Chronique d’un temps troublé/12
XII
LE PETIT GARÇON
ENCHANTÉ
Ma chère Hélène, j’ai fait de Paris jusqu’en Savoie un curieux voyage ! Ce Congrès que j’ai tenté de vous peindre a dû me surexciter. Le mouvement du train aidant, je ne serais pas surpris d’avoir parlé tout haut : j’ai vu des voyageurs m’envoyer un coup d’œil étrange. C’est que je me figurais ma nièce cheftaine, la dame Lherminat, les abbés, le pasteur, tous en tas, en agglomération noire telles des fourmis, puis en regard je pensais à Thierry, ce petit être clair, animé des plus beaux dons, qui toujours s’est montré libre, dont l’ardeur m’a sans cesse émerveillé. Au téléphone, il venait, une fois de plus, de me prouver cette passion de vivre, apportée en naissant, manifestée dès le début de son existence. Ah ! comme il mérite que je lui donne mes forces ! Qu’ai-je de mieux à faire que de lui consacrer ma vie, non pour en faire forcément un amiral, un général, un archevêque, mais pour essayer qu’il soit à part et mieux que les autres, au-dessus, par l’esprit. C’est de là que viendra le salut.
Seulement, Dieu que ce voyage est long !… On ne va pas dans les Alpes directement. La ligne a été conçue par des esprits tortueux. Je suis arrivé comme le jour finissait : il est vrai que le crépuscule est pour moi l’heure de l’espérance.
À la gare, qui paraît en plaine, j’ai pris une auto pour atteindre le village de montagne où réside M. Thierry, et je l’ai trouvé à mi-côte, pelotonné contre un arbre, les genoux à hauteur du menton, dardant deux yeux de chat sur la route. Ce qui est beau c’est qu’il a deviné son père. Il s’est élancé vers la voiture, bien avant de m’avoir vu, mais il était sûr !
— Papa, m’expliqua-t-il en riant, il n’y a qu’une Panhard sans soupapes dans le pays : celle de la gare. C’était forcé que tu la prendrais ! Comment vas-tu, papa ? Oh ! que c’est drôle !
Il éclata de rire.
— Tu as l’air d’avoir grandi ! Je t’aime papa ! Si tu savais comme je t’aime ! Mais comment le saurais-tu… je ne le savais pas. Je le sais depuis cette nuit : je n’ai pas dormi ; et c’est la première nuit de ma vie que je ne dors pas. Je me suis retourné cent vingt fois. Cent dix-huit exactement ! J’ai compté. J’aurais voulu cent vingt : cela faisait mieux. Mme Hébert m’a fait lever. Tu sais, elle n’est pas agréable, Mme Hébert ! Je ne sais pas ce que tu la payes : elle n’a jamais voulu me le dire ; mais c’est trop. Elle n’est pas aimable et le beurre est rance, et elle t’a écrit qu’elle me donnait des crèmes le soir ? Ce n’est pas vrai, papa ! Je n’ai de la crème que si M. le Curé me donne dix en latin, et comme je n’aime pas le latin, je n’ai jamais dix et jamais de crème ! Mais toi, tu payes la crème ! Alors, qu’elle te l’envoie !
J’étais ravi… et décontenancé. Quel feu ! Quel flot de paroles ! Et tout ensemble, que d’enfantillages mais quel jugement ! Je le pris, je le serrai contre moi. Une émotion me gagnait, en retrouvant la chaleur de ce petit homme, que je voyais développé, plus musclé, si ardent ! Je l’embrassais comme une mère aurait fait, dans le cou, sur le front, sur les yeux. Je lui dis :
— Tu sens bon, Thierry ; tu sens le lapin de garenne. Mais, tu n’es qu’un fou ! Veux-tu te calmer ! Comme tu t’agites !
— Je t’attends depuis deux jours, papa !
— Ah ! celle-là est bien bonne ! Je t’offrais de venir hier, dis donc, petit monstre !
— Hier ! C’était impossible, papa. Hier, j’avais la visite d’une dame que j’aime, et à qui je dois trois mille francs !
