Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1857

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Chronique n° 612
14 octobre 1857


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre 1857.


Ce qui surviendra en Europe d’ici à quelques années, ou même d’ici à quelques mois, si l’on veut, qui pourrait le dire ? Ce qui résultera des derniers incidens de la politique, qui pourrait le prévoir ? Sans doute ces incidens, dont on s’est appliqué à scruter le secret, peuvent avoir des conséquences qu’on verra se traduire, à un jour donné, en faits publics. Ce n’est pas pour rien évidemment que des souverains se rencontrent, que des rapprochemens inattendus s’opèrent, que toute la diplomatie est en mouvement. D’un autre côté, il y a dans toutes les situations une logique qui tend sans cesse à se dégager. Une chose toutefois reste bien certaine pour le moment, c’est que tout est encore à sa place en Europe. L’entrevue de Weimar a succédé à celle de Stuttgart, comme celle-ci avait suivi le voyage à Osborne ; les principaux souverains ont cherché et trouvé l’occasion de délibérations ou d’entretiens plus intimes, et rien n’est changé dans l’ensemble des rapports généraux du continent. Peut-être même ceux-là seraient-ils le plus rapprochés de la vérité, qui s’en tiendraient aux conjectures les moins ambitieuses au sujet de ces visites si diversement et si étrangement interprétées. Si Stuttgart n’a point été et ne pouvait être un nouveau Tilsitt, si l’alliance intime et exclusive de la France et de la Russie est une chimère, que deviendra cette autre éventualité qu’on se plaisait récemment à rattacher à l’entrevue de Weimar, celle d’une alliance de la Russie et de l’Allemagne contre la France ? Cette merveilleuse combinaison est vraisemblablement le fruit tardif et malheureux d’un dernier accès de mauvaise humeur des journaux allemands. Non, si l’on s’en tient au présent, rien ne semble changé, et, même dans les limites des hypothèses les plus simples, les visites impériales et royales qui viennent d’occuper pendant tout un mois les imaginations du continent ont encore une signification, une portée politique : elles ne modifient pas la situation respective des gouvernemens, elles peuvent influer sur les dispositions qu’ils portent dans le maniement des affaires du monde.

On n’en est point à remarquer en effet que des dissonnances singulières se sont successivement manifestées en Europe depuis quelque temps, surtout depuis la paix de Paris. À dater de ce moment, on a vu surgir un embarras indéfinissable que le cours des choses ji’a fait que développer. La France n’a point cessé d’être l’alliée de l’Angleterre, mais elle s’est trouvée en contradiction avec elle sur plusieurs points essentiels, tandis qu’elle se rencontrait au contraire sur ces mêmes points avec le gouvernement russe. D’un autre côté, la guerre avait laissé la Russie et l’Autriche dans une sorte d’hostilité sourde. Était-ce un effet fortuit des circonstances ? Toujours est-il qu’il semblait s’opérer un double rapprochement entre la France et la Russie d’une part, entre l’Autriche et l’Angleterre de l’autre, — que la politique des dernières années déviait insensiblement, et que deux camps se formaient en Europe. La question des principautés a mis récemment cette situation dans tout son jour. Or, dans ces conditions et à ce point de vue, quel’est le sens de tous ces voyages de souverains ? Il est bien clair d’abord que l’entrevue de Stuttgart n’implique nullement un refroidissement de l’alliance de la France et de l’Angleterre ; cette alliance subsiste dans toute son intégrité. L’Angleterre était probablement assez bien renseignée pour ne prendre aucun ombriige des visites en Allemagne. En même temps l’entrevue de Weimar a-t-elle dissipé tous les ressentimens qui divisaient la Russie et l’Autriche ? Elle peut du moins avoir pour effet de substituer à des rapports pleins d’aigreur des relations moins difficiles, plus bienveillantes ; elle fait sortir l’Autriche de l’isolement où elle a semblé se trouver un instant. Et ceci revient à dire que tout ce mouvement de voyages et de visites a pu effacer des animosités sans modifier des systèmes politiques, créer des amitiés nouvelles sans briser d’anciennes alliances, réveiller enfin chez tous les gouvernemens le sentiment commun de la nécessité des transactions dans le règlement des difficultés qui existent encore en Europe. Le reste est l’affaire de l’avenir, ce souverain et dernier maître de toutes les résolutions.

La première question où se rencontreront les gouvernemens européens pour s’arrêter à une détermination collective va être encore cette affaire des principautés danubiennes, dangereux héritage légué par la guerre à la diplomatie. Ce qu’ont été les élections dans la Moldavie, on le sait déjà. Le résultat est plus compliqué dans la Valachie. Dans son ensemble, il est vrai, ce résultat est entièrement favorable à l’union : c’est le point désormais hors de doute ; mais ici commencent les complications, car le parti de l’union, qui a triomphé en Valachie, est lui-même divisé. Il y a une fraction de libéraux modérés et une fraction de libéraux progressistes. Quelques-uns des hommes mêlés au mouvement révolutionnaire de 1848 ont été élus. Ne résultera-t-il pas de cette composition du divan de la Valachie une certaine confusion dans l’expression des vœux relatifs à l’administration intérieure du pays ? Dans tous les cas, il y aura un point sur lequel toutes les opinions se rallierront, et ce point est l’union. Ainsi en Valachie et en Moldavie les mêmes tendances se dessinent ; le sentiment des populations, sans être encore officiellement constaté, se prononce de plus en plus en faveur de la fusion des deux provinces. Est-ce à dire, comme nous l’indiquions récemment, que tout soit résolu, si les divans émettent un vœu qu’il est facile de prévoir ? Ce n’est là au contraire que le premier pas et le moins décisif, car, en passant dans le congrès, l’affaire prend un tout autre caractère ; elle devient une affaire européenne, une question à régler entre gouvernemens qui ont des droits égaux, sinon une puissance égale. Dans les assemblées délibérantes ordinaires, tout se résout par un scrutin ; c’est la majorité qui prononce. Il n’en est pas tout à fait ainsi dans un congrès diplomatique où les puissances qui délibèrent, par cela même qu’elles sont également indépendantes, ne peuvent s’imposer mutuellement des résolutions. Il y a sans doute une mesure délicate et difficile à saisir ; ici, de toute nécessité, l’esprit de transaction a sa place.

La Turquie n’a peut-être pas entièrement obéi à cet esprit de transaction en adressant à ses agens une circulaire diplomatique où elle semble se prononcer d’une façon absolue et exclusive contre l’union des principautés. Que veut dire ce nouvel exposé des vues de la politique ottomane ? La Turquie n’a pu évidemment avoir la pensée de dominer d’avance, par une manifestation intempestive, les décisions du congrès. Elle n’a voulu peut-être qu’en imposer aux divans des deux provinces, et en cela elle se met une fois de plus en contradiction avec elle-même, après avoir annulé les élections moldaves, justement parce que ces élections n’avaient pas été libres. S’il n’y avait aucun compte à tenir des vœux des populations, comment le traité de Paris aurait-il prescrit cet appel direct au pays ? comment la diplomatie se serait-elle résolument employée à garantir la liberté des élections ? Et si l’expression libre, sincère de l’opinion publique a été une condition stipulée diplomatiquement, adoptée en commun, comment l’une des puissances se soustrairait-elle aux conséquences les plus simples, les plus directes des engagemens auxquels elle a souscrit ? Deux choses restent donc intactes : la liberté des divans, qui ont le droit d’émettre tous leurs vœux, et la liberté du congrès, au sein duquel toutes les politiques pourront se produire. Quelle que soit d’ailleurs l’importance de cette question de l’union, et quelque place qu’elle doive vraisemblablement oôcuper dans les délibérations des divans de Bucharest et de Iassy, il ne faut point oublier qu’elle n’est pas la seule. Bien d’autres questions s’agiteront, aussi importantes en un certain sens. Il y a la question des couvons grecs ; il y a surtout celle de la propriété, qui implique, à vrai dire, une révolution sociale par l’abolition du servage. Le difficile est d’accomplir cette émancipation juste et nécessaire d’une partie de la population, en respectant le plus possible tous les droits. L’Autriche a réalisé cette grande réforme après 1848 par d’habiles et ingénieuses combinaisons ; elle a son expérience à offrir. C’est en étudiant avec maturité toutes ces questions que les divans de la Valachie et de la Moldavie prépareront les élémens des décisions du congrès. C’est surtout en restant dans les limites de la modération qu’ils donneront de la force à ceux qui se sont faits les défenseurs de l’autonomie roumaine. L’union triomphera-t-elle encore après tout ? C’est ce qu’il est difficile de dire, car ce n’est point évidemment pour cela que l’épée sera tirée de nouveau. Quoi qu’il en soit, il est impossible que sous la pression des circonstances la Turquie elle-même n’en vienne pas à accepter une fusion qui, fût-elle limitée pour le moment à l’organisation administrative, économique, judiciaire des deux provinces, préparerait infailliblement l’union politique, c’est-à-dire l’indépendance de la nationalité roumaine.

