Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne/Le poirier aux poires d’or et le corps sans âme

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LE POIRIER AUX POIRES D’OR ET LE CORPS SANS ÂME.


Un roi a dans son jardin un poirier merveilleux qui produit des fruits d’or. Mais il s’aperçoit que, depuis quelque temps, une poire disparait chaque nuit de l’arbre. Il a trois fils. L’aîné passe, le premier, une nuit au pied du poirier, armé d’un arc, pour essayer de surprendre le voleur. Mais il s’endort, et, le lendemain matin, il manque encore une poire. De même pour le second fils, qui veut surveiller les poires d’or, après son aîné. Le cadet tente l’aventure, à son tour, et il ne s’endort pas. Vers minuit, par un beau clair de lune, le ciel s’obscurcit tout à coup, et il voit un grand oiseau, un aigle sans doute, qui descend sur l’arbre, enlève un fruit et s’envole ensuite, en l’emportant dans son bec. Il lui décoche une flèche. L’oiseau pousse un grand cri et laisse tomber par terre la poire d’or ; mais il disparait néanmoins. Le lendemain matin, la poire, fut retrouvée, et aux gouttes de sang répandues sur le sol, on put suivre la trace du voleur jusqu’à un vieux puits d’une profondeur inconnue. Les deux fils aînés du roi descendirent dans le puits, l’un après l’autre ; mais, n’en trouvant pas le fond, ils eurent peur, et se firent remonter. Le cadet entra à son tour dans le seau, et descendit, descendit pendant plusieurs heures, si bien que les cordes faillirent manquer. À force de descendre, il finit par arriver dans un autre monde, où tout était différent de ce qui se voit dans le nôtre. Il se trouva au milieu d’un bois, et vit venir à lui une vieille femme, qui lui demanda où il allait.

— Je cherche, répondit-il, le voleur des poires d’or de mon père.

— C’est mon fils, dit la vieille, mais ne croyez pas qu’il soit facile de le prendre ; vous le verrez dans un château que vous trouverez bientôt.

Le cadet suivit une grande avenue de vieux chênes, et se trouva en effet, sans tarder, devant un château aux murs d’acier. Au-dessus de la porte de la cour, il vit l’aigle qu’il avait blessé, triste, et paraissant malade. Dès que l’oiseau l’aperçut, il s’envola, en poussant un grand cri. Le cadet pénétra dans la cour du château, et une belle demoiselle vint à sa rencontre et lui dit qu’elle était fille du roi d’Espagne et qu’elle avait deux autres sœurs, plus belles qu’elle, et, comme elle, retenues enchantées, depuis plus de cinq cents ans, par l’aigle, qui était un grand magicien. L’une de ses sœurs demeurait plus loin, dans un château d’argent, et l’autre, plus loin encore, dans un château d’or. S’il pouvait tuer l’aigle, il les délivrerait toutes les trois, et il pourrait alors épouser celle qui lui plairait le plus. Puis elle le conduisit jusqu’au château d’argent. L’aigle y était encore, perché au-dessus de la porte de la cour, et, en les voyant, il poussa un cri effrayant et s’envola plus loin, vers le château d’or. Les deux sœurs accompagnèrent le cadet jusqu’au château d’or. L’aigle y était perché sur la plus haute tour, et, dès qu’il les aperçut, il s’envola encore plus loin, en poussant un cri épouvantable. Les deux princesses du château d’argent et du château d’acier s’en retournèrent alors chez elles, et le cadet pénétra seul dans la cour du troisième château, qui était tout d’or. Une princesse, plus belle que les deux autres, vint à sa rencontre. Elle lui donna une épée enchantée, qui appartenait au magicien et dans laquelle résidait toute sa puissance, et lui dit d’aller se placer au milieu de la cour du château, de tenir la pointe de l’épée en l’air, et l’aigle viendrait planer au-dessus et continuerait de descendre, en tournant et en rétrécissant toujours les cercles, jusqu’à ce qu’il tombât sur la pointe de l’épée, et aussitôt il se changerait en homme et perdrait tout son pouvoir.

