Circé (Corneille)
Le Sujet de cette Pièce est tiré du 14 Livre des Métamorphoses d’Ovide. Glaucus de simple Pêcheur qu’il étoit, ayant été changé en Dieu marin, devint éperdument amoureux de Silla, Fille de Phorcus, et ne pouvant toucher son cœur, il alla implorer le secours de Circé, qui prit le parti pour elle, et employa tout le pouvoir de ses charmes pour s’en faire aimer. Le dépit de n’avoir pu en venir à bout, porta si loin son ressentiment, que pour se venger, elle empoisonna une fontaine où Silla avoit accoutumé d’aller se baigner. Cette malheureuse Nymphe ne s’y fut pas si tôt plongée, qu’elle vit naître des chiens, qui s’attachant à son corps, l’effrayèrent par leurs aboiements ; et l’horreur qu’elle eut d’elle-même dans ce déplorable état, fut si forte, qu’elle s’alla précipiter dans la mer, où elle fut changée en un rocher qui a conservé son nom, et contre qui les flots se brisant, imitent par le bruit qu’ils font les aboiements des chiens qui avoient fait son supplice.
Je n’ai rien ajouté à cette Fable, que Mélicerte aimé de Silla, et cette même Silla changée en Néréide après tous ses malheurs, pour avoir lieu de finir la pièce par un spectacle de réjouissance. Le succès en a été grand, et il ne s’en faut pas étonner, puisqu’on n’a rien vu jusqu’ici de si beau, ni de si surprenant, que les Machines qui en ont fait le principal ornement.
Acteurs du prologue.
Mars.
La Fortune.
La Renommée.
L’Amour.
La Gloire
Acteurs de la Tragédie.
Jupiter.
Neptune.
Le Soleil.
Vénus.
Glaucus, amant de Silla, Dieu Marin.
Palémon, confident de Glaucus, Dieu Marin.
Circé, fille du Soleil.
Silla.
Dorine, Nymphe de Circé.
Florise, Nymphe de Circé.
Astérie, Nymphe de Circé.
Célie, Nymphe de Silla.
Mélisse, Nymphe de Silla.
Cinq Satyres.
PROLOGUE
La toile qui cache le théâtre étant levée, laisse paroître un temple de riche architecture, que la Gloire a fait élever pour le Roi. L’Ordre en est composite, avec plusieurs arcades et colonnes de jaspe d’orient, dont les bases et chapiteaux sont d’or, aussi bien que les modillons et les fleurs de lys qui sont les ornements des corniches et des frises. Le haut du Temple est fini par un Attique où se voit un buste de héros directement au-dessus de chaque milieu des chapiteaux. Les supports des colonnes sont des piédestaux qui représentent une partie des conquêtes du Roi, et les superbes bâtiments qui se sont faits, ou qui ont été embellis sous son Règne. Au-dessus de chaque piédestal, il y a différentes figures peintes en saillie et isolées, qui toutes ainsi que les bustes, représentent par leurs attributs, ou les vertus particulières que possède cet auguste monarque, ou les Arts qu’il prend soin de faire fleurir. L’effet que font ces Figures est d’autant plus beau, que se trouvant chacune entre deux colonnes, elles forment une juste symétrie, qui ne sauroit être que très agréable à la vue. Vers le milieu du temple s’élève une manière d’arc triomphal, soutenu par huit colonnes d’ordre ionique, avec une espèce d’Attique au-dessus de la corniche, où le Roi est représenté. La Victoire et la Gloire sont à ses côtés, dont l’une lui présente une couronne, et l’autre une branche de laurier, le tout de marbre blanc. On voit dans le fond du temple un autel de marbre serpentin. Il est armé de colonnes, figures, festons de fleurs et trophées d’armes. Les yeux se sont à peine arrêtés sur toutes ces magnificences, qu’on découvre Mars dans un char orné de tout ce qui peut le faire connoître pour le Dieu qui préside aux combats. Il paroît au plus haut des nues, et s’abaissant vers le temple, il y voit arriver la Fortune portée sur un nuage qu’elle quitte au même temps que Mars descend de son char. Après avoir regardé ce temple avec des marques d’indignation et de surprise, ils commentent le Prologue ensemble.
Scène I
Quoi ? La Fortune sans bandeau ?
Je viens de l’arracher moi-même,
Pour voir l’éclat pompeux de ce temple nouveau.
Mais d’où vient qu’à l’aspect d’un ouvrage si beau,
Le dieu Mars fait paroître une douleur extrême ?
Puis-je voir sans chagrin, qu’un mortel à mes yeux,
Des honneurs qu’on me doit emporte l’avantage ?
Je sais bien que LOUIS est un Roi glorieux,
En qui mille vertus, par un noble assemblage,
Offrent à révérer le plus parfoit Ouvrage
Qui jamais ait marqué la puissance des Dieux ;
Mais parce qu’il se fait admirer en tous lieux,
A-je mérité qu’on m’outrage ?
Voyez ce que ce temple ajoute à son renom.
Voyez sur cent tableaux avec quel soin la Gloire
A tracé la brillante histoire
Des merveilleux exploits qui consacrent son nom.
C’est là que les plus grands Courages,
D’un zèle tout soumis écoutant la chaleur,
Viennent par d’assidus hommages
Honorer la Prudence unie à la Valeur.
Cependant mes autels, où par toute la terre
L’encens se prodiguoit pour les moindres hasards,
Sont négligés de toutes parts.
On regarde LOUIS comme Dieu de la Guerre,
Et l’on ne songe plus à Mars.
D’un si honteux mépris c’est trop souffrir l’audace.
J’en punirai l’injure, et ce temple détruit
Va dans le monde entier étaler à grand bruit
Ce que peut faire un Dieu qui menace.
Si LOUIS des Mortels vous dérobe les vœux,
N’ai-je pas même plainte à faire ?
Tout le monde à l’envi, pour devenir heureux,
N’aspiroit toujours qu’à me plaire ;
Mais depuis que la Gloire a par tout l’univers
De cet auguste Roi fait briller le mérite,
Pour le suivre chacun me quitte,
Et je vois mes temples déserts.
Cette foule qui plaît, quand même elle importune,
Dédaignant mes faveurs, brigue son seul appui.
Il me ravit mes droits, et ce n’est plus qu’en lui
Qu’on songe à chercher la Fortune.
Jugez à me voir sans honneurs,
Jusqu’où va l’ennui qui me presse,
Car c’est en vain que le nom de déesse
Me fait attendre encor quelques adorateurs.
De quelque rang qu’on soit, les biens seuls qu’on dispense ;
Nous attirent ces vœux pressants
Dont nous aimons la déférence ;
Et les Dieux qui sont sans puissance,
Ne reçoivent guère d’encens.
Je vois venir l’Amour. Qu’aura-t-il à nous dire ?
La Renommée arrive aussi ;
Mais lorsque son emploi de tous côtés l’attire,
D’où vient qu’elle s’arrête ici ?
Scène II
N’en soyez point surpris ; le pénible voyage
Où jusqu’au bout de l’univers,
Pour vanter ses Vertus chez cent Peuples divers,
Le Monarque des Lis de jour en jour m’engage,
M’a déjà tant de fois fait traverser les airs,
Qu’il faut qu’en m’arrêtant enfin je me soulage.
Dans les Siècles passés j’ai bien vu des Héros.
Alexandre et César m’ont donné de la peine,
Mais au moins dans leur course ils reprenoient haleine,
Et me laissoient quelque repos.
LOUIS n’en connoît point ; son âme toujours prête
À s’éprouver dans les combats,
À peine a médité la plus haute Conquête,
Qu’à la Victoire il fait suivre ses pas.
Chaque instant de sa vie est un nouveau miracle.
Vingt princes dont il fut l’appui,
Arment vainement contre lui.
À ce qu’il entreprend rien ne peut mettre obstacle ;
Et ces jaloux de sa grandeur,
Forcés partout à céder la victoire,
Ne combattent jamais que pour lui faire honneur,
Et donner du lustre à sa gloire.
Ainsi pour m’acquitter de ce que je lui dois,
J’ai beau presser mon vol, et me hâter de dire
Ce qu’avec moi tout l’Univers admire.
Mes cent bouches pour lui s’ouvrent tout à la fois ;
Et je n’y puis encor suffire.
S’il faut ne rien dissimuler,
La plainte me paroît nouvelle.
Quoi, vous, qui si souvent sur des contes en l’air
Redites mille fois la même bagatelle,
Vous vous fâchez d’avoir à trop parler ?
Je prends sans murmurer tout l’emploi qu’on me donne ;
Mais enfin j’ai peine à souffrir
D’être forcée à discourir
Toujours de la même Personne.
Sur chaque nouveauté, comme en tout elle plaît,
J’aime à dire ce que je pense ;
Et si je ne prends intérêt
Qu’à célébrer le nom du grand Roi de la France,
Tous les exploits que les autres feront,
À ce compte demeureront
Ensevelis dans le silence.
Je veux bien toutefois ne parler que de lui ;
Mais ce qui cause mon ennui,
C’est de voir que quand je publie
Toutes ses grandes actions,
On les prend pour des fictions,
Et l’on m’accuse de folie.
Qui pourroit croire aussi ce qu’on a vu deux fois ?
Il paroît, et soudain une Province entière
Se fait un heureux sort de servir de matière
Au triomphe éclatant qui la met sous ses Lois ?
Je crois le voir encor, toujours infatigable,
Courant, volant partout, sans jamais s’arrêter,
Être Chef et Soldat, résoudre, exécuter,
Et seul à soi-même semblable,
Chercher dans le péril tout ce qui peut flatter
L’ardeur de gloire insatiable,
Qui porte les Héros à s’y précipiter.
Mais c’est peu que forcer de superbes murailles.
Voyez-le dans le même temps,
Par l’effroi de son Nom, gagner plus de Batailles
Qu’on n’en donnoit autrefois en vingt ans.
Après cela que puis-je faire ?
Toutes ces grandes Vérités
Ne semblent-elles pas des Contes inventés,
Et lorsque je les dis, m’estime-t-on sincère ?
Vous en donnez si souvent à garder,
Qu’il est bon qu’une fois vous en soyez punie ;
Mais par LOUIS quand ma gloire est ternie,
Moi, l’Amour, n’ai-je pas tout sujet de gronder ?
Depuis le pouvoir qu’il me vole,
Dont il use comme du sien,
Je suis une vraie idole,
Qui ne semble bon à rien.
D’où ce chagrin vous peut-il naître,
Quand nous voyons que ce Grand Roi,
En gagnant tous les cœurs, chaque jour fait connoître…
Mais c’est par lui qu’il s’en rend maître,
Et ce n’est pas mon compte, à moi
Car enfin je voudrois qu’il me dût quelque chose ;
Mais j’ai beau parmi tous mes traits,
Pour faire que des Cœurs par mon ordre il dispose,
En aller choisir tout exprès.
D’eux-mêmes à l’envi, sans qu’on les sollicite,
Des Cœurs tout à coup enflammés,
Se rendent tous à son mérite,
Et sans que je m’en mêle, ils s’en trouvent charmés.
Et c’est à quoi l’Amour prend garde ?
Pourvu que tout vous soit soumis,
Que vos droits soient bien affermis,
Qu’importe…
Passe encor pour ce qui me regarde ;
Mais ce qui fait tout mon ressentiment,
Et m’est une peine cruelle,
C’est que lorsque avec une Belle
J’ai fait l’union d’un Amant,
Et qu’elle en croit les nœuds serrés si fortement,
Que rien ne sauroit plus l’arracher d’auprès d’elle,
Si LOUIS dans sa noble ardeur
Court où l’appelle son grand cœur,
L’Amant, quoique plein de tendresse,
Se reproche un honteux repos,
Et quitte aussitôt la Maîtresse,
Pour suivre les pas du Héros.
Elle s’en plaint, elle en soupire,
Et par sa disgrâce fait voir
La foiblesse de mon Empire.
Que n’usez-vous alors de tout votre pouvoir,
Pour rappeler ceux que la Guerre attire ?
Il ne tient pas à la vouloir ;
Mais j’ai beau faire, j’ai beau dire.
Charmés de voir LOUIS, de marcher sur ses pas,
Quelque flatteur que pour eux je puisse être,
C’est un Enfant qui parle, ils ne m’écoutent pas,
Et les combats
Auprès de leur Auguste Maître,
Ont pour eux plus d’appas,
Que les plus tendres feux qu’en leurs cœurs j’ai fait naître.
