Chants populaires/01

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CHANTS DE GUERRE
De la Suisse.

Aucune poésie n’a été plus long-temps méconnue, dédaignée, que cette poésie simple, traditionnelle, que nous désignons sous le nom de poésie populaire, et il n’en est aucune qui présente plus de richesse et de variété. À une époque où la littérature était toute entière livrée à l’étude du style, à la recherche des formes sévères et élégantes, lorsque Boileau en France, Pope en Angleterre, Gottsched en Allemagne, présentaient à leurs compatriotes, comme modèles poétiques, le vers correct et châtié, le vers dépouillé de toute expression triviale, le vers portant l’habit à paillettes et les hauts talons, pour s’en aller dans le grand monde ; à cette époque, il ne pouvait guère être question de cette pauvre poésie populaire, si insoucieuse de la forme, si peu faite aux allures de salon. De là vient que pendant plusieurs siècles, l’histoire de notre littérature est restée incomplète, car on ne voulait tenir aucun compte de ces œuvres primitives, de ces premiers bégaiemens poétiques de la foule au début de la civilisation. Un beau jour cependant l’ancienne poésie, et la poésie populaire qui s’y trouve enclavée, sortirent de cet oubli où elles avaient été si long-temps temps plongées, et vinrent nous surprendre avec leur naïf langage et leurs gracieuses fictions. Il arriva alors une révolution littéraire qui dut faire trembler au fond de sa tombe, dans le cimetière de Leipzig, l’ombre de Gottsched. La poésie élégante, aristocratique, fut obligée de s’incliner devant cette pauvre plébéienne qui s’en venait, après quatre ou cinq siècles de sommeil, redemander une part de son héritage. La majestueuse Melpomène vit s’élever devant elle l’humble tréteau des sotties et des mystères ; l’épopée héroïque, ce rêve ambitieux de tous les hommes du dernier siècle, nous parut froide et guindée à côté du roman chevaleresque de Chrétien de Troyes et de Robert Wace ; le vieil Olympe s’en alla avec ses dieux, ses foudres, ses flèches et ses carquois, pour faire place à un monde de fées, de sylphes, d’enchanteurs, qui produisaient de merveilleuses choses, et l’on vit des gens préférer à la trompette pindarique de J.-B. Rousseau ou de Lebrun le sifflet d’argent d’Oberon ou le cor d’ivoire de Robin-Hood.

La poésie populaire avait de nouveau fixé l’attention ; on se mit à l’étudier, et plus on l’étudia, plus on y découvrit de sources fécondes, et de rameaux chargés de fleurs.

« La poésie populaire, dit le bon Montaigne qui l’avait comprise avant que les critiques s’en occupassent ; la poésie populaire et purement naturelle a des naifvetez et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poësie parfaicte selon l’art, comme il se veoid ez villanelles de Gascoigne, et aux chansons qu’on nous rapporte des nations qui n’ont cognoissance d’aulcune science, ni mesme d’escripture[1]. »

« Les chansons populaires, dit Herder, ce sont les archives du peuple, le trésor de sa science, de sa religion, de sa théogonie, de sa cosmogonie, de la vie de ses pères, des fastes de son histoire. C’est l’expression de son cœur, l’image de son intérieur, dans la joie et les larmes, auprès du lit de la fiancée, au bord du tombeau[2]. »

Citerai-je encore en faveur de la poésie populaire ce témoignage d’un esprit fin et élégant et qui peut passer à bon droit pour classique ?

« La ballade, dit Addison, le chant vulgaire que le peuple affectionne, ne peuvent manquer de plaire à tous ceux que l’ignorance ou l’affectation ne rendent pas incapables de comprendre une œuvre de poésie, car il est évident que les tableaux de la nature qui rendent cette ballade attrayante pour les lecteurs les plus ordinaires doivent également intéresser les lecteurs d’un goût raffiné[3]. »

C’est dans la poésie populaire qu’il faut chercher non-seulement les premiers germes de la littérature, mais souvent les élémens de notre histoire. Quand un peuple en est encore aux premiers degrés de civilisation, il n’écrit pas, il chante. Comme l’a dit un critique dont le nom est bien connu des lecteurs de cette Revue[4] ;

« Dans les âges primitifs, l’individualité est presque nulle. Tous les membres du corps social sont au même degré de culture, ont les mêmes opinions, les mêmes sentimens, vivent de la même vie morale. L’imagination est un don à peu près universel ; la poésie est partout, le poète est semblable aux autres hommes, seulement le don du chant est chez lui plus développé, et il chante ce qui est dans toutes les ames, dans tous les esprits, ce qui erre sur toutes les lèvres. »

Les premiers historiens des peuples du nord, ce sont les scaldes. C’est dans les sagas qu’il faut chercher l’histoire des guerres, et les hauts faits des héros scandinaves. Le Dieu de la Scandinavie, Odin, le Dieu suprême, ne parlait qu’en vers. Les scaldes étaient les favoris des rois, chaque chef de tribu, chaque Jarl d’Islande ou de Norwége, en avait toujours plusieurs à sa cour. On leur assignait une place distincte dans les batailles, afin qu’ils pussent suivre le mouvement des troupes, et chanter les exploits des guerriers. Non contens de rechercher les chants des scaldes, pendant leur vie, les rois d’Islande les écoutaient encore dans leur tombe. Un marchand faisait voile pour les côtes de Norvége. Le long du chemin, on aperçoit sur le rivage le tombeau du roi Fatnar ; le marchand se lève et se met à raconter tout ce qu’il sait de la vie et des exploits de ce roi guerrier. L’équipage arrive au port, et la nuit, le marchand voit apparaître l’ombre de Fatnar lui-même, qui lui dit : « Pour te récompenser du plaisir que tu m’as fait en racontant mon histoire, je te donne tous les trésors que tu trouveras dans mon tombeau[5]. »

Les bardes ont été pour les peuples celtiques ce que les scaldes étaient pour les Scandinaves, des poètes populaires, des chroniqueurs. Combien de documens précieux nous aurions, si nous pouvions retrouver ces chants des Germains mentionnés par Tacite[6] ! Malheureusement ils sont perdus, malgré le soin que Charlemagne, s’il en faut en croire Éginard, avait pris de les faire recueillir.

Après les scaldes, après les bardes, vient toute cette foule de poètes, dont les vers se répandent à travers le monde ; jongleurs et ménestrels, troubadours et minnesinger[7]. Le chant d’amour résonne aux bords de la Tamise, comme sous le ciel de la Catalogne. Le lai[8] s’en va du pays de l’Armorique au pays de Souabe, des plaines de la Normandie aux côtes de la Provence.

Le fidler ambulant porte la fiction poétique de village en village ; le châtelain se la fait redire dans une de ses grandes salles, et le bourgeois l’apprend dans une de ses veillées. Nulle poésie n’a cueilli plus de fleurs le long de sa route. Elle a une lyre, où vibrent toutes les passions, où toutes les idées d’amour et de guerre, de liberté et de foi, ont leur corde d’argent ou leur corde d’airain. Les fées l’ont prise à son berceau, les sylphes l’ont entourée de leurs prestiges. Toute jeune elle a été recevoir le don des Péris. Elle s’est épanouie comme une belle plante au soleil d’Orient ; elle a connu le palais moresque avec ses soupirs d’amour, et les jardins de Grenade avec leurs parfums d’oranger. Toute jeune aussi, elle a rêvé ses plus beaux rêves chevaleresques ; Arthur et la table ronde ; Lancelot du Lac, avec sa belle Genèvre ; Charlemagne et le preux Roland ; le Saint-Graal et ses pieux mystères. Ouvrez-lui donc la lice ; c’est une héroïne qui a été sur le champ de bataille avec Bernard del Carpio ou Cid le Campeador. Donnez-lui une place à votre foyer. C’est une bonne et naïve jeune fille qui vous dira la complainte de deuil et la complainte d’amour, comment est morte la belle Rosamonde[9], et comment la femme d’Asan-Aga quitta la tente où reposaient ses beaux enfans[10].