Le cadet se conforma de point en point aux instructions de la princesse, et tout se passa comme elle le lui avait prédit. . . Il retourna à l’ouverture du puits, avec les trois princesses, et tira la corde d’une petite cloche qui avait été suspendue au-dessus de l’ouverture supérieure, donnant ainsi à entendre qu’il voulait remonter. Les trois princesses entrèrent d’abord dans le seau, l’une après l’autre, et furent retirées du puits, et les deux princes aînés se les disputèrent ; puis ils coupèrent la corde et laissèrent leur frère au fond du puits. Mais le cadet avait retenu une des pantoufles de chacune des trois princesses, une d’acier, une d’argent et une d’or. Ses deux frères voulaient se marier, tout de suite, l’un avec la princesse du château d’or, l’autre avec la princesse du château d’argent. Les princesses dirent qu’elles ne se marieraient que lorsqu’on leur aurait procuré des pantoufles semblables à celles dont elles avaient déjà chacune une seulement. Mais laissons-les, un moment, et retournons au cadet.

La vieille femme, la mère de l’aigle, vint à lui, et lui dit :

— Rends son épée à mon fils (car il ne s’était pas dessaisi de l’épée enchantée), et il te fera sortir d’ici, et te ramènera dans ton pays.

Il rendit l’épée, à cette condition, et l’aigle le prit alors sur son dos, et, s’élevant avec lui dans le puits, il le ramena à l’ouverture supérieure. Puis, avant de s’en retourner, il lui dit de lui arracher une plume de la queue, de l’emporter et de l’approcher du feu chaque fois qu’il aurait besoin de secours, et il arriverait aussitôt. Le cadet arracha une plume à la queue de l’aigle et l’emporta. Puis il entra dans la ville, vêtu comme un mendiant. Il logea chez un maréchal ferrant. Il s’enquit des nouvelles de la ville ; on lui dit qu’il n’était bruit, pour le moment, que des deux fils aînés du roi, qui avaient conquis sur un enchanteur des princesses d’une beauté merveilleuse avec lesquelles ils étaient sur le point de se marier ; mais les princesses y mettaient pour condition qu’on leur procurât, auparavant, des pantoufles semblables à celles dont elles avaient déjà chacune une seulement, et on ne trouvait nulle part d’ouvrier capable d’exécuter un pareil travail.

Le cadet livra au maréchal les trois pantoufles, l’une après l’autre, et lui dit de se présenter avec elles à la cour, comme étant lui-même l’ouvrier qui les avait fabriquées, et de demander dix mille écus de celle qui était d’acier, vingt mille de celle qui était d’argent, et trente mille de celle qui était d’or. Mais les princesses, ayant reconnu leurs pantoufles, firent rechercher celui qui les avait livrées au maréchal, et le cadet fut amené à la cour et reconnu par elles. Alors les trois princes épousèrent chacun une des trois princesses, le cadet ne voulant tirer aucune vengeance de la trahison de ses frères, et il y eut de grandes réjouissances et de grands festins.


Le conte semble terminé ici, quoiqu’il présente des lacunes. Ainsi le héros ne fait aucun usage, ni jusqu’ici, ni plus tard, de la plume qu’il a arrachée à la queue de l’aigle. Ce qui suit est une autre fable, et c’est, sans doute, arbitrairement et uniquement pour allonger son récit et en augmenter l’intérêt, que le conteur l’a ajoutée à la première. Je crois pourtant devoir donner le récit de mon conteur dans toute son étendue, et tel qu’il me l’a présenté, pour rester fidèle à mon rôle de collecteur exact et consciencieux.

L’aigle avait aussi recommandé au cadet de prendre garde au Corps sans âme, qui pouvait encore lui enlever sa femme. Et en effet, comme il était un jour avec elle en voyage, elle lui fut soudainement enlevée dans un tourbillon[1]. Il se rappela la recommandation de l’aigle et se dit : « C’est le Corps sans âme qui me l’a enlevée  ! Je ne cesserai de voyager, ni de nuit ni de jour, que je ne l’aie retrouvée. » Et il se mit en route sur-le-champ. Surpris par la nuit dans une forêt, il monta sur un arbre, pour attendre le jour. Trois personnages vinrent se reposer sous le même arbre. Un d’eux avait un chapeau qui, mis d’une certaine manière, rendait invisible celui qui le portait, le second avait des guêtres avec lesquelles il pouvait faire cent lieues à chaque pas, et le troisième avait un arc avec lequel il atteignait tout ce qu’il visait. Il les avait entendus se faire ces confidences, et, quand il les vit bien endormis, il descendit tout doucement de son arbre, s’empara du chapeau, des guêtres et de l’arc, et partit alors. Il allait vite à présent. Il rencontra sur une grande lande une vieille femme qui lui demanda :

— Où vas-tu, ver de terre ?

— Je cherche le château du Corps sans âme, qui m’a enlevé ma femme, grand’mère.