Pendant ce temps que deviennent les affaires des Indes ? À travers les obscurités inévitables qui planent sur la marche des événemens, on peut remarquer, ce nous semble, que si la situation des Anglais ne s’améliore pas sensiblement, elle ne s’aggrave pas, elle reste au même point, et ce fait seul constitue peut-être le progrès le plus réel. Ce n’est pas en un jour qu’une situation si subitement compromise et bouleversée par la plus foudroyante tempête peut être victorieusement raffermie. La lutte est partout aujourd’hui ; l’essentiel est que, dans ce conflit terrible entre une poignée d’hommes héroïques combattant au nom de l’Angleterre et les masses de l’insurrection^ les forces britanniques se maintiennent dans leurs positions, sans gagner sensiblement de terrain, il est vrai, mais aussi sans reculer. Or tel paraît être l’état des choses. Qu’on interroge cet ensemble de faits jusqu’à une date assez récente, qui ne remonte pas à plus d’un mois : Delhi est toujours au pouvoir des insurgés, qui harcèlent l’armée assiégeante. Le mouvement s’est étendu dans tout le royaume d’Oude, et il ne reste que la citadelle de Lucknow aux mains des Anglais, cernés de toutes parts dans ce dernier asile. Le général Havelock, l’un des hommes qui se sont le plus signalés dans cette lutte, a vainement essayé de se faire jour à travers les masses des révoltés ; il n’a pu y réussir, et il a été obligé de se replier sur Cawnpore, où il reste, en attendant que son petit corps, de moins de mille hommes, soit renforcé par l’arrivée du général Outram, qui marche à son secours. Ces trois points divers, Delhi, Lucknow, Cawnpore, attirent principalement l’attention et l’intérêt jusqu’ici. Le reste du Bengale d’ailleurs semble singulièrement troublé. La commotion est partout, et on peut dire à la rigueur que les Anglais sont tout juste maîtres du terrain que leurs soldats occupent. Quant aux deux autres présidences de Madras et de Bombay, si la fermentation est grande et universelle, elle ne s’est point traduite jusqu’ici en insurrection, ou tout au moins il n’y a eu que des soulèvemens partiels de quelques régimens natifs qui ont été désarmés, et, selon toute apparence, le désarmement prendra chaque jour de plus larges proportions. Un fait certain, c’est qu’on ne peut plus compter sur les régimens indigènes de Madras et de Bombay pour les envoyer dans le Bengale. C’est là ce qu’on peut appeler la partie toujours grave et menaçante des affaires de l’Inde. D’un autre côté, l’armée assiégeante de Delhi a été renforcée par l’arrivée du brigadier Nicholson. Le général Havelock, bien qu’obligé de rester à Cawnpore, a battu de nouveau les insurgés, et sa jonction avec le général Outram est imminente. En un mot, comme nous le disions, les Anglais se sont maintenus dans leurs positions, et par-dessus tout, ils touchent au moment où vont arriver dans l’Inde les renforts de troupes européennes expédiées par l’Angleterre. Alors la lutte s’engagera dans des conditions nouvelles, et si tous les périls ne sont point passés, si l’on n’abat pas du premier coup une armée ennemie qui compte soixante ou quatre-vingt mille hommes, du moins des opérations plus décisives pourront être entreprises, non plus seulement pour se défendre, mais pour pacifier l’Inde.

Ces événemens sont sans contredit une des plus graves et des plus pénibles épreuves qui aient été imposées à l’Angleterre depuis longtemps. Ils sont tout d’abord l’affaire de la nation britannique sans doute ; mais ils sont aussi l’affaire de tous les peuples, qui ne peuvent considérer avec indifférence cette lutte engagée entre la civilisation et la barbarie musulmane de l’Inde. Là est la vérité, là est la règle de l’opinion qu’on doit se faire de cette crise. N’y a-t-il pas cependant des esprits assez subtils ou assez bizarres pour débattre de singulières questions ? Entre les soldats de Nana-Saïb et les Anglais, de quel côté faut-il porter ses sympathies ? Où est l’intérêt de la civilisation ? Ne serait-ce pas un grand bienfait et surtout une grande satisfaction pour tous les peuples, si l’Angleterre était expulsée de l’Inde ? Voilà les questions étranges qui s’agitent parfois. Et quand l’Angleterre serait chassée de l’Inde, la remplacerions-nous ? La civilisation, les idées européennes, le christianisme, y trouveraient-ils un grand avantage ? Le peuple anglais n’a point d’illusions à se faire : il n’a pas beaucoup d’amis dans le monde, et les malheurs qui viennent le surprendre n’excitent que peu de sympathies. On le traite coaune La Rochefoucauld prétend que tous les hommes traitent leurs meilleurs amis ; on semble se plaire à le voir dans la peine. C’est un mauvais sentiment, mais il existe, et il est assez répandu. Qu’on n’ait point une sympathie aveugle pour l’Angleterre, qu’on réprouve les habitudes hautaines et dures de sa politique, qu’on signale les fautes qu’elle a commises dans les Indes, soit ; cela n’empêche pas que la domination britannique ne représente la civilisation au milieu des populations corrompues ou barbares de l’extrême Orient. L’Angleterre, au surplus, n’est point la dernière en ce moment à confesser ses fautes et à faire son examen de conscience. Elle procède publiquement à ces sortes d’enquêtes, car tout se dit au-delà du détroit, et c’est là un des traits du caractère de ce peuple, de même que c’est sa grandeur morale de reconnaître un maître, — qui n’est point de ce monde, il est vrai, — et de s’abaisser devant lui dans ses épreuves. C’est ainsi que récemment la reine a ordonné un jour de jeûne et d’humiliation à l’occasion des affaires de l’Inde, comme dans toutes les circonstances douloureuses pour la nation. Ce jour-là, les églises se sont remplies ; les prédicateurs ont fait la confession de l’Angleterre. Toutes les boutiques se sont fermées. Les Anglais n’ont pas cru livrer leur liberté en reconnaissant la puissance de leur loi religieuse. Nous connaissons un peuple qui trouverait peut-être que c’est là de la momerie et de la superstition, et c’est pour cela sans doute qu’il a su si bien assurer les destinées de sa liberté.

Dans les affaires du monde, à travers ce mélange de tous les intérêts de la politique et du commerce dont les gouvernemens ont d’abord à s’occuper, une des choses les plus émouvantes pour l’observateur est le spectacle de la nature humaine elle-même, quel que soit le théâtre où elle apparaisse, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Inde ou de l’Amérique. Cette triste nature humaine, on ne la voit pas toujours en beau, mais c’est la nature humaine. Les événemens la montrent à l’œuvre ; l’histoire la peint à grands traits en racontant les scènes de la vie des peuples et des hommes ; les livres de voyages la révèlent dans ce qu’elle a de plus intime, de plus actuel et de plus local. Le meilleur commentaire des affaires de l’Inde, ne serait-ce pas aujourd’hui un récit de voyage sincère et vrai, un récit qui décrirait ces populations vieillies et corrompues, amollies et féroces, qui montrerait comment a pu se former un Nana-Saïb, ce ministre atroce des vengeances des Hindous ? L’Europe a intérêt aujourd’hui à connaître de plus près ces contrées lointaines, l’Inde, la Chine, qui sont en ce moment le théâtre d’un drame dont l’héroïne est la civilisation. Avec son petit livre instructif et piquant sur Canton ou un coin du Céleste-Empire, le docteur Yvan peut servir de guide jusqu’au seuil de la Chine. Que sait-on au-delà ? Un autre voyageur, l’auteur d’une série de récits, Huit jours sous l’Équateur, — les Révoltés du Para, — les Métis de la Savane, — M. Émile Carrey, va vous conduire à son tour dans le Nouveau-Monde, dans ces régions où la nature hispano-portugaise, en se transformant par degrés, est devenue la race qui peuple aujourd’hui l’Amérique du Sud tout entière, de même que l’Anglais transporté au-delà de l’Atlantique et séparé de la mère-patrie est devenu le Yankee. Ces gradations et ces phénomènes sont un des plus curieux problèmes contemporains.

Il est bien des voyageurs qui, en parcourant un pays, semblent n’être préoccupés que d’eux-mêmes ; ils n’aperçoivent que le reflet de leur pensée dans tout ce qui les environne. Ils se font ainsi « une petite perspective toute personnelle, sans songer que l’intérêt est moins dans ce qu’ils ressentent que dans ce qu’ils voient, dans l’originalité des choses qui passent sous leurs yeux. M. Émile Carrey ne raconte pas ses impressions sous cette forme directe du récit de voyage ; il crée des fictions qui ne sont pas toujours heureuses ou nouvelles, il est vrai, mais dont le cadre flexible se prête naturellement à la description des lieux, à la peinture des mœurs, à la reproduction des types humains. Or les contrées et les populations que l’auteur décrit sont celles de l’Amazone et du Brésil. M. Carrey a observé ces pays, il en a saisi les aspects et les caractères, et quand même il y aurait dans ses pages des hardiesses de langage qui pourraient aisément prendre un nom différent, il ne resterait pas moins un intérêt d’un autre genre, car à mesure que vous avancerez dans cette navigation vers les côtes brésiliennes, vous allez vous trouver en présence de la nature équatoriale, des végétations opulentes, et de ces spectacles splendides où tout prend un aspect grandiose, presque fantastique. Laissez-vous conduire à l’île Majaro, à l’embouchure de l’Amazone : vous aurez comme une révélation rapide d’un monde étrange ; c’est la vie telle qu’elle apparaît sur les côtes presque abandonnées, dans les savanes. Vous verrez s’agiter toute cette population d’Européens dégénérés, d’Indiens, de noirs, de métis, de vaqueiros. Il y a surtout dans les Métis de la Savane un type curieux, c’est le major Abutre, le roi de l’île de Majaro. Le major Abutre est au fond d’origine indienne, mais il a dans les veines assez de sang européen pour prendre un certain ascendant sur ceux qui l’entourent, l’ascendant du maître sur ses esclaves. Il a de grandes propriétés, des troupeaux immenses de bœufs et de chevaux dans ses savanes, des serviteurs nombreux dans ses fazendas. Au besoin, il ferait encore la traite, quoiqu’elle soit abolie au Brésil, et si quelque navire en détresse vient échouer sur la côte, il le pillera sans scrupule, sans oublier de mêler la contrebande à la piraterie. D’ailleurs il ne se soucie guère des autorités, qui le troublent fort peu dans sa royauté de Majaro. C’est un type complet décrit par l’auteur. Ces détails de mœurs n’éloignent pas de la politique autant qu’on pourrait le croire. Si une révolution éclatait au Brésil, il ne serait pas impossible qu’on ne vît sur la scène quelques-uns de ces types dont parle l’auteur des récits de l’Amazone. Cette révolution ne peut être efficacement combattue que par l’immixtion croissante des races européennes. C’est ainsi que se poursuit ce travail permanent, nécessaire, souvent contrarié, de la civilisation de l’Occident allant vers le nord et vers le sud comme vers l’Orient. C’est là peut-être la plus réelle poésie de notre temps, celle qui flotte dans l’air, et qui est dans les choses beaucoup plus que dans les livres.