Cette fois, je restai sans voix… Puis, comme ces propos s’échangeaient sur la route, je le fis monter dans la voiture afin de gagner le village, et je dis doucement :
— Voilà une grande nouvelle ! Je serais curieux de savoir qui peut bien être cette dame ?…
Mais Thierry répondit vivement, gravement :
— Au grand air, je pouvais te parler d’elle… Pas dans cette bagnole !… Ah ! elle est jolie, la sans-soupapes !
Nous fûmes vite arrivés. En descendant, avant d’entrer dans le chalet de Mme Hébert, il me fit voir une maison, très haut dans la montagne, et il me dit, les yeux enflammés :
— C’est là qu’elle habite ! Elle s’appelle la comtesse d’Eaux-vives. Tu n’as jamais rien vu de si joli ! Tu ne peux pas savoir la couleur des écharpes qu’elle a sur son cou. Et elles sont aussi belles, quand elle les enroule à son bras !… C’est la mère d’un camarade. Son mari était un héros. Les Touareg l’ont tué. J’ai sa photographie. Elle vient souvent me chercher. Nous nous promenons longtemps. Elle me fait un cadeau à chaque promenade : j’ai d’elle un portefeuille avec un chiffre en or, un portrait de saint François d’Assise, une noix porte-bonheur, donnée par un Chinois. Moi, je ne sais que faire ! Elle me dis en riant : « Je ne vous demande, Thierry, que de me raconter des histoires ! » Mais j’en sais trop peu. À mon âge, n’est-ce pas ! Alors, j’en invente… mais elles ne sont pas fameuses !
Je le dévorais des yeux ; j’avais envie de l’embrasser de nouveau.
— Et les trois mille francs ? demandai-je. Je suis un peu inquiet.
— Oh ! dit Thierry en se redressant, tu n’as pas à être inquiet : ça ne regarde que moi. C’est un pari que j’ai fait avec elle. Nous étions un soir là-haut : elle a allumé du feu, il faisait humide. J’avais ramassé une magnifique pomme de pin. Jamais je n’en avais vu de si belle, papa : c’était comme une fleur en bois ! Alors, j’ai dit à la comtesse : « Elle est trop belle, elle résistera au feu ! Je le parie, madame. Je fais le pari ! Je parie trois mille francs ! » Et j’ai prié Dieu de toutes mes forces pour qu’elle n’éclate pas ! La comtesse me disait : « Mon pauvre petit, elle va s’ouvrir tout d’un coup ; et vous perdrez ! » Alors, j’ai crié : « Madame, donnez-moi votre main, pour le pari, donnez-moi votre main ! » Elle a des mains très belles, tu verras ! J’ai tenu sa main, le temps de faire encore une prière. Puis je l’ai lâchée tout à coup, parce que tout à coup j’ai pensé que c’était perfide de mettre le Bon Dieu avec moi. Elle, qu’est ce qu’elle avait ? J’ai donc lâché la main, et changé ma prière. J’ai dit tout bas : « Non, non, je me suis trompé ! J’aime mieux perdre ! » Et aussitôt, tu entends, aussitôt la pomme de pin a éclaté. Ah ! j’étais content ! Seulement, j’ai trois mille francs à payer. J’ai dit à la comtesse : « Madame, je ne suis qu’un enfant. Je vous demande dix ans ! » Elle a accepté. Il n’y a pas plus adorable.
Quand il eut fini, je remarquai seulement :
— Il me semble que tu as une belle vie.
Thierry me répondit :
— C’est que la vie, c’est passionnant ! As-tu pensé, papa, à tout ce qui vit, les poissons, les oiseaux, toutes les bêtes dans les trous, et ces gens qui sont de toutes les couleurs dans le monde entier ? Je voudrais voyager, faire des collections !
— Pour cela, lui dis-je, il faut d’abord se fortifier, prendre du poids. Je suis sûr que tu parles trop, que tu as trop d’idées, que tu te consumes toi-même !
J’appuyai la main sur sa petite tête :
— J’ai peur qu’il n’y ait trop de vie là dedans !
— Non, non, dit Thierry sérieusement, tu peux tâter, ce n’est pas chaud !
Puis il ajouta vite : « Viens voir ma chambre ; comme je l’ai arrangée ! »
Il y avait un Mussolini sur la porte, qui avait l’air d’entrer, avec son air rapide et autoritaire. Au mur, le Normandie, partant du Havre, pour gagner le ruban bleu. Sur la table, le portrait d’un jeune officier.