Ainsi la Guerre est un malheur
Qui me rend inutile, et c’est de quoi j’enrage.
Je me trouve accablé de honte et de douleur,
Et tandis que LOUIS fait briller sa valeur,
Je joue un méchant personnage.
Mais que vois-je ?
Scène III
La Gloire, à qui le Ciel toujours
Donna les héros à défendre.
De ce Temple où j’ai soin chaque jour de me rendre,
Je viens d’entendre vos discours.
En vain, Dieu des Guerriers, dont la fière puissance
Vous fait redouter des mortels,
Vous prétendez détruire les Autels
Que j’ai fait élever au héros de la France.
Il mérite encor plus, et n’est point comme vous
Incessamment rempli d’un aveugle courroux.
Lorsqu’il entreprend quelque guerre,
C’est pour mieux maintenir de légitimes droits,
Ou pour confondre ceux, qui méprisant les rois,
Se veulent ériger en Titans de la Terre.
Rendez-lui donc justice, et dans tous ses combats
Vous-même accompagnez es pas.
Ainsi de vos fureurs on ne pourra se plaindre,
Et secondant LOUIS, qui par tout sait charmer,
En même temps que vous vous ferez craindre,
En même temps vous vous ferez aimer.
La Fortune, je le confesse,
A sujet de se chagriner.
Elle est d’un Sexe à voir avec quelque tristesse
Que ses Adorateurs l’osent abandonner,
Mais qu’elle se fasse justice.
Ses bienfaits sont souvent suivis de trahison ;
Elle ne fait jamais de bien que par caprice,
Et le Dieu des François n’en fait que par raison.
Il récompense le mérite,
Sans même qu’on l’en sollicite,
Et pour se rétablir, la Fortune aujourd’hui
Doit se ranger auprès de lui.
On oubliera son inconstance,
Et par un surprenant effet,
On lui croira de la prudence,
Et c’est ce qu’on n’a jamais fait.
Pour vous répondre aussi, Déesse,
Le travail est pénible à remplir votre emploi ;
Mais le charme qu’on trouve à parler d’un grand Roi,
Ne demande-t-il pas qu’on en parle sans cesse ?
Depuis que par l’ordre des Cieux
Vous publiez les merveilles
Et des hommes et des Dieux,
En avez-vous jamais rencontré de pareilles,
Ni de qui le récit vous fût si glorieux ?
Quant aux Demi-Héros qui prennent pour offense,
Que de leurs noms obscurs vous fassiez peu d’état,
À quoi bon vous charger d’actions sans éclat,
Dont jamais l’Avenir ne prendra connoissance ?
Malgré le vain orgueil dont ils sont éblouis,
Laissez-les dans la poussière,
Et donnez-vous toute entière
À publier des exploits inouïs.
Dites plus que jamais cent Héros n’ont pu faire,
Vous n’aurez qu’à nommer LOUIS,
Et dans tout l’Univers on vous croira sincère.
Vous souffrez, je le connois bien,
J’entre dans votre inquiétude.
Demeurez sans pouvoir, est un destin bien rude,
Et je plains fort l’Amour qui ne s’occupe à rien ;
Mais venez voir LOUIS, et tâchez de lui plaire.
Attachez-vous à le considérer,
À voir sa gloire, à l’admirer,
Et vous aurez assez à faire.
Je veux suivre votre conseil.
Chacun doit déférer aux avis de la Gloire.
Ainsi que vous je la veux croire.
Voyons auparavant ce Temple sans pareil.
Vous pouvez l’admirer ensemble,
Il mérite bien vos regards
Mais il faut qu’en ce lieu j’assemble
Les plaisirs et les plus beaux Arts.
Par mon ordre ils s’en vont paroître,
Et par leurs Chansons et leurs Jeux
Marquer au plus grand Roi que le Ciel ait fait naître,
Ce qu’ils doivent au soin qu’il daigne prendre d’eux.
Dans le temps que Mars et les autres Divinités qui ont paru dans le Prologue, s’avancent dans le temple, pour en mieux examiner les beautés, la Musique sort d’un des côtés du Théâtre, avec un Livre de Tablature à la main. Elle est suivie des Arts, tant Libéraux que Mécaniques, que sont l’Agriculture avec un habit couvert d’Épis d’or, et tenant une Bêche ; la Navigation, vêtue d’un Taffetas de la Chine, à la manière des Matelots ; l’orfèvrerie, chargée de Chaînes d’or et de pierreries ; la Peinture, tenant une Palette et un Pinceau ; la Guerre, une Épée ; la Géométrie, un Compas ; L’astrologie, un Globe ; la Sculpture, un Ciseau.
La Comédie paroît de l’autre côté, tenant un Masque, et accompagnée des Plaisirs. La Chasse, qu’on met ensemble au nombre des Plaisirs et des Arts, se fait voir la première revêtue de vert et tenant un dard. La Mascarade la suit bizarrement habillée, avec un Cornet à la main. On voit ensuite la Pêche qui tient une Ligne ; La Paume, une Raquette ; le Jeu, des Cartes ; La Bonne chère, un Flacon d’Or ; et la Danse, une Poche. Après avoir par quelques figures, et par leurs différentes actions, donné des marques de ce qu’ils représentent, la Comédie et la Musique chantent ensemble le Dialogue suivant.
DIALOGUE DE LA MUSIQUE ET DE LA COMÉDIE
Pour divertir LOUIS, unissons-nous ensemble,
Il est le plus grand des Mortels,
Et quand pour lui la Gloire élève des Autels.
Il faut que la Musique assemble
Ce que ses tons les plus charmants
Peuvent à mon Théâtre ajouter d’ornements.
Pour ce Grand Roi qui sur la Scène
Voit si souvent tes charmes éclater,
J’aimerois assez à chanter ;
Mais j’ai si peu de voix, qu’on ne m’entend qu’à peine.
Si tu nous veux souffrir, nous pourrons t’en prêter.
Unissons-nous pour célébrer la Gloire
Dont brille l’Auguste LOUIS.
De son éclat partout les Peuples éblouis
Consacrent son grand Nom au Temple de Mémoire.
Unissons-nous pour célébrer sa gloire.
Vantons ce grand Nom comme eux.
Jamais Exploits si fameux
Ne firent parler l’Histoire.
Ils sont tels, que nos Neveux
Refuseront de les croire.
Chantons, unissons-nous pour célébrer sa gloire.
Sur des Exploits moins glorieux,
On a placé parmi les Dieux
Les Héros dont le nom fut grand et redoutable.
LOUIS a droit plus qu’eux à l’immortalité ;
LOUIS qui tous les jours fait une Vérité
Des vains prodiges de la Fable.
Ses Ennemis, de ses armes frappés,
Sont à vanter son nom eux-mêmes occupés,
Les voyant entasser Victoire sur Victoire.
Vantons ce grand Nom comme eux
Jamais Exploits si fameux
Ne firent parler l’Histoire.
Ils sont tels, que nos Neveux
Refusèrent de les croire.
Chantons, unissons-nous pour célébrer sa gloire.
ACTE I
Décoration du premier acte.
Le Théâtre du Prologue fait place à une Décoration moins régulière, mais qui dans son irrégularité ne laisse pas d’avoir des beautés qui plaisent également à la vue. Elle représente une Plaine, où diverses Ruines marquent les restes de quelques Palais démolis, et le tout dans une si agréable variété, qu’elle n’a aucune partie qui ne fasse paroître quelque chose de différent. Au bout de cette plaine on découvre une Montagne d’une grandeur prodigieuse. Elle est fertile dans le bas en Plantes et Fleurs bâtardes ; et à mesure qu’elle s’élève, elle devient aride, formant des Rochers peu remplis de verdure, et entrecoupés de chemins. Le sommet laisse voir un Palais ruiné et désert, avec un grand Horizon tout autour, en sorte que la Montagne est isolée, et paroît naturelle aux yeux.
Scène I
J’admire, à dire vrai, cette délicatesse.
Silla tient votre cœur charmé,
Vous n’aspirez dans l’ardeur qui vous presse,
Qu’à l’unique bonheur de vous en voir aimé ;
Et lorsque votre rang vous peut aider à plaire,
Vous vous obstinez à le taire.
Vous passez pour un Prince illustre et glorieux,
Que l’on révère dans la Thrace,
Et c’est choisir d’assez nobles Aïeux,
Que de faire Borée Auteur de votre Race.
Borée, en ces Cantons de frimas et de glace,
S’est acquis un renom qui fait bruit en tous lieux ;
Mais lorsque d’un rival l’amour vous embarrasse,
Si l’aimable Silla savoit qu’entre les Dieux
Le Destin vous a donné place,
Vos desseins n’en iraient que mieux.
Laissez là d’un mortel la trompeuse apparence,
Et prenez de Glaucus la fière majesté.
Pour forcer un cœur qui balance,
L’éclat de la Divinité
Manque rarement de puissance.
Ah Palémon, crois-tu qu’on puisse avoir jamais,
Quand on est bien touché, l’âme trop délicate,
Et quelque doux penchant qui pour nos cœurs combatte,
L’amour qui contraint les souhaits,
A-t-il quelque chose qui flatte ?
Si me faisant connoître pour Glaucus,
J’obtiens que Silla me préfère,
Pourrai-je m’applaudir de ses dédains vaincus,
Quand son ambition voulant se satisfaire,
Aura plutôt en moi, pour finir mon tourment,
Regardé le Dieu que l’Amant ?
Comme Prince et Mortel, dans mon amour extrême,
Je voudrois lui pouvoir faire agréer mes vœux,
Obtenir son cœur d’elle-même,
Et la voir sensible à mes feux,
Sans qu’elle sût que c’est un Dieu qui l’aime.
Si comme dans Borée il vous a plu choisir
Le sang que vous feignez vous avoir donné l’être,
Vous l’imitiez dans le brûlant désir
Que l’amour autrefois dans son âme fit naître,
Vous n’auriez pas le goût si différent du sien.
Charmé de la belle Orithie,
Il fit l’Amant soumis, en prit le doux maintien,
Et d’abord les soupirs furent de la partie ;
Mais voyant qu’auprès d’elle ils ne servoient de rien,
Sans tenir au respect la flamme assujettie,
Il employa la force, et s’en trouva fort bien.
Ah, ne me parle point de suivre son exemple.
Moi, tâcher d’être heureux par un enlèvement !
Soupirez donc toujours, la matière est bien ample,
Quand un rival en est le fondement.
Silla, vous le savez, regrette Mélicerte ;
Pour ce Prince Thébain son cœur est enflammé.
Oui, je sais qu’il en est aimé,
Et c’est la cause de ma perte.
Mais enfin tout à coup disparu de ces lieux,
Sans l’avoir préparée aux chagrins de l’absence,
Par ce départ injurieux
Il semble qu’à mon espérance
Il abandonne un bien si précieux.
Il me faut ménager un temps si favorable.
Ainsi je veux, pour fléchir sa rigueur,
Lui jurer tout l’amour dont le plus tendre cœur
Se soit jamais trouvé capable ;
Et si les vifs transports d’une si belle ardeur
La laissent à mes vœux toujours inexorable,
Je ferai briller à ses yeux
L’honneur que j’ai reçu d’être au nombre des Dieux.
Peut-être que déjà la Nymphe Galatée,
Qui sait tout le secret de mon déguisement,
Aura nommé Glaucus à Silla pour Amant.
La chose entre elle et moi s’est ainsi concertée,
Pour découvrir son sentiment ;
Et pour peu que d’un Dieu l’hommage l’ait flattée,
Si comme Prince enfin je me vois sans espoir,
Parlant comme Glaucus, j’aurai quelque pouvoir.
Ce n’est pas qu’il soit sûr qu’elle veuille se rendre.
Il est d’orgueilleuses Beautés
Qui font gloire de se défendre
De l’amour des Divinités.
Apollon autrefois fut l’Amant le plus tendre,
Et l’offre de son cœur soumis, passionné,
Ne put toucher la trop fière Daphné.
Mais à quand découvrir que le Prince de Thrace
Cache en vous ce Glaucus que l’on ne connoît pas ?
Laisse à ma flamme encor rendre quelques combats.
Malgré ce que je souffre à voir Silla de glace,
Je perds ce que l’amour a de plus doux appas,
Si Glaucus dans son cœur peut seul me donner place.
