Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/64

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Consolation à Idalie, sur la Mort d’un Parent


PUISQUE votre parent ne s’est pu dispenser
De servir de victime au Démon de la guerre,

C’est, ô belle Idalie, une erreur de penser
Que les plus beaux lauriers soient exempts du tonnerre.

Si la Mort connaissait le prix de la valeur
Ou se laissait surprendre aux plus aimables charmes,
Sans doute que Daphnis, garanti du malheur,
En conservant la vie eut épargné vos larmes.

Mais la Parque sujette à la fatalité,
Ayant les yeux bandés et l’oreille fermée,
Ne sait pas discerner les traits de la beauté,
Et n’entend point le bruit que fait la renommée.

Alexandre n’est plus, lui dont Mars fut jaloux,
César est dans la tombe aussi bien qu’un infâme,
Et la noble Camille, aimable comme vous,
Est au fond du cercueil ainsi qu’une autre femme.

Bien que vous méritiez des devoirs si constants,
Et que vous paraissiez si charmante et si sage,
On ne vous verra plus, avant qu’il soit cent ans,
Si ce n’est dans mes vers, qui vivront davantage.

Par un ordre éternel qu’on voit en l’Univers,
Les plus dignes objets sont frêles comme verre,
Et le Ciel, embelli de tant d’astres divers,
Dérobe tous les jours des astres à la Terre.

Sitôt que notre esprit raisonne tant soit peu,
En l’avril de nos ans, en l’âge le plus tendre,
Nous rencontrons l’Amour qui met nos cœurs en feu,
Puis nous trouvons la Mort qui met nos corps en cendre.

Le Temps qui, sans repos, va d’un pas si léger,
Emporte avecque lui toutes les belles choses :
C’est pour nous avertir de le bien ménager
Et faire des bouquets en la saison des roses.