Si l’on y réfléchit bien, ce qui manque aujourd’hui dans les lettres, c’est le sentiment d’un but élevé, c’est cette saine et vigoureuse sève morale faute de laquelle les forces se gaspillent, les talens se dépriment et les mœurs littéraires se corrompent. Or, quand les mœurs littéraires se corrompent, ce n’est pas seulement le signe des défaillances de l’esprit : il y a un mal social qui gagne, qui envahit, et apparaît sous une multitude de formes. Ce n’est donc pas sans raison que M. Ernest Legouvé a saisi l’un de ces vices contemporains pour le traduire sur la scène, dans une comédie représentée l’autre jour au Théâtre-Français. Cette nouvelle comédie s’appelle le Pamphlet. M. Legouvé a mis son drame en Espagne ; il lui a donné un faux air de Figaro ; il a rassemblé des personnages à qui il ne manque que d’être plus réels, et il a brodé une action dont le héros est le pamphlétaire. Ce triste héros va à travers la comédie, hautain, flagellé, quelque peu meurtri et nullement corrigé. L’auteur fait représenter le châtiment par un jeune gentilhomme ruiné qui n’a plus rien à faire qu’à s’en aller dans l’autre monde, et qui veut du moins se tranquilliser l’âme par une bonne action avant de mourir, en brûlant tout simplement la cervelle au pamphlétaire. Ce n’est pourtant qu’une menace. Le châtiment le plus efficace promis à l’écrivain qui se dévoue à ces œuvres obscures, c’est la conscience publique qui l’inflige. Le poète comique peut à son tour réveiller cette conscience et lui prêter une voix ; mais, pour féconder cette donnée, il faudrait un Aristophane, et malheureusement M. Legouvé n’est point l’auteur des Oiseaux, il n’est même pas M. Scribe, et voilà comment, avec un grand sujet, il n’a fait qu’une petite comédie, suffisamment édifiante et médiocrement amusante, qui frappe juste quelquefois sans intéresser, et après laquelle tous les poètes comiques peuvent encore venir.

La politique de l’Europe marche au milieu des embarras et des écueils visibles ou invisibles. Toutes les questions qui s’agitent au moment présent ne conduisent pas sans doute inévitablement à des conflits ; elles contribuent à développer, à entretenir une sorte de malaise qui engendre l’incertitude, et dont toutes les situations finissent par se ressentir. Que voyez-vous au nord ? Les affaires du Danemark, qui tiennent si fort à cœur à l’Allemagne et qui par l’Allemagne touchent à tout l’ordre européen, ces affaires ne tendent nullement à se simplifier ; elles se compliquent et s’obscurcissent au contraire ; elles se perdent dans ce dédale d’interventions diplomatiques et d’antagonismes intérieurs d’où il faut sans cesse dégager cette insaisissable et malheureuse question. Aujourd’hui le roi de Danemark fait un voyage dans le Jutland, et partout il reçoit des populations de ces contrées des témoignages de fidélité et de sympathie qui prennent évidemment, dans les circonstances actuelles, un certain caractère politique. En même temps les chambres du royaume proprement dit viennent de se réunir à Copenhague en l’absence du souverain, et elles ont été immédiatement saisies d’une pétition de l’association démocratique des paysans réclamant l’abrogation de la constitution commune du 2 octobre 1855. Ces faits ont un sens assez clair, venant après le résultat absolument négatif de la session récemment tenue à Itzehoe par les états provinciaux du Holstein ; ils sont une réponse à l’opposition des duchés. Telle est la situation que l’aristocratie holsteinoise s’est plu à créer par l’attitude qu’elle a prise dans la dernière assemblée provinciale d’Itzehoe.

On sait quel était l’objet de cette réunion : le gouvernement danois, mû par un sentiment de conciliation, voulant faire droit aux griefs des duchés et déférer en même temps aux pressantes sollicitations de l’Autriche et de la Prusse, s’était décidé à convoquer extraordinairement les états du Holstein pour leur soumettre un nouveau projet de constitution provinciale. Cette constitution nouvelle réalisait des réformes utiles, libérales en certains points ; elle devait être considérée comme un gage de conciliation, et elle aurait pu tout au moins être sérieusement examinée. Il n’en a rien été. L’assemblée d’Itzehoe, dans sa courte session, a tout rejeté à peu près sans examen, en se fondant sur ce que la constitution proposée traitait des privilèges particuliers du duché et non de sa position indépendante vis-à-vis du Danemark, c’est-à-dire que l’assemblée d’Itzehoe se faisait de sa propre autorité l’arbitre de l’organisation générale de la monarchie danoise. Le président des états, M. de Scheel-Plessen, a pris la parole pour constater l’impossibilité d’une transaction, et le commissaire du roi, M. de Levetzau, bien qu’Allemand d’origine et bailli dans le Holstein même, n’a pu que déplorer les passions aveugles qui emportaient cette assemblée. Il y a mieux : si quelques voix se sont élevées pour demander que le projet du gouvernement fût au moins étudié et discuté, on s’est efforcé de les réduire au silence. En un mot, l’aristocratie holsteinoise a tenu sans doute à prouver une fois de plus qu’elle fait au Danemark non une opposition ordinaire, mais une guerre de principe, dont le dernier mot est toujours le démembrement de la monarchie. Elle se montre encore aujourd’hui telle qu’elle a été en 1848, avec le même esprit intraitable et les mêmes prétentions qui l’ont jetée, il y a neuf ans, dans la guerre civile. Est-ce à dire que ces manifestations systématiquement hostiles soient l’expression exacte de l’opinion générale des populations ? Il y a dans cette apparente unanimité d’opposition qu’on a vue à Itzehoe une véritable confusion qui tient à l’état du pays. Qu’on remarque en effet que le parti dominant aujourd’hui dans le Holstein se compose principalement des seigneurs, des avocats et des employés. Les seigneurs défendent obstinément leurs privilèges ; les avocats ne veulent point laisser entamer une législation inextricable où leur art trouve amplement à s’exercer ; les employés tiennent à maintenir les traditions de la bureaucratie allemande. Les hommes de ces diverses classes sont partout, dans les hautes positions, dans les états provinciaux, dans les fonctions publiques. Par la censure dont ils disposent, ils répriment dans la presse toute manifestation contraire à leurs intérêts ou à leurs vues. Ils arrivent de la sorte à créer l’unanimité ; seulement cette unanimité factice n’est nullement en rapport avec l’opinion réelle d’une grande partie de la population moyenne, qui ne demanderait pas mieux que de se rattacher au Danemark, d’accueillir les améliorations proposées, les libertés offertes, qui réprouve cette aveugle opposition, et qui en fin de compte ne peut pas même parvenir à faire entendre sa voix.

Comment cet état s’est-il perpétué jusqu’à présent ? D’une façon bien simple : cela tient au mode de pacification du Holstein en 1848. Le Danemark, obligé de dompter par les armes une insurrection flagrante, se voyait arrêté dans sa marche victorieuse, au moins en ce qui touche le Holstein. L’Allemagne intervenait, elle faisait occuper le pays par des troupes de la confédération germanique. Le gouvernement danois se trouvait dès-lors limité de toutes parts, ne pouvant accomplir les améliorations administratives ou les épurations nécessaires, et réduit à ne toucher à rien. Le souverain du Danemark usait d’ailleurs d’une indulgence extrême envers les personnes. Toutes les rigueurs se bornaient au bannissement de quelques-uns des chefs principaux du soulèvement. C’est ainsi que cette opposition, vaincue d’abord comme faction armée, puis amnistiée et demeurée en définitive maîtresse du terrain, se retrouve encore avec ses sentimens d’hostilité contre le Danemark, avec ses velléités insurrectionnelles, outre qu’elle se sert des avantages qu’elle a conservés pour intercepter les opinions et les vœux du reste de la population. Les membres de la diète d’Itzehoe invoquaient dans leurs paroles la modération et la conciliation. Il n’est pas moins vrai que le parti dominant dans le Holstein est occupé depuis plusieurs années à fomenter les passions de l’Allemagne contre le Danemark ; il a ses émissaires auprès des cours germaniques. Les chevaliers holsteinois sont en négociations permanentes avec Berlin et Vienne, et au dernier moment c’est derrière la Prusse et l’Autriche qu’ils s’abritent pour soutenir leurs prétentions, se refusant à toute transaction avec leur souverain.