— Eh bien ! tu n’en es plus bien loin ; tu le verras sans tarder sur le rivage de la mer ; mais il n’est pas facile d’y pénétrer. Tous les matins, quand le maître du château se lève, il lance du feu au loin par les trois fenêtres de sa chambre, et tout est brûlé, jusqu’aux pierres mêmes, dans les environs.

Le cadet met son chapeau de manière à n’être pas visible, et il pénètre facilement dans le château. C’était le soir. Le géant était à table, avec la princesse. Après le repas, chacun d’eux se retira dans sa chambre. Le cadet suivit sa femme dans la sienne, sans être vu, puis ayant changé de façon de mettre son chapeau, il redevint visible. Grand fut l’étonnement de sa femme de le voir auprès d’elle. Elle sut s’y prendre de manière à faire dire au géant, le lendemain matin, pendant le déjeuner, où résidait son âme.

— Il y a, dit-il, dans le bois qui entoure le château, une caverne avec une porte de fer, dont j’ai toujours la clef suspendue à mon cou par une chaîne d’or. Dans cette caverne il y a un lion, dans le lion, un loup, dans le loup, un lièvre, dans le lièvre, une colombe, et enfin dans la colombe, un œuf, et dans cet œuf est ma vie. Il faudrait tenir l’œuf, après avoir tué tous ces animaux renfermés les uns dans les autres, et me le briser sur le front, et je mourrais sur-le-champ. Mais tout cela est impossible à un homme, et je suis bien tranquille de ce côté.

Le cadet, qui était là, invisible, entendit tout. Sa femme s’empara de la clef d’or, pendant que le géant dormait, et la lui remit. Il se rendit alors au bois, ouvrit la caverne, tua successivement, avec son arc, le lion, le loup, le lièvre, la colombe, s’empara de l’œuf et revint avec lui au château. Il le brisa sur le front du géant, qui était étendu sur son lit, bien malade déjà et affaibli graduellement par la mort de chaque animal, et le monstre expira sur-le-champ, et le château lui-même disparut, avec son maître, dans le puits de l’enfer !

Le cadet et sa femme n’eurent aucun mal, et ils retournèrent alors dans leur pays[2].


Ce conte semble composé par le mélange de deux ou trois autres contes, que l’on trouve séparément ailleurs, par exemple les trois récits que l’on peut lire dans le recueil de M. Alex. Chodzko, Contes des paysans et des pâtres slaves, sous les titres de : l’oiseau Ohnivak, l’Esprit des steppes et le Tapis volant. Le géant Kostey, de l’Esprit des steppes, est un Corps sans âme. Comme dans le conte breton, sa vie est dans un œuf qu’on ne peut se procurer qu’en tuant successivement plusieurs animaux renfermés les uns dans les autres. Voici comment la vieille Yaga ou sorcière du conte slave donne ses instructions au prince Junak, pour triompher du géant Kostey, qui a enlevé la princesse Merveille : « Prince Junak, tu as entrepris une chose bien difficile ; mais ton courage te servira à accomplir ton dessein. Je vais t’indiquer le moyen de faire périr Kostey, car sans cela tu ne parviendrais à rien. Sache donc qu’au milieu de l’Océan se trouve l’île de la vie éternelle. Sur cette île est planté un chêne, au pied duquel tu trouveras enfoui sous terre un coffre bardé de fer. Dans ce coffre est enfermé un lièvre ; sous ce lièvre se cache un canard gris, dont le corps renferme un œuf : c’est dans cet œuf que réside la vie de Kostey. Une fois l’œuf cassé, Kostey est mort ! Adieu, prince Junak, pars sans tarder, ton coursier le conduira à destination.

Dans les Traditions populaires des Gaëls d’Ecosse, recueillies par F.-J. Campbell, je trouve également un Corps sans âme, dans le conte qui porte le titre de : le jeune roi d’Easaidh Ruadh. Là, comme dans les contes bretons et slaves, il y a un géant dont la vie réside dans un œuf, qu’il faut chercher dans le corps d’un canard[3].

Le résumé rapide, qui va suivre, du conte slave l’oiseau Ohnivak, montrera clairement que la fable, les ressorts, l’esprit et la marche générale du récit y sont les mêmes que dans le conte breton.