La poésie populaire a tout embrassé : chants de guerre, chants religieux, légendes historiques, légendes fabuleuses, la mythologie des Elfes, des géans, des nains, des koboldes, les croyances mystérieuses du christianisme, les tableaux les plus touchans du monde réel, et les rêves du monde idéal. À côté de la tradition féerique de Pierre de Stauffenberg[11], elle citera la ballade mystique de la Fille du sultan[12] ; à côté du cri de guerre des Walkeries[13], le conte plaisant de l’épreuve du manteau[14], l’histoire d’Henri-le-Lion et le Te Deum de la bataille d’Agincourt ; la légende maudite du juif errant[15] et la légende vénérée de sainte Cunégonde. Cette poésie est si flexible et si variée ! Elle s’adapte à tous les évènemens, elle reflète dans son miroir l’esprit de toutes les époques. Aujourd’hui, elle viendra édifier ses auditeurs avec le récit d’un pélerinage périlleux en terre sainte ; demain elle l’égaiera avec les chansons de l’Outlaw et les tableaux de sa vie joyeuse dans la Forêt-Verte[16]. Elle vous amusera avec ses vers à énigmes[17]. Puis si une circonstance grave se prépare, si des dissensions civiles éclatent, la voilà qui se met en campagne et harcèle de ses flèches le camp ennemi[18]. Plébéienne de naissance, elle a un instinct de popularité qui ne la trompe pas. Du milieu des châteaux où elle est appelée à comparaître, elle tourne encore ses regards vers la chaumière où elle est née. Elle a beau faire vibrer sa lyre au milieu des assemblées de princes et de chevaliers, son allure est plus libre et plus franche quand elle redescend les degrés de marbre du palais, pour chanter sous le tilleul où se réunissent les paysans. Elle se prête, pour un manteau de velours, pour une chaîne d’or, aux fêtes des grands ; mais elle se donne tout entière aux larmes du peuple. Si vous la cherchez dans les temps de calme, vous la trouverez peut-être nonchalamment penchée sur le fauteuil de la châtelaine ; si vous la cherchez dans les jours d’orage, vous la verrez courir à la hâte au milieu de la foule, prendre parti pour la majorité faible et opprimée, contre une minorité active et puissante, et sur cette même lyre qui n’exhalait que des sons si plaintifs et si tendres, faire vibrer tout à coup un accent mâle et énergique. Ainsi voyez : en Angleterre, elle se fait Anglo-Saxonne, et attaque, sous le nom de Robin-Hood, les shérifs normands[19] ; en France, elle s’en prend à toute heure aux vices des grands et aux vices du clergé ; en Allemagne, elle s’élance au milieu de la guerre des paysans et soutient les idées de liberté religieuse ; en Hollande, elle est du parti des gueux pour combattre le despotisme de l’Espagne ; en Espagne, c’est elle qui répond aux demandes d’impôts d’Alphonse viii : La liberté ne se vend à aucun prix.


El bien de la libertad
For ningun precio es comprado[20].


En Suisse, c’est elle qui soutient les confédérés contre la domination de l’Autriche et les prétentions hautaines des nobles ; car toute cette poésie, c’est l’image du peuple, c’est le peuple ingénieux et crédule, naïf et subtil, amoureux des idées superstitieuses, et accessible aux idées vraies ; le peuple qui se soumet, tout en rêvant à son affranchissement, le peuple pélerin et guerrier, d’abord serf, puis homme libre, puis homme fort ; d’abord caché derrière la tourelle du château, les murs de l’abbaye, et grandissant en silence jusqu’à ce qu’un jour il se lève et prenne la place de ses anciens comtes au château, de ses anciens prieurs à l’abbaye.

Chaque contrée a sa poésie populaire, expression fidèle du caractère de ses habitans, de leurs mœurs, de leurs préjugés et du degré de culture auquel ils sont parvenus. Elle s’altère plus vite, et s’efface chez les peuples qui ont de fréquentes communications au dehors et qui se modifient par leur contact avec les autres peuples. À mesure que les lumières se répandent à travers la société ; à mesure que d’un idiome, d’abord informe et confus, on voit se dégager les premiers élémens d’une langue plus correcte, la poésie populaire perd une partie de son pouvoir. Avec les progrès de la langue, arrivent les règles grammaticales ; avec la syntaxe, on crée la prosodie. Ce qui n’était primitivement qu’un cri de l’ame, une émanation libre et spontanée de la pensée, devient un sujet d’études, un art établi sur des combinaisons prévues et astreint à des règles précises. Il n’y avait autrefois qu’une seule et unique poésie ; dès ce moment il y en a deux : la poésie du monde lettré, la poésie écrite, que l’on accueille dans les salons, que l’on couronne dans les académies, et la poésie populaire qui devient le partage de la foule ignorante, et qui, à mesure que cette foule s’éclaire, descend de degrés en degrés les échelons de la société jusqu’à ce qu’elle tombe enfin dans l’oubli.

Il existe en Allemagne une légende où se trouve bien exprimé l’état d’abandon de cette poésie, et le respect que le peuple lui conserve encore, tout en la délaissant.

Un joueur de vielle qui a long-temps parcouru le monde et émerveillé les bourgeois de la cité et les paysans du village avec ses contes et ses chansons, se voit un jour tellement abandonné, tellement pauvre, que ne sachant plus à qui avoir recours, il entre, pieds nus, avec ses habits en lambeaux, dans une église pour y chercher un asile. Au fond d’une chapelle, il aperçoit une statue de sainte Cécile habillée magnifiquement, portant une couronne étincelante sur la tête et des souliers d’argent aux pieds. Or, comme sainte Cécile est la patrone des musiciens, le pauvre joueur de vielle ne croit pouvoir mieux faire que de s’adresser à elle. Le voilà donc qui se recueille, rappelle ses chansons les plus belles, et les chante avec ardeur et enthousiasme comme il les chantait dans sa jeunesse au milieu de la foule empressée de l’entendre. Tout à coup la statue de la sainte s’anime, elle s’incline, et prenant un de ses jolis souliers d’argent dont la piété des fidèles lui avait fait hommage, elle le donne à l’artiste. Le bon joueur de vielle le reçoit en remerciant de tout son cœur la généreuse sainte Cécile, et ne perd pas un moment pour aller le vendre à un orfèvre. Mais le soulier est reconnu, et le malheureux vieillard est arrêté, mis en prison, et condamné à mort comme voleur et sacrilége. Au moment où on le conduit au supplice, il demande comme une dernière grace la permission de s’agenouiller encore aux pieds de sainte Cécile. On la lui accorde. Arrivé devant l’autel, il se met à chanter comme la première fois, et il chante de toute son ame, car il y allait de sa vie ; le peuple l’écoute déjà avec attendrissement, et soudain, ô miracle ! la statue de la sainte se meut de nouveau, détache son autre soulier et le donne au condamné. Alors on le délivre de ses fers, et on le ramène dans la ville en triomphe[21].

Je ne sais si je me trompe, mais je trouve dans cette tradition l’allégorie vivante du sentiment de vénération que le peuple conservait encore pour sa vieille poésie. La foule l’abandonne et les saints la protègent ; le monde la condamne et les saints la sauvent. Il y a une touchante idée d’amour et de piété à placer ainsi sous la sauvegarde de la religion les choses qui courraient risque d’être profanées dans ce monde.

Chez les peuples enclos dans leur contrée par la mer, par les montagnes, par le désert, la poésie populaire est toujours plus riche et conserve plus long-temps son type d’originalité[22]. C’est ainsi qu’en France, si nous n’admettons pas comme poésie populaire une partie de nos anciennes romances, de nos fabliaux, je ne sais où nous la trouverons, tandis qu’elle apparaît à chaque pas dans les montagnes de l’Écosse, dans les forêts de la Scandinavie, dans les contrées sauvages habitées par les montagnes.

M. Fauriel nous a révélé dans un ouvrage plein de faits et de détails intéressans les chants héroïques des Klephtes et des Souliotes[23].

Herder dans ses Volkslieder, nous a appris le chant d’amour du Lapon[24] et le chant de mort du Groënland[25], pareil au myriologue de la Grèce.

Un autre écrivain allemand, Rühs, l’auteur de l’Histoire de Suède et de l’Histoire du moyen-âge, parle de la poésie populaire de deux autres contrées, dignes d’entrer en comparaison avec le Groënland.