Telle est cette opposition tenace et violente qui s’emploie si tristement à paralyser tout progrès constitutionnel et libéral, à entretenir de sourdes inquiétudes ou des passions de guerre civile dans les états de la monarchie danoise. Tout ce qui vient de Copenhague lui est suspect et est interprété d’une façon haineuse. Si le Danemark est obligé de faire acte d’autorité, on crie à la violence et on appelle l’intervention étrangère ; s’il offre des libertés plus grandes que celles qui existent dans la plupart des états allemands, on rejette ces offres, comme on vient de le voir, sous prétexte qu’elles ne sont pas sincères, et en réalité parce que l’opposition holsteinoise préfère la guerre ou l’incertitude à la paix, à un système plus libéral d’administration qui la rendrait impuissante. Et qu’arrive-t-il ? les autres parties de la monarchie danoise se lassent et s’irritent. Les populations du Jutland, nous l’avons dit, saisissent cette occasion pour entourer le roi à son passage, et lui offrir leur dévouement au cas où une insurrection éclaterait comme en 1848. D’un autre côté, dans le royaume, le parti qui pense avoir fait un grand sacrifice en renonçant à la constitution très libérale de 1849, pour se soumettre à la constitution commune de 1855, ce parti se remue de nouveau. De là cette pétition de l’association démocratique des paysans demandant le rétablissement du régime de 1849. Dans quelques jours, cette question va s’agiter dans les chambres de Copenhague. Effectivement, dès que le Holstein refuse de reconnaître la constitution de 1855, comment le parti qui, dans le royaume, ne l’a acceptée qu’avec peine, ne serait-il pas disposé à revenir sur ses concessions ? Et chacun se retranchant dans ses prétentions exclusives, où cela peut-il conduire, si ce n’est à un nouveau conflit ? Jusqu’ici il ne paraît y avoir eu encore aucune communication diplomatique décisive, soit de la part du Danemark, soit de la part des cours germaniques, à la suite des délibérations de la diète d’Itzehoe. Il est difficile cependant que la Prusse et l’Autriche persistent à couvrir de leur égide l’opposition holsteinoise, et à vouloir faire intervenir la diète de Francfort. La modération sied mieux à leur politique et à la politique générale de l’Europe. En dehors de toute considération diplomatique d’ailleurs, l’Autriche et la Prusse sont dans une situation morale particulière vis-à-vis du Danemark, car si celui-ci a dû faire face à l’insurrection du Holstein en 1848, il est loin d’avoir atteint dans sa victoire la limite des sévérités exercées par les deux puissances allemandes quand elles ont eu à réprimer des mouvemens semblables dans leurs propres possessions.

L’Espagne, comme il était facile de le prévoir, est arrivée à une crise qui ne se manifeste par aucune perturbation extérieure, mais qui dénote un trouble profond, et qui met en jeu tous les ressorts du pouvoir. Le ministère, après plusieurs ébranlemens successifs, n’a pu vivre plus longtemps, et il a donné sa démission, qui a été acceptée. Quinze jours se sont écoulés sans qu’un nouveau gouvernement se soit formé, et dans cette sorte d’interrègne ministériel, c’est l’ancien cabinet qui est encore au pouvoir, exerçant une autorité plus nominale que réelle. Comment s’est produite cette crise nouvelle ? Elle existait, à vrai dire, depuis quelque temps déjà : elle a commencé, il y a deux mois, le jour où le président du conseil formulait des demandes et faisait entendre des paroles qui ont pu blesser secrètement la reine ; elle s’est renouvelée plus récemment, lorsque le cabinet proposait la nomination du général Lersundi comme capitaine-général de l’île de Cuba ; elle s’est dénouée définitivement, il y a peu de jours, à l’occasion d’une liste de nouveaux sénateurs soumise à la reine. La reine n’a point voulu accepter certains noms et notamment celui du père du ministre de l’intérieur. Comme le ministère était d’ailleurs à demi décomposé, il n’en a pas fallu davantage pour précipiter sa chute. Ce sont là les faits apparens. Il restait à savoir comment l’ancien cabinet allait être remplacé. Or ici a commencé cette crise singulière qui ressemble à une énigme. Par le fait, deux combinaisons étaient possibles. Le général Narvaez quittant le pouvoir, M. Bravo Murillo semblait être le candidat le plus désigné pour lui succéder. M. Bravo Murillo a une des positions les plus élevées dans le parti conservateur ; il exerce une grande influence, due surtout à ses talens d’administrateur et de financier. Il n’était point à Madrid au moment de la crise ; il y est arrivé depuis peu, et, s’il a été appelé au palais, il ne paraît avoir reçu de la reine aucune mission relative à la formation d’un cabinet. Une autre combinaison dans un sens plus libéral, quoique toujours conservateur, aurait pu réunir des hommes comme le général Armero, M. Mon, aujourd’hui ambassadeur à Rome. Jusqu’ici cependant rien n’a été décidé. Ce n’est point encore le moment de scruter de trop près les causes de la chute du dernier cabinet et des difficultés que rencontre la formation d’un nouveau ministère. L’état de division où vit malheureusement le parti conservateur espagnol n’est point sans doute étranger à tous ces faits. D’un autre côté, la reine ne se hasarderait-elle pas singulièrement, si elle se complaisait trop dans cette situation où son pouvoir est tout, et où il n’y aurait plus de place que pour des ministères sans volonté et sans force propre ? Là est la gravité de la crise qui se déroule actuellement au-delà des Pyrénées. Le danger, c’est cette série de complications intimes auxquelles ne résiste aucun pouvoir, qui laissent tous les esprits incertains, lorsque le premier intérêt du pays et de la reine elle-même serait dans la prompte formation d’un gouvernement réunissant toutes les forces du parti conservateur.

Ce n’est point certes dans le Nouveau-Monde qu’il faut aller chercher la paix, la régularité de la vie sociale et politique. Non, ce n’est pas même aux États-Unis, où, à côté de tant d’autres signes de puissance et de vitalité, on voit se poursuivre des luttes incessantes à main armée, S’agiter des sectes étranges comme celle des mormons. Une crise financière prolongée est venue se joindre depuis quelque temps à tous les incidens d’une existence plus énergique que réglée. Quant aux autres républiques du Nouveau-Monde, quelle est celle qui échappe aux troubles et à l’anarchie ? L’Amérique centrale est de nouveau menacée d’une invasion de Walker, et le président des États-Unis, M. Buchanan, après un moment d’hésitation, s’est vu obligé de prendre quelques mesures contre le zèle conquérant des flibustiers. Au Mexique, le président, M. Comonfort, est encore une fois assailli par les insurrections ; c’est le Yucatan qui est soulevé maintenant contre lui. Au Pérou, la lutte est engagée depuis près d’un an entre le général Castilla et le général Vivanco, établi à Arequipa comme chef d’un mouvement insurrectionnel. La guerre continue, et jusqu’ici il est difficile de dire de quel côté est la victoire, car si Vivanco s’est montré d’une singulière faiblesse dans cette triste campagne, sa résistance ne prouve pas que son adversaire soit très fort.

Une seule république américaine avait échappé jusqu’à présent à cette contagion du désordre : c’est le Chili, qui a vu ses ressources grandir, son commerce prospérer, et qui a réalisé ce, phénomène surprenant d’un état hispano-américain n’ayant que trois présidons en plus de vingt-cinq ans. Voici cependant que le Chili, à son tour, semble soumis à une épreuve assez grave. Ce n’est point une insurrection, c’est une crise toute politique, constitutionnelle, et qui remonte, à vrai dire, à la réélection du président actuel, M. Montt. C’est comme représentant de la politique conservatrice que M. Montt était réélu l’an dernier, après avoir exercé pendant cinq ans le pouvoir. Malheureusement il arrivait au lendemain de cette réélection ce qui arrive souvent : le parti conservateur se divisait, et cette scission était déterminée par un changement de ministère qui éloignait des affaires quelques hommes considérables remplacés par des hommes plus jeunes, que le président choisissait, disait-on, parce qu’il espérait trouver en eux des instrumens plus dociles. Cette situation a eu ses conséquences. M. Montt s’est vu placé entre une sorte de réveil du parti révolutionnaire, qui a cherché à profiter de l’occasion, et la dissidence, de plus en plus marquée, de toute une fraction du parti conservateur. Il a contenu d’une main ferme les révolutionnaires, il a livré aux tribunaux quelques conspirateurs ; mais lorsque la session législative s’est ouverte il y a quelques mois, il s’est trouvé en présence d’un autre danger. L’opposition conservatrice a immédiatement engagé les hostilités contre le ministère par une proposition d’amnistie en matière politique, proposition dont le sens était d’autant plus clair qu’elle coïncidait justement avec les sévérités exercées par le gouvernement contre les conspirateurs. Or ici s’ouvrait une de ces luttes parlementaires que la constitution du Chili tempère par d’habiles combinaisons. Le sénat adoptait d’abord la proposition d’amnistie, et la chambre des députés la repoussait au contraire. Le sénat reprenait alors son œuvre et l’adoptait de nouveau. Cette fois, d’après les règles constitutionnelles, la chambre des députés ne pouvait rejeter la motion qu’aux deux tiers des voix ; malgré tous les efforts du gouvernement, cette majorité ne pouvait être atteinte. La loi d’amnistie a donc été adoptée par les deux chambres, et elle a été transmise au pouvoir exécutif. Le président, usant de son droit, a refusé de sanctionner la mesure, et la proposition ne peut être renouvelée que dans une session postérieure ; mais le ministère, qui a combattu la loi d’amnistie dans les deux chambres, et qui a même engagé son existence sur cette question, ne laisse pas d’avoir essuyé une humiliante défaite, et sa présence au pouvoir est devenue, sinon impossible, du moins très difficile. Que va faire le président ? C’est là aujourd’hui la question qui s’agite au Chili, et de l’issue de cette crise, on ne peut le nier, dépend jusqu’à un certain point la sécurité de ce petit pays, jusqu’ici accoutumé au calme. Le fait le plus grave, il est facile de le voir, c’est la division du parti conservateur. Uni et compacte, ce parti a maintenu le Chili depuis vingt ans dans des conditions relativement prospères ; divisé, il peut frayer la route au parti révolutionnaire, qui a été vaincu toutes les fois qu’il s’est montré. C’est la leçon des événemens en Amérique comme sur notre vieux continent. Ces pays du Nouveau-Monde sont quelquefois un rude théâtre pour les agens européens. Pendant quelques années, il y a eu, non au Chili, mais à San-Francisco, un homme représentant la France comme consul-général : c’est M. Dillon, qui avait été nommé récemment chargé d’affaires à Haïti. Il s’était trouvé en Californie dans des momens difficiles où il avait eu à déployer une singulière énergie. M. Dillon vient de mourir à Paris, jeune encore, sans avoir parcouru jusqu’au bout sa carrière, mais après avoir servi la France avec honneur dans ces contrées lointaines.

ch. de mazade.