L’Être Divin sans doute est un grand bien,
Le privilège en est commode ;
Mais pour moi, je voudrois qu’au moins ce fût la mode,
Que les Dieux pussent tout, et ne souffrissent rien
C’est l’arrêt du Sort ; nous ne sommes
En matières de passions,
Que ce qu’ici-bas sont les Hommes ;
Et si des Transformations
Les miracles nous sont possibles
L’heur d’être plus ou moins sensibles
Ne suit pas nos intentions.
Par nous les volontés ne sont jamais forcées,
Et quand l’Amour nous a touchés,
Pénétrer dans les cœurs, lire dans les pensées,
Sont droits qui nous sont retranchés.
Il est bon après tout qu’une telle impuissance,
Laissant craindre et douter, irrite le désir.
L’incertitude anime l’espérance,
Et nous aimerions sans plaisir,
Si nous n’aimions qu’avec pleine assurance
De ne trouver aucune résistance
Dans l’Objet que l’Amour nous auroit fait choisir.
Comme je n’aime pas la peine,
J’y serois, je l’avoue, un peu moins délicat ;
Et quoique vaincre sans combat
Ne soit pas pour une âme vaine
Un triomphe de grand éclat,
J’aimerois à trouver la Victoire certaine.
Témoin les Belles que voici,
Dont chacune avec moi prend différente route.
Je vois la fière, sans souci,
Et je ne fais le radouci
Qu’auprès de celle qui m’écoute.
Scène II
Quoi, seules sans Silla ?
Derrière ce coteau
Elle a trouvé la Nymphe Galatée,
Avec qui par respect elle s’est arrêtée.
Sans cette occasion il m’eût paru nouveau
Que vous l’eussiez ainsi l’une et l’autre quittée.
Que m’en apprenez-vous, et que dois-je espérer
Du pur amour que je lui fais paroître ?
Sa fierté peut ne pas durer ;
Mais qui risque sur un peut-être,
A quelquefois longtemps à soupirer.
Seigneur, si vous m’en voulez croire,
Vous cesserez d’aimer qui ne vous aime pas.
Vous devez cet effort au soin de votre gloire,
Et c’est vous ravaler trop bas,
Que de céder une victoire
Dont vous voyez qu’on fait si peu de cas.
Contre l’Amour Mélisse est toujours animée,
Et dit plus qu’elle ne feroit.
Il est vrai que jamais je n’eus l’âme enflammée ;
Mais le dépit me guériroit,
Si j’aimois un moment sans que je fusse aimée.
Non, vos conseils sont superflus.
Mélisse, il faut que j’aime, et le Destin l’ordonne ;
Mais lorsque tout mon cœur à Silla s’abandonne,
Qu’ai-je en moi qui me doive attirer ses refus ?
Mon rival vaut-il tant qu’elle me le préfère,
Quand il s’agit de choisir un époux ?
Et suis-je fait d’un air…
Non, Seigneur, au contraire,
Air, taille, mine, port, tout est brillant en vous ;
Et vous auriez le cœur de quelqu’une d’entre nous,
Si quelqu’une de nous avoit l’heur de vous plaire.
Qui cherche à prévenir d’un air si gracieux,
Doit se sentir d’humeur à ne se point défendre.
Sans doute, je tiendrois le parti glorieux,
Car comme vous je ne veux pas le prendre
Sur le ton fier et sérieux ;
Mais soit dit sans blesser le pouvoir de vos yeux,
Qui vous donnent droit de prétendre
Jusqu’à la tendresse des Dieux,
Celle qu’on voit qui se défend le mieux,
Est quelquefois la plus prête à se rendre.
Célie est sans façon, et je l’aime par là.
À quoi peut servir la grimace ?
Quoi, toujours Mélicerte est aimé de Silla,
Quoique par son absence il m’ait quitté la place ?
Il l’ose abandonner, sans qu’on sache en quel lieu
Son ingratitude l’entraîne,
Point d’excuse, aucun adieu
Et les soupirs d’un Prince, et peut-être d’un Dieu,
Ne pourront contre lui révolter l’inhumaine ?
La constance est sans doute un peu hors de saison.
Voilà ce que c’est qu’une Femme.
Quand de l’amour le doucereux poison
S’est une fois emparé de son âme,
Il la brouille si bien avecque sa raison,
Que la plus noire trahison
Peut à peine éteindre sa flamme.
J’ai beau pour vous servir peindre votre rival
De toutes les couleurs qui repoussent l’estime.
De son éloignement j’ai beau lui faire un crime.
Silla soutient que je le connois mal,
Et croit brûler pour lui d’un feu si légitime,
Que dans l’ardeur de le revoir
Elle veut de Circé faire agir le pouvoir.
De Circé ! Quoi, Célie….
Oui, dès aujourd’hui même
Elle songe à se rendre au Palais de Circé.
Je l’aperçois qui vient. Ciel, faut-il que je l’aime,
Si de son cœur par ma tendresse extrême
Mon indigne rival ne peut être chassé ?
Scène III
Qu’avez-vous résolu, Madame ?
Dois-je toujours languir, et languir sans espoir ?
Je vous l’ai déjà dit, j’estime votre flamme,
Prince, et vos vœux offerts auroient touché mon âme,
Si sur moi Mélicerte eût eu moins de pouvoir.
Doit-il le conserver, ce pouvoir qui me tue,
Quand il aime assez peu pour vous abandonner ?
Sa fuite est-elle à pardonner ?
Il vous quitte, il renonce au bien de votre vue,
Et vous voulez vous obstiner
À lui garder la foi qu’il a reçue.
Qu’il en soit digne, ou non, tout est égal pour vous.
Je dois toujours l’aimer, s’il m’est toujours fidèle ;
Et si de son départ la cause est criminelle,
Tous les Hommes par lui méritent le courroux,
Où pour venger ma gloire un juste orgueil m’appelle,
Et je leur dois jurer à tous,
Pour le crime d’un seul, une haine éternelle.
Quoi, regarder ce crime ainsi qu’un attentat
Que partagent tous ceux qu’un beau feu vous attire ?
De l’Amour une fois on peut suivre l’empire,
Au péril de faire un Ingrat ;
Mais dès qu’on est trompé, l’épreuve doit suffire,
Et pour peu qu’elle ait fait d’éclat,
Qui de nouveau peut croire un Amant qui soupire
N’a pas sur la fierté le cœur bien délicat.
Rigoureuse maxime ! À quoi me réduit-elle,
Si rien ne vous la fait changer ?
Je n’ai pas l’esprit léger ;
Et si j’aime un infidèle ;
Jamais passion nouvelle
N’aura de quoi m’engager.
Ah, si vous connoissiez jusqu’où pour vous la mienne
Pousse les transports de mon coeur !
Je les crois pleins de la plus vive ardeur ;
Mais que voulez-vous qu’elle obtienne,
Lorsqu’un Dieu même éprouve ma rigueur ?
Je viens de quitter Galatée,
Qui m’a peint de Glaucus le violent amour.
Je ne l’ai qu’à peine écoutée ;
Tout cède à Mélicerte, et j’attends son retour.
Il est juste qu’un Dieu sur un Mortel l’emporte ;
Et si Glaucus brûle pour vous,
Ce choix à votre gloire importe,
Je le verrai sans en être jaloux.
Au moins ce me fera quelque chose de doux,
Que mon malheur au plus haut rang vous porte,
Et ma douleur sera moins forte
Par l’avantage de l’Époux.
Prince, l’ambition ne règle point ma flamme,
Et si j’avois encor à choisir un Amant,
Je ne m’attacherois qu’au seul empressement ;
Lui seul pourroit tout sur mon âme.
Ainsi tout Dieu qu’il est, si Glaucus écouté
De mon cœur se rendoit le maître,
Ce seroit moins par sa Divinité,
Que par l’amour qu’il me feroit paroître.
Quoi, d’un Dieu pour Époux faire si peu de cas,
Qu’un Mortel lui soit préférable ?
C’est à force d’aimer que l’on se rend aimable,
Et je ne me figure pas
Que d’un amour solide et stable
Un Dieu chérisse assez l’appas,
Pour en être longtemps capable.
C’est mal juger des Dieux, qu’avoir ce sentiment.
Leur flamme est sitôt amortie,
Qu’on les peut croire tous portés au changement.
Le Soleil n’a-t-il pas abandonné Clitie,
Lui qui sembloit l’aimer si tendrement ?
Croyez-moi, leur amour n’approche point du nôtre.
Si c’est gloire qu’un Dieu, quand on l’a pour Époux,
Il en faut essuyer mille chagrins jaloux ;
Et Jupiter lui-même, à le dire entre nous,
N’est pas meilleur Mari qu’un autre.
Mais par son peu d’amour quels ennuis aujourd’hui
Ne vous cause pas Mélicerte ?
Il est vrai, je soupire, et ce n’est que par lui
Qu’aux soupirs mon âme est ouverte.
Il s’est éloigné sans me voir,
Sans m’apprendre en quel lieu son mauvais sort l’exile.
À le faire chercher mon soin est inutile,
Je demande, m’informe, et n’en puis rien savoir.
Son incertaine destinée
À mon esprit flottant cause mile embarras.
Il peut être infidèle, il peut ne l’être pas.
Mais enfin je puis voir ma peine terminée,
Et sortir de ce mauvais pas.
Il est un sûr moyen d’éclaircir le mystère
De son départ précipité.
Employez-le, Madame, et faites vanité
D’étaler à mes yeux ce qui me désespère.
Pour moi, qui vois que de vous plaire
Tout espoir désormais à ma flamme est ôté,
Je ne serai plus arrêté
Par un respect qui m’est contraire.
Je vais devenir téméraire,
Et pour réduire enfin votre ingrate fierté,
Il n’est rien que je n’ose faire.
C’est pour l’amour un assez doux appas,
Que de chercher à se faire craindre.
Si le mien va trop loin, ne m’en accusez pas.
C’est vous qui le voulez contraindre
À recourir aux attentats.
Pour forcer vos désirs, je vais mettre en usage
Ce qu’en vain…
Adieu, Prince, il faut me retirer
Pour ne rien ouïr davantage.
Je vois que votre amour commence à s’égarer,
Et vous estime assez pour vouloir ignorer
L’indiscrète chaleur où son transport l’engage.
Madame, encor un mot.
Je n’écoute plus rien.
Je vous suivrai partout, et malgré vous sans cesse
Je me plaindrai de l’ennui qui me presse.
Scène IV
Tout de bon, Célie, est-il bien
De se montrer ainsi tigresse ?
Silla se pique trop d’avoir le cœur constant
Pour un Ingrat qui l’a quittée.
Pour moi, qui serois rebutée,
Si l’on m’en avoit fait autant,
Je prendrois sans façon l’offre de Galatée.
Ainsi l’amour d’un Dieu te toucheroit le coeur !
N’en déplaise au Prince ton Maître,
Un Dieu, plus qu’un Mortel, en aimant fait honneur ;
Et si le moindre d’eux me montroit quelque ardeur,
Malgré ce qu’en mon âme un autre auroit fait naître,
Je m’en ferois, un sensible bonheur.
Voilà comme au brillant courent toutes les Femmes.
Elles ont beau jurer fidélité,
L’amour ne tient jamais contre la qualité
Et malgré les plus belles flammes,
L’Amant au plus rang monté
Est celui qui toujours peut le plus sur leurs âmes.
Va, va, tu n’en ferois pas moins.
Malgré ce que tu m’as débité de fleurettes,
Si parmi nos Nymphes coquettes
Quelqu’une étoit d’humeur à recevoir tes soins…
Tes affaires alors pourroient bien être faites,
Car tu veux qu’avec toi je parle franchement.
Sans doute ; mais Silla s’avance dans la Plaine,
Il me la faut rejoindre promptement.
Nous la rattraperons, ne t’en mets point en peine.
J’ai beaucoup à te dire, écoute seulement.
Pas deux mots.
Pas deux mots ! Quoi, refuser d’apprendre…
Si le cœur te dit d’en conter,
Ces trois Belles auront tout loisir de t’entendre,
Et je veux bien te laisser coqueter.
Elles pourront longtemps m’attendre,
Je t’aime trop, pour te pouvoir quitter.