Dans le conte slave, comme dans le conte breton, un roi a dans son jardin un pommier[4] qui produit des fruits d’or, et, chaque nuit, il en disparaît un. Ce roi a aussi trois fils, qui passent successivement chacun une nuit au pied de l’arbre, afin de surprendre le voleur. Les deux aînés s’endorment et laissent enlever les pommes, comme à l’ordinaire. Le cadet, lui, quand son tour arrive, ne s’endort pas, et il atteint d’une flèche le voleur, l’oiseau Ohnivak, qui laisse tomber par terre la pomme qu’il emportait dans son bec, avec une plume de sa queue. Cette plume servit au roi, dans la suite, pour éclairer son palais, la nuit, car elle brillait dans l’obscurité comme un véritable flambeau. — Dans un de mes contes, la Princesse de Tréménézaour, il y a aussi une plume lumineuse qui éclaire le palais d’un roi. — Le roi du conte slave est pris d’un tel désir de posséder l’oiseau à qui appartient la plume merveilleuse, qu’il en tombe malade. Dans un autre conte breton, il y a également un roi atteint d’une maladie que la vue de l’oiseau de la vérité peut seule guérir. — Les trois fils du roi se mettent en route à la recherche de l’oiseau Ohnivak, car la couronne est promise à celui qui l’apportera à son père. Chacun d’eux prend une direction différente. Les deux aînés désobligent un renard, qui vient leur demander quelques miettes de pain, pendant qu’ils se reposent et mangent un morceau, sur la lisière d’un bois. Le cadet, au contraire, accueille bien le renard et partage avec lui son frugal repas. L’animal reconnaissant lui promet aide et protection, dans le besoin. — Cet épisode du renard se trouve encore dans un conte breton.

L’oiseau Ohnivak, lui dit le renard, est dans un palais de cuivre, et près de lui sont deux cages, une d’or, et l’autre de bois. C’est dans la cage de bois qu’il faut le mettre pour pouvoir l’emporter, — condition qui se trouve aussi dans le conte breton l’Oiseau de la vérité. — Le cadet du conte slave met l’oiseau Ohnivak, endormi, dans la cage d’or, et aussitôt il s’éveille et tous les autres oiseaux qui se trouvent par là, et qui dormaient, s’éveillent aussi et font un tel bruit que des valets accourent, arrêtent le voleur et le conduisent devant le roi. « Voleur ! lui dit celui-ci. — Je ne suis pas un voleur, répond le cadet, mais je viens ici chercher celui qui a volé mon père, et qui est chez vous. » Le roi promet de lui livrer l’oiseau Ohnivak, à la condition qu’il lui amènera à sa cour le cheval à la crinière d’or. Le renard vient encore au secours du cadet, bien qu’il lui ait désobéi, et il le conduit devant le château d’argent où se trouve le cheval à la crinière d’or. Près du cheval, dans son écurie, sont suspendues à des clous deux brides, l’une d’or et l’autre de cuir. C’est la bride de cuir qu’il faut lui mettre en tête, pour pouvoir l’emmener. Malheureusement, le cadet lui met la bride d’or, et il est encore pris et conduit devant le roi, à qui il raconte toutes ses aventures, depuis le commencement. — Cet épisode du cheval à qui il faut mettre une bride de cuir ou de chanvre, et non d’or, se trouve encore dans les contes bretons, ainsi que les châteaux de cuivre, d’argent et d’or, où le prince slave doit accomplir ses trois épreuves.

Le roi du château d’argent promet au cadet de lui livrer le cheval à la crinière d’or, à la condition qu’il lui amènera à sa cour la vierge aux cheveux d’or.

Le renard le conduit alors au bord de la mer Noire, et, lui montrant le château, il lui dit : «C’est là qu’est la Vierge aux cheveux d’or. Mais elles sont trois sœurs, et on te les amènera toutes les trois dans une salle, la tête couverte d’un voile, qui cachera bien leurs cheveux, et on le dira de choisir. Choisis celle qui sera le plus simplement vêtue. »

Il suivit, cette fois, le conseil du renard et choisit la plus simplement vêtue des trois princesses, et qui était la Vierge aux cheveux d’or. On lui dit alors qu’il lui fallait tenter l’épreuve une seconde fois, et on lui présenta encore, le lendemain, les trois princesses voilées et vêtues absolument de la même manière. Mais la princesse aux cheveux d’or avait trouvé moyen de lui dire, avant l’épreuve, qu’il pourrait la reconnaître à une mouche qui viendrait voltiger autour de sa tête ; et il réussit encore.

Cet épisode du choix entre trois princesses voilées, ou se trouvant dans une salle obscure, et le moyen employé pour reconnaître celle que l’on désire, est pareillement dans les contes bretons.