REVUE MUSICALE.

L’automne, encore chaud et resplendissant, étale les magnifiques produits d’une année féconde et bénie ; les théâtres lyriques s’agitent et commencent à préparer des récréations pour les élus de la fortune. Cependant le public à qui ces fêtes de l’art sont destinées n’est pas de retour à la grande ville. Il chasse, il fait ses vendanges, il perçoit ses fermages, il prend des forces et entasse des écus pour venir les dépenser à Paris. Après trois ou quatre mois d’ivresse, de plaisirs divers, de rêvasseries politiques d’autant plus amusantes qu’on n’en espère pas la réalisation, on retourne aux champs, où l’on rapporte les bruits, les fatigues, les petits péchés et les symphonies de la civilisation. Là, on se répare, on fait un peu de pénitence, on a l’air de croire à tout ce que dit M. le curé, on se met de la pieuse confrérie de Saint-Vincent-de-Paul, parce que cela est de bon ton et qu’on en peut tirer un bon parti. À l’occasion, on dit du mal de Voltaire et de Rousseau, et on est enchanté au fond de l’âme de vivre dans un temps d’équité dont ils ont été les précurseurs éloquens. Voilà la France, ou du moins cette partie de la nation qui s’appelle la société.

L’Opéra est toujours dans un état fort peu intéressant. Rien ne s’y fait, rien ne s’y prépare qui soit digne de fixer l’attention, je ne dis pas de la critique, mais simplement de l’homme de goût, qui va chercher au théâtre autre chose qu’un lieu commode pour la digestion. Rien dans les mains, rien dans les cartons. Un répertoire vieilli, chanté par des coryphées qui ne se sont pas donné le temps d’apprendre un art avec lequel ils gagnent jusqu’à soixante mille francs par an! Des directeurs, des inspecteurs, une commission composée de hauts et puissans personnages sont pourtant chargés de veiller aux destinées de ce grand établissement lyrique, créé, il y aura bientôt deux cents ans, par la munificence d’un vrai roi, je veux dire de Louis XIV. — Mais, dit l’opinion publique, que fait donc M. Meyerbeer? — L’auteur ingénieux et profond de Robert le Diable et des Huguenots fait de la diplomatie. Il courtise la brune et la blonde, l’opera seria e l’opera comica, et ne débride pas son coursier. Il va, il vient, il frappe à la porte de celui-ci et de celui-là, et n’oublie que ses amis, parce que, comme disait Henri IV, en vrai Gascon qu’il était : « Les amis sont toujours là. » Eh ! mon cher grand maître, vous oubliez qu’il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Voltaire et que le plus fin diplomate, fût-il né aux bords de la Sprée : c’est tout le monde. Vous en ferez tant, vous laisserez tellement couler d’eau sous les ponts de la Seine, que vous amènerez M. Richard Wagner à Paris, et que nous entendrons dans la salle de l’Opéra les ravissantes mélodies du Tannhaüser. L’affaire est déjà bien avancée, je vous en avertis, et par ce temps de libre échange et de transactions internationales l’événement ne peut tarder à s’accomplir.

Cependant l’Opéra, pour entretenir de bonnes relations avec le public, vient de lui faire un petit cadeau. Le Cheval de Bronze, conte chinois mis en musique par M. Auber et représenté pour la première fois sur le théâtre de l’Opéra-Comique le 23 mars 1835, a été approprié par les auteurs pour la grande scène où l’on ne peut entendre un seul des chefs-d’œuvre dont Gluck l’a illustrée! Si jamais la France périt, ce qu’à Dieu ne plaise! elle mourra d’une indigestion de vaudevilles et d’opéras-comiques. En consomme-t-il tous les ans de ces niaiseries prétendues littéraires et musicales, ce peuple de conteurs et de gausseurs ! Trente théâtres ne suffisent pas à le rassasier de gaudrioles, il faut que l’Opéra se mette aussi de la partie! Je ne suis pas un ennemi de la gaieté quand elle est de bon aloi, et surtout musicale, comme dans le Comte Ory, le Philtre, et autres charmans chefs-d’œuvre; mais j’avoue que, puisqu’il existe un théâtre exclusivement consacré à ce genre trop national, je ne vois pas la nécessité de faire de l’Opéra une succursale de l’Opéra-Comique. Encore si le conte chinois de M. Scribe était amusant, et si la musique de M. Auber valait la peine d’être ainsi transvasée après vingt-deux ans de bouteille ! Il n’y a que le vin généreux qui s’améliore avec le temps, et la musique de M. Auber a trop d’esprit pour ne pas s’altérer promptement dans les vases fragiles où elle est contenue.

On dit souvent, au-delà de nos frontières, que la France est le pays de la jeunesse, — qu’impatiente d’y prendre possession de la vie, cette jeunesse bruyante rudoie volontiers sur les places publiques les gloires acquises qui n’y trouveraient pas le respect qu’on leur accordait à Sparte ou dans l’ancienne république de Venise. Je serais tenté de penser tout le contraire. Je trouve qu’en ce moment surtout la France est encombrée d’illustres vieillards qui tiennent la clé de tous les sanctuaires, et ne cessent de s’admirer dans le ruisseau de leur jardin. Que nous veulent-ils donc, ces glorieux représentans du passé qui n’ont jamais su inspirer à la jeunesse de nobles passions morales? Se croient-ils indispensables au monde? Un soir, l’empereur Napoléon se promenait mélancoliquement dans une salle des Tuileries; un courtisan, comme il y en avait beaucoup alors et comme il y en aura toujours, était appuyé à une fenêtre et faisait semblant de contempler le ciel étoilé. — Que regardez-vous là? lui dit brusquement le maître. — Sire, je contemple votre étoile qui est plus brillante que jamais. — Vous croyez? lui répondit négligemment l’empereur. — Pouvez-vous en douter, sire? que deviendrait la France, que deviendrait l’Europe sans votre génie ? Vous êtes indispensable au monde qui a besoin de vos lois. — Monsieur, répondit Napoléon d’un ton sérieux et presque solennel, apprenez qu’il n’y a pas d’homme indispensable. Si je venais à mourir, la France, l’Europe et le monde se passeraient fort bien de moi. — C’est en 1811, avant la campagne de Russie, que ce dialogue avait lieu au palais des Tuileries. Pour revenir au conte à dormir debout qui s’appelle le Cheval de Bronze, où était la nécessité d’en donner une nouvelle édition considérablement alourdie de pauvres récitatifs, où l’on a de la peine à reconnaître la main, autrefois si légère, de M. Auber? Ah! que nous l’avons aimé, ce charmant compositeur de folles et fugitives amours qui glissait, sans trop appuyer, sur la corde sensible! Héritier de la lyre de Grétry, dont il n’a pas le génie, contemporain de Boïeldieu, qui lui est supérieur par le naturel, le sentiment et le charme des mélodies, dominé par Hérold de toute la hauteur de la passion, du coloris et de la science instrumentale, l’auteur aimable de la Fiancée, de Fra Diavolo, du Maçon, de la Muette et du Domino noir s’est frayé un sentier fleuri qui l’a conduit tout doucement à la fortune d’abord, puis à la gloire. Voilà bientôt quarante ans qu’il occupe la scène, ce spirituel Anacréon qui a chanté, du bout des lèvres, tant de jolies chansons dont le peuple a gardé le souvenir. Pourquoi donc s’exposer encore sans nécessité aux regards d’un public malin et au jugement d’une critique vigilante qui pourrait vous demander compte enfin d’un assez grand nombre de péchés mignons ? Si l’on vous disait par exemple que la moitié et la plus belle moitié de la partition du Cheval de Bronze revient à Rossini, dont M. Auber admire et connaît à fond le génie! Il ne faut pas, comme on dit, réveiller le chat qui dort, et le jour où l’on examinera avec soin la, couronne de roses qui orne les cheveux blancs du dernier des compositeurs français, on pourra y compter bien des feuilles mortes et beaucoup de clinquant. Quoi qu’il en soit, le Cheval de Bronze a eu à l’Opéra le succès qu’il méritait, et c’est à peine si le beau talent de Mme Ferraris, qui danse, non pas comme une muse, mais comme une sirène, suffit pour faire supporter quatre mortels actes de chinoiseries parisiennes. Aimez-vous la musique parisienne, adressez-vous à M. Auber, qui n’en a pas fait d’autre jusque dans l’Enfant Prodigue, grand opéra biblique en cinq actes. Ah ! si M. Auber avait le temps, il s’occuperait du Conservatoire, qui va si mal, où il se passe des scènes si pénibles; le jour où l’auteur du Domino Noir jettera les yeux sur ce vieil édifice, il sera bien étonné de tous les abus qu’on y cultive avec succès.