Scène V
Circé doit préparer un Charme d’importance,
Puisqu’en cette Montagne elle a voulu chercher
Les Herbes qu’elle-même elle vient d’arracher,
Et dont l’entière connoissance
Est un secret qu’elle aime à nous cacher.
Serait-ce que déjà lasse de sa conquête,
Au Prince Mélicerte elle manque de foi,
Qu’à s’en défaire elle s’apprête,
Et qu’elle cueille ici de quoi
Le métamorphoser en Bête ?
C’est de tous les Amants le déplorable sort.
Après les plus fortes tendresses
Dont elle est prodigue d’abord,
Un état mille fois plus fâcheux que la mort
Devient le fruit de ses promesses.
Voir les uns transformés en Loups.
Les autres d’un Lion endosser la figure,
C’est une terrible aventure.
Ne vaudroit-il pas mieux qu’à quelqu’une de nous
Quand Circé d’un Amant a juré la disgrâce,
Elle cédât les vœux dont l’offre l’embarrasse ?
Pour moi, je verrois sans courroux,
Si dans son cœur Mélicerte s’efface,
Qu’il me vînt faire les yeux doux,
Et je sens je ne sais quel mouvement jaloux
De ce qu’un autre Objet le rend pour moi de glace.
Ainsi, ma Soeur, vous croyez bonnement,
S’il pouvoit à Circé devenir infidèle,
Que vous l’engageriez à quelque attachement ?
Et ne suis-je pas assez belle
Pour mériter son radoucissement ?
Pour moi, je vous admire, et ne vois pas comment
Écouter des douceurs peut donner tant de joie.
C’est bien du temps perdu que celui qui s’emploie
À tourner sur le tendre un fade sentiment,
Et je ne sache rien…
Ma Sœur, c’est vainement
Que votre pruderie avec nous se déploie.
À quoi bon ce déguisement,
Vous décriez l’Amour, et pensez autrement,
Car enfin votre cœur est fait comme le nôtre ;
Et s’il vous venoit un Amant,
Vous le prendriez comme une autre.
En voici pour nous à choisir.
Trois satyres ici viennent pour nous surprendre.
Comme sans nul péril nous pouvons les entendre,
Il faut s’en donner le plaisir.
Vous n’en craignez point l’insolence ?
Circé n’est qu’à dix pas de nous,
Et nous aurons par elle une sûre vengeance
S’ils méritent notre courroux.
Scène VI
Vous n’échapperez pas ; nous vous tenons, les Belles.
Ah, ma Sœur.
Contre nous vos efforts seront vains.
Le seul moyen de sortir de nos mains,
C’est de n’être point cruelles.
Vous êtes d’accommodement ?
Encor est-ce pour nous une assez bonne affaire.
Ça, regardons ce qu’il faut faire,
Mais surtout point d’emportement.
Il faut vivre pour nous, et chercher à nous plaire.
Il est bon de savoir comment.
Avec vous volontiers, en nous prenons pour Femmes,
Nous irons habiter les Bois.
C’est bien notre affaire à tous trois.
S’il ne tient qu’à cela, l’hymen joindra nos âmes ;
Voici celle dont je fais choix.
Ne te hâte point tant, c’est celle
À qui je veux donner ma foi.
J’ai parlé le premier, je l’aurai.
Bagatelle.
Tu prétends me faire la loi ?
C’est un arrêt donné sans retour.
J’en appelle.
Tu t’en veux mêler ?
Et pourquoi
Voudrez-vous tous deux la plus belle,
Étant tous deux plus laids que moi ?
Je suis plus laid ? Voyez sa mine.
Mal figuré, trapu, courtaud.
À cause de sa taille, il veut le porter haut ;
Mais qu’il approche, il est d’une odeur fine
À mettre le cœur en défaut.
C’est pousser trop loin la querelle,
Je sais pour la finir un moyen glorieux.
Celui des trois qui chantera le mieux,
Choisira de nous la plus belle.
D’accord.
Je le veux bien.
Rien ne peut être mieux.
Silence à ma chanson nouvelle.
Deux beaux yeux me charment,
Leurs traits me désarment ;
Mais s’ils ne sont doux,
Nargue de leurs coups.
J’aime une Maîtresse
Qui me tend les bras.
Fi de la rudesse.
Avec mille appas
La Beauté tigresse
Ne me plairoit pas.
Qu’est-ce ? Et bien ? N’ai-je pas une voix qui résonne ?
Elle a de quoi nous charmer.
Pour cesser de l’estimer,
Écouter comme j’entonne.
Un jour la jeune Lisette
Couchée à l’ombre d’un Bois,
Disait d’une triste voix,
Hélas ! Hélas ! Faut-il rêver seulette,
Et ne pourroit-on quelquefois
Se trouver deux à rire sur l’herbette ?
Un Berger survint
Qui lui tint
Bonne et douce compagnie.
Sur la rencontre au Bois, dès qu’on en eut le vent,
On fit jaser la Calomnie,
Qui mit cent contes en avant ;
Mais Lisette laissa médire.
Le Berger l’avoit fait rire,
Elle y retourna souvent.
Ma voix ? Est-il rien de si doux ?
Vous avez fait tous deux merveilles !
Ce n’est encor là rien, apprêtez vos oreilles.
Scène VII
Ah, ah, Troupe gaillarde, il fait bon avec vous.
Halte-là.
Vous pensiez avoir chacun la vôtre,
Mais vous n’avez qu’à décompter.
Ah, s’il ne tient qu’à disputer…
Prenez-en votre part, et nous donner la nôtre ;
Quand on parle raison, il la faut écouter.
Avec eux avant vous nos pactions sont faites ;
Sous les lois de l’hymen ils nous donnent leur foi.
De l’hymen ? Ah, je m’en ris, moi,
Ce sont là de belles défaites.
Le pas est un peu hasardeux.
Si nous faisons jouer la massue…
Pour n’avoir rien à débattre avec eux,
De ce côté tourne la vue,
Celle qui vient suffira pour nous deux.
Elle seule elle vaut plus que les trois ensemble.
J’en suis charmé.
Scène VIII
Ma Reine, il se peut…
Insolent.
C’est Circé qui paroît, que chacun de vous tremble.
L’amour à fuir ne les rend pas trop lents.
Voici pour eux des paroles terribles.
Ils ne s’attendoient guère à ce fâcheux revers.
Tenons bon.
Contre moi ?
Voir tant de biens offerts,
Et ne pas…
C’en est trop. Vous, Esprits invisibles,
À qui je rends toutes choses possibles,
Portez-les loin d’ici par le milieu des airs.
C’est là pour nous tirer d’affaires
Prendre des chemins assez courts.
Allez, laissez-moi seule en ces lieux solitaires.
Scène IX
Madame, je venois vous offrir du secours
Contre d’infâmes Téméraires ;
Mais le prompt châtiment que vient de recevoir
Leur insolence extrême,
Me convainc de votre pouvoir.
Vous n’avez eu contre eux que de vous-même,
Et d’un seul mot leur espoir renversé
Me fait connoître en vous la fameuse Circé.
Vous ne vous trompez point, j’ai le Soleil pour Père,
Et je tiens de lui ce grand Art,
Qui dans tous les lieux qu’il éclaire,
Aux honneurs de son rang me donne tant de part.
Je ne puis cependant m’applaudir trop du zèle
Qui vous intéresse pour moi.
Il part de l’âme la plus belle,
Et je voudrois savoir à qui je dois
Ce qui rendra pour vous mon estime éternelle.
Si par ce qui brille à mes yeux,
L’air, le port, la taille, la mine,
Je puis de votre sang pénétrer l’origine,
La source en doit venir des Dieux,
Et pour vous le Destin…
Je l’avouerai, Madame.
Le Destin m’a comblé d’honneurs jusqu’à ce jour,
Et le rang que je tiens dans une illustre Cour
Aurait de quoi satisfaire mon âme,
Si j’étois content de l’amour ;
Mais une Nymphe ingrate autant qu’elle est aimable,
Silla, la charmante Silla,
Par une rigueur incroyable,
Ne peut souffrir mes vœux, les rejette, et c’est là
De tous les maux pour moi le plus insupportable.
Son cœur d’un autre amour dès longtemps prévenu,
Traite mes plaintes d’indiscrètes.
Mélicerte…
Ce nom ne m’est pas inconnu,
Et je sais par lui qui vous êtes.
Jusque dans mon Palais votre amour a fait bruit.
On y plaint le Prince de Thrace,
Que trop d’aveuglement réduit
À la honteuse et sensible disgrâce
De pousser des soupirs dont un autre a le fruit.
Il n’en est point de plus cruelle.
Mes maux passent tous ceux qui se peuvent offrir ;
Mais est-il honteux de souffrir,
Lorsque la cause en est si belle ?
Tout ce qu’un rare Objet eut jamais de charmant,
Tout ce qui peut toucher une âme,
Silla…
Vous parlez en amant ;
Mais enfin vos chagrins naissant de votre flamme,
J’y puis donner quelque soulagement.
Que me dites-vous ? Quoi, Madame,
Vous ferez que Silla finisse mon tourment ?
Je ferai que l’Amour propice
Répare vos transports jaloux
Par tout ce qu’il a de plus doux ;
Mais il faut que le Charme avec vous s’accomplisse,
Ce sont vos intérêts, je ne puis rien sans vous.
Dans mon Char je vous offre place.
Mes dragons emplumés qui le tiennent en l’air,
Vers moi seront prêts à voler
Au moindre signe que je fasse.
Le voilà qui descend. Prince, ne craignez rien,
Lorsque Circé vous sert de guide.
Est-il quelques périls dont l’amour s’intimide,
Quand il est fort comme le mien ?
ACTE II
Décoration du deuxième acte.
L’Art et la Nature ont également part à ce qui fait la décoration de cet acte. Cette grande montagne qui a paru dans le premier, s’abîme d’une manière aussi surprenante qu’elle s’étoit élevée, et laisse paroître en sa place un Jardin rempli de berceaux, de fontaines, de plantes, de fleurs, de vases, sur lesquels sont des Enfants montés sur des cygnes qui jettent de l’eau. On y voit encore d’autres vases de porcelaine, de terre ciselée, et de marbre blanc. Les ornements en sont d’or, et ces vases sont remplis d’orangers, d’arbres fruitiers, et de fleurs naturelles.
Scène I
Allez rejoindre votre Maître,
Et nous laissez ici travailler en repos.
C’est me chasser un peu mal à propos.
Comme nouveau venu, peut-être
J’ai droit de vous dire trois mots.
Ma Sœur, quand il en diroit quatre,
Je crois qu’il n’en seroit que mieux.
Pourquoi de votre sérieux
Ne vouloir jamais rien rabattre.
Il faut rire, autrement les jours sont ennuyeux.
Vous avez le goût bon, ma chère,
La joie est toujours de saison.
Je le crois d’humeur…
À tout faire.
Badin, tant qu’il est nécessaire,
Même un peu plus que de raison.
Il faudra faire connoissance,
Après, ne soit point en souci ;
Les plaisirs semblent naître ici,
On les y trouve en abondance.
Mais qui t’a découvert qu’au Palais de Circé
Ton Maître parmi nous s’étoit laissé conduire ?
Quand dans le Char il s’est placé,
Je n’étois qu’à vingt pas, et venois pour l’instruire
Du départ de l’Objet dont son cœur est blessé.
Silla vers ce Palais a déjà pris sa route ;
Pour en donner avis je suis vite accouru.
Quoi, presque en un moment ?
Sans doute,
Circé sortoit du Char lorsque ici j’ai paru.
Comme mon Maître est du sang de Borée,
Pour tous ceux de sa suite il a des Vents Follets,
Qui pour les transporter où tendent leurs souhaits,
Sont une voiture assurée.
L’un d’eux d’un vol léger m’a mis dans ce Palais.
Pour ton Maître Silla va n’être plus à craindre,
Il est d’autres appas qui toucheront son cœur.
Je doute qu’à changer on le puisse contraindre.
Silla seule lui plaît, et malgré sa rigueur
Il chérit trop les feux pour les laisser éteindre.
Ce n’est pas avec nous qu’il doit faire le fier.
Pour confondre l’orgueil, le réduire aux prières,
Nos Herbes sont à craindre, et les âmes altières
Trouvent ici peu de quartier.
Faites de votre mieux, mon Maître a des lumières
Qui le rendront aussi Sorcier
Que vous pourrez être Sorcières.
