Chronique de Guillaume de Nangis/Année 1197

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Règne de Philippe II Auguste (1180-1223)

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[1197]


Les Allemands qui avaient passé dans le pays d’outre-mer, toujours turbulens, rompirent la trêve conclue entre les nôtres et les Turcs, et attaquèrent et prirent la ville de Béryte. Les Turcs, irrités, attaquent la ville de Jaffa, massacrent tous les habitans, renversent et rasent les remparts. Philippe, roi de France, prit en mariage Marie, fille du duc de Méranie et de Bohême, et marquis d’Istrie, dont il eut dans la suite Philippe, comte de Boulogne, et une fille, qui fut femme du duc de Louvain. Baudouin, comte de Flandre, qui, l’année précédente, avait, à Compiègne, fait hommage à Philippe, roi de France, renonçant ouvertement à sa foi, s’allia avec Richard, roi d’Angleterre, et persécuta partout avec violence le roi de France, son seigneur, et sa terre. Renaud, fils du comte de Dammartin, à qui le roi, par une extrême affection, avait donné en mariage la comtesse de Boulogne avec son comté, quitta aussi son parti. Le mari de la reine de Hongrie, sœur du roi Philippe, étant mort à Acre, ladite reine passa vers le pays d’outre-mer et y mourut quelque temps après.

Dans cette même ville d’Acre et dans le même temps, Henri, comte de Champagne, qui, s’étant marié à la femme du Marquis, régnait sur le royaume de Jérusalem, s’étant approché, le dos tourné, d’une fenêtre dans l’étage supérieur de son palais, vint à tomber, et expira brisé par cette déplorable chute. Sa mère, nommée Marie, qui gouvernait avec vigueur le comté de Champagne ; ayant reçu la nouvelle dé la mort de son fils et de sa sœur la reine de Hongrie, en conçut un violent chagrin, et mourut peu de temps après. Thibaut, son fils, frère de feu Henri, lui succéda dans le comté de Champagne. Les deux filles du comte Henri, qu’il avait eues de la femme du Marquis, demeurèrent à Acre, ainsi qu’une autre qu’elle avait eue avant du marquis Conrad. Amaury, créé roi de Chypre après la mort de Gui, son frère, roi de Jérusalem, prit en mariage ladite Isabelle, mère desdites filles, à qui revenait de droit le royaume de Jérusalem, et alors, pour la première fois, ladite Isabelle fut, avec son mari, couronnée reine à Acre. Pierre, chantre de Paris, célèbre par sa bonne vie et science, mourut dans un monastère appelé Long-Pont. La France fut par le pape Célestin, soumise à l’interdit à cause du divorce du roi de France et de la reine. Ce pape étant mort peu de temps après, Innocent III fut le cent quatre-vingtième pape qui gouverna l’église de Rome. Il fonda l’hôpital du Saint-Esprit, et restaura l’Église de Saint-Sixte. Il composa un livre sur les misères de la condition humaine et fit aussi un grand nombre de décrétales. Henri, empereur des Romains, mourut à Messine en Sicile, laissant entre les mains du pape Innocent son fils Frédéric, encore enfant, et sa femme ; mais il confia le gouvernement de l’Empire, pour cedit enfant, à Frédéric, son frère, duc de Souabe. Les Allemands qui avaient navigué vers la Terre-Sainte, ayant appris la mort de l’empereur, au moment où ils avaient lieu d’espérer de grands succés, retournèrent dans leur pays.