A l’Opéra-Comique, les nouveautés intéressantes ne sont guère plus nombreuses que sur la grande scène de l’Opéra. Nous avons à mentionner un opéra en un acte, la Clé des Champs, qui a été représenté le 20 mai, et dont la musique gracieuse est de M. Deffès, qui avait déjà composé pour ce même théâtre l’Anneau d’argent. Un ouvrage en trois actes de M. Reber, les Dames capitaines, représenté le 3 juin, n’a pas fourni non plus une longue carrière, et s’en est allé où s’en vont les roses d’antan et les feuilles jaunies. Tout récemment, le 30 septembre, on a donné à ce même théâtre deux actes de la composition de M. Ferdinand Poise, qui s’intitulent le Roi don Pedro. La scène se passe en Espagne sous le règne de don Pedro le Justicier, qui y joue un rôle fort singulier, dont le beau travail de M. Mérimée sur cette partie de l’histoire de la Péninsule ne nous avait pas donné l’idée. La pièce n’est en soi ni bonne ni mauvaise, et n’a d’autre mérite que d’avoir fourni au compositeur l’occasion d’écrire une partition facile, si ce n’est originale: M. Poise est un élève de ce pauvre Adolphe Adam, qui parlait de l’art de Mozart et de Rossini avec le même sans-façon qu’il apportait dans la musique de ses vaudevilles[1]. Connu déjà par plusieurs petits méfaits de ce genre, tels que Bonsoir, voisin, et les Charmeurs, deux opérettes du Théâtre-Lyrique, M. Poise semble avoir voulu donner une meilleure idée de son savoir-faire, et il y a réussi, car la musique de son nouvel ouvrage révèle un homme de talent qui connaît la scène et ses exigences, auxquelles il sait se conformer. Parmi les morceaux que nous avons remarqués, nous citerons les couplets encadrés dans le chœur de l’introduction, qui ne manque pas de franchise, et surtout la romance que chante le roi don Pedro, nuit tutélaire, qui se termine en un trio plus distingué qu’on n’était en droit de l’attendre de M. Poise. Au second acte, il y a encore un trio bouffe, il est mort, qui est fort bien tourné, et d’une gaieté qui échappe à la trivialité, vers laquelle le talent de l’auteur de Don Pedro penche trop volontiers. En résumé, le nouvel ouvrage de M. Poise lui donne le droit d’aspirer à mieux. L’exécution de Don Pedro est comme la pièce, elle s’écoute sans transport et sans dépit. Mais voulez-vous assister à un spectacle tout à fait charmant, allez entendre Joconde avec M. Faure, précédé de la Fête du Village voisin, de Boïeldieu, où M. Stockhausen donne des preuves évidentes qu’il est le meilleur chanteur que nous ayons à Paris. Les beaux esprits s’étonnent que la direction du théâtre de l’Opéra-Comique ait un goût si prononcé pour la reprise des petits chefs-d’œuvre de l’ancien répertoire. Qu’ils s’en prennent donc au public, qui plus que jamais semble rechercher le naturel, la grâce et la musique qui se fait avec le cœur et non pas avec des pointes de vaudevilliste. Cependant la reprise toute récente de Jeannot et Colin du même compositeur a été moins heureuse que celle de Joconde. M. Stockhausen n’est pas encore assez comédien et n’a pas la voix merveilleuse de Martin pour affronter avec succès les difficultés du rôle du marquis de la Jeannotière. Il y a été fort empêtré, et dans le charmant trio du premier acte il n’a pu en faire ressortir les contrastes piquans. D’ailleurs ni Mlle Lhéritier ni Mlle Henrion ne peuvent prêter à cette musique d’un naturel si charmant l’accent de vérité naïve qui en a fait le succès en 1814.

La salle Ventadour, après avoir donné refuge pendant tout le mois de septembre à la troupe de comédiens italiens où brillait l’admirable talent de Salvini, vient de se rouvrir pour la musique et les chanteurs de M. Verdi. La chute est grande de l’Othello de Shakspeare, joué par Salvini, qui s’est révélé à nous comme le plus grand tragédien qu’il y ait sans doute en Europe, à l’art grossier et popolano du Trovatore. Plus on entend cette musique, violente et pauvre tout à la fois, et moins on la goûte. Qui aurait jamais dit que l’Italie tomberait assez bas pour s’engouer jusqu’à la folie d’informes mélodrames coloriés par un musicien lombard, qui s’est fait l’imitateur maladroit d’un art étranger dont la science lui est inaccessible? Heureusement que l’Italie renferme, comme la boîte de Pandore, bien des remèdes au mal qui la ronge. Un pays qui dans sa décadence incontestable produit encore des talens d’un ordre aussi élevé que Mme Ristori et M. Salvini peut espérer de renaître un jour et de ressaisir la domination qu’il a exercée pendant tant de siècles sur l’admiration des hommes. Quoi qu’il en soit de cette renaissance intellectuelle de l’Italie, que nous appelons de tous nos vœux, l’exécution du Trovatore, par lequel le théâtre Ventadour a inauguré la saison musicale le 2 octobre, n’a présenté aucun incident qui mérite d’être signalé, si ce n’est que la cloche qui intervient dans la grande scène du miserere n’est pas en harmonie parfaite avec le ton de l’orchestre. Il s’en faut même d’au moins cinq comma, pour parler la langue rigoureuse des acousticiens. Du reste, M. Mario, Mme Steffenone et M. Graziani sont des artistes trop connus déjà du public parisien pour que nous ayons besoin d’analyser de nouveau leurs qualités respectives, entremêlées de graves imperfections. Seulement il nous a paru que M. Graziani, qui n’a jamais été pour nous un foudre de guerre, a perdu quelque chose de la fraîcheur et de la vibration de son organe, seul mérite qu’on ne puisse lui contester; mais il a conservé les mêmes points d’orgue, les mêmes inflexions, avec une intonation douteuse qu’il n’avait pas l’année dernière. Le rôle de la bohémienne Azucena est rempli cette année par Mme Nantier-Didiée, une Française élevée au Conservatoire de Paris sous les auspices de M. Duprez. Nous n’avons rien à dire pour le moment de cette nouvelle acquisition de M. Calzado, si ce n’est que la voix de Mme Nantier-Didiée n’est pas précisément un contralto. Nous attendrons pour apprécier son mérite qu’elle chante autre chose que cette musique de sauvage que Mme Alboni a eu le bon esprit de repousser, comme indigne de son beau talent. Après il Trovatore, qui n’a pas excité cette année des transports d’enthousiasme, le Théâtre-Italien a donné récemment Rigoletto, pour les débuts d’une nouvelle cantatrice qui s’appelle Mlle de Saint-Urbain, un vrai nom de comédie. Mlle de Saint-Urbain est Française comme Mme Nantier-Didiée. Elle a fait ses premières armes, assure--on, au grand théâtre de Saint-Charles, à Naples, où il ne semble pas qu’elle ait pu s’élever au rang suprême d’une diva qui n’a qu’à se montrer pour être adorée. Élève, je crois bien, de M. Alary et ensuite de M. Pierre Marini, Mlle de Saint-Urbain est une jolie femme svelte, au minois mutin, qui tient plus du type de Manon que de celui de Mme Frezzolini, une patricienne, une gentildonna de la plus grande élégance. La voix de Mlle de Saint-Urbain répond à son physique : c’est un soprano agréable, d’une sonorité médiocre, excepté les cinq dernières notes du registre supérieur, fa, sol, la, si, do, qui ont un certain éclat dont il ne faudrait pas abuser. Cependant sa respiration est courte, et en ajoutant à cette petite imperfection une vocalisation lourde, qui ne peut guère s’améliorer, parce que la nature de l’organe s’y refuse, on acquiert la conviction que Mlle de Saint-Urbain ne peut être qu’une charmante cantatrice de fantaisie, une excellente prima-seconda donna di cartello, pour parler la langue des impresarii. Elle a été accueillie avec bienveillance par le public, et s’est fait justement applaudir dans le duo du troisième acte avec M. Corsi, comme dans le beau quatuor de la scène finale. M. Mario était en voix, et la représentation n’aurait laissé rien à désirer, si tout le monde ne s’était donné le mot pour chanter au-dessous et quelquefois au-dessus du ton. Ce qu’il y a de mieux cette année au Théâtre-Italien, c’est l’orchestre, qui a trouvé dans M. Bonetti un chef intelligent et zélé.

Le Théâtre-Lyrique, qui s’était reposé pendant deux bons mois à l’ombre de ses succès, a fait sa réouverture le 1er  septembre. Quelques opérettes avaient été données à la fin du printemps, le Duel du Commandeur de M. Lajarte, les Commères de M. Montuoro, un compatriote de l’illustre Manin que l’Italie vient de perdre si prématurément, et les Nuits d’Espagne, ouvrage en deux actes de M. Semet qui vaut une grosse partition. Il y a de l’entrain, de la facilité mélodique et une assez forte dose de bonne humeur dans ce premier début de M. Semet, qui ne peut tarder de reparaître devant le public, qui a gardé de son talent un bon souvenir. Un opéra en un acte, Maître Griffard, de M. Léo Delibes, mérite aussi une mention honorable pour les bonnes intentions qu’on y remarque, et dont la meilleure est un petit air comique : Je suis Blaise, etc. Mais il est temps de nous occuper un peu de musique, nous voulons dire de l’Euryanthe de Weber, que la direction du Théâtre-Lyrique a fait traduire et arranger pour le goût de son public.