« Il y a peu de peuples, dit-il, aussi ignorans que les habitans du Kamtschatka. Cependant tous les voyageurs vantent la mélodie et la nature des chants dont ils se servent dans toutes les circonstances, soit pour exprimer leurs passions, soit pour manifester leur joie ou leur tristesse. Ils ont une source inépuisable de sujets poétiques. Chaque rencontre, chaque évènement leur donne occasion de chanter. Il y a dans leur poésie un arrangement technique, mais elle est fort simple, sans rimes, astreinte seulement à certaines répétitions[26]. »

« Un autre peuple du nord, dit le même historien, les habitans de la Finlande, ont une poésie beaucoup plus développée. Éloignés par la nature de leur climat de toute influence étrangère, ils se sont cultivés eux-mêmes, ils ont eux-mêmes formé leur langue qui diffère évidemment de la langue slave et germanique dont elle n’a fait qu’emprunter quelques mots sans prendre leur construction.

« L’une des principales règles de leur poésie est l’allitération[27]. Tous les mots, ou du moins deux mots de chaque vers doivent commencer par la même syllabe ou par la même lettre, comme par exemple dans ces deux vers


Kooka kulki kunigamme
Adolphe Fredrich Armollinem[28].


« Ils ignorent l’usage de la rime. En vain, quelques savans qui avaient voyagé en pays étrangers, voulurent l’introduire parmi eux ; elle n’obtint aucun succès.

« Les paysans de la Finlande composent eux-mêmes leurs chansons ; les femmes s’occupent aussi beaucoup de poésie, surtout dans les provinces les plus éloignées de la mer, par conséquent les moins visitées par les étrangers. Ils n’ont aucune théorie poétique ; l’oreille et le sentiment sont leurs seuls guides. La plupart de ceux qui composent ces chansons ne savent pas écrire ; ils sont obligés de se souvenir de tous leurs vers. Cependant il en est quelques-uns qui ont essayé de se former des signes d’écriture sur le modèle des caractères d’imprimerie.

« Comme tout le monde fait des vers, il n’existe, à vrai dire, aucune classe d’hommes que l’on désigne sous le nom de poètes. S’il arrive pourtant que quelqu’un se distingue entre tous les autres, par ses compositions, on lui donne le titre honorifique de Runonickat (maître de chant).

« L’hiver, quand les habitans des contrées les plus reculées de la Finlande entreprennent leurs longs voyages vers les villes situées sur la côte, ils se réunissent par petites caravanes, et le soir assis autour de l’âtre, tous ceux d’entre eux qui font des vers se choisissent un ami qui les accompagne avec le kandele[29], et chantent l’un après l’autre leurs plus belles chansons.

« Ils attribuent à la poésie un pouvoir magique[30]. Ils ont des chants avec lesquels ils croient pouvoir éteindre le feu, guérir les blessures. Ils en ont contre les maladies, contre les morsures de serpent, contre la colère de leurs ennemis, comme ils en ont aussi pour faire un heureux voyage et obtenir une bonne chasse. »

L’Espagne est le premier peuple qui ait commencé à recueillir ses chants populaires. Son romancero était imprimé dès le xvie siècle[31].

L’Italie n’a point de poésie populaire ; elle s’est élevée trop vite à la poésie artistique. Quand une nation commence par avoir un Dante et un Pétrarque, il ne faut pas penser à la voir redescendre à la forme ignorante du chant populaire. On a cependant publié en Allemagne un recueil de poésies populaires italiennes ; mais il offre bien peu de pièces qui méritent réellement ce titre[32].

En France, il y a eu depuis une vingtaine d’années, un mouvement d’étude admirable dans le domaine de notre ancienne littérature. Rien de spécial n’a été fait pour l’histoire de la poésie populaire. Je ne connais là-dessus que deux ouvrages, et tous deux sont empruntés à une nation étrangère. Ce sont les Chants populaires de la Grèce, de M. Fauriel, et les Ballades anglaises de M. Loève-Veimars[33]. Il y aurait, nous le croyons, de vrais trésors littéraires à puiser dans l’étude de nos divers idiomes de province, et des œuvres naïves qu’ils ont produites. Cette source toute nouvelle de poésie a été indiquée à différentes reprises dans les travaux de la société des antiquaires[34], dans quelques articles de la Revue des Deux Mondes ; mais elle n’a été qu’indiquée. Les Allemands ont voulu être plus savans que nous. Ils nous ont gratifiés de deux recueils de poésies populaires qui sont bien la plus pitoyable chose que je connaisse[35]. Il serait par trop triste de penser que nous n’avons point de meilleure chanson populaire que nos complaintes de village : Malbrough s’en va-t’en guerre ; ou bien : À boire ! à boire ! etc. Herder a traduit et publié, dans ses Volkslieder, deux pièces empruntées à notre littérature, et qu’il donne comme chants populaires. La première est la romance de la comtesse de Linda[36] ; la seconde est cette jolie et gracieuse chanson attribuée à Henri iv :


Viens, aurore, je t’implore,
Je suis gai quand je te vois, etc.


Espérons que pour l’étude de notre littérature, nous ne resterons pas en arrière des étrangers.

L’Angleterre, l’Écosse, c’est là, comme on le sait, le pays des vieilles ballades et des fictions populaires. Nulle part peut-être, si ce n’est en Allemagne, les traditions poétiques anciennes ne se sont conservées aussi longtemps. Il n’y a pas plus de trente ans que Walter Scott se faisait encore redire ces vieilles chansons par la mère de Hoog, le poète, et c’est d’elle qu’il a appris sa belle ballade de lord Thomas et d’Anne la jolie. Aussi les poésies populaires ont-elles donné lieu à d’importans travaux en Angleterre. Le premier de tous est celui de Percy[37]. C’est de tous les ouvrages du même genre celui qui a peut-être le plus contribué à propager au dehors le goût des poésies traditionnelles, en montrant combien de riches documens on pouvait y puiser pour l’histoire de l’art, et pour l’histoire d’une nation. Après sont venus les travaux de Warton[38], Ellis[39], Ritson[40], Ewan[41], Jamieson[42], et Walter Scott clot dignement cette liste d’œuvres érudites avec ses chants du Border[43].

La Hollande est riche aussi en chants populaires, surtout en chants religieux et mystiques et en légendes historiques. Toutes ces anciennes poésies étaient éparses dans divers recueils, connus sous le titre de Blauwboekjies.

M. W. Lejeune en a réuni les plus remarquables, et en a fait un recueil qui mérite d’être étudié[44]. M. H. de Fallers-Leben, l’un des philologues les plus distingués de l’Allemagne actuelle, en a publié un autre recueil, et y a joint des notes intéressantes[45].

Mais aucune nation n’a égalé les Allemands, soit dans l’étude de leur propre poésie populaire, soit dans celle des poésies populaires étrangères. Outre leurs recueils nationaux formés par Büsching, Van der Hagen, Goerres[46], Brentano[47], Erlach[48], ils ont encore cet excellent choix de chants populaires de toute nation, traduits et publiés par Herder, puis les chants populaires de la Russie, par Gœtze ; du Danemarck, par Grimm ; de la Bohême, par Hauker ; de la Suède et de la Hollande, par O.-L.-B. Wolff ; ceux de la France et de l’Italie que nous avons cités, et un recueil de romances espagnoles très estimé[49].

De tous ces chants, il en est peu qui présentent un ensemble aussi régulier, et autant d’intérêt, que les chants suisses, soit sous le rapport de la forme, soit sous le rapport des faits historiques qu’ils retracent.