Puisque tu nous braves pour lui,
Tu n’as qu’à l’avertir qu’il songe à se défendre.
J’y cours. Si vous voulez le forcer à se rendre,
Travaillez-y dès aujourd’hui,
Et garder seulement d’être prises sans prendre.
Scène II
Je ne sais s’il croit qu’au besoin
Son Maître contre nous aura de quoi suffire ;
Mais de nous épargner il ne prend guère soin.
En badinant voilà ce qu’on s’attire.
Le grand plaisir de vous être fait dire
Qu’on ne vous craint ni de près, ne de loin !
Pour moi, qui me suis mise à composer un Charme
Pour guérir un Mari de son ombre jaloux,
Je pense avoir fait mieux que vous.
C’étoit un éternel vacarme,
Je l’apaise, et rejoins l’Épouse avec l’Époux.
La paix ainsi par moi n’auroit pas été faite :
Et comme des Jaloux de tous temps on a ri,
Pour faire crever le Mari,
J’aurois rendu la Femme si coquette,
Que rien n’auroit jamais guéri
Les visions de son âme inquiète.
Après tout, qui voudroit de près y regarder,
C’est bien aux Maris à gronder,
Si quelquefois de tendres flammes
S’allument dans nos jeunes coeurs.
Que ne sont-ils les Galants de leurs Femmes ?
On n’en chercheroit point ailleurs.
Tous les Maris n’ont pas tant de délicatesse,
Et j’en sais de moins scrupuleux,
Qui des Galants qui vont chez eux
Ménageant l’utile tendresse,
N’ont besoin de notre pouvoir
Que pour être sans yeux, quand il faut ne rien voir.
Que direz-vous d’un tas de Belles
Qui donnent le champ libre à cent regards errants.
Et qui pour voir leur Cour grossit de Soupirants,
Me font à tous moments pour elles
Faire des Charmes différents ?
Encor tout de nouveau j’en ai deux de commande
Pour reblanchir des Lis effacés par les ans.
À moins qu’avec nous l’on s’entende,
L’âge fait de vilains présents
Dont la beauté n’est pas bonne marchande.
Ce sont là des emplois légers,
Les miens sont de plus d’importance.
Un Brave qui n’a pas une entière assurance,
Quand il s’agit d’affronter les dangers,
A mis en moi son espérance.
Pour le garantir de l’effroi
Qui rend des plus hardis la valeur étouffée,
J’ai promis de le rendre Fée.
Étant invulnérable, il trouvera de quoi
S’acquérir les honneurs du plus brillant Trophée ;
Et pour comblez ses vœux, Circé… Mais je la vois.
Scène III
Allez dire au Prince de Thrace,
Que s’il veut me parler, je vais l’attendre ici.
Et vous, par qui la joie en tous lieux trouve place,
Préparez quelques Voix dont la douceur efface
Les chagrins que lui cause un amoureux souci.
Quand pour favoriser l’ardeur qu’il a de plaire
À l’Objet inhumain qui confond son espoir,
Vous employez votre pouvoir,
S’il m’est permis de ne rien taire,
Je crains bien qu’en vous laissant voir,
Vous-même n’empêchiez ce que vous pensez faire.
Vos yeux n’eurent jamais un si brillant éclat,
Pour le Prince déjà ma pitié s’en alarme.
Tout ce qu’a la Beauté de fin, de délicat…
Tout de bon, trouves-tu que mes yeux…
C’est un charme.
Te parois-je touchante ; et si dans cet état
À quelque cœur altier je vais livrer combat,
Penses-tu que je le désarme ?
N’en doutez point ; pour moi je ne le cache pas.
Quand mes plus tendres vœux offerts à quelque Belle,
M’auroient par cent serments soumis à ses appas,
Dès que je vous verrois, je serois infidèle.
J’ai l’affront cependant (et tu m’en vois rougir)
Que le Prince m’ait vue, et ne m’est point aimée.
L’ardeur de le toucher a beau me faire agir,
Silla seule en est estimée ;
Silla l’occupe tout, et s’il pousse un soupir,
C’est Silla qui l’arrache à son âme charmée.
Je l’ai quitté d’abord pour lui donner le temps
De réfléchir sur ma rencontre ;
Mais en vain à ses yeux de nouveau je me montre,
Le nom de ce qu’il aime est tout ce que j’entends ;
Et quand Silla par moi devroit être effacée,
Silla plus que jamais règne dans sa pensée.
J’avois cru qu’exprès avec lui
Vous aviez suspendu le pouvoir de vos Charmes.
Non, Dorine, et par là je juge de mon ennui.
Si mes yeux sont de sûres armes,
Pour l’attaquer j’en ai cherché l’appui.
Ils n’ont pu rien ces yeux à qui je dois la gloire
De m’assujettir tous les cœurs ;
Ils m’ont sur Mélicerte obtenu la victoire,
Lui pour qui, si je l’en veux croire,
Cette même Silla n’eut jamais de rigueurs ;
Et le Prince de Thrace auroit seul l’avantage
De ne pas soupirer pour moi ?
Non, non, il me viendra soumettre son hommage ;
C’est une indispensable loi
Dont il n’est rien qui le dégage.
Mon Art de sa fierté sera victorieux.
Je viens de m’en servir pour être plus aimable,
Et c’est de là que vient cet éclat redoutable
Que tu vois briller dans mes yeux.
Non que le Prince à tel point m’ait charmée,
Que la douceur d’en être aimée
Ait de quoi plus longtemps mériter mes désirs.
Ses peines seulement à mon cœur seront chères,
Et je mettrai tous mes plaisirs
À lui voir perdre des soupirs
Que j’aurai rendus nécessaires.
Et dans cet imprévu revers
Que deviendra l’amoureux Mélicerte ?
Qu’il reprenne ses premiers fers,
Ils le pourront consoler de ma perte.
Pourquoi, quand par le temps l’amour est abattu,
Opposer la constance au dégoût qui l’accable,
Et ne pas s’affranchir, par un choix agréable,
De la ridicule vertu
D’aimer ce que le cœur ne trouve plus aimable ?
D’abord pour Mélicerte, il le faut confesser,
Tout mon plaisir étoit de le voir s’empresser
À me venir expliquer sa tendresse.
Ses soins ne pouvoient me lasser.
Je sens qu’enfin ce plaisir cesse ;
C’est assez pour permettre à l’amour de cesser.
Ainsi se piquer de constance,
N’est pas une vertu propre à nos jeunes ans ?
Sans te dire ce que je pense
De ces feux tendres et constants
Dont tu veux prendre la défense,
Je m’en tiens à l’expérience.
Tout plaisir ne l’est plus, s’il dure trop longtemps.
L’habitude d’aimer porte à l’indifférence ;
Et si jamais deux cœurs en amour sont contents,
C’est seulement lorsqu’il commence.
Si l’amour en naissant charme tous nos désirs,
Il est malaisé… Mais, Madame,
Mélicerte…
Il lui va coûter quelques soupirs,
S’il vient me parler de sa flamme.
Scène IV
Enfin vous voilà de retour,
Vous, ma Princesse, en qui je vis plus qu’en moi-même.
Je vous avois perdue. Hélas ! Qu’un demi-jour
À passer sans voir ce qu’on aime,
Est un dur supplice à l’amour !
Depuis que vous êtes rentrée,
En vain j’ai fait deux fois le tour de ce Palais.
Toujours votre retraite a trompé mes souhaits,
Vous ne vous êtes point montrée.
Consolez-m’en, de grâce, et puisque tous mes soins
Regardent celui de vous plaire…
J’avois cherché ce lieu pour rêver sans témoins,
Laissez-m’en la douceur, elle m’est nécessaire
Contre certain chagrin que j’attendois le moins.
De cet accueil que faut-il que j’augure ?
L’orage est prêt à s’élever ;
De la Foudre déjà j’entends le sourd murmure,
Madame…
Je ne sais ce qui peut arriver ;
Mais qui n’a jusqu’ici demandé qu’à rêver,
Ne vous a pas fait grande injure.
Me le demandez-vous, quand vos désirs contents
Renfermoient votre joie au plaisir de m’entendre
Plus je cherchois à vous faire comprendre
Jusqu’où…
Chaque chose a son temps ;
Puisque vous l’ignorez, je veux bien vous l’apprendre.
Ainsi je ne suis plus ce trop heureux Amant,
Dont l’amour sembloit seul être digne du vôtre.
Vous allez oublier son tendre emportement,
Et ce qu’il eut pour vous de flatteur, de charmant,
Vous le sentirez pour un autre.
L’amant qui veut empêcher
Un changement qui l’irrite,
S’y prend mal de reprocher
Que pour un autre on le quitte.
Sans se montrer alarmé
De la peur qu’on ne préfère
Un rival plus estimé ;
Qu’il trouve toujours à plaire,
Il sera toujours aimé.
Je suis pour vous toujours le même,
Toujours la même ardeur vous répond de ma foi ;
Mais que peut penser cet amour extrême,
À moins que votre cœur ne soit toujours pour moi ?
S’il est vrai que malgré l’outrage
Qu’en recevront vos feux jaloux,
L’intérêt de mon cœur à vous quitter m’engage,
S’agissant de me faire un sort heureux et doux,
À qui de mon cœur, ou de vous,
Dois-je déférer davantage ?
Ah, puisque vous étiez capable de changer,
Pourquoi m’avoir tiré de mes premières chaînes ?
Le poids m’en paraissoit bien léger ;
Et ravi que l’Amour m’en eût voulu charger,
J’ignorois qu’en aimant il pût être des peines.
M’enlevant en ces lieux, vous m’avez malgré moi
Fait à Silla manquer de foi…
Vous lui pouviez être fidèle ;
Mais c’est un feu facile à rallumer
Que je cesse de vous aimer !
Ah ! Plutôt….
Non, suivez l’amour qui vous appelle.
Silla vaut ce retour ; elle est jeune, elle est belle,
Sait mieux que moi l’art de charmer,
Et je ne suis plus rien auprès d’elle.
Faites donc que les Dieux affaiblissent ces traits
Qui nous offrent en vous leur plus brillante image.
Rien n’est capable ailleurs d’attirer mes souhaits ;
Et comme un nouveau charme à qui tout doit hommage
Semble aujourd’hui de vos attraits
Avecque plus de force étaler l’avantage,
J’ai pour vous plus d’amour que je n’en eus jamais.
C’est trop ; en attendant des réponses plus claires,
Songez qu’aux Importuns je sais ce que je dois,
Et que mes volontés étant ma seule loi,
Ce n’est pas le moyen d’avancer ses affaires,
Que de s’obstiner avec moi.
Madame…
Allez, et craignez ma vengeance,
Si vous osez mériter mon courroux.
Ciel, à quoi me réduisez-vous,
S’il faut aimer sans espérance
De recevoir jamais un traitement plus doux ?
Scène V
On est à moins inconsolable.
Quand à sa flamme il voit l’espoir ôté,
Vous vous montrez à ses yeux plus aimable
Que vous n’avez jamais été ;
Et vous voulez qu’il soit capable
De souffrir le coup qui l’accable,
Sans se plaindre qu’on l’a quitté ?
Qu’il s’en plaigne, qu’il en murmure,
Je verrai ses ennuis d’un esprit satisfait,
Pourvu qu’à réparer ce qu’on m’a fait d’injure
Mon Charme ait son entier effet.
Le Prince en me voyant, ne m’a pas estimée
Digne de son attachement ;
Pour l’en punir, je veux en être aimée.
Je veux que le plaisir de traiter fièrement
Ce qu’un imprévu changement
Fera sentir d’ardeur à son âme enflammée,
Serve dans mon ressentiment
À venger ma gloire, alarmée
De n’avoir pu d’abord l’acquérir pour Amant.
Quand pour tâcher à vous rendre sensible
Vous le verrez à vos genoux,
Vous n’en croirez plus tant l’emportement jaloux
Qui contre lui vous montre tout possible ;
Et comme laisser vaincre un orgueilleux courroux
Est en amour quelque chose de doux,
Vous ne serez pas invincible.
Tu verras si ma gloire oublie à se venger,
Quand elle a reçu quelque outrage.
Mais il vient, prenons un visage
Dont la douceur ait de quoi l’engager
À m’offrir de ses vœux le plus soumis hommage.
