Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/La reine de Navarre

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LA REINE DE NAVARRE.


Marguerite de Valois, ou plutôt Marguerite d’Angoulême, fille de Charles d’Orléans, duc d’Angoulême, et de Louise de Savoie, et sœur de François Ier, naquit en 1492. Elle épousa en 1509 Charles, duc d’Alençon, premier prince du sang, qui mourut en 1525. Ce fut en 1527 qu’elle épousa Henri d’Albret, roi de Navarre, duquel elle eut Jeanne d’Albret, mère d’Henri IV. Cette princesse, célèbre par son esprit, son amabilité, ses sentiments généreux et son tendre attachement pour François Ier, fit beaucoup de poésies et quelques ouvrages en prose ; mais son Heptaméron est presque la seule de ses œuvres qui se soit soutenue jusqu’à nos jours. Elle mourut en 1549.

COUPLETS À JÉSUS-CHRIST.

 
Seigneur, quand viendra le jour
Tant désiré,
Que je seray par amour
A vous tiré ?
Et que l’union sera
Telle entre nous,
Que l’espouse on nommera
Comme l’espoux.
 
Ce jour des nopces, Seigneur,
Me tarde tant,
Que de nul bien ny honneur
Ne suis content ;
Du monde ne puys avoir
Plaisir ny bien ;
Si je ne vous y puys voir,
Las ! je n’ay rien.

Si de vostre bouche puys
Estre baisé,
Je seray de tous ennuys
Bien appaisé ;
Baisez-moy, acolez-moy,
Mon tout en tout ;
Unissez-moy, par la foy,
Du tout à vous.

Essuyez des tristes yeux
Le long gémir,

Et me donnez pour le mieux
Un doux dormir.
Car d’ouyr incessamment
Vos saints propos,
C’est parfait contentement
Et seur repos.


LA PERFECTION DU CHRETIEN.

CANTIQUE.

 
Pour estre bien vray chrestien,
Il fault à Christ estre semblable,
Renoncer tout bien terrien
Et tout honneur qui est damnable,
Et la dame belle et jolye,
Et plaisir qui la chair esmeult,
Laisser biens, honneurs et amye ;
Il ne fait pas le tour qui veult.
 
Ses biens aux poures fault donner
D’un cœur joyeux et volontaire,
Et les injures pardonner,
Et à ses ennemys bien faire ;
Laisser vengeance, ire et envie,
Aymer l’ennemy si l’on peult,
Aymer celle qui n’ayme mye ;
Il ne fait pas le tour qui veult.
 
De la mort fault estre vainqueur,
En la trouvant plaisante et belle,
Voire et l’aymer d’aussi bon cœur.

Que l’on fait la vie mortelle ;
S’esjouyr en mélancolie,
Et tourment dont la chair se deult,
Aymer la mort comme la vie ;
Il ne fait pas le tour qui veult.


Voici des vers que la reine de Navarre adressa à Clément Marot, en répondant, pour Hélène de Tournon, à ce poète qui s’était plaint, dans une épigramme, du nombre de ses créanciers :


Si ceux à qui debvez comme vous dites,
Vous cognoissoient comme je vous cognois,
Quitte seriez des debtes que vous fîtes
Au temps passé, tant grandes que petites,
En leur payant un dixain toutefois,
Tel que le votr’, qui vault mieux mille fois
Que l’argent deu par vous en conscience :
Car estimer on peult l’argent au poix ;
Mais on ne peult (et j’en donne ma voix)
Assez priser votre belle science.


Voici le portrait de François Ier fait par sa sœur, Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre :


« C’est luy que ciel et terre et mer contemple.
La terre a joye, le voyant revestu
D’une beaulté qui n’a point de semblable,
Au prix duquel tous beaulx sont un festu.
La mer devant son pouvoir redoutable
Doulce se rend cognoissant sa bonté ;
Le ciel s’abaisse, et, par amour dompté,

Vient admirer et voir le personnage
Dont ont luy a tant de vertus compté…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est luy qui a de tout la cognoissance,
Et un sçavoir qui n’a point de pareil,
Et n’y a rien dont il ait ignorance.
De sa beaulté : il est blanc et vermeil ;
Ses cheveux bruns ; de grande et belle taille ;
En terre, il est comme au ciel le soleil…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bref, luy seul est bien digne d’estre roi.