À voir ce beau pays de la Suisse séparé des contrées qui l’environnent par des montagnes, barricadé par ses forêts et ses rochers, on le dirait bien à l’abri de toute invasion étrangère. À voir toutes ces jolies villes qui se mirent dans les lacs bleus, qui croirait qu’une telle contrée puisse être le théâtre de la guerre ? Si jamais, par un beau jour d’août, vous avez visité Neuchâtel, au milieu de ses sources limpides et de ses coteaux de vigne ; si vous avez, comme Byron, vogué paresseusement avec une voile pareille à une aile insoucieuse (noiseless wing), sur le lac Léman, ou si, vous avançant dans les cantons plus reculés, vous vous êtes mis un matin à contempler les mille reflets de cette écharpe d’or qu’on appelle la cascade du Staubbach ; si vous avez pénétré dans les paisibles et mystérieuses vallées des Grisons, dans les bois de l’Oberhasli, qui de vous n’a rêvé involontairement aux idylles de Gessner ? qui de vous n’a pensé que l’histoire d’une telle contrée devait être bien calme, bien régulière ; et cependant cette histoire est on ne peut plus animée et dramatique. La nature a, il est vrai, mis à chaque pas dans ce pays une enceinte de rochers et de montagnes, comme pour le garantir contre toute agression. Mais au sommet de ces montagnes, sur la cime de ces rochers, jadis les oppresseurs de la Suisse avaient élevé leurs remparts. Chaque vallée avait son maître, chaque ville sa forteresse. Le despotisme se posait là-haut, les armes à la main, et le peuple gémissait à ses pieds. Il lui a fallu des siècles entiers pour renverser ces tours menaçantes qu’il avait lui-même aidé à construire.

La Suisse, restreinte dans ses limites géographiques, n’a jamais pu penser à étendre son influence au dehors, et comme elle ne songeait point à inquiéter ses voisins, elle avait le droit de penser que ses voisins ne l’inquiéteraient pas. Mais elle était placée entre de grands états qui, la voyant faible, trouvaient fort commode de se la partager. Ainsi, son histoire est toute contenue dans ses limites territoriales. Elle ne va pas chercher l’ennemi, elle le repousse. Ses champs de bataille, ce sont ses vallées, ses côteaux, c’est Sempach, c’est Morat ; elle illustre elle-même par son héroïsme le pays qu’elle occupe ; elle ne porte pas la guerre au-delà de ses montagnes, mais cette guerre revient à tout instant la provoquer et lui mettre les armes à la main.

Voici d’abord venir ses princes et abbés qui l’oppriment, ces puissans comtes de Toggenbourg[50], de Kybourg et de Neuchâtel qui l’accablent de corvées et d’impôts. La Suisse est patiente. Elle souffre long-temps ; elle voit s’élever la forteresse de ses maîtres, et elle ne dit rien ; elle passe devant le chapeau insolent de Gessler, et elle s’incline. Quand elle se sent lasse enfin de porter le joug ; quand la mesure de ses maux est comblée, elle hésite encore, elle ne se lève pas en masse. Son pacte de confédération ne s’agrandit que peu à peu. Trois hommes seuls s’en vont au Rutli prêter le serment de liberté, et quand la flèche de Guillaume Tell déchire la poitrine de Gessler, Guillaume Tell est seul entre les rochers. Mais une fois la première étincelle jetée, l’incendie s’allume et court de canton en canton, de village en village. Chacun se souvient des injustices qu’il a subies et des vengeances à exercer. En vain les anciens maîtres de la Suisse se retranchent dans leurs remparts, et rassemblent leurs vassaux ; le peuple ne s’effraie ni des cris de mort lancés contre lui, ni du nombre de ses adversaires. Le beffroi sonne dans la cité, et le village et la chaumière y répondent. Le pâtre quitte ses troupeaux, l’artisan son atelier ; tous se tendent la main ; tous marchent au même but ; le patriotisme leur apprend l’art de la guerre, et l’amour de la liberté en fait des héros. La Suisse a ses Léonidas, ses Cincinnatus. Les armées exercées s’enfuient devant ces soldats d’un jour. L’Autriche elle-même laisse ses drapeaux sur le champ de bataille, et le duc Léopold tombe sous le glaive d’un paysan[51].

C’est là l’un des premiers cycles de la Suisse. Ce cycle se termine par la victoire, par l’adjonction successive des autres cantons aux trois premiers cantons confédérés. Les seigneurs ont renoncé à leurs priviléges. L’Autriche a demandé la paix. L’antique Helvétie va-t-elle être tranquille ? Non, car là-bas au duché de Bourgogne, un homme se lève contre elle, un homme terrible dans sa colère, inébranlable dans sa volonté. C’est le duc Charles que son époque a surnommé le téméraire, et la postérité a confirmé ce nom. Il a juré haine à la Suisse, et dans sa haine, il lui a envoyé pour gouverneur Pierre de Hagenbach. Pierre de Hagenbach est le Gessler bourguignon du xve siècle. La Suisse cherche son Guillaume Tell, et, ne le trouvant pas, elle se fait justice elle-même. Un jour, le peuple envahit le château du gouverneur ; on l’arrête, on le met en prison, on le juge, et il est exécuté à Colmar, sous les yeux de huit mille spectateurs. Le duc rugit comme un lion quand il apprit la mort de son gouverneur. Il envoya d’abord Étienne de Hagenbach avec 15,000 hommes pour prendre possession du pays insurgé, puis il arriva lui-même avec une armée quatre fois plus nombreuse. Toute la confédération courut aux armes, et se jeta au-devant de l’ennemi. Ai-je besoin de raconter les détails de cette guerre ? Qui de nous ne connaît les trois défaites de Charles-le-Téméraire, la sanglante journée de Grandson et l’ossuaire de Morat ?

Après cette lute contre la Bourgogne, vient la guerre de Souabe, moins terrible en apparence, mais plus longue et plus désastreuse. Puis, quand la Suisse se lève victorieuse, quand sa gloire se répand de toutes parts, quand les rois veulent avoir pour garde ses soldats, voici que la réforme arrive et les dissensions religieuses se répandent à travers tout le pays. Le lien de la confédération se dissout. Les cantons prennent les armes, et cette fois ce n’est plus pour marcher de concert au-devant de l’ennemi, c’est pour se battre, frères contre frères, communauté contre communauté. Oh ! c’est une guerre horrible ! une guerre qui ne laisse plus aucun sentiment de pitié dans le cœur, qui dépouille tout à coup les Suisses des nobles vertus dont ils étaient parés autrefois. Quel abîme entre le patriotisme du xive siècle et le fanatisme religieux du xvie, entre l’héroïque Winkelride s’élançant au-devant des piques ennemies pour frayer un passage à ses compagnons d’armes, et Thomas Schmoucker décapitant lui-même de sang-froid son frère Lienhard, comme une victime expiatoire pour les péchés du monde !

La scission religieuse amène une désolation générale dans cette contrée, naguère si unie et si forte, et les prédications, les libelles, les luttes des deux partis, ne font qu’envenimer la plaie. Puis vient la guerre de trente ans, puis le soulèvement du peuple contre les familles puissantes des divers cantons, et quand le premier cri de notre révolution retentit au-delà du Jura, Lausanne, Vaud, Bâle, Fribourg, étaient déjà en insurrection.

Veut-on voir tous ces faits retracés avec enthousiasme, et cependant avec une grande vérité, il faut lire les chants de guerre de la Suisse. C’est là son histoire détaillée et complète, histoire qui suppléerait au besoin à celle de L. Meyer, de Zschokke ou de Jean de Müller…

Ces chants embrassent un espace de plus de quatre siècles, depuis le commencement du xiiie jusqu’à la fin du xviie. Il en existe un très grand nombre, sur chaque circonstance grave, sur chaque bataille[52]. La plupart sont encore inédits. D’autres ont paru dans divers recueils. J. de Müller en cite plusieurs dans son ouvrage, et Diebold Schilling a le premier publié ceux de son contemporain Veit-Weber[53].

