Chants populaires de la Basse-Bretagne/L’enfant du lépreux

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Édouard Corfmat (1p. 243-247).


L’ENFANT DU LÉPREUX.
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I

  Celui qui veut avoir de la pitié,
Qu’il aille lundi à Châteauneuf,

  Et il verra pendre et brûler
La plus belle jeune femme qui y soit ;

  La plus belle jeune femme qui y soit,
La fille du fermier de Leshildri, (1)[1]

  Dans le lit de laquelle on a trouvé un enfant,
Avec un couteau nu dans le côté ;

  Et on lui a attribué le crime,
Et pourtant elle dit qu’elle n’est pas coupable.

II

  L’enfant de cinq ans disait,
En sortant de la maison :

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin !

  Ma mère sera pendue et brûlée,
Et mon pauvre père est lépreux ! —

  La pauvre enfant disait
Au grand Sénéchal, ce jour-là :

  — Monsieur le Sénéchal, si vous m’aimez,
Vous me rendrez ma mère chérie ;

  Vous me rendrez ma mère chérie.
Je mourrai pour elle, s’il le faut. —

  Le grand Sénéchal disait
A l’enfant de cinq ans, en ce moment ;

  — Ce temps-là n’est pas encore venu,
Où l’un meurt pour l’autre. —

  La pauvre femme disait
Alors à son enfant de cinq ans :

  — Ma pauvre enfant, retire-toi,
Je me retrouverai à la maison dans trois jours ! —


  L’enfant de cinq ans disait.
En arrivant à la maison :

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin ;

  Ma mère a été pendue et brûlée.
Et mon pauvre père est lépreux !

  J’ai un petit frère sur la montagne
A qui l’on a bâti une maison neuve ;

  Une maison neuve, peinte en blanc,
Comme celles que l’on bâtit aux lépreux.

III

  L’enfant de cinq ans disait,
En sortant de la maison :

  — Je vais laver sa chemise à mon père,
Il y a trois ans qu’elle n’a été lavée ;

  Il y a trois ans qu’elle n’a été lavée.
Je crains qu’elle ne soit pourrie sur lui ! —

  L’enfant de cinq ans disait,
En arrivant à la porte de son père :

  — Mon père chéri, dites-moi,
Voulez-vous que je vous lave votre chemise ?

  Voilà trois ans qu’elle n’a été lavée,
Je crains qu’elle ne soit pourrie sur vous. —

  Son pauvre père demandait
Alors à l’enfant de cinq ans :

  — Que vous est-il donc arrivé,
Que vous êtes venue si jeune me voir ? —

  — Il n’y a pas d’enfant sur la terre
Qui ait autant que moi de chagrin ;

  Ma mère a été pendue et brûlée,
Et vous, mon père, vous êtes lépreux ! —

  — Et quel crime a-t-elle donc commis,
Pour avoir été pendue et brûlée ? —

  — Un petit enfant a été trouvé dans son lit,
Avec un couteau tout nu dans le côté ;

  Et on le lui a attribué,
Et pourtant elle dit qu’elle n’est pas coupable, —

  Son pauvre père disait
Alors à l’enfant de cinq ans ;

  — Mon enfant chérie, retire-toi.
De peur d’attraper la lèpre, par le trou de la serrure !


  L’enfant de cinq ans, en entendant cela,
A mis la tête à la fenêtre ;

  Elle a mis la tête à la fenêtre.
Et leurs cœurs à tous les deux se sont brisés !

  La bénédiction de Dieu soit sur leurs âmes,
Ils sont allés tous les deux devant Dieu !


Chanté par le Petit-Tailleur
Plouaret, 1863.


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  1. (1) Je ne sais s’il y a quelque corrélation entre ce gwerz et celui de Fantik Pikart ; l’introduction de la fille du fermier de Leshildry dans ce début m’a tout l’air d’une interpolation.