— C’est le comte, dit Thierry : que les Touareg ont tué.
— Comment ? lui dis-je, tu as le comte, et pas la comtesse ?
— La comtesse, dit Thierry avec ferveur, je ne pense qu’à elle : je ne peux pas l’oublier. Le comte, c’est un héros : il mérite qu’on le regarde. Chaque fois qu’il entre un camarade, je lui dis : « Regarde-le, c’est un héros ! »
Sur une chaise il y avait un phonographe :
— C’est à toi ? Encore un cadeau ?
— C’est un gros lot. De la Société des Phonographes Sipson. J’ai fait un concours dans un journal de modes, qui était chez la comtesse. Hélas, idiot, papa, idiot !
Il soupira : « Quelle époque ! » Puis, il reprit :
— Une société de phonographes, rue Royale, demandait combien passeraient de personnes devant son magasin, dans la matinée du 1er juillet. J’avais envie de répondre : « Le marchand est gâteux ! » Mais j’ai eu encore plus envie d’un phonographe ; c’était le prix pour qui donnerait le chiffre le plus près de la vérité ; j’ai dit n’importe quoi : 4798 ! C’était 4800 !
— C’est merveilleux ! m’écriai-je. Plus tard, tu seras devin !
— Si je pouvais ! dit Thierry.
— Et qu’est-ce que c’est, demandai-je, que ce jeune monsieur barbu, à la mode de 1880 ?
— C’est M. Serge Alexandreff, le mari de la dame russe qui me donne des leçons d’anglais. Allons la voir, papa, avant qu’il fasse nuit. Tu vas t’amuser ! Viens vite ! C’est par ici.
On eût dit, au-dessus du hameau, que le soleil n’avait été créé que pour une fenêtre, où il mettait tous ses rayons, son dernier éclat, une vraie folie de lumière. Et c’était la fenêtre de Mme Alexandreff, qui habite, la pauvre, son « vieux chalet à puces » (ainsi le désigne le jeune Thierry). Chalet de bois, tout branlant, mais qu’elle anime d’une vie aussi chaude que celle de son élève, malgré qu’elle ait près de soixante-dix-huit ans ! J’étais à peine assis, qu’elle commença, avec des rires, et toute une danse des mains, des litanies d’adoration. Thierry s’était éclipsé pour voir un lapin blanc qui a des yeux rouges, et c’est sur Thierry qu’elle s’extasia. Il était après tant d’autres, sa raison de croire en Dieu et de le chanter :
— Monsieur, quel enfant ! L’esprit d’un homme, et le cœur d’un ange, et cet ange-là, c’est sans doute sa pauvre mère !
Je ne bronchai pas ; je ne savais pas…
— J’ai un fils, moi aussi ! dit Mme Alexandreff. Ne le répétez jamais, parce qu’en somme c’est affreux, mais quand il avait l’âge de Thierry, je crois que je l’aimais moins que lui !… Peut-être qu’en vieillissant… on comprend mieux. Quel trésor, monsieur !
Elle portait une vieille robe de taffetas, un collier de pierres multicolores, un bracelet pareil, et tout cela, tandis qu’elle parlait, faisait un bruit ému. Son cœur allant plus vite que ses paroles, on avait l’impression qu’elle ne savait où donner de la tête. Elle parlait d’elle, en voulant parler de Thierry ; elle mêlait les histoires.
Elle vivait dans une vérandah, devant des verres de couleur, enchâssés dans du bois de sapin : la fameuse fenêtre à laquelle, en se couchant, le soleil rendait hommage ! Elle avait décoré ses murs de toiles de Jouy, emportées sous sa robe, en fuyant la Révolution.
— Ah ! Thierry les regarde, monsieur, durant des heures ! On y voyait des hommes et des bêtes dans les cinq parties du monde, sous d’immenses palmiers, au bord de lacs, dans des montagnes. Pour moi elle se mit à sortir des photographies jaunies, à ouvrir des coffrets, puis une malle, à déficeler des paquets de journaux. Elle montrait l’Impératrice, qui l’honorait de son amitié, le portrait de son père, gouverneur de Varsovie. Mais… j’étais surtout désireux de savoir ce que faisait mon fils.