Tous ces chants sont écrits dans l’ancien dialecte suisse. Les poètes allemands modernes ont voulu quelquefois les rajeunir, et n’ont fait souvent que les gâter[54]. Le style de ces chants est essentiellement simple, naïf, un peu rude, un vrai style de chronique crédule et conteuse. Ce qui échauffe le cœur de ces anciens poètes, c’est le patriotisme, c’est la liberté ; on voit qu’ils sont tous animés de ce sentiment que leur vieux Boner de Berne a chanté : « La liberté orne la vie ; la liberté nous donne la joie et le courage. Elle ennoblit l’homme et la femme, elle enrichit le pauvre. La liberté est le trésor de l’honneur, c’est elle qui couronne la parole et l’action. »

Tous ces hommes chantent pour célébrer les combats qu’ils ont soutenus, et la victoire qu’ils ont remportée. Leur but n’est point de faire de beaux vers bien harmonieux, mais de raconter dans tous ses détails l’histoire d’une guerre, et de citer les noms de ceux qui se sont distingués. Aussi ne cherchez pas dans leurs œuvres ce travail d’esprit qui brille ailleurs dans la poésie artistique, ou ces effets puissans d’imagination qui abondent dans les chants du nord, dans les légendes d’Allemagne, et le Kampeviser danois. Ce sont des pâtres, des paysans qui ont quitté le soc de la charrue pour prendre la lance et l’épée, et qui se reposent de leurs fatigues de guerre, en racontant ce qu’ils ont vu. Les métaphores poétiques, les images sont rares dans leurs chants. Tout ce qu’ils osent se permettre, c’est de faire du duc Léopold un lion ; de Berne, un ours indompté[55] et de représenter la Suisse sous la figure d’un taureau intrépide. Ils appellent Hagenbach, leur ennemi, un sanglier, et s’écrient qu’ils ne veulent pas lui obéir comme des animaux apprivoisés. Vous ne trouveriez, du reste, dans leurs chants ni trace d’érudition, ni souvenir mythologique. Ils ont la foi du christianisme, et ils invoquent Dieu et la Vierge Marie.

Je ne connais rien qui ressemble mieux au romancero espagnol pour la simplicité du récit et les détails de faits et de dates. Quelquefois le poète commence ainsi que nos anciens trouvères[56] par une allocution aux auditeurs ou une invocation à Dieu :

« Écoutez la nouvelle que je viens vous apprendre. »

« Écoutez l’histoire terrible que l’on raconte dans le pays. »

« Je veux vous chanter une chanson, une chanson toute nouvelle. »

« Au nom de Dieu, ainsi soit-il, au nom de Marie, je commence mon chant. »

« Je vais vous conter tout ce que j’ai appris de plus curieux. Je chante avec joie, et je prie la Vierge Marie et son fils de venir à mon secours. »

« Au nom de Dieu, je vais vous dire un chant tout nouveau ; au nom de la passion du Christ qui nous a rachetés du péché, puisse le Seigneur nous protéger[57] ! »

Puis le poète entonne son chant de bataille, et, comme les auteurs du romancero[58], il n’oublie pas d’indiquer la date précise :

« C’était en l’an 1386 que la grace de Dieu se manifesta à nous d’une manière miraculeuse. Le jour de fête de saint Cyrille, il protégea les confédérés, comme je vais vous le dire et vous le chanter[59]. »

Il raconte ensuite comment les armées arrivent en présence l’une de l’autre, comment l’action s’engage, et quand la victoire est décidée, il compte les morts et les mourans, tous les objets perdus par l’ennemi, comme par exemple dans ce chant de la bataille de Grandson :

« Les confédérés trouvèrent beaucoup d’or et beaucoup d’argent. Ils trouvèrent un fauteuil tout en or, et ce qui les réjouit surtout, ce fut de découvrir quatre cents bonnes carabines et des chaînes en fer.

« Le duc perdit aussi son sceau. On trouva une étoffe en soie avec des couronnes de perles ; on trouva dans le sang une chasuble, une mitre d’évêque avec des ostensoirs en or. Et son épée en or, garnie de diamans, il la perdit aussi. Jamais, depuis que la Bourgogne guerroye, elle ne subit un affront plus amer. »

Dans le chant de la bataille de Morat, le poète raconte avec une joie cruelle le désastre des ennemis.

« La bataille s’étendit à deux milles à la ronde ; à deux milles à la ronde, la puissance du duc fut vaincue et anéantie, et la mort de nos frères d’armes massacrés à Grandson fut vengée avec du sang à deux milles à la ronde.

« Combien d’ennemis tua-t-on ? On ne sait pas au juste. Moi j’ai entendu dire que de soixante mille il en fut tué ou noyé vingt-six mille.

« Et croyez-moi sur ma parole. Nos confédérés ne perdirent pas plus de vingt hommes, ce qui montre bien que Dieu protége jour et nuit les hommes hardis et pieux[60]. »

Quelquefois le poète se complaît dans l’énumération des troupes confédérées, et l’on dirait d’une page d’épopée antique transportée dans un chant suisse :

« Alors on vit venir les hommes pleins de force de Fribourg ; chacun se plaisait à les voir si bien armés ; car c’était une troupe brillante, et partout où ils passaient, le peuple voulait les observer.

« Alors Willingue la vieille, portant ses couleurs bleue et blanche, et Waldshut avec ses hommes noirs. Puis vint aussi Lindau avec ses couleurs verte et grise ; et Bâle avec maint guerrier intrépide.

« Là, se trouvaient aussi les Souabes et beaucoup d’autres villes, telles que Meinssett et Rotwill qui s’étaient parées. Quand on jetait les yeux vers Schaffouse, on apercevait aussitôt Constance et Ravensburg.

« Puis Zurich apparaît, et Schwytz, Berne, Soleure, Francsfeld, et tous ceux de Glaris, de Lucerne. Maint village, mainte ville voit passer les confédérés et ne se lasse pas de les voir[61]. »

Tous ces chants suisses ne portent pas cependant le même caractère. En les examinant l’un après l’autre, on y reconnaît facilement l’empreinte d’un esprit national qui se modifie d’après les évènemens, et l’on pourrait diviser toute cette poésie populaire des états confédérés en trois époques assez distinctes. La première embrasse leurs guerres contre l’Autriche. C’est un temps de luttes patriotiques, d’efforts généreux, le temps de Stauffacher, de Walther Furst et d’Arnold de Melchtal, l’âge d’or des mœurs helvétiques. Le 1er janvier de 1508 vit poindre l’aurore de leur liberté, et la bataille de Morgarten leur donna les premières espérances d’avenir[62].

La Suisse alors commence seulement à essayer ses forces. Elle est pleine de courage, et cependant elle doute encore d’elle-même. Elle se couvre de gloire, et cette gloire ne l’enorgueillit pas. Elle n’ose encore se croire assez puissante pour s’affranchir, elle se recommande à Dieu et fait bénir ses étendards dans les églises. Toutes les poésies populaires de cette époque sont empreintes de ce sentiment de courage civique et d’humilité chrétienne. Quand Léopold vint attaquer les Suisses à Sempach, ils étaient au nombre de 1500 campés au-dessus de la colline. C’était le temps de la moisson, ils se jetèrent à genoux au milieu des blés comme les Vendéens de 1795 ; ils invoquèrent le secours du ciel, puis ils se relevèrent avec une mâle résolution, et marchèrent au-devant de l’ennemi. Le chant populaire de cette bataille a fidèlement conservé ce fait :

« Les Suisses religieux tombent à genoux, et prient le ciel à haute voix : « Ô Jésus-Christ, Dieu puissant, au nom de ta mort et passion, donne-nous ton appui à nous pauvres pécheurs. Délivre-nous de l’angoisse et du danger. Dieu bon, protége ce pays et ceux qui l’habitent. Soutiens-le, conserve-lui la liberté[63]. »

Plus tard, la Suisse connaît sa force et la faiblesse de ses ennemis. Elle se pare de ses trophées de victoire, et devient fière et dédaigneuse. Dans la guerre de Bourgogne, les soldats ne se jettent plus à genoux pour implorer humblement le secours du ciel. Ils ont confiance en eux-mêmes, et leurs chants populaires mêlent au récit pompeux de leurs succès l’ironie amère contre leurs ennemis vaincus : « Ah ! s’écrie-t-il, les pauvres Bourguignons ! Les voilà qui, pour se sauver, grimpent sur les arbres, pareils à des oiseaux privés de nourriture. Mais on les tue comme des corbeaux. On leur donne des coups de lance, et ils tombent par terre ; car leurs ailes ne peuvent se mouvoir, et le vent ne les aide pas[64]. »

Quand la tête de Pierre de Hagenbach tomba sous la hache du bourreau, une jeune fille se mit à chanter auprès du cadavre la chanson que son amant lui avait apprise, et les enfans s’en allaient dans les rues, parodiant ainsi le vieil hymne pascal de l’Allemagne[65].