Scène VI
Et bien, Prince ? Avez-vous trouvé dans mon Palais
Les merveilles qu’on en publie,
Et l’heur d’y pouvoir vivre en paix
Peut-il mériter qu’on oublie
Qu’il soit ailleurs des biens à flatter les souhaits ?
Ce qui s’offre à mes yeux passe toute croyance.
Tout brille ici partout d’un éclat sans pareil,
Et par plus de magnificence
L’illustre Fille du Soleil
Ne pouvoit soutenir l’honneur de sa naissance
Je puis à ce Jardin ajouter des beautés
Capables de toucher votre âme.
Naissez, Berceaux, et par vos raretés
Charmez si bien ses yeux, qu’il se plaise…
Ah, Madame,
Perdez cet obligeant souci ;
Il n’en faudroit pas tant pour me charmer ici.
Un seul bien…
Quel qu’il soit, s’il est en ma puissance,
Parlez je ne réserve rien.
Après une telle assurance,
Quel bonheur est le mien ?
Oui, Madame, de vous dépend ce que j’espère.
C’est dans votre Palais que mon cœur satisfait
Peut n’avoir plus aucuns souhaits à faire,
J’y jouirai d’un heur parfait ;
Et si de vos bontés rien n’empêche l’effet,
Point de félicité qui puisse ailleurs me plaire.
Charmé, dégagé de souci,
Vous me verrez, par d’éternels hommages,
Tâcher de mériter les heureux avantages
Que je puis rencontrer ici.
Il vous aime, en voilà d’assez clairs témoignages.
Dorine, tout va bien, le Charme a réussi.
Sans m’expliquer votre reconnoissance,
Dites-moi seulement ce que je suis pour vous.
Prendre pitié d’un feu dont les charmes trop doux
Ont trouvé mon cœur sans défense.
Tout ce que du Ciel en courroux
Peut la plus sévère vengeance,
C’est de faire qu’on aime avecque violence,
Sans être aimé de qui peut tout sur nous.
Cet amour sur votre âme a-t-il assez d’empire,
Pour vous faire immoler à sa naissante ardeur…
Quoi, vous doutez des transports qu’il m’inspire
Ah, si vous ne pouvez pénétrer dans mon cœur,
Croyez ce que mes yeux s’empressent de vous dire.
Voyez-les tout remplis de ce brûlant amour
Qui cherche par eux une voie
À pouvoir se montrer au jour.
J’ai su que Silla vient dans ce charmant séjour.
Daignez l’y retenir ; pourvu que je la voie,
Tous les plaisirs pour moi vont être de retour.
Vivre avec elle ici, me comblera de joie.
Malgré ses indignes mépris,
Mes soins fortifiés du secours de vos Charmes,
Forceront sa rigueur à rendre enfin les armes.
Souffrez l’espoir que j’en ai pris ;
Si vous êtes pour moi, ma flamme est sans alarmes.
J’ai cru qu’ayant à faire choix…
Songez-vous que peut-être…
Scène VII
Approchez, Astérie,
Est-on prêt à chanter ?
Oui, Madame.
La voix
M’a toujours fort touchée. Écoutons, je vous prie,
Vous me direz le reste une autre fois.
Pourquoi me fuyez-vous, ô Beauté trop sévère,
Quand d’un si tendre amour j’ai le cœur enflammé !
Je fuis ce que je sens qui commence à me plaire ;
Si je vous écoutois, vous pourriez être aimé.
Quoi, toujours, aimable Inhumaine,
Refuser de m’entendre ? Eh de grâce, deux mots.
L’amour cause de la peine,
Et je veux vivre en repos.
Est-il des plaisirs sans tendresses ?
Est-il de l’Amour sans chagrin ?
Par l’Amour tout chagrin cesse.
Tous les plaisirs par l’amour prennent fin.
C’est une erreur ; dans le bel âge,
Il faut aimer pour vivre heureux.
Ne me dites rien davantage.
Soulagez les ennuis de mon cœur amoureux.
Que vous sert que le mien soupire ?
Ah Silvie !
Ah Tarcis !
Unissons nos soupirs.
Aimons-nous.
Douce peine !
Agréable martyre !
Il fait tout mon bonheur.
Il fait tous mes désirs.
Pour goûter les plus doux plaisirs,
Ne nous lassons jamais de nous le dire :
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !
La liberté m’étoit un lien si doux !
Vaut-il ceux que l’Amour offre dans son Empire ?
Je la perds, c’en est fait.
Vous en repentez-vous ?
Ce n’est pas de quoi je soupire.
Ah Silvie !
Ah Tircis !
Unissons nos soupirs.
Aimons-nous.
Douce peine !
Agréable martyre !
Il fait tout mon bonheur.
Il fait tous mes désirs.
Pour goûter les plus doux plaisirs,
Ne nous lassons jamais de nous le dire :
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !
Vous voyez de quelles douceurs
L’Amour souffre aux Amants la flatteuse espérance,
Quand il prend soin d’unir leurs cœurs.
On oublie aisément ce qu’il eut de rigueurs,
Lorsque cette union en est la récompense.
Par vous avec Silla je la puis espérer.
Vos Charmes n’ont jamais trouvé rien d’impossible ;
Et cette charmante Inflexible
Pour qui l’amour me force à soupirer,
Dès que vous parlerez, aura le cœur flexible.
Si vous n’obtenez que par moi
L’heureux succès que votre amour espère,
Cette douceur aura-t-elle de quoi
Vous assurer ce qui doit seul vous plaire ?
Pour bien goûter le plaisir d’être aimé,
Il faut ne le devoir qu’à l’ardeur de sa flamme.
De Silla qui vous fuit êtes-vous si charmé,
Qu’un autre Objet dont vous toucheriez l’âme
Ne pût de vous être estimé ?
Laissez agir votre mérite.
Il est mille Beautés, qui pour vous rendre heureux,
Se plairont à répondre à vos soins amoureux ;
La gloire à changer vous invite.
Est-il rien de plus rigoureux ?
Quel conseil ! À Silla devenir infidèle !
Silla qu’on ne peut voir sans se faire une loi…
Elle a tout ce qui peut mériter votre foi ;
Mais si vous ne changiez pour elle,
Qu’afin de vous donner à moi,
Heureux par cet amour, auriez-vous tant de quoi
Nommer la Fortune cruelle ?
La gloire d’être aimé de vous
Devroit m’être un bonheur sensible,
À remplir mes vœux les plus doux ;
Mais, Madame, l’amour par un charme invincible,
Dispose de nous malgré nous.
Quoique Silla me livre à cent peines secrètes,
Sille seule peut plaire à mon cœur amoureux.
Pour Silla seule il peut former des vœux,
Et toute aimable que vous êtes,
Vous ne pourriez me rendre heureux.
Tremblez de l’aveu que vous faites,
Oser à mon amour préférer d’autres feux !
J’en dis trop, mais Circé n’est pas accoutumée
À contraindre des sentiments.
S’il me plaît de choisir, je n’ai que trop d’Amants ;
Mais lorsque je m’abaisse à souffrir d’être aimée,
C’est vouloir voir ma haine à punir animée,
Que m’opposer d’autres engagements.
Pour de moindres mépris j’ai répandu la honte
Du sort le plus injurieux,
Sur des Rois dont j’ai fait la terreur de ces lieux.
Il faut d’une vengeance aussi juste que prompte,
Étaler la peine à vos yeux.
On voit paroître divers Animaux, Lions,
Ours, Tigres, Dragons, et Serpents.
En Bêtes transformés, pour m’avoir su déplaire,
Voyez-les à regret souffrir encor le jour,
Et si vous dédaignez l’offre de mon amour,
Craignez l’horreur de ma colère.
La menace, Madame, est pour se faire aimer
Un moyen dont je crois le succès un peu rare.
Je l’entends sans m’en alarmer,
Et quoi que ces Objets me fassent présumer
Du sort honteux qu’on me prépare,
L’amour règne en mon cœur, et l’a trop su charmer,
Pour souffrir lâchement que l’effroi s’en empare.
Quoi, jusqu’à me braver vous poussez vos dédains,
Connaissant qui je suis, et ce que je puis faire ?
Encor un coup redoutez ma colère.
À me fléchir vos efforts seront vains,
Si j’écoute l’amour qui la force à se taire.
Je n’ai qu’à dire un mot, et ces fiers Animaux
Fondant sur vous pour venger mon injure,
De l’un d’eux aussitôt vous prendrez la figure.
Vous me regretterez, et pour comble de maux…
Le Ciel pourra détourner l’aventure,
Et les forces dont les Dieux m’ont fait part,
Mettront peut-être obstacle au pouvoir de votre Art.
De la témérité passer à l’insolence !
Prétendre que les Dieux appuyant vos projets…
Ah, c’en est trop, il faut punir cette arrogance,
Fiers Ministres de ma vengeance,
Avancez, il est temps, et je vous le permets.
Et moi, qui sais confondre une injuste puissance,
Je vous défends de vous montrer jamais.
Ciel ! Que vois-je ? La Terre s’ouvre,
Et par ces Animaux employés vainement,
Ma foiblesse qui se découvre,
Le laisse triompher de mon ressentiment.
Quoi, voir par son pouvoir mes forces abattues ?
Non, non, animez-vous, immobiles Statues.
De ce que vous pouvez votre Art vous fait trop croire,
J’en saurai contre vous repoussez l’attentat,
Et ces vains Ennemis opposés à ma gloire,
Bien loin de la ternir, en accroîtront l’éclat.
Disparaissez, et sans combat,
Vous perdant dans les airs, cédez-moi la victoire.
Par l’inutile essai qui suit votre courroux,
Si tôt qu’à ses transports ma volonté s’oppose,
Madame, vous voyez ce que j’ai fait pour vous,
Quand j’ai voulu vous devoir quelque chose.
Scène VIII
Est-ce une illusion, et suis-je encor Circé ?
Quoi, dans mon Art un autre me surmonte ?
Par un pouvoir plus fort cet Art est renversé,
Et tout ce qu’entreprend le courroux qui me dompte,
Pour venger mon honneur mortellement blessé,
Je ne l’entreprends qu’à ma honte ?
Ah Dorine !
Madame, un tel événement
A porté si loin ma surprise,
Que j’ai peine à sortir de mon étonnement.
Qu’à vous braver un Mortel s’autorise !
Mes Charmes n’ont encor agi que faiblement.
Je voulois l’épargner, mais après l’avantage
Qu’il vient de s’acquérir sur moi,
Je n’ai plus recours qu’à ma rage ;
D’elle seule aujourd’hui je veux prendre la loi.
C’en est fait, contre lui je vais mettre en usage
Ce que moi-même j’envisage
Avec des sentiments d’effroi.
Viens, malgré ces dures atteintes,
Mon cœur doit être ferme, et j’ai lieu de rougir
De perdre le temps à des plaintes,
Quand l’honneur me presse d’agir.
ACTE III
Décoration du troisième acte.
Le magnifique Jardin qui a servi de Décoration à l’Acte précédent, fait place à un superbe Palais, dont l’Architecture est d’ordre Corinthien, avec les Frises et Corniches. Les Palastres sont de lapis veiné d’or. Une balustrade règne au-dessus en forme d’Attique. La masse du Palais est toute de marbre blanc, avec les chapiteaux des Pilastres et les bases d’or. On voit sur des piédestaux qui sortent en saillie, des vases d’or, de lapis, et de marbre ; et au bout de ce Palais on découvre un Jardin, avec ses ornements d’Arbres, de Fleurs, de Jets d’eau, et de Fontaines.
Scène I
Moi, me contraindre, moi ? Non, non, belle Astérie,
Quoi qu’ose le courroux où je puis l’engager,
Vous en voulez pour moi craindre en vain le danger.
Si je perds ce qui fait tout le bien de ma vie,
Mes jours sont-ils à ménager ?
Circé me quitte, m’abandonne,
Elle qui paraissoit faire tout son bonheur
De l’empire absolu qu’elle avoit sur mon cœur,
Et je dois recevoir la mort qu’elle me donne,
Sans me plaindre de sa rigueur ?
Partout j’en parlerai sans cesse ;
Sans cesse mes soupirs demanderont raison
De cette lâche trahison.
Et quel fruit espérer d’une telle foiblesse ?
Quant à moi, j’en voudrois user tout autrement ;
Et si l’on me venoit apprendre
L’infidélité d’un Amant,
Sans lui donner le plaisir de m’entendre
Soupirer de son changement,
Fût-ce des amours le plus tendre,
J’irais dans le même moment
De mon cœur avec lui rompre l’engagement ;
Et s’agissant de le reprendre,
J’en aurois plus d’empressement,
Qu’il n’en auroit de me le rendre.