Cette fois-ci M. Carvalho a été moins bien inspiré que lorsqu’il entreprit, il y a un an, d’approprier au théâtre qu’il dirige l’Oberon du même compositeur. Les difficultés aussi étaient plus grandes. Euryanthe est un opéra héroïque sans dialogue et accompagné de récitatifs, ce qui, d’après notre classification un peu arbitraire, le range parmi les ouvrages qui appartiennent au genre du Grand-Opéra. En supprimant les récitatifs de la partition d’Euryanthe, on a commis une erreur semblable à celle qu’on a faite à l’Opéra en y transportant le Freyschütz, qui est une légende populaire où le dialogue fait partie intégrante et nécessaire de l’action. Faire déclamer des récitatifs pompeux aux humbles personnages du Freyschütz, qui se composent d’un garde-chasse, de sa fille, de son fiancé Max et de paysans, est un contre-sens non moins grave que de prêter à la belle Euryanthe, au roi qui la protège et au chevalier Adolar, qui est épris de ses charmes, les menus propos de gens du commun. Peut-être eût-il été plus facile de faire subir à la partition d’Euryanthe l’opération césarienne dont nous venons de parler, si les arrangeurs avaient été des musiciens, et des musiciens familiarisés avec le génie de Weber. Et puis M. Carvalho, en appréciant mieux qu’il ne l’a fait la difficulté de son entreprise, aurait dû attendre le retour du public digne d’un pareil festin. Livrer en pâture à une cohue de vaudevillistes le poème d’un grand musicien est une faute énorme pour un administrateur qui se pique d’aimer autre chose que des Reine Topaze et des Fanchonnette.

C’est à Vienne, le 25 octobre 1823, que fut représentée pour la première fois l’Euryanthe de Weber. Le rôle important d’Euryanthe fut rempli par Mlle Sontag, de charmante et bien triste mémoire, celui d’Adolar par Haitzinger; Forti était chargé de celui de Lysiart, Mme Grünbaum, de la partie d’Églantine. Mme Schroeder-Devrient reprit plus tard ce rôle d’Euryanthe, qui fut une de ses plus belles conquêtes. Le poème sur lequel Weber a composé ce second chef-d’œuvre est d’une femme, de Mme Wilhelmine de Chezy, qui, née à Berlin en 1783, vint à Paris en 1810, attirée par Mme de Genlis, qu’elle avait connue en Allemagne. Elle y épousa en secondes noces M. de Chezy, orientaliste célèbre, alors professeur de sanscrit au Collège de France. Ce second mariage ne fut pas plus heureux que le premier. Mme de Chezy retourna en Allemagne, où elle rédigea des journaux, publia des recueils de nouvelles, et fit, pour le malheur de Weber, le libretto d’Euryanthe, qui, grâce au génie du musicien, son collaborateur, conservera son nom dans l’histoire. Telle est la toute-puissance d’un vrai poète qu’en posant le doigt sur le front d’un inconnu, il lui communique la vie éternelle. Euryanthe fut accueillie avec froideur par le public de Vienne, ce qui affligea beaucoup le pauvre Weber, qui était déjà atteint du mal dont il est mort en 1826. Le jugement sévère que Beethoven porta sur la partition d’Euryanthe en disant que « c’était une accumulation d’accords de septième diminuée » lui fut surtout très pénible. Quelques jours après la première représentation d’Euryanthe, dont les partisans de l’opéra allemand à Vienne attendaient une victoire qui pût continuer celle obtenue par le Freyschütz et contre-balancer l’influence de l’opéra italien et du génie de Rossini, Weber rendit visite à Beethoven avec sa nouvelle partition à la main. Le grand symphoniste le reçut avec bienveillance, en lui disant avec une certaine brusquerie qui lui était familière : « Ce n’est pas après la représentation, c’est avant qu’il fallait venir... Du reste, ajouta-t-il, je vous conseille de traiter votre partition d’Euryanthe comme j’ai traité celle de Fidelio, de la raccourcir au moins d’un tiers. » Schubert aussi eut des paroles amères pour Euryanthe, ce qui donna lieu à une discussion presque comique entre les deux musiciens, qui s’abreuvaient pourtant à la même source d’inspiration nationale. On ne sait pas assez avec quelle cruauté se traitent entre eux ces êtres privilégiés qui, sans l’intervention de la critique, finiraient par s’entre-dévorer. Plus le génie est grand, plus il est implacable et personnel. Comme l’amour, il est exclusif et jaloux. Weber lui-même n’avait-il pas fait dans les journaux, et sous à couvert de l’anonyme, une critique plus que sévère de la Symphonie en la mineur?

Euryanthe se releva pourtant de sa première disgrâce. On la donna à Berlin, à Dresde, à Leipzig, à Vienne même, où Mme Schroeder-Devrient la fit mieux apprécier en 1825. Enfin le peuple allemand, ce peuple de chanteurs, comme l’appelle M. Gervinus, a classé Euryanthe parmi les chefs-d’œuvre de son théâtre lyrique qu’il écoute avec respect. Dans l’espace de quelques jours, on peut entendre tour à tour au Grand-Théâtre de Berlin Iphigénie en Aulide, Don Juan, la Vestale, Fidelio, le Freyschütz, Euryanthe, Oberon, le Nozze di Figaro, Guillaume Tell, la Muette, Robert le Diable, etc., tandis que le bon public de Paris, qui se croit le premier juge du monde, est condamné à la nourriture du Trouvère et du Cheval de Bronze ! — O attitudo !

On sait que le sujet d’Euryanthe est tiré d’un vieux roman de chevalerie français. Il s’agit de la belle Euryanthe protégée par un roi quelconque qui la destine à son ami, le preux chevalier Adolar. Cet amour est traversé par deux traîtres, Lysiart et Églantine, l’amie et la confidente d’Euryanthe, qui lui a enlevé le cœur d’Adolar. Mêlez à cette partie carrée un anneau dérobé, comme dans Lucie, un tombeau, un serpent monstrueux qui s’agite dans la nuit sombre comme le symbole du mauvais esprit, c’est-à-dire une forte dose de couleur mélodramatique, et surtout des éclairs de poésie chevaleresque, et l’on concevra que Weber, qui était un homme éclairé, se soit laissé prendre à cette fable, qui, à mon avis, en vaut bien une autre. Au fond, c’est la même donnée que celle du Freyschütz, et d’Oberon, la lutte du bien et du mal à travers les phénomènes de la nature, avec la conclusion morale, antique et solennelle, du triomphe de la vertu. De pareils sujets nous paraissent à Paris plus que naïfs, mais il faut les voir se dérouler devant un public allemand, qui va chercher au théâtre autre chose qu’une distraction passagère. Un mélodrame comme le Freyschütz, Euryanthe ou Fidelio, joué sur le théâtre de Vienne, de Berlin, de Dresde et de Munich, a une bien autre signification que sur un théâtre des boulevards. L’imagination du public est à l’unisson de la fantaisie du poète, et se prête à toutes les exigences du merveilleux. On aura beau faire, jamais certains chefs-d’œuvre de Shakspeare, tels que Hamlet, le roi Lear, Macbeth, etc., ne produiront devant un public français et de race latine l’effet prodigieux qu’ils obtiennent sur des Anglais ou des Allemands. Le public, son imagination, ses croyances et ses sentimens sont une partie intégrante de l’illusion dramatique. Rien n’est moins absolu que la poétique du théâtre. D’ailleurs il y a dans le poème d’Euryanthe, comme dans celui d’Oberon et du Freyschütz, et même dans le délicieux intermède de Preciosa, un amour de la nature extérieure, une surabondance de sève lyrique et une attraction si puissante vers les contrées lumineuses où fleurissent non-seulement les citronniers, mais la poésie chevaleresque et la molle sensualité,... qu’ils suffisaient pour attirer le génie de Weber. Ah! si j’osais contredire l’éloquent écrivain qui nous parlait ici dernièrement de sa jeunesse philosophique, je lui dirais : « La doctrine du panthéisme a pu être formulée scientifiquement par Spinoza d’abord, et puis ensuite par Schelling et Hegel; mais elle est latente depuis des siècles dans le génie de la race allemande tout entière. Cette race y a toujours été plongée jusqu’au cou, et le christianisme ne l’en a point guérie. Les mots que Goethe laissa échapper de ses lèvres expirantes : Mehr Licht ! mehr Licht! (plus de lumière! plus de lumière!) expriment l’aspiration intime (die Sehnsucht) de ce peuple voyageur vers les contrées de l’aurore, où il a vu le jour. » Mais revenons à nos moutons et à la musique d’Euryanthe, où le génie de Weber a si bien modulé son hymne à la nature.

L’ouverture d’Euryanthe ne vaut pas, à beaucoup près, les deux chefs-d’œuvre symphoniques qui précèdent le Freyschütz et Oberon. Composée, comme toujours, de phrases empruntées à la partition même, dont elle résume le caractère, elle ne présente pas à l’imagination une peinture saisissante, un raccourci saillant de l’œuvre qui va se dérouler sous les yeux du public. La première partie, vigoureuse et martiale, qui reparaîtra au premier acte, dans la grande scène du défi, est rattachée au second motif, infiniment plus original, par une transition de quelques mesures, puis le maître les reprend tous deux et les soumet à un travail pénible où les modulations se heurtent sans produire de lumière. La seconde phrase, confiée aux violons, devient le thème de la conclusion, qui ne manque pas d’éclat. L’exécution de cette ouverture est molle au Théâtre-Lyrique, les violons n’étant pas assez nombreux pour supporter le poids des instrumens à vent qui interviennent si fréquemment dans la musique de Weber.

