Une plantureuse vinée.
Le vin sera moins cher que l’eau.
Les pauvres gens pourront en boire
À s’en décrocher la mâchoire.
Ah ! que voilà qui sera beau !

Et donc, gens de toutes paroisses,
Oubliez vos sombres angoisses
Et vos déboires de l’été,
Puisque vous apporte l’automne
Du vin vermeil à pleine tonne,
C’est-à-dire joie et santé.

J’irai même plus loin. Qu’importe
Qu’on n’ait rien, dans la saison morte,
À manger, si l’on a du vin !
Car, comme l’a dit Hippocrate
En qui toute sagesse éclate :
« Le vin pur apaise la faim. »

Mais n’insistons pas davantage
Sur le vin et ses avantages…
Ce serait trop long. Et d’abord,
L’important — dit encor Grégoire,
En parlant du vin — c’est d’en boire
À moins que vous ne soyez mort !