Hélas ! Quel remède à m’offrir !
L’amour d’un tel effort rend-il nos cœurs capables
Et dans des maux au mien semblables
N’a-t-on qu’à le vouloir, pour cesser de souffrir ?
Il n’en est guère d’incurables,
Quand on se met en tête d’en guérir.
J’en parle sans expérience,
Et je n’ai pas vécu ce qu’il faut pour avoir
Une parfaite connoissance
De ce que sur un cœur l’amour prend de pouvoir
Mais comme l’on soutient avec tant d’assurance,
Que toujours là-dessus on sait plus qu’on ne pense,
Sans savoir rien, je pense tout savoir.
Je connois d’où vient ma disgrâce.
L’Amour dans ce palmois, pour troubler mon bonheur,
A conduit le Prince de Thrace ;
C’est lui qui de Circé me dérobe le cœur.
J’aurois déjà puni ce rival téméraire,
Si je n’avois appris qu’il l’ose dédaigner ;
Ainsi je le veux épargner,
Pour le livrer à sa colère.
Bizarre destinée ! À l’ardeur de ses vœux
J’abandonne Silla que je sais qu’il adore ;
Et lorsque ici ma retraite s’ignore,
Il vient malgré lui mettre obstacle à mes feux.
Malgré lui je le vois aimé de l’infidèle,
À qui j’ai su tout immoler.
Il est insensible pour elle,
C’est de quoi vous en consoler.
Mais au lieu d’écouter dans un pareil outrage
Le courroux qui doit l’animer,
S’il falloit, pour s’en faire aimer,
Qu’elle mît contre lui quelque Charme en usage ?
Avant le temps pourquoi vous alarmer ?
Sait-on ce qu’a produit leur dernière entrevue ?
Circé m’en a paru triste, toute abattue,
Mais j’ai pressé Dorine en vain de s’expliquer.
Elle étoit avec eux, et contre l’ordinaire
Il semble qu’elle veuille aujourd’hui se piquer,
De pouvoir entendre et se taire
Non, j’ai beau me flatter ; du bien que je poursuis
L’espérance m’est interdite.
Pour jouir du malheur où mes jours sont réduits,
Mon rival de Circé connoîtra le mérite.
Et bien, alors, faite comme je suis,
Si vous me trouvez propre à guérir vos ennuis,
Vous oublierez pour moi l’Ingrate qui vous quitte.
Quoi que jeune, un peu folle, et ce qu’il vous plaira,
(Car il faut que chacun à son âge réponde,)
Je ferai pour qui m’aimera
De la meilleure foi du monde.
Tant que le cœur nous en dira,
Tendresse des deux parts à nulle autre seconde ;
Mais bonne clause aussi, que l’on se quittera
Sans souffrir que l’Amour en gronde,
Si tôt qu’on s’en dégoûtera.
Dans les vives douleurs où mon âme est en proie,
Vous pouvez me parler ainsi ?
Que voulez-vous ? J’ai le cœur à la joie,
Et quand je ris d’un Amoureux transi,
C’est mon penchant qui se déploie.
Mais enfin sortez de souci,
Vous brûliez pour Silla, le Ciel vous la renvoie.
Aujourd’hui même elle doit être ici.
Silla dans ce Palais ?
Elle est encor capable,
Quand vous la reverrez, d’attirer vos désirs.
Ah, ne m’en parlez point ; malgré tous les soupirs
Que m’a déjà coûtés le malheur qui m’accable,
Pour moi Circé est aimable ;
Et si vous lui vouliez peindre mes déplaisirs,
Elle ne seroit pas peut-être inexorable.
Voici le Confident du rival qui vous perd.
Laissez-moi découvrir par lui ce qui se passe.
Pour empêcher le coup dont l’amour vous menace,
Nous pourrons agir de concert,
Sil m’apprend que son Maître ait toujours même audace.
Parlez, je lui quitte la place ;
Heureux qu’un tel secours à mon feu soit offert.
Scène II
Approche, que fait-on ? Que dit-on ?
Sur mon Maître
On a quelques prétentions,
Qui se font un peu trop connoître.
Quelque amour que Silla dans son cœur ait fait naître,
S’il est sujet aux belles passions,
Peut-être que Circé…
N’y mets point de peut-être.
Que Circé pour changer son cœur,
Fasse dans sa colère agir Charmes sur Charmes.
Ce seront d’impuissantes armes ;
Un autre objet s’en est rendu vainqueur,
Et son pouvoir lui cause peu d’alarmes.
Ce n’est pas qu’il ne fût à souhaiter pour moi
Que Circé le touchât de même qu’il la touche.
Pour ta Beauté je sens je ne sais quoi,
Et si tu n’étois point farouche,
Je m’apprivoiserois aisément avec toi.
Franchement, je ne sais quelle Étoile est la nôtre.
Si je te plais, tu ne me déplois pas ;
Et dans ce que pour moi ce penchant a d’appas,
Nous nous trouverions nés au besoin l’un pour l’autre.
Le Prince songe-t-il si tôt à nous quitter,
Qu’en vain nous prétendions établir connoissance ?
Sans Silla qu’il attend, je pense
Qu’ici l’on auroit beau le vouloir arrêter.
Comme il sait qu’elle vient, il se fait une joie
De pouvoir lui montrer qu’il dédaigne Circé.
Souvent, pour voir son feu récompensé,
Un pareil sacrifice est une sûre voie.
J’ai peur qu’il ne s’en trouve mal.
Circé n’est pas d’humeur à souffrir qu’on l’outrage ;
Il n’es faut pour témoin que ce pauvre animal,
Dont, si pour moi l’amour t’engage,
Tu vas devenir le rival.
Le rival d’un singe ? Ah, crois que…
Sans colère.
C’est seulement depuis un mois,
Que d’Homme il est ce que tu vois ;
Pour son malheur je lui fus chère,
Circé l’aimoit, il lui cacha son choix,
Et feignant, il sut si bien faire,
Qu’il sembloit vivre sous ses lois,
Tandis que tous ses vœux n’aspiroient qu’à me plaire.
C’étoit le plus badin Amant
Qui jamais ait été capable de tendresse.
Il me parloit des yeux sans cesse,
S’il ne le pouvoit autrement ;
Mais enfin malheureusement
De ses soins affectés Circé connut l’adresse,
Et le fit Singe en un moment.
Même destinée à deux Pages
Qu’au Palais parmi nous il avoit amenés.
Les voici. Tous les trois par mille badinages
Semblent se tenir fortunés
De venir chaque jour me rendre leurs hommages.
La souplesse des sauts dont pour me divertir
Ensemble ils ont pris l’habitude,
Fait leur plus agréable étude.
Voilà comme l’amour ne se peut démentir.
La récompense est fort honnête.
Lorsque de quelque amant ton cœur se trouve épris,
On le métamorphose en bête.
Tu ne le voudrois pas acquérir à ce prix ?
Je me louerois du sortilège,
Pourvu qu’en Épagneul je pusse être changé.
Du moins par là j’aurois le privilège
De me voir jour et nuit entre tes bras logé.
Flatteur pour toi, pour toute autre farouche,
Sans cesse je tiendrois mes pattes sur ta peau,
Et j’aboierois d’un ton nouveau,
Lorsque tu frotterois ta bouche
Avecque mon petit museau.
Nous songerons à la métamorphose.
Cependant je veux bien te faire partager
Le plaisir qu’en sautant mon Singe Amant me cause.
Allons, mon Singe, il faut être léger,
S’il est vrai que de vous ma volonté dispose.
Rien ne peut être égal à son agilité ;
Mais lorsqu’il s’agit de te plaire,
Quoi qu’on veuille entreprendre, autant d’exécuté.
Si jamais de ton cœur je suis dépositaire…
Ah, Monsieur le Magot, vous êtes en colère.
Pour peu que l’on m’approche, il s’en montre irrité ;
Pour lui seul il veut de mes caresses.
Vois-tu comme il baise ma main ?
Mais il est temps que tu me laisses.
Circé vient, le reste à demain.
Scène III
Vous parliez du Prince de Thrace ?
Que vous en a-t-on dit ?
Que malgré les mépris
Qui chaque jour augmentent sa disgrâce.
C’est toujours de Silla que son cœur est épris.
Et Mélicerte, il vous a vue ?
Il m’a de ses ennuis longtemps entretenue ;
Mais en peut-on blâmer l’excès ?
Après mille serments d’une entière constance,
Voir son amour payé d’indifférence,
Est le déplorable succès
Qui suit sa crédule espérance.
Un Charme par un autre aisément est détruit ;
Et si je suis la cause de ses peines,
Au moins de mon amour il tirera ce fruit,
Que je saurai le rendre à ses premières chaînes.
Faites lui toucher cet Anneau,
Et soudain oubliant qu’il m’ait jamais aimée,
Il se sentira de nouveau
Des Beautés de Silla l’âme toute charmée.
Sa guérison dépend de vous.
Allez, sans perdre de temps, mettre fin à ses plaintes.
Scène IV
Ainsi pour lui vos flammes sont éteintes,
Et ces tendres ardeurs dont il vous fut si doux
De lui voir partager les sensibles atteintes,
N’ont plus aucun pouvoir sur votre cœur jaloux ?
Il est tout occupé de la juste colère,
Que du Prince de Thrace allument les refus
Il devroit l’être au moins, tant j’ai l’esprit confus
De l’affront que l’Ingrat à ma flamme ose faire ;
Mais en vain la vengeance a de quoi me charmer.
En vain elle me porte à résoudre sa peine ;
Malgré ce que je sais que je lui dois de haine,
Un fatal Ascendant me force de l’aimer,
Et plus à le punir je me veux animer,
Plus je sens que je cède à l’amour qui m’entraîne.
Il n’en faut point douter, l’implacable Vénus
Est toujours sensible à l’outrage.
Ce fut par le Soleil, par son seul témoignage,
Que ses feux avec Mars aux Dieux furent connus,
Et ce cruel amour qu’elle a mis dans mon âme
La venge sur moi de l’affront
Dont mon Père autrefois, en découvrant sa flamme,
Laissa la tache sur son front.
Vous devez espérer…
Que veux-tu que j’espère ?
Malgré ce que ma gloire y couroit de hasard,
Pour m’acquérir le cœur d’un Téméraire,
Ai-je rien épargné des secrets de mon Art ;
Moi qui cent fois d’un seul regard
Ai gagné des plus fiers l’hommage volontaire ?
Ce dernier Charme encor dont je viens à tes yeux
De faire l’inutile épreuve,
N’est-il pas de ma honte une trop forte preuve ?
Qu’a-t-il fait, qu’a-t-il pu sur cet Audacieux ?
Silla toujours pour lui n’est-elle pas la même ?
N’est-elle pas toujours l’objet de son amour ?
Ah, c’est trop en souffrir ; dans ma fureur extrême
Ne pouvant obtenir qu’il m’aime,
Satisfaisons ma gloire, en le privant du jour.
Les Charmes contre lui n’ont qu’une vaine amorce ;
Mais au moins ce doit m’être un bonheur assez doux,
Que s’il me plaît d’en croire mon courroux,
Il est des poisons dont la force
Donnera plein triomphe à mes transports jaloux.
Éteignons une ardeur fatale,
Qui de mon cœur troublant la paix…
Scène V
Silla, pour vous parler, entre dans le Palais.
Silla ? Mon sang s’émeut au nom de ma Rivale.
Qu’on l’amène ; il faut voir ces dangereux attraits
Qui rendent ma puissance à la sienne inégale.
S’il est vrai que toujours le Prince dédaigné
Ait servi de victime à son humeur altière,
Je veux pour lui la rendre encor plus fière,
Et croirai dans ma perte avoir assez gagné,
S’il n’a pas sur ma flamme une victoire entière.
Scène VI
Ne vous étonnez point, Madame, de me voir
Mettre en vous tout l’espoir que mon malheur me laisse.
Je sais quel est votre pouvoir,
Et que si la pitié pour moi vous intéresse,
Vos bontés n’auront qu’à vouloir,
Pour finir l’ennui qui me presse.