« Le Christ est ressuscité. Le gouverneur est pris. Réjouissons-nous tous. Sigismont sera notre consolateur. Kyrie Eleison. »

Dans la guerre de Souabe, cette poésie populaire de la Suisse subit encore une nouvelle transformation. Elle s’asseoit au bivouac, elle se mêle à l’orgie du cabaret ; elle devient insolente et grossière. Ce ne sont plus les chants simples et chastes de Sempach, c’est le chant effronté du lansquenet. Après cela vient le pamphlet politique et religieux du xvie siècle ; pamphlet ardent et plein de colère qui, de son souffle envenimé, flétrit le rhythme et le vers et les images qu’il emploie. Puis, la poésie populaire s’en va, peu à peu, avec les années qui se succèdent et les changemens qu’elles amènent dans la société. Le peuple devient positif et raisonneur. Il ne croit plus, il discute. Parlez-lui des merveilleuses fictions du temps passé, il secoue la tête d’un air incrédule. La poésie l’a entouré de prestiges dans son enfance. Devenu vieux, il la dédaigne. Les rêves d’or de l’imagination sont morts dans son ame. Les rêves matériels les remplacent. L’histoire de ses pères ne lui apparaît plus que comme une lueur effacée dans un vague lointain, et leurs chants héroïques s’éteignent au milieu du bruit de l’atelier, ou des discussions politiques.

La plupart des poètes qui ont légué à la Suisse tant de chants traditionnels sont restés complètement inconnus. Ils ne faisaient point de leur œuvre un objet de vanité littéraire. C’était assez pour eux de chanter les hauts faits de leurs concitoyens, et le triomphe de leur patrie[66]. Quelques-uns cependant ont mis leur nom au bas de leur poème comme nos romanciers du moyen-âge le mettaient au bas de leur livre[67]. »

« Celui qui vous chante cette chanson peut maintenant se nommer. Il a été lui-même témoin de ce qu’il raconte. Il s’appelle Jean Ower, et dans le pays de Lucerne, il s’écrie avec force : Ô Dieu, préserve la confédération de toute injure et de toute honte[68]. »

« Cette chanson, confédérés, Jean Viol la chante librement à votre honneur, à votre gloire, afin que vos louanges soient connues partout où l’on s’occupe de vous[69]. »

« Celui qui nous a chanté cette nouvelle chanson s’appelle Jean Wick. Il est né à Lucerne, et bien connu à Uri. Il était à la bataille vers ce bon temps de mai qui nous donne tant de joie[70]. »

D’autres fois le poète termine par en appeler à la générosité de ses auditeurs, ce qui prouve que ces chansons devaient se chanter au milieu de la foule, sur les places publiques.

« Celui qui nous chante cette petite chanson a fait maint long détour. Le bon vin est cher, et sa poche est en mauvais état. Voilà pourquoi il vous dit sa misère, et vous prie de lui accorder votre tribut[71]. »

Mais celui de tous ces poètes qui mérite le plus d’être cité, celui qui les surpasse tous par la chaleur de la pensée, comme par l’énergie de l’expression, c’est Veit-Weber. Son style est âpre et rude ; sa lyre n’a que des cordes d’acier, mais des cordes fortement tendues. Ni l’amour, ni les idées tendres et rêveuses ne l’ébranlent. C’est une main gantelée de fer qui la fait vibrer. Veit-Weber, c’est le Suisse des anciens temps, le montagnard qui se fait soldat, pour défendre son pays, le soldat qui se fait poète pour chanter le chant des combats. Veit-Weber, c’est le Taillefer de la Suisse[72]. Comme lui, il marche le glaive à la main, en tête de ses concitoyens ; comme lui, il célèbre les jours de bataille, et les héros morts pour leur pays.

Nous ne connaissons de lui que cinq chants de guerre ; il est probable cependant qu’il en a écrit d’autres encore. Mais ces cinq chants reposent sur les évènemens les plus mémorables de la guerre de Bourgogne. Ils forment à eux seuls une Iliade complète. Ils commencent à la mort de Hagenbach et finissent à la bataille de Morat, le plus beau triomphe de la Suisse. Un an après, la puissance de Charles-le-Téméraire allait s’anéantir devant Nancy. Le prince de Flandre et de Bourgogne, frappé d’un coup d’arquebuse, rendait le dernier soupir dans un marais[73].

Nous ne savons rien de la vie de Veit-Weber, sinon qu’il était de Fribourg en Brisgau comme il le dit lui-même dans un de ses chants, et qu’il vivait à l’époque où la Suisse livrait toutes ces grandes batailles. Il devait avoir fait quelques études poétiques, car ses vers, avec toute leur naïveté et leur rudesse d’expression, ne manquent pas cependant d’une certaine harmonie[74]. Il y a même parfois de l’art dans la manière dont il dépeint l’air martial de ses concitoyens, et le mouvement des armées ennemies qui s’avancent l’une contre l’autre. Mais ce qui lui donne toute son inspiration, toute sa poésie, c’est le cri de guerre, c’est l’aspect du champ de bataille. Avec quelle ardeur il entraîne les Suisses au combat ! avec quel noble sentiment d’orgueil il loue tour à tour, et la force de Fribourg, et la fermeté de Soleure, et l’ours indomptable de Berne. Il a peur que ses concitoyens ne se divisent, car il sait que l’ennemi profiterait de leur discorde. Quand il leur a montré le danger qui les menace, il les appelle à se réunir, il invoque à leur secours et le Christ et la Vierge Marie, et les patrons de chaque cité suisse. Puis, quand il a lui-même combattu dans leurs rangs, quand la lutte est finie et la victoire gagnée, le voilà qui entonne l’hymne de triomphe. Son œil s’enflamme, son cœur bondit. Il regarde avec une impitoyable dureté les eaux du lac rougies du sang de ses ennemis, et chante d’une voix qui nous ébranle la déroute des Bourguignons et le succès de l’Helvétie.

Tous ces chants sont assez longs, et ressemblent plus, par le mouvement du récit à un fragment de poème épique qu’à une ode. On voit que le poète ne les a pas pris comme un thème qu’il est pressé d’achever. Il se complaît dans le tableau des évolutions militaires, dans le détail des faits. Le chant d’Héricourt n’a pas moins de vingt-neuf strophes de six vers chacune ; celui de Morat en a trente-deux, et le plus long de tous est celui de Pontarlier. C’est aussi celui de tous qui me semble le mieux empreint des diverses nuances poétiques qui caractérisent l’œuvre de Veit-Weber. Si je ne crois pas devoir le citer en entier, j’en citerai du moins la plus grande partie.

L’EXPÉDITION DE PONTARLIER[75]

L’hiver a duré bien long-temps. Il a attristé les petits oiseaux qui chantent maintenant avec joie, et dont on entend le chant résonner à travers les rameaux verts de la forêt.

À peine la branche d’arbre s’est-elle couverte de quelques feuilles, que l’on attendait si impatiemment ; à peine la haie a-t-elle reverdi, soudain maint homme brave est sorti de sa demeure.

Les uns montaient ; les autres descendaient. Leur marche guerrière était terrible à voir, et l’on a fait au duc de Bourgogne un affront dont il n’a pas dû rire.

On est entré dans son duché, dans la ville de Pontarlier. Là, le combat a commencé, et l’on a vu bien des pauvres femmes prendre tout à coup l’habit de deuil, l’habit de veuve.

Dès que les Welsches[76] apprennent cette nouvelle, ils arrivent à pied et à cheval, au nombre de douze mille. Ils voulaient reconquérir la ville, mais il leur en coûta cher.

Les confédérés les attaquent, les pressent, les font tomber sous leurs coups, et leur enlèvent sur les murailles de la cité deux grandes bannières.

L’ours de Berne apprend ce qui se passe ; soudain il fait aiguiser ses griffes, il prend avec lui quatre mille hommes, et on les entend joyeusement siffler.

La nouvelle troupe arrive à Pontarlier sur la place pour braver les Welsches qui étaient plus de douze mille, et quand les Welsches aperçoivent l’ours, la peur les saisit.