Le cadet ayant encore réussi dans la seconde épreuve, on lui en proposa une troisième et dernière. Il fallait, avec un tamis qu’on lui donna, épuiser toute l’eau d’un grand vivier. La Vierge aux cheveux d’or vint à son secours, comme la veille, et il réussit encore.

Alors il emmena avec lui la Vierge aux cheveux d’or. Mais il lui était bien désagréable délivrer une si belle princesse au roi du château d’argent. Le renard le comprit et, s’étant métamorphosé en une belle princesse, en tout semblable à la Vierge aux cheveux d’or, le roi du château d’argent l’épousa, sans se douter de rien. Mais, le jour même des noces, l’animal reprit soudainement sa forme naturelle, et partit. Le cadet prit alors le chemin de chez son père, tout fier d’emmener avec lui une si belle princesse, sur un beau cheval à la crinière d’or, et de plus, l’oiseau Ohnivak.

Les trois frères arrivent au rendez-vous qu’ils s’étaient assigné, au bout d’un an et un jour. Les deux aînés, jaloux de voir comme leur cadet avait réussi, le mettent à mort, et se présentent devant leur père avec l’oiseau, le cheval et la princesse, dont ils se disent les conquérants, au prix de beaucoup de peine et de prouesses. Ils lui disent aussi que leur frère cadet a péri dans l’entreprise.

Cependant le renard ressuscite le cadet, avec de l’eau de la vie, que lui apporte un corbeau. Il se présente chez son père, habillé en paysan, pour demander un emploi. Il est pris comme valet d’écurie. Le cheval à la crinière d’or était tout triste, et ne mangeait pas, l’oiseau aussi était triste et ne mangeait ni ne chantait, et la princesse aux cheveux d’or ne faisait que pleurer ; enfin le vieux roi était plus malade que jamais. À l’arrivée du cadet, le cheval hennit de joie, l’oiseau chanta, la princesse cessa de pleurer et le vieux roi guérit soudainement. Tout fut alors dévoilé. Les deux princes aînés furent condamnés à mourir, et le cadet épousa la Princesse aux cheveux d’or.

Il n’y a pas un épisode dans ce conte, ni un agent merveilleux, comme du reste dans presque tous les contes du recueil de M. Alexandre Chodzko, qui ne se retrouve dans nos contes bretons, mais dispersés de tous les côtés dans plusieurs fables. Cela provient et du caprice des conteurs, qui, voulant toujours allonger leurs récits, y mêlent des éléments et des épisodes étrangers à la fable première ; et aussi des fortunes diverses subies par ces traditions orales, dans leurs longues migrations à travers les âges et les différents pays qu’elles ont traversés avant d’arriver jusqu’à nous. Si les récits contenus dans différents recueils, publiés en France, en Allemagne et ailleurs, paraissent plus réguliers, plus complets et moins mélangés que mes versions bretonnes, c’est que les éditeurs y sont intervenus, assez souvent, pour une bonne part. Avant de les présenter au public, ils les ont soumis à un examen et à un travail critiques, comparant, retranchant, ajoutant et comblant les lacunes, à l’aide de versions différentes, sans pourtant toucher au fond ni modifier la fable, ou le moins possible, si cela leur est arrivé parfois. Quant à moi, je le répète, je me suis rigoureusement interdit toute participation de ce genre, bornant mon rôle à fournir aux savants et aux critiques des matériaux, mélangés et incohérents il est vrai, et tels qu’ils sortent de la mine populaire, mais dans lesquels ils peuvent avoir toute confiance quant à l’authenticité de la provenance et à l’exactitude de la reproduction.



  1. 1 Nos paysans bretons croient encore que dans un tourbillon, qu’ils appellent korf-c’houez, c’est-à-dire corps rempli de vent, il y a toujours un géant, et qu’il est possible de le tuer et d’arrêter ses ravages, en lui lançant adroitement une faucille ou une cognée.
  2. 1 J’ai déjà donné une autre version de ce dernier conte dans mon premier rapport, sous le titre: le Corps sans âme.
  3. 2 Consulter, sur l’ouvrage de M Campbell, un travail fort intéressant de M. E. Morin, professeur d’histoire de la faculté des lettres de Rennes, portant le titre suivant : Remarques sur les contes et les traditions populaires des Gaêls de l’Ecosse occidentale, d’après la récente publication de M. F.-J. Campbell. — Edinburgh, Edmonston and Douglas. 4 vol. in-12, 1860-62.
  4. 1 Je soupçonne le conteur breton d’avoir, de sa propre autorité, substitué un poirier au pommier du conte slave.