J’aime ; avec moi tant d’autres ont aimé,
Que l’on doit faire grâce à l’ardeur qui m’anime ;
Et quand l’amour seroit un crime,
On s’est à l’excuser si bien accoutumé,
Qu’on ne reprocheroit à mon cœur enflammé
Qu’un foible que l’usage a rendu légitime.
Je ne vous dirai point sur quels flatteurs attraits
Du Prince qui m’aima je partageai la flamme.
L’hommage qu’il m’offrit méritoit mes souhaits,
Et je laissai toucher mon âme
Au plus beau feu qui fut jamais.
Mais enfin sur le point qu’un heureux hyménée
Des soins qu’il me rendoit alloit être le prix…
Le seul nom de Silla m’a d’abord tout appris ;
C’est assez, je connois quelle est sa destinée.
Mélicerte parti sans vous en consulter…
Oui, c’est de là que naît le trouble qui m’agite.
S’il s’est vu malgré lui forcé de me quitter,
Dites-moi quels lieux il habite,
Et rien pour le revoir ne pourra m’arrêter.
Que si son changement a causé sa retraite,
Pour me dégager d’un ingrat,
Arrachez-moi du cœur cette flamme indiscrète
À qui je n’ai déjà souffert que trop d’éclat.
Voilà ce qui m’amène, et sur quelle espérance
J’ose recourir à votre art.
Prenez sur Mélicerte une entière assurance.
Quoi qu’à ne voir que l’apparence
Vous avez pu trouver du crime en son départ,
Je vous réponds de sa constance.
Ah, puisqu’il me garde sa foi,
Pour le trouver, Madame, où faut-il que je vole ?
Et le Prince de Thrace ?
Il soupire pour moi ;
Mais il n’est rien que je n’immole
Au beau feu dont je suis la loi,
Et s’il espère encor, c’est un espoir frivole.
Demeurez dans ses sentiments,
Et pour prix d’une ardeur si belle,
Je vais vous faire voir Mélicerte fidèle
Dans les plus vifs empressements
Que vous puissiez attendre de son zèle.
Suivez-moi.
Scène VII
Quoi, toujours vous me fuirez ainsi,
Belle Ingrate ?
Quelle surprise !
Voir le Prince de Thrace ici ?
Écoutez-moi, de grâce, et d’un œil adouci
Regardez un Amant que sa flamme autorise…
Quelle est votre témérité,
Prince ? Quoi, vous avez la coupable insolence
D’étaler à mes yeux un amour qui m’offense,
Un amour qui déjà n’a que trop mérité
Ma plus redoutable vengeance ?
Pouvez-vous nommer crime un amour où toujours
Mon cœur a mis toute sa gloire ?
Et pour vous avoir voulu croire
Sur cet infaillible secours
Que devoit à ma flamme assurer la victoire,
Ai-je dû mériter de vous
Les transports où vous jette un aveugle courroux ?
Voyez Silla, Madame, et la voyez pourvue
De tout ce qui jamais fut en droit de charmer.
Je l’aimois quand je vous ai vue,
Est-il en mon pouvoir de ne la plus aimer ?
J’en ai trop cru l’inutile promesse
Qui m’a fait vous suivre en ces lieux.
Votre Art devoit forcer l’obstacle injurieux
Que sa rigueur oppose à ma tendresse,
Il me devoit rendre aimable à ses yeux.
Peut-être un changement semblable
Aurait à votre gloire ajouté quelque éclat.
Vous pouvez tout encor, mon cœur n’est point ingrat,
Et vous savez de quoi je suis capable
Pour rompre un injuste attentat.
Songez-y de grâce.
Ah Madame,
Vous laissez-vous séduire contre moi ?
Et pour favoriser sa flamme,
Me forçant à manquer de foi,
Voulez-vous au parjure abandonner mon âme ?
Non, n’appréhendez rien ; si de votre rigueur
Je me suis engagée à lui faire justice,
Je ne l’ai prétendu que par le sacrifice
Que je lui faisois de mon cœur.
Il l’ose refuser, je le vois avec honte ;
Quand je le cacherois, ma rougeur vous le dit,
Et si mon amour interdit
Ne souffre pas ma vengeance aussi prompte
Que la demande un violent dépit,
Elle est en est plus à craindre, et peut-être il suffit
Qu’en pouvoir l’Univers n’a rien qui me surmonte.
Prince, je ne vaux pas les malheurs que je crains.
Voyez-en le péril et rentrez en vous-même.
Oubliez qui vous fuit, pour aimer qui vous aime,
Et faites-vous enfin raison de mes dédains.
Un seul mot peut calmer l’orage qui s’apprête.
Moi, qu’aux dépens d’un feu qui s’augmente toujours
Je cherche à garantir ma tête
Du fier éclat de la tempête
Qui vous fait trembler pour mes jours ?
Qu’elle gronde à loisir ; bien loin que je m’en plaigne,
J’aimerai d’autant plus à me trouver surpris
Des malheurs qu’on veut que j’en craigne,
Que pour tout autre Objet n’ayant que du mépris,
L’amour que j’ai pour vous semble augmenter de prix,
Par les périls que je dédaigne.
Ce tendre emportement ne peut-il mériter
Que pour moi la pitié vous touche ?
N’adoucira-t-il point cette rigueur farouche,
Et quand un peu d’espoir commence à me flatter,
Ne sauriez-vous ouvrir la bouche,
Que ce ne soit pour me l’ôter ?
Joindre sans cesse outrage sur outrage !
Tombe la Foudre sur ces lieux,
Et puisse par un prompt ravage,
La flamme dévorant ce Palais à ses yeux,
Lui-même en même temps craindre et sentir ma rage ?
Ah, Prince, redoutez ce que peut faire son courroux,
Et voyez mieux ce que vous faites.
Ne l’entendez-vous pas dans son transport jaloux
Presser les Éléments…
Non, Madame, où vous êtes
Je ne vois, je n’entends que vous.
C’est l’effet de votre présence.
Quoi, la Terre, le Ciel, tout est sourd à mes cris ;
Et voyant à toute heure avorter ma vengeance,
L’Ingrat par de plus fiers mépris,
Triomphe de mon impuissance ?
Que me sert que du sang des Dieux
Avec éclat le Destin m’ait fait naître,
S’il me faut endurer qu’un lâche Audacieux
Confonde, en me bravant, la gloire de mon être ?
Mais de noires vapeurs obscurcissent les Cieux,
L’air se trouble, et pour moi ce sont d’heureux présages.
Soutenez mon espoir, Dieux, qui le connoissez.
Qu’espérez-vous de ces Nuages
Dans l’air par le vent dispersés ?
Ce sont pour vous de foibles avantages ;
Mais tout à coup je les vois ramassés.
Ils renferment Silla. Madame,
Des Charmes de Circé n’ayez aucun effroi,
Son Art ne tient point contre moi.
Accordez seulement quelque espoir à ma flamme,
Et je dissiperai… Mais qu’est-ce que je vois ?
Le nuage s’ouvre, il s’envole,
Et Silla, ni Circé… Quel pouvoir absolu
Rend le mien contre elle frivole ?
Pour cette fois vous manquez de parole,
Et la Magie a prévalu.
Dorine.
Qui d’un mot fait descendre les nues,
A quelque pouvoir dans son Art.
Vois ce qu’elles sont devenues.
Je vais chercher Circé ; mais à parler sans fard,
Ses vengeances me sont connues,
Vous y passerez tôt ou tard.
L’Amour seul vous en peut défendre.
Je vous en donne avis, c’est à vous d’y songer.
Scène VIII
Si jusque sur Silla sa fureur s’ose étendre…
Ciel !
Vous deviez la ménager.
Sa retraite n’est point un effet de ses Charmes.
Si par l’air à sa suite un chemin s’est ouvert,
C’est un Dieu contre moi qui lui prête des armes,
Je ne l’ai que trop découvert.
Tant pis si quelque Dieu la sert,
J’en prendrois encor plus d’alarmes.
Tu me verrois inquiété
De voir agir la suprême Puissance,
Si je n’avois quelque assurance
D’avoir Divinité contre Divinité.
Vénus hait le Soleil, et prendra ma défense.
La voici qui paroît au milieu des Amours.
Venez, et par vos chants rendez-la moi propice,
Vous dont ici la voix m’est un charmant secours
Pour adoucir l’ennui qui cause mon supplice.
Ici on voit descendre Vénus dans son Palais, dont l’Architecture est composée et ornée de quantité d’Amours qui soutiennent la Corniche. Ils sont de marbre blanc jusqu’au milieu du corps, dont le bas se forme en
Fleurons d’or, et se termine en Consoles enrichies d’ornements aussi d’or. Ils portent sur leurs têtes des Paniers de Fleurs, d’où pendent de grands Festons qu’ils retiennent avec leurs mains, en sorte qu’ils retombent entre les feuillages de leurs queues, et font une chute sur la Console. Le Piédestal se trouve directement dessous, orné de Panneaux d’azur veiné d’or. De grands Festons de Fleurs tombent du milieu des Frises, dans lesquelles d’espace en espace sont peints des Cœurs percés de Flèches, avec des Carquois et d’autres ornements. L’Optique représente deux Amours de même symétrie que les autres avec un Berceau soutenu par quatre Amours en forme de Termes qui le supportent. Il est fait de Feuillages et de Jasmins, au milieu desquels on voit une Table de marbre blanc, remplie de Corbeilles de Fleurs, et de Vases. Tandis que Vénus descend dans ce magnifique Palais, On chante les Paroles suivantes
Viens, ô Mère d’Amour, viens recevoir nos veux,
C’est toi qui nous fait vivre heureux,
Par les biens qu’à chérir le bel âge convie.
Tu disposes nos cœurs à se laisser charmer,
Et sans le doux plaisir d’aimer,
Est-il de beaux jours dans la vie ?
Scène IX
Déesse, à qui ma flamme a toujours eu recours,
Vois ma peine, et daigne accorder ton secours.
Comme Dieu de la Mer j’ai sujet de l’attendre
De celle à qui les eaux ont servi de Berceau.
Ainsi toujours de quelque encens nouveau
L’odeur sur tes Autels soit prête à se répandre.
Par un pouvoir du mien victorieux,
Silla qui m’a coûté les plus tendres hommages,
À peine a paru dans ces lieux,
Que l’air s’est couvert de nuages,
Qui l’ont dérobée à mes yeux.
Où Circé la tient-elle ? Apprends-le moi, de grâce,
Et sois favorable à mes vœux.
Le Soleil de sa Fille a soutenu l’audace,
Mais, Glaucus, persévère, et malgré la disgrâce
Qui semble attachée à tes feux,
Sors du trouble qui t’embarrasse.
De ces Amours que j’ai fait suivre exprès,
Ici de tous côtés la Troupe répandue
Aux desseins de Circé veillera de si près,
Qu’en vain elle croiroit échapper à leur vue.
Amours, séparez-vous autour de ce Palais,
Et pénétrez si bien les lieux les plus secrets,
Qu’à Glaucus Silla soit rendue.
C’est tout ce que je puis pour remplir tes souhaits.
C’en est assez, Déesse, et je ne dois rien craindre,
Puisque enfin ta bonté s’intéresse pour moi.
Suis-moi, viens.
À ce que je vois,
Vous croyez n’être plus à plaindre ;
Tout vous rit, et Vénus qui jamais ne sut feindre,
Vous a parlé de bonne foi ?
Oui, je cède à l’espoir qu’elle vient de me rendre.
Après ce qu’elle a dit, ce seroit l’offenser,
Que de songer à m’en défendre.
Je crois qu’il en faut tout attendre ;
Mais fût l’amour tout prêt à vous récompenser,
C’est courir longtemps sans rien prendre,
Et la peine au plaisir me feroit renoncer.
ACTE IV
Décoration du quatrième acte.
Cet Acte qui se passe dans le lieu le plus désert du Palais de Circé, n’a point d’autre décoration que de grands Arbres touffus, qui forment un Bois dont l’épaisseur semble être impénétrable à la clarté du Soleil.
Scène I
Te rencontrer ici ! Ma surprise est extrême.
Que cherches-tu dans ces lieux écartés ?
L’Amour tient-il en place ? Il va de tous côtés.
Je suis pour tes beaux yeux ce que tu fais, je t’aime,
Et dans l’heur de te voir, ces bois inhabités,
Pour peu que tu fusses de même,
Auraient pour moi mille beautés.
Mais toi, quel est le sujet qui t’attire