Ils le voient s’avancer contre eux, ils étaient en grand nombre, et croyaient pouvoir lui résister ; mais l’ours les salue avec ses arquebuses chargées de pierres, et ils s’enfuient au loin.

Les Welsches le virent revenir une seconde fois. Les confédérés se rangèrent en bon ordre, à la voix de leurs chefs.

L’ours était en colère, les Welsches voulurent combattre ; mais quoiqu’ils se trouvassent quatre contre un, ils furent obligés de fuir.

L’ours continuait à rugir, et tous les confédérés disaient : Que les Welsches arrivent, nous nous battrons avec eux tout le jour !

Voilà pourquoi je loue les gens de Berne, de Fribourg, de Bienne, de Soleure, et des autres villes de la confédération, car ils ont valeureusement combattu.

Les hommes de Lucerne cependant ne veulent pas rester en arrière. Quoiqu’on leur eût écrit de ne pas venir, ils refusent de rester chez eux et se joignent aux soldats de Berne.

Quand ceux de Bâle apprennent que l’ours est sorti de sa tanière, ils lui envoient des renforts, des hommes à pied et à cheval avec de bonnes armes.

Les nouveaux venus se réunissent aux troupes de Berne et partent ensemble pour Grandson. Alors on entend jour et nuit retentir les coups d’arquebuse jusqu’à ce que Grandson soit gagné.

Un dimanche matin, les confédérés se précipitent joyeusement à l’assaut, ils s’emparent des portes, et deviennent maîtres de la ville, sans éprouver aucun échec.

...........................

Ils mettent une garnison sûre dans le château et se dirigent avec une nouvelle ardeur du côté de Berne. Il y avait là aussi un très bon château bien fortifié.

Ils s’élancent sur les remparts, sans s’inquiéter des pierres qu’on leur jette ni des coups d’arquebuse. Ils parviennent à faire une brèche dans la muraille, et plus d’un homme brave entre par là sans crainte d’y laisser sa vie.

Les Bernois s’avancent les premiers, et puis viennent ceux de Bâle ; ils arrivent, et bientôt on voit au-dessus de la forteresse flotter l’étendard bleu et blanc de Lucerne.

Berne y place ensuite le sien, et celui de Bâle ne se fait pas attendre. Toutes les villes agirent de leur mieux, je dois leur donner cette louange.

Quand les Welsches, qui étaient au château, virent qu’ils étaient pris, ils jetèrent les armes bas, et demandèrent grace au nom de Dieu et de la Vierge.

S’ils se fussent rendus plus tôt, on leur eût accordé la vie. Mais on repousse leur prière, et ils prennent la résolution de se défendre.

Ils se retranchent dans une tour où il est très difficile d’arriver. Ils sont en grand nombre, et combattent long-temps ; mais aucun d’eux ne peut s’échapper.

Cependant on pénètre dans la tour, et jamais homme ne se trouva dans une pareille angoisse. On les jette morts ou vivans par-dessus les remparts.

Plus de cent hommes y laissent leur vie, je ne veux pas mentir, et les Suisses leur apprennent à voler sans ailes au-delà des murailles.

Ceux qui occupent le château d’Echallens apprennent qu’ils seront bientôt assiégés. Ils envoient dire aux soldats de Berne qu’ils se rendront volontiers.

Reste encore un château fort, le château fort de Jougne. Les confédérés arrivent dans la ville et parviennent de suite au-dessus des remparts, car tous les Welsches étaient partis pour retourner dans leur contrée.

Jougne est une bonne forteresse ; entre les cinq que nous avons nommées, c’est la meilleure. Elle sert de sauvegarde au pays de Savoie. Les Bernois y entrent et en prennent possession.

Sans le secours de Dieu, comment eussent-ils pu prendre en aussi peu de jours tant de villes et tant de châteaux ? Mais remercions aussi les gens de Berne et les braves soldats des autres villes.

L’ours était sorti de sa caverne. Après avoir remporté une telle victoire, il y rentre de nouveau. Que Dieu lui donne joie et bonheur. Voilà ce qu’a chanté Veit-Weber. Amen.


Tel est ce chant guerrier que les paysans suisses entendaient autrefois chanter avec enthousiasme. Je ne prétends certes pas le donner comme un modèle de goût, mais comme un monument traditionnel de poésie naïve et spontanée. Je n’ai pas prétendu non plus développer dans un espace aussi restreint toutes les richesses du chant populaire ; je n’ai fait que rappeler ces sources d’eaux limpides, ces sources oubliées, où l’arbre de l’art et de la science actuels a jeté ses premières racines, où nous pourrions aller peut-être retremper avec fruit notre cœur et notre imagination.


X. Marmier.
  1. Essais de Montaigne, liv. i, chap. 54.
  2. Volkslieder. Introduction.
  3. Le Spectateur, no  70.
  4. M. J.-J. Ampère.
  5. Histoire de Suède, par Geiier.
  6. Germani celebrant carminibus antiquis (quod unum apud illos memoriae genus est) Tuistonem, etc.
  7. Je crois pouvoir compter une partie des œuvres des troubadours et des minnesinger comme populaires ; quoique leurs vers accusent une certaine étude d’art, et quelque travail de style, ils sont encore tout populaires par la forme, par le sujet, par la naïveté d’expression. Souvent aussi ils sont astreints à une forme bien plus négligée qu’on ne le pense. C’est ainsi, par exemple, qu’en Espagne le trobador ne s’occupait ni de la rime ni des syllabes longues ou brèves. Il lui suffisait de former des lignes de six, sept ou huit syllabes. Si, par hasard, la rime se trouvait au bout, tant mieux ; sinon, il ne s’en inquiétait guère. Ces vers, ainsi appondus l’un après l’autre, il cherchait à en former des strophes, et si leur phrase n’était pas close à la fin d’une strophe, ils la continuaient tranquillement, en sorte, dit Encina, que tout l’art du troubadour consistait à savoir faire les pieds des vers, pour mesurer ensuite et former les strophes. G. B. Depping. Sammlung der besten alt. span. Romanzen. Introd. p. xiii.

    Warton dit que les poètes provençaux écrivaient dans une langue également intelligible aux savans et au peuple. (They introduced a love of reading and diffused a general and popular taste for poetry, by writing in a langage intelligible to the ladies and the people). The H. of english poetry, tom. i, pag. 151.

    Herder prétend que les minnesinger peuvent être regardés comme poètes populaires. Volkslieder, 2 vol. Introd. p. 19.

    Rosenkranz et Wendt disent que notre poésie a commencé par être populaire. Voy. Handhuch einer allg. Gesch. der Poesie, par Rosenkranz, tom. iii, p. 1. Ueber die Hauptperioden der schoenen kunste, par Amédée Wendt, p. 158.

  8. Le lai a parcouru toute l’Europe. Du moins ce nom se retrouve dans la plupart des états du nord et du midi : en allemand, lied ; en islandais, liod ; en anglo-saxon ; leod ; en irlandais, lai ; en dialecte suisse, liedli, et dans le latin barbare des premiers siècles du moyen-âge on le désignait sous le nom de leudus. La chronique de Limbourg rapporte qu’au xive siècle la société des flagellans allemands chantaient en faisant leurs pénitences publiques des chants appelés layse
  9. Ballades de Percy, tom. ii, p. 143. C’est sur la tombe de cette belle Rosamonde, maîtresse de Henri ii, qu’on écrivit ces vers :

    Hic jacet in tumba, Rosa mundi, non Rosa munda ;
    Non redolet, sed olet, quæ redolere solet.

