Chants populaires de la Basse-Bretagne/Marie Quélen

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Édouard Corfmat (1p. 89-95).


MARIE QUELEN.
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I

Ecoutez tous et vous entendrez
Un gwerz nouvellement composé ;

Un gwerz composé nouvellement.
C’est à Marie Quelen qu’il est fait.

Il est fait à Marie Quelen,
Qui a perdu sa pauvre mère :

Son père l’a débauchée
Pour aller coucher avec lui.

Pendant sept ans elle a couché avec lui,
Et elle a donné le jour a sept enfants.

II

Le vieux Quelenn disait
Un jour a sa fille Marie :

— Au bourg de Burtulot il y a une retraite.
Et je vous prie, Marie, d’y aller ;

Je vous prie, Marie, d’y aller.
Peut-être serez-vous sauvée ;


Peut-être serez-vous sauvée,
Car pour moi, je ne le serai point ! —

Marie Quelen, sur ces mots,
Alla s’habiller ;

Elle est allée s’habiller,
Pour se rendre à la retraite, à Burtulot.

Marie Quelen disait,
En arrivant au bourg de Burtulot :

— Je vais me mettre à genoux
Devant Jésus, mon divin maître ;

Et avant de me confesser.
Je veux lui demander le pardon de mon père. —

Marie Quelen va maintenant
Se confesser au plus gai (des prêtres).

Elle s’est confessée à sept prêtres,
Sans recevoir l’absolution ;

Aucun ne voulait l’absoudre,
Parce qu’elle disait la vérité.

Comme elle était en route pour s’en retourner.
Elle a rencontré un jeune prêtre :

— Marie Quelen, dites-moi.
D’où revenez-vous ainsi ?

Car vous avez été quelque part,
Puisque vous avez encore les larmes aux yeux ? —

— J’ai été au bourg de Burtulot, à la retraite.
Et je me suis confessée à sept prêtres ;

Je me suis confessée à sept prêtres,
Mais sans avoir l’absolution. —

— Marie Quelen, retournez avec moi.
Et allons tous les deux à l’église. —

Celui-ci est un jeune prêtre
Qui a avec elle souci et peine.

En arrivant dans l’église.
Il a dit à Marie Quelen :

— Marie Quelen, confessez-vous,
Et ne cachez aucun péché. —

— Le premier enfant à qui je donnai le jour,
Je le cachai dans la cendre[1] du foyer ;

Je le cachai dans la cendre du foyer,
Et c’est mon père qui en fut la cause.


Le second enfant à qui je donnai le jour, .
Je le plantai sous la pierre du foyer ;

Et c’est mon père qui en fut la cause,
Disposez de moi à votre gré ;

Disposez de moi à votre gré,
Dussiez-vous me condamner au feu ! —

— Marie Quelen, attendez encore,
Laissez-moi essuyer la sueur de mon visage ;

Laissez-moi essuyer la sueur de mon visage.
Car mon cœur est prêt de défaillir ! —

— Le quatrième enfant à qui je donnai le jour.
Je le plantai dans l’aire de la maison ;

Dans l’aire de la maison je l’ai planté.
Et c’est mon père qui en fut la cause.

Le cinquième enfant à qui je donnai le jour.
Je le plantai sous le pied de la table.

Le sixème enfant à qui je donnai le jour,
Je le plantai sous le seuil de la porte.

Et le septième, je le portai dans le jardin.
Sans que jamais personne en sût rien. —

— Au nom de Dieu, arrêtez-vous encore.
Pour que j’essuye la sueur de mon visage ;

Pour que j’essuye la sueur de mon visage.
Car mon cœur est prêt de défaillir. —

— Disposez de moi à votre gré.
Car ma confession est faite. —

— Marie Quelen, dites-moi,
Avez-vous une arche fermant à clef ? —

— Oui, il y a la maison une arche fermant à clef.
— Vous entrerez dans cette arche, Marie ;

Vous entrerez dans cette arche,
Et n’en direz rien à personne au monde.

Au bout d’une année j’arriverai,
Et alors, Marie, je vous absoudrai. —

III

Celui-ci est un jeune prêtre
Qui a avec elle inquiétude et tourment d’esprit ;

Et quand l’année fut terminée,
Il se rendit chez elle.


Quand l’arche fut ouverte,
On n’y trouva rien,

Si ce n’est un petit morceau de son cœur,
Grand peut-être comme le cœur d’une noisette ;

Grand peut-être comme le cœur d’une noisette,
Chose effrayante à penser !

Il le mit dans son mouchoir,
Et le porta au bourg de Burtulot :

Il le porta au bourg de Burtulot,
Et le déposa sur le mur du cimetière ;

Il le déposa sur le mur du cimetière,
Puis il alla célébrer la messe!

Le prêtre de Burtulot disait
A monsieur Lafleur, ce jour-là :

— Si le corbeau mâle l’emporte sur la colombe blanche,
Marie et vous vous irez en enfer ! —

Grâce à Dieu et à la Sainte-Trinité
C’est la colombe blanche qui l’a emporté ;

La colombe blanche l’a emporté.
Et monsieur Lafleur est sauvé !

Monsieur Lafleur est sauvé,
Et ils sont allés tous les deux en Paradis.

Ils sont allés tous les deux devant Dieu,
Et puissions-nous y aller tous !


Chanté par Marie-Anne Lenoan, vieille mendiante,
commune de Duault.
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Édouard Corfmat (1p. 94).


NOTE.


Cet épisode du corbeau et de la colombe blanche qui se disputent une âme, est très-commun dans les vieux contes bretons. Voici comment les choses se passent. On place le cercueil qui renferme la dépouille mortelle sur le mur du cimetière. Alors arrivent, de deux points opposés de l’horizon, un corbeau noir et une colombe blanche, qui se mettent aussitôt à le battre à coups d’ailes : la colombe fait son possible pour l’envoyer dans le cimetière, et le corbeau travaille de son mieux à le faire tomber du côté opposé. Si la colombe l’emporte, l’âme est sauvée ; si, au contraire, c’est le corbeau, l’enfer possède une âme de plus !

M. G. Milin, m’a dit avoir recueilli une version de ce gwerz, qui offre une variante curieuse : au moment de l’ouverture de l’arche, le prêtre y trouve sept petits pourceaux !

Burtulot est un petit bourg dans un pays aride et désolé entre Plougonver et Kergrist-Moëlou (Côtes-du-Nord).


  1. Je ne connais pas le mot krafenn que je traduis par cendre.