— Il se passionne pour la pauvre Russie, ffit-elle d’un ton langoureux. Il se passionne pour l’anglais, ajouta-t-elle avec l’accent de la Tamise. Et il se passionne pour les pigeons français ! Regardez cette photographie, je vais vous raconter une admirable histoire !
Mais d’abord elle me montra son couvre-lit, broderie faite par des paysans d’Ukraine ; des fleurs stylisées, jaunes et vertes. Elle y mit un baiser, poussa un soupir, enfin commença. Ce cher Thierry était amoureux d’une fée… qui habitait là-haut dans la montagne. La fée l’avait emmené, un jour, à M… Des amis lui avaient donné rendez-vous au tir au pigeon. Thierry, entendant ces mots assassins, avait eu un pressentiment, et demandé des explications. La fée avait essayé d’adoucir la vérité ; mais il avait compris, et dit : « Jamais… jamais je n’entrerai ! » Elle avait dû le laisser dans sa voiture. Elle avait de l’appréhension : sûrement, il entendrait les coups de feu ; comment allait-elle le retrouver ? Elle le retrouva débordant de joie ! Et Mme Serge Alexandreff, à cette minute de l’histoire, en débordait aussi. Thierry s’était sauvé dans le parc, au milieu duquel était le tir. Au premier coup, il s’était bouché les oreilles, en fermant les yeux. Mais au second, qu’avait-il vu ? Un pigeon échappé à la mort, qui de son bec avait l’air de soigner son aile, réfugié dans un pin, juste au-dessus de lui ! Mon Dieu, s’il avait pu lui faire comprendre que quoique de race humaine, il n’était pas comme les autres, qu’il voulait le soigner et l’aimer ! Mais… au premier mot, le pigeon s’envolerait ! — « Quelle torture, madame, disait-il le soir à Mme Alexandreff, de ne pouvoir persuader à une bête qu’on est un honnête homme ! » Fou de dépit et de regret, il avait voulu du moins emporter l’image du pigeon, et dirigeant son petit kodak comme si c’était une lunette d’astronome, il l’avait pris par en dessous, tel qu’il le voyait… Sur l’épreuve il n’y avait que lui pour le retrouver. J’avoue que moi, son père, je ne vis rien. Mais Mme Alexandreff répétait confiante : « Je vous jure qu’il dit qu’on peut le voir ! »
Des romans de Dickens traînaient sur une table, débrochés, toutes les pages éparses :
— Ce sont nos lectures, fit-elle. Je les lui lis tout haut en anglais. Puis je les lui traduis en français. Après quoi, je les lui fais remettre en anglais. Mais pour qu’il saisisse bien la différence de son anglais avec l’anglais des anglais, ensemble (nous ne sommes pas gros, nous tenons dans le même fauteuil) nous les relisons encore dans son vrai texte anglais. Ah ! monsieur, ajouta-t-elle, les larmes aux yeux, j’accepte de l’argent de vous, parce que je n’ai rien, rien de rien, et… que j’aime bien tremper de temps à autre un bout de biscuit dans une goutte de thé ; mais je vous le vole cet argent-là ! C’est moi qui devrais vous en donner, tant j’ai de joie avec cet enfant !
Elle sortit de sa manche un petit mouchoir brodé (cadeau d’un Général, de l’État-Major de l’Empereur), s’essuya les yeux, et dit dans un sourire :
— Le malheur est qu’il est adoré de tout le monde. C’est un roi dans le pays ! Moi, je l’appelle « mon petit dieu », ce qui est sacrilège peut-être ; mais sans aller jusque-là, on a raison de dire comme Fricotelli, le maçon, que c’est un petit garçon enchanté. À sa naissance, vous avez dû voir des choses extraordinaires. À quelle heure est-il né ? Comment était la lune ? Faisait-il un temps idéal ? Il dut y avoir une minute de repos dans le monde… Et c’est possible — comment le savoir ? — qu’à cette minute, personne ne soit mort, et que brusquement, les souffrances aient cessé. En tout cas, à moi, il m’a fait oublier mes malheurs : la révolution, ma jeunesse — cette jeunesse où j’ai eu toutes les maladies !… si bien que maintenant, je ne peux plus rien attraper, et que j’ai une vieillesse libre !