  10. Légende morlaque, l’une des plus belles qui existent. Elle a été traduite plusieurs fois en français
  11. Die Volkslieder der Deutschen, tom. ii, p. 562.
  12. Nederlandsche Volkszangen de Lejeune, p. 147. Cette légende mystique se retrouve aussi en Allemagne, en Suède, en Danemark.
  13. Herder. Volkslieder.
  14. Ballades de Percy, tom. iii, p. 2.
  15. Ballades de Percy, tom. ii, p. 295.
  16. Green wood est le mot qui revient à tout instant dans ces ballades.
  17. C’est une chose que l’on rencontre fréquemment dans les poésies populaires du nord, que ces vers à énigmes. Ils étaient déjà en usage en Allemagne dès le xiiie siècle : on trouve plusieurs pièces de ce genre dans le Combat de la Wartburg. Il existe aussi quelques chants populaires, où un chevalier propose des énigmes à une jeune fille ; elle les résout, et il l’épouse. Il est évident que ce genre de poésie, ainsi qu’un grand nombre de légendes du moyen-âge, est fondé sur une tradition antique, la tradition du sphinx.
  18. Au temps de la réformation, la poésie populaire renferma souvent la polémique des divers partis.
  19. Dissertation sur le cycle populaire de Robin-Hood, par Edw. Barry. Paris, 1832.
  20. Romance d’Alphonse viii. Depping, p. 193.
  21. Volkslieder d’Erlach, tom. ii, pag. 375.
  22. Depping. Recueil de romances espagnoles. Introduction.
  23. Chants populaires de la Grèce moderne, 2 vol. in-8o.
  24. Volkslieder de Herder, tom. i, p. 264.
  25. Id., tom. ii, p. 528.
  26. Edda, p. 61.
  27. L’allitération se trouve encore au xvie siècle dans quelques ballades anglaises, notamment dans celles de Little John Nobody. Percy, tom. ii, p. 124.
  28. Alors voyageait notre roi Clément Adolphe Frédéric.
  29. Le kandele est un instrument à cordes en forme de violon, inventé par Waïnamoïnem, dieu suprême de la Finlande. Quand le dieu apporta cet instrument sur terre, dit la tradition, aucun mortel ne savait l’art de s’en servir. Lui le prit, et au moment où il en fit vibrer les cordes, les animaux de la terre, des eaux et des airs, s’approchèrent pour l’écouter, et lui-même se sentit tellement attendri, qu’il pleura, et ses larmes tombèrent comme des perles le long de sa robe. (Geschichte des Heidenthums in nordlichen Europa, von F.-J. Mone, tom. i, p. 54.)
  30. La même croyance se retrouve dans l’Edda. Snorro dit qu’Odin enseigna le chant et la magie aux Ases par les Runes et par ses poésies. Avec ces chants, il pouvait changer le vent, éteindre les flammes, apaiser l’orage, et se transporter dans les contrées lointaines.
  31. Le premier recueil de romances espagnoles est celui de Ferdinand de Castille. Il fut publié en 1510. Le Cancionero de Romances parut à Anvers en 1555 ; le Romancero historiado de L. Rodriguez en 1579.
  32. Egeria raccolta di poesie italiane populari, par G. Müller et O.-L.-B. Wolff.
  33. Ballades anglaises et écossaises, par M. Loève-Veimars, Paris, Raynouard, 1824.
  34. Mélanges sur les langues, dialectes et patois. Paris, 1831.
  35. L’un est de M. Büsching, l’autre de M. O.-L.-B. Wolff.
  36. Recueil de romances, 1767.
  37. Reliques of ancient english poetry, 2 vol. in-8o.
  38. The history of english poetry, 4 vol.
  39. Specimens of early english metrical romances, 3 vol.
  40. Ancient english metrical romances.
  41. Old Ballads, 1 vol.
  42. Popular songs.
  43. Border’s Minstrelsy.
  44. Proeven van de nederlandsche Volkszangen sedert de xve eeuw, 1 vol.
  45. Hora belgicae. Pars secunda, 1 vol.
  46. Altdeutsche Volks und meister Lieder, 1 vol.
  47. Des Knaben Wunderhorn, 3 vol.
  48. Die Volklieder der Deutschen, par le baron d’Erlach, 4 vol. Le quatrième n’a pas encore paru.
  49. Florestas de rimas antiguas de M. Bohl de Fabre, 3 vol. On peut joindre aussi à cette énumération le recueil de M. Depping, que nous avons déjà cité, publié à Leipzig, en 1817 ; celui de M. Grimm : Silva de romances viejos, et les chants de l’Edda : Lieder der alter Edda, 1 vol.
  50. C’est un de ces comtes de Toggenburg qui, trouvant un jour l’anneau de sa femme au doigt d’un de ses serviteurs, fit écarteler ce malheureux, et jeta la comtesse par la fenêtre, sans autre forme de procès. L’anneau avait été pris par un corbeau, et retrouvé par le domestique, qui se disposait à le rendre, quand le farouche comte lui fit si lestement son procès.
  51. Bataille de Sempach, 1386.
  52. M. Wyss, professeur à Berne ; auteur d’un recueil de légendes suisses très estimé, avait rassemblé ces chants populaires, et en avait déjà formé un manuscrit de quatre volumes in-folio. La mort est venue le surprendre avant que sa collection fût complètement achevée.
  53. Description des guerres avec la Bourgogne, et d’autres évènemens remarquables de la Suisse. Berne, 1743 ; in-folio.
  54. J’en excepterai M. E. Rochholz, qui vient de publier à Berne, sous le titre de Eidgenossische Lieder-Chronik, un recueil de chants populaires suisses. Il a, il est vrai, rajeuni et quelquefois abrégé ces anciens poèmes, mais toujours avec beaucoup de goût. Ce recueil est d’ailleurs très recommandable par les notes historiques et bibliographiques qui y sont jointes.
  55. La première métaphore provient sans doute de ce que Léopold portait l’ordre du Lion ; la seconde est empruntée aux armes de Berne.
  56. De la Rue, Essais historiques sur les Bardes, les Jongleurs, les Trouvères, tom. i.
  57. Débuts de diverses chansons des xiiie, xive, xve siècles.
  58. Andados treinta y seis annos,
    Del Rey don Alfonso et casto ;
    En la era de acho cientos
    Y cincuenta y tres hentrado.

    Depping, p. 21.
  59. Chant de Sempach.
  60. Chant de Morat, par Veit-Weber.
  61. Chant de la bataille d’Héricourt, par Weit-Weber, 1474.
  62. En allemand morgenstern (étoile du matin).
  63. Ce chant de Sempach a été traduit en anglais par Walter Scott, qui l’admirait beaucoup. On le trouve dans le recueil de ses œuvres poétiques. Il commence ainsi :

    ’Twas when among our linden trees, etc.

    L’auteur de ce chant de guerre était un cordonnier de Lucerne, nommé Albert Tschudi.

  64. Chant de bataille de Morat, 1476.
  65. C’est cet hymne que Goëthe a reproduit avec tant de bonheur dans Faust :

    Christ ist erstanden !
    Freude dem sterblichen.

  66. C’est une des particularités de tous les ouvrages de poésie vraiment populaires que les auteurs en restent d’ordinaire inconnus, ne se nommant presque jamais eux-mêmes, ou parfois mentant exprès pour se déguiser. Fauriel, Chants de la Grèce. Disc. prél. p. lxxxviii.
  67. Benoist de Saint-More.
    L’a translaté, et faict et dit,
    Et a sa main les mots écrit.

    (Romance de Troye.)
  68. Bataille de Ragaz, 1446.
  69. Bataille de Morat, 1476.
  70. Bataille de Schwaderloch, 1499.
  71. Bataille de Grandson, 1476.
  72. Taillefer qui, mult bien chantout,
    Sor un cheval qui tost alout,
    Devant le duc alout chantant

    De Karlemagne et de Rollant,
    Et d’Olivier et des vassaux
    Qui morurent à Roncevaux.

  73. Comines rapporte cet évènement à l’année 1476. Le témoignage des poètes populaires suisses qui se trouvaient à la bataille de Nancy, et qui la fixent au 5 janvier 1477, me paraît être, en ce cas, plus digne de foi que le sien.
  74. Bouterwek pense que Veit-Weber avait profité des leçons de quelque maître-chanteur (meister sanger). Ce qui semblerait le prouver, c’est une de ses odes en strophes de quatorze vers, d’une forme analogue à celle de l’école de Nuremberg. (Geschichte der Poesie und Beredsamkeit, tom. ix, p. 306.)
  75. Die sache wegen Pontarlin.
  76. Les mots Wall, Wallh, Walscher, qui se retrouvent fréquemment dans les anciennes poésies allemandes, désignent un étranger qui parle une langue inconnue. C’est ainsi que, dans la chronique de Gest. Franc., le mot peregrinus est rendu par wallus.