Chez l’Illustre écrivain/La divine enfance
La divine enfance.
Pourquoi que Georges t’a encore embrassée ?
Georges, c’est pas vrai !
Si, il t’a embrassée, je l’ai vu… Il t’a embrassée sur le cou, derrière la porte du salon… Et toi, aussi, tu l’as embrassé… À preuve que tu fermais les yeux, en l’embrassant, comme une chatte qu’on caresse.
C’est des menteries.
Puisque je t’ai vue… Et hier ?…
Quoi, hier ?
Pourquoi que Lucien t’a aussi embrassée, hier ?
C’est pas vrai !… Lucien ne m’a pas embrassée.
Si, il t’a embrassée… je l’ai vu aussi… il t’a embrassée sur la bouche, derrière la serre.
C’est des menteries…
Des menteries ?… À preuve que, en te retournant, tu as cassé un grand lis rouge, et que tu as écrasé des fleurs de capucine.
Et puis, après ?… Est-ce que je n’ai pas le droit d’embrasser Georges, Lucien, et d’autres, si cela me plaît !… Qu’est-ce qu’il te prend ?…
Je ne suis pas content… Ça me fait de la peine !… Jeanne ?
Eh bien ?…
Alors, pourquoi que tu ne veux pas que je t’embrasse, moi ?
Toi !… C’est pas la même chose !…
Pourquoi que c’est pas la même chose ?
Pasque…
Pasque, quoi ?…
Pasque, toi, quand nous serons grands, tu seras mon vrai mari !
Ce n’est pas une raison.
Si, c’est une raison…
Et quand je serai ton vrai mari, tu voudras bien que je t’embrasse, pas ?
Non… Les maris n’embrassent jamais leurs femmes.
Ah ! bien, vrai ?… Pourquoi qu’ils ont des femmes, alors ?
Pour avoir des enfants, tiens !…
Ah !… Et quand je serai ton vrai mari, tu embrasseras Georges, Lucien ?
Bien sûr !… Es-tu drôle, aujourd’hui… Qu’est-ce que tu as ?
J’ai envie de pleurer…
Que tu es bête !…Voyons !… Est-ce que petite mère embrasse papa ?… Jamais petite mère n’a embrassé papa… Papa, lui, embrasse Zélie, la femme de chambre… Petite mère, elle, embrasse M. de la Ramie… Mais, bien sûr ! elle l’embrasse dans les cheveux, dans les yeux, sur la bouche, partout… Mais, papa, elle ne l’embrasse jamais…
C’est comme papa… il n’embrasse jamais maman…
Puisque je te le dis !… Ça ne se fait pas, ces choses-là, quand on est marié !… Ça n’est pas convenable !
C’est vrai !… papa embrasse toujours Mme Tournel…
Bien sûr, tiens !… Et ta maman ?
Maman ?… Elle embrasse M. de Néry…
Tu vois bien !…
L’autre jour, maman était sur les genoux de M. de Néry… Elle avait dégrafé son corsage… Et M. de Néry l’embrassait sur la poitrine… C’était gentil !
Bien sûr, que c’est gentil !…
Jeanne !
Quoi ?…
Puisque tu dis que c’est gentil… eh bien !… je voudrais que tu dégrafes ton corsage aussi… je voudrais t’embrasser sur la poitrine, aussi… comme M. de Néry embrasse maman…
Non… Non…
Et si tu dégrafes ton corsage, si je t’embrasse sur la poitrine… je te montrerai, après, quelque chose de bien plus beau…
Quoi ?… Dis quoi, tout de suite !…
Non, après…
Tout de suite… tout de suite… tout de suite !…
Non, après !…
Tu dis ça pour m’attraper !… Et puis, après tu ne me montreras rien !…
Puisque je te le promets, na !… Quelque chose comme Georges, ni Lucien ne pourront jamais te montrer d’aussi beau !…
Oui, oui, tu veux me tromper… Tout ça, c’est des blagues !…
Puisque je te jure !…
Eh bien ! dis seulement ce que c’est !… Et puis, je ferai comme tu veux !
Si c’était Georges ou Lucien qui te demande cela tu le ferais… Moi, je ne sais pas pourquoi, tu ne veux jamais rien.
Dis ce que c’est !
Après…
Non, avant !…
Et, pourtant Georges ni Lucien ne pourraient pas te montrer cela qui est si beau… qui est plus beau que… que…
Eh bien, dis vite… dis… dis !…
Jeanne !… si tu voulais !… un tout petit peu… tiens, grand comme ça… grand comme mes lèvres seulement…
Laisse-moi… Tu me chatouilles… Tu fais mal… Je te déteste !…