Aller au contenu

Chansons de la roulotte/Le Sourire

La bibliothèque libre.

LE SOURIRE
ACCUEIL RIMÉ
À l’adresse des Spectateurs du théâtre de La Roulotte en 1899
À Mlle Georgette Sorano
qui fut Le Sourire[1].


— Décor de fleurs. —


LE SOURIRE
(Personnage travesti. Costume de Prince Charmant.)

 
Mesdames, Messieurs, je suis le Sourire,
Toujours attendu, toujours invité
Aux bals de madame Actualité.
Souvent on lui dit de ne plus m’écrire ;
Mais elle en sourit. Comment me proscrire ?
Je suis président pour l’éternité
De la Ligue de l’Amabilité.
Mesdames, Messieurs, je suis le Sourire.

 
Je suis le Sourire et je suis l’Accueil,
Le bonjour fleuri qui n’est point un leurre
Car ici jamais, jamais on ne pleure.
Quant à s’ennuyer… Ah ! voilà l’écueil !
Lorsqu’on refranchit notre aimable seuil,
On dit : « Quel ennui !… qu’il soit déjà l’heure
De rentrer chacun dans notre demeure ! »
Je suis le Sourire et je suis l’Accueil.

 
Et, pour que vous rendiez son sourire au Sourire,
Mon caprice mutin va tirer le rideau
Sur les plus gracieux sujets de mon empire,
Doux berceurs de soucis dont je vous fais cadeau :
Le sourire étonné des très jeunes corolles,
Le sourire indulgent des beaux bouquets fanés,
Le sourire vertigineux des vierges folles,
Et celui qui se moque avec un pied de nez.

Puis, redorés, les grands sourires historiques :
Ceux des fils de Noé quand — telle une barrique —
S’arrondit ce vieil armateur.
Celui d’Aristophane, un de nos chefs d’école ;

 
Car on sait qu’il disait sur la butte Acropole
Les vers dont il était l’auteur.

 
Et maint autre… Celui de Monsieur de Voltaire.
Il est hideux, je sais, oui, par toute la terre,

 
C’est sous cet aspect affligeant
Qu’il est connu… Mais quoi ? Raison de plus. Réclame !
Je sais plus d’un vilain sourire qu’on acclame,
Auquel on porte son argent…

Pas vous… Oh ! non, non ! Vous, vous êtes une élite !
Le gros public… Pour le public cosmopolite.
J’ai le sourire si connu des Portugais.
Chez ces ardents démocritards, si « toujours gais »,
La bonne humeur, du moins, n’a jamais fait faillite !

J’en passe, et du plus grand renom :
Celui de Ninon,
Celui de Manon…
Et, moins antique,
Mais authentique.
Et perle de mon Panthéon !
Le sourire cabalistique
Du spectateur de l’Odéon !
(Allez la Musique !)

 
Pas de sourire polisson !
Mais, en revanche,
L’unique de monsieur Brisson !…
Ah ! ce n’est pas un clair sourire de dimanche !
Non, mais il est plaisant, il est drôle de voir
Qu’auprès de monsieur de Freycinet, souris blanche,
Ce monsieur Brisson sourit noir.

 
Les temps sont si joyeux ! Notre gamine époque
Sourit de ce qui plaît, sourit de ce qui choque,
Sourit de tout, sourit… Voilà !
On en médit ?… Qu’est-ce qu’elle a ?
Qu’est-ce qu’elle est, l’époque ? Hein ? Voyons ?… — Transitoire !
Nous sommes — je ne sais quel fol a dit cela —
À un souriant de l’histoire…

Et ce spectacle-ci vous le démontrera…
Et cætera… et cætera…
Car, cependant qu’à vous les vanter je m’applique,
Mes sourires sont prêts. Alors,
Comme le Président de notre République,
Ce sourieur qui bat, messieurs, tous les records,
Mesdames, je souris, je salue et je sors.

  1. En personne.