Chants de l’Atlantique suivis de Le ciel des Antilles/02/02

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II

FANTAISIES


I

AU COQUILLAGE


Svelte coquillage
Qu’ont bercé les mers
Aux abîmes verts.

Rose coquillage
Qui sur une plage
Des flots fut battu.

Que par ta vertu,
Monte à mon oreille
Ta chanson vermeille :


Je croirai revoir
La rougeur du soir
Aux Antilles vertes,

Leurs rades désertes
Où parfois le flot
Imite un sanglot,

Car, dans ta spirale,
C’est des mers le râle
Et le bruit du vent.

Grâce à toi, souvent,
J’entends la sirène
D’une île lointaine.


II

LES LANTERNES


Ah ! la jolie lanterne
Bâtie comme un château
(Chanson créole.)


L’anoli vert rechante aux arbres bleus
La douceur des Antilles…
Nos filles n’ont plus de mantilles
Mais des talons affreux.

Où sont les nuits des contes bleus
Et les douces lanternes
Dont nous aimions, par les soirs ternes,
Les tristes petits feux ?


III

« CHANDELLE MOURIE »


Charmante boutique anodine,
Petite attrapeuse de sons,
Où je vends l’ail et le saindoux,
Poivre, sel et fil en bobine.

Si nous aimions moins la chopine,
— Moi, dame Jeanne et mon époux, —
— Nous aurions un jour, aux Deux-Choux,
Une ferme où croît l’aubergine…

Mais nous avons bu tout l’argent
Que nous a laissé « Tonton Jean »,
Et la faillite est à la porte !

Il faudra jusqu’en mes vieux jours,
Vendre acras et topinambours.
Boutique ta chandelle est morte !


IV

CHANSON DE LISE

la martiniquaise


Lise, pourquoi ne plus danser
Et rire au gré de tes compagnes ?
— « Ma robe noire aime à passer
Dans les sentiers froids des montagnes. »

— Pourquoi ne vas-tu plus cueillir
Au jardin, les roses nouvelles ?
— « Pour moi, les fleurs du souvenir
Valent mieux que les fleurs réelles. »

Je vois soudain au firmament
De tes yeux une peine immense !

— « J’avais un fiancé charmant,
Il est mort en servant la France. »


V

COMPLAINTE


Petit Antoine du Préz
De la Rufinière,
Que l’ombre du noir cyprès
Sur vous soit légère !

Votre aïeule s’appelait
Madame de Luynes ;
Elle eut pour le gringalet
Des mains bien câlines.

J’habitais au bord des bois,
Aux jours des vacances ;
Et vos lettres quelquefois
Charmaient mes silences.

Vous étiez mon confident,
Grâce à vos missives,
Mon cœur était plus ardent
Par les nuits pensives.


Ô premières passions !
Cloches des dimanches,
Quand sortaient des pensions
Les ceintures blanches !…

Je vous revis à Paris.
Vous étiez malade…
Un soir la mort vous a pris,
Mon bon camarade !

Avant de fermer les yeux,
Vous eûtes encore
Un long regard vers les cieux,
Que le soleil dore.

Dans un cimetière noir,
Sous les cyprès mornes,
Vous dormez, quand l’air du soir
Chante sur nos mornes.

Petit Antoine du Préz
De la Rufinière,
Que l’ombre du noir cyprès
Sur vous soit légère !


VI

LA CHANSON DES SOUVENIRS


Pécoul, Périnelle et La Rochetière !
Que de beaux endroits et que de beaux noms !
Que de souvenirs ! Enfance légère
Sous les frais matins et les soirs profonds.

Route que bordaient de souples lianes,
Belle allée en fleurs, chemin des Trois-Ponts,
Où l’on respirait l’odeur des savanes,
L’odeur du « Parnasse » et l’odeur des monts.

On disait sur vous de belles légendes,
Noir château hanté, propice au sabat,
Quand nous en serons au temps des amandes,
Je vous relirai, vieux Père Labat.

Belle sucrerie aux molles fumées
Pour qui la rivière avait des chansons,
Nous avons cueilli vos fleurs embaumées
Où luisaient la guêpe et les charançons.


Vous avez dormi sous la même cendre,
Lorsque le Volcan était en courroux,
Ah ! reviendront-ils les mois purs et doux
Où reverdira le rejeton tendre ?

Il ne reste rien de vous que vos noms,
Vos noms où revit un peu de Saint-Pierre
Vos beaux noms pour qui j’ai fait ma chanson
Pécoul, Périnelle et La Rochetière !


VII

LES DEUX PETITES SŒURS


chanson créole


Partons, ma petite Alfrida
On a saisi notre chaumière.
Ah ! tout n’est pas gai sur la terre !
Adieu rose, adieu réséda.

Pour aller travailler en ville,
On va quitter notre vieux bourg.
Adieu rose et topinambour.
Ici la vie est difficile !


Nous ne reviendrons jamais plus
Regarder la petite case,
Au bord de la savane rase,
À l’heure où sonne l’angélus.

Ce serait peine trop amère,
De voir en proie aux étrangers,
Sous la douceur des orangers,
La case où mourut notre mère.

Donnons-nous la main, Alfrida,
Adieu rose, adieu réséda.