Le premier acte s’ouvre au château du roi par un chœur charmant où les dames et les chevaliers célèbrent tour à tour et puis ensemble les douceurs de la paix et de l’amour. Survient le preux Adolar, qui, sur une invitation du roi, chante une tendre romance aux bords fleuris de la Loire. C’est la scène du second acte des Huguenots, modifiée par MM. Scribe et Meyerbeer. La romance que chante Adolar est de ce tour mélodique, tendre et pénétrant, qu’affectionnait Weber. Le troisième couplet surtout est relevé par un accompagnement pittoresque qui est un commentaire délicieux des paroles, où la description du phénomène extérieur de la nature tient plus de place que l’expression de ce qu’éprouve le personnage qui parle. Ainsi Adolar compare la beauté et la chasteté d’Euryanthe à une rose dont les vents et la tempête n’ont pu flétrir la fraîcheur. Le musicien s’empare de cette seconde partie de l’image dont il forme un tableau lyrique par les couleurs de l’instrumentation. Tout le génie de Weber est dans cette manière de procéder. Au moment où Adolar va recevoir la récompense de sa bravoure en épousant la belle Euryanthe, Lysiart trouble son bonheur en se vantant de prouver la fragilité d’une vertu si prônée. Il en résulte une scène où la colère, l’amour et le désespoir s’entre-choquent dans un ensemble plein de vigueur et de flamme guerrière. C’est ce qu’on appelle la scène du défi. La cavatine d’Euryanthe, où elle exprime moins le sentiment qui la pénètre que le ravissement que lui fait éprouver le spectacle de la belle nature qui est devant elle, cette romance en ut majeur est courte, mais suave. Le duo pour deux voix de femme entre Euryanthe et sa fausse amie Églantine est un délicieux madrigal qui rappelle un peu le duo du Freyschütz, sans le valoir. Le finale du premier acte au contraire est un chef-d’œuvre d’élégance chevaleresque. Le mouvement à six-huit, sur lequel Euryanthe brode les gracieuses arabesques où éclate son bonheur, est quelque chose de ravissant. Weber reproduira la coupe de ce morceau exquis dans le finale du premier acte d’Oberon, et ses émules ne manqueront pas de l’imiter. Le compositeur qui en a le mieux profité est Hérold.

Le second acte commence par un air de basse que chante le traître Lysiart, et dont la couleur sombre et démoniaque a trouvé aussi bien des imitateurs. Le duo pour basse et soprano qui vient après entre Églantine et Lysiart est péniblement écrit, et renferme d’affreuses difficultés d’intonation qui ne peuvent être accessibles qu’à des instrumentistes. Ce n’est pas le seul morceau d’Euryanthe entaché de ce défaut, témoin le premier mouvement de l’air d’AdoIar qui succède, tandis que l’allegro de ce bel air, qui ramène un des motifs de l’ouverture, est plein d’expansion et d’amour. Il n’est pas trop mal chanté au Théâtre-Lyrique par M. Michot, dont la voix a tout le mordant que ne possède plus celle de M. Gueymard de l’Opéra. Le duo entre Euryanthe et Adolar est aussi frémissant, aussi passionné que l’air qui le précède. Il fallait entendre Haitzinger et Mme Schrceder-Devrient dans ce duo profondément dramatique et si vocal en même temps! Le finale du second acte est bruyant, confus et péniblement écrit. Quelques éclairs mélodiques qui s’échappent de la poitrine oppressée d’Adolar sillonnent ce tourbillon de voix et d’instrumens, qui n’arrivent pourtant pas à produire l’effet de terreur que comporte la situation. Weber n’était pas à l’aise dans ces sortes de mêlées, où Meyerbeer est si puissant!

Le troisième acte est encore rempli par un duo de ténor et soprano, entre Adolar et Euryanthe, qui pourrait être aussi mieux écrit pour les voix, qui ont à franchir des intervalles comme ceux qu’on rencontre dans la musique vocale de Sébastien Bach. Mozart, maître divin, suprême conciliateur del canto che nell’ anima risuona et de l’instrumentation, où es-tu? Ton véritable successeur, l’auteur incomparable de Guillaume Tell, bâille aux corneilles dans le bois de Passy! La scène et les récitatifs dramatiques d’Euryanthe qui succèdent au duo renferment des beautés qui ne valent pas le fameux chœur des chasseurs, connu du monde entier, et qu’on chante fort bien au Théâtre-Lyrique. Weber, qui est le créateur de ce genre d’effets d’ensemble, n’y a point été égalé. Citons encore le grand air d’Euryanthe avec accompagnement du chœur, l’hymne au printemps, dont la musique exhale les parfums et la fraîcheur, enfin la marche nuptiale.

Si Euryanthe n’a pas l’unité profonde du Freyschütz, ni l’éclat et l’élégance facile qui distinguent Oberon, elle participe un peu des deux chefs-d’œuvre et en contient les beautés diverses. L’ouverture, la scène du défi et le finale du premier acte, d’une morbidesse toute méridionale; l’air sombre et démoniaque de Lysiart au second acte, le grand air d’Adolar, le duo si passionné d’Euryanthe et d’Adolar; au troisième acte, le chœur des chasseurs, l’air d’Euryanthe avec chœur, la chanson du printemps et la marche nuptiale sont des morceaux de premier ordre qui suffiraient à établir la réputation d’un musicien, disons mieux, d’un poète. Je ne parle pas d’une foule de détails pittoresques de l’instrumentation qui ravissent les connaisseurs, des récitatifs, qui sont parfois pleins de vigueur, et de l’une des grandes qualités de Weber, le choix des rhythmes et la soudaineté des modulations, qui éclatent tout à coup au milieu d’un cantabile, comme des feux de Bengale dans une nuit profonde. Euryanthe est un opéra chevaleresque, un poème héroïque où la bravoure, l’honneur des dames, les voluptés élégantes du peuple qui habite les bords heureux de la Loire, sont célébrés par un musicien du Nord, par un Minnesinger et un compatriote de Wolfram d’Eschenbach, qui aspire aux contrées bienheureuses d’où viennent la lumière et le renouveau. Quand on sort d’une représentation du Freyschütz, d’Oberon ou d’Euryanthe, on peut s’écrier avec un poète aimé de la Souabe, avec Uhland : « Ce n’est point dans de froides statues de marbre, dans des temples sourds et muets, c’est dans les forêts fraîches et sonores que vit et respire le Dieu des Allemands. » Nous n’avons pas parlé de l’arrangement du Théâtre-Lyrique et des modifications de toute nature que messieurs les faiseurs de l’endroit ont cru devoir faire à la partition de Weber. Le changement des noms si connus des personnages est une fantaisie qui ne conduira pas ces messieurs à la postérité. A tout prendre, nous aimons encore mieux le personnage d’Églantine que cette figure de la magicienne Zarah, qui en tient la place au Théâtre-Lyrique. L’exécution est du moins suffisante, et si Mme Rey avait une voix plus forte, elle ne serait pas trop déplacée dans le rôle si important d’Euryanthe. Les chœurs l’emportent cette fois sur l’orchestre pour l’ensemble et la vigueur. Tel qu’on l’exécute au Théâtre-Lyrique, le chef-d’œuvre de Weber vaut bien la peine qu’on se dérange. On sort l’âme rajeunie, car une simple goutte de poésie est plus fécondante que des tonneaux d’opéras-comiques comme le Cheval de Bronze.

Les Bouffes-Parisiens, qui ont tant fait parler d’eux pendant les accablantes chaleurs de la canicule, et qui ont osé franchir le détroit de la Manche sur leur frêle embarcation, sont réinstallés dans leur petite salle du passage Choiseul. Je ne sais si la fortune répond toujours à leurs efforts par un gracieux sourire, mais ils méritent parfois que la critique ne dédaigne pas de mentionner leurs victoires, quand elles sont remportées sans trop de grimaces. Par exemple, l’Opéra aux Fenêtres, de M. Gastinel, est un petit acte de bon aloi, d’une musique agréable, facile, et qui se tient d’aplomb sur ses deux jambes, ce qui n’arrive pas toujours. Un joli quatuor, pendant la nuit, quand je sommeille, pourrait être chanté dans un salon sans exciter de scandale. Tout récemment, les Bouffes-Parisiens ont remporté une autre victoire, le Mariage aux Lanternes, dont M. Offenbach a écrit la musique svelte, remplie de petits bruits, d’étincelles mélodiques et d’une gaieté communicative. Le verre de M. Offenbach n’est pas grand, mais il boit dans son verre de la piquette. Cette fois-ci il a rencontré juste, et, n’y eût-il dans le Mariage aux Lanternes qu’un agréable et frétillant quatuor et un duo pour deux voix de femmes, dans le genre de celui du Maçon, de M. Auber, que cela suffirait pour tuer un quart d’heure de loisir. Si M. Offenbach pouvait diriger sa nacelle avec des opérettes comme l’Opéra aux Fenêtres et le Mariage aux Lanternes, il obtiendrait plus souvent des marques de notre sympathie. Peut-être qu’alors les consommateurs de propos grivois se dégoûteraient d’un plaisir si fade, ce qui serait un grand bonheur pour l’avenir des Bouffes-Parisiens.

— Sœur Anne, ne vois-tu plus rien venir?

— Rien que le vent qui poudroie et Giacomo Meyerbeer qui s’enfuit de Paris les poches pleines de partitions inédites.


P. SCUDO.


V. DE MARS.

  1. On vient de publier un petit volume de M. Adolphe Adam : Souvenirs d’un Musicien, qui est quelque chose d’incroyable. L’auteur du Chalet et du Postillon de Longjumeau y donne des leçons de morale, de convenance, de goût et même de style à l’auteur de l’Emile et des Confessions!