Chants populaires de la Basse-Bretagne/Françoise Picard

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Édouard Corfmat (1p. 235-237).


FRANÇOISE PICART.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Le seigneur de Leshildri disait,
Un jour, à la dame de Leshildri :
— J’ai été chasser au bois,
Et j’ai rencontré une levrette ;

  J’ai rencontré une levrette,
Qui portait un petit enfant dans sa bouche ;
Qui portait dans sa bouche un petit enfant,
Qui ressemble à la Picard. —

  La dame de Leshildri, entendant cela.
Dit à son petit page :
— Sellez-moi ma haquenée blanche,
Pour aller voir mes fermiers. —

II

  La dame de Leshildri disait.
En arrivant chez le vieux Picard :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Où sont vos filles, que je ne les vois pas ? —

  — Deux d’entre elles sont à laver,
Et deux autres sont à tordre le linge,
Et deux autres à préparer le lin,
Et deux autres à le peigner.

Deux autres sont à filer,
Et deux autres à dévider ;
Deux autres sont à repasser,
Et deux autres à empeser ;


[1] Il y a quelque chose de semblable dans la pièce du Barzaz Breiz qui a pour titre : Notre-Dame du Folgoat (page 272, 6e édition).

(1) Ces trois pièces, Annaïk Kozic, Franseza Kozik et Ann Aotrou ar Gerwenn, ne sont, sous des titres différents, qu’autant de versions du même gwerz.

  Et une autre est dans la chambre blanche,
A peigner et à lisser ses cheveux blonds :
Françoise est malade sur son lit.
Elle tremble la fièvre deux fois par jour. —

  — Celle qui est malade sur son lit,
C’est là celle que je cherche …
Comment, dit-elle, ma filleule,
Avez-vous pu devenir meurtrière !

  Si vous aviez voulu m’avoir avoué,
J’aurais élevé votre enfant ;
J’aurais élevé votre enfant,
Et personne n’en aurait jamais rien su. —

  — Je crains bien, ma marraine.
Que vous ne soyez montée sur le cheval de Hamon. —[1]
— Si je suis la dame de Leshildri,
Je te ferai payer cette parole ! —

III

  Pour le mercredi-matin,
Françoise Picard eut de ses nouvelles ;
Des archers arrivèrent de Rennes,
Pour emmener Françoise en prison.

  Françoise Picard disait,
Un jour, du haut de l’échafaud :
— Je vois d’ici le manoir de Leshildry,
Et je voudrais que le feu y fût !

Je voudrais le voir consumé par le feu,
Car c’est le seigneur de là qui est cause (de ma mort). —


Renan le Sabotier, de Trégrom, — 1854.


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FRANÇOISE PICART.
SECONDE VERSION.
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I

  La dame de Leshildri, la bonne dame,
Se leva un jour, de bon matin ;
Elle se leva un jour, de bon matin,
Et fit une trouvaille.

  Sa levrette blanche arriva à la maison,
Portant une petite fille à travers dans sa bouche ;
Une petite fille emmaillottée dans un linge.
Sur lequel se trouvait le nom de Françoise Picart.

  La dame de Leshildri disait,
Ce jour-là, à son garçon d’écurie :
— Sellez-moi ma haquenée,
Pour aller me promener à mes métairies ;

  Sellez-moi ma haquenée blanche,
Mettez-lui sa bride d’argent en tête,
Je veux aller à ma métairie de Leshildri,
Il y a longtemps que je n’y suis allée. —

II

  La dame de Leshildri disait,
En arrivant chez le vieux Picart :
— Dites-moi, compère,
Où sont allées vos filles ! —

  — Deux sont sur l’étang, A laver.
Deux autres font sécher le linge ;
Deux autres font sécher le linge,
Et deux autres sont occupées à le tordre ;

  Mais celle-là, votre filleule,
Est malade dans son lit. —
La dame de Leshidri disait
À Françoise Picart, en ce moment :

  — Depuis quand, ma filleule,
Vous êtes-vous trouvée mal ? —
— Depuis ce matin, ma marraine,
Je suis restée malade. —

  — Ma filleule, dites-moi.
Où est le mal dont vous souffrez ! —
— Je souffre beaucoup de la tête,
Hélas ! et le mal descend jusqu’à mon cœur. —


  La dame de Leshildri disait
Alors à Françoise Picart :
— Prenez garde, ma filleule,
Que vous n'ayez commis un meurtre ! —

  — Ma marraine, que dites-vous ?
Et moi qui n’ai que seize ans !
Vous êtes encore montée sur le bidet,
Et vous n’en avez pas de raison ;

  Vous n’avez pas de raison de le monter.
Car votre mari est un honnête homme. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  La dame de Leshildri disait.
En sortant de la maison de Picart ;
— Dût-il m’en coûter cinq cents écus,
Françoise Picart sera pendue ! —

III

Françoise Picart disait,
Arrivée au dernier degré de l’échelle ;
— Je vois d’ici le manoir de Leshildri,
Et je voudrais que le feu le consumât !

Je voudrais y voir le feu,
Et le seigneur brûler au milieu ;
Le seigneur brûler au milieu.
Car c’est lui qui est cause (de ma mort) !

Quand on m’envoyait à la grand’-messe,
C’est à Leshildri qu’on m’aurait trouvée ;
C’est à Leshildri que j’étais,
Dans les chambres ou dans la maison ;

A jouer aux dés et aux cartes,
Avec les fils du seigneur ;
Et quand nous avions assez de ce jeu,
Nous couchions ensemble dans le même lit ! —


Chanté par Marie-Josèphe Kerival, domestique
à Keramborgne, — 1849.

  1. (1) Dicton breton pour exprimer la jalousie, comme on dit en français
    monter sur le bidet. Quelle en peut être l’origine ?