Elle le disait avec une figure rayonnante. Mais Thierry rentrait en courant :
— Papa, viens voir la chèvre de Fricotelli. Fais-moi plaisir : elle habite à côté !
Il fallut céder comme d’habitude. « Je reviendrai. » dis-je à Mme Alexandreff. Et en hâte je suivis l’enfant. J’aperçus une chèvre ; je dis bonjour au maçon : Thierry avait déjà disparu, appelé par une voix ravissante qui disait : « Trésor, monte vite m’embrasser ! » J’eus tout juste le temps de voir disparaître deux petits pieds, en haut d’un escalier de bois. Mais le maçon bredouillait d’étranges paroles de reconnaissance :
— Monsieur… c’est vous ! C’est vous, le « papa » dont il parle tant ! Quel bonheur de vous voir, puisqu’on vous doit tout, que sans cet enfant la maison serait dans le deuil, et que moi, je demanderais qu’à mourir, après ma petite fille !
Je ne comprenais rien… Comment ! Comment ! je ne savais pas ! Avec une émotion débordante et des gestes tragiques ou comiques, toute une représentation passionnée de ses souvenirs, Fricotelli, le maçon, se dépêcha de me raconter. Flora, sa fille (un ange, une colombe !), avait été emportée par le torrent. On l’en avait tirée, quasi morte. Elle rejetait de l’eau, de l’eau : c’était affreux. Puis, elle n’avait plus bougé. Et elle était pâle, verte, de la couleur du torrent. Le curé, le médecin, le forgeron s’empressaient autour d’elle, — on l’avait couchée sur l’herbe — et le forgeron, le plus fort, lui faisait faire des mouvements respiratoires. Puis le médecin avait ordonné : « Donnez-lui de l’air !… » et son père, pleurant, tremblant, lui avait soufflé dans la bouche. Mais elle ne remuait toujours pas ! Pendant près d’une heure, on avait tout tenté. Enfin, le forgeron à bout de forces avait dit : « Je n’en peux plus ! » Et le médecin : « C’est fini ! Elle est morte ! » Alors, on avait entendu un cri, et vu Thierry que personne n’avait remarqué, se jeter sur elle, répétant : « Il faut essayer encore ! Moi, je vais lui donner de l’air, et lui remuer les bras ! Reposez-vous ! Laissez-moi ! »
À ce moment du récit, Fricotelli, joignant les mains, s’écria dans sa chaleur méridionale :
— Qu’il était beau ! Sa petite figure annonçait un miracle !
Médecin, forgeron, curé, tout le monde avait été secoué par cette foi d’enfant. Mais ils hésitaient encore, quand Thierry montrant du sang qui coulait dans les cheveux de Flora, s’était écrié :
— Ah !… c’est par là qu’elle perd sa vie !
C’était seulement la preuve qu’elle vivait encore.
— Je me suis trompé ! Elle n’est pas morte ! dit le médecin bouleversé.
— Sauvons-la ! Il faut la sauver ! bredouilla le forgeron.
Ils s’étaient tous remis à la tâche. Au bout d’un quart d’heure, elle avait ouvert un œil, soupiré : elle était vivante ! Cris de bonheur ! Voilà tout une maison dans la joie, et le petit garçon fêté, adoré ! Le maçon, finissant l’histoire, pleurait à chaudes larmes.
— Si vous étiez mort, monsieur, disait-il, on l’adoptait !
Sur ces mots, Flora descendit. Elle tenait Thierry par le cou. Quand elle me vit, elle s’arrêta, perdue d’émotion. Puis elle se jeta sur mes mains et les embrassa. Je ne savais que dire : cette petite était belle, d’une beauté ardente et piquante, elle respirait par la volonté de Thierry. J’aurais lu ce fait divers, j’aurais dit : « Trop beau pour être vrai ! » C’était vrai.
— Faites-nous plaisir, monsieur ! Restez à dîner ! me dit Flora.
Je m’assis, et je dis simplement combien j’étais heureux…
La comtesse, Mme Alexandreff, la petite Italienne : j’étais ébloui de la destinée de mon fils. L’annonce d’une vie de triomphateur !… Mais où se cachait-il ? Encore disparu.
— Ne vous inquiétez pas ! me dit Flora. Il a couru chercher son phonographe pour jouer du Mozart pendant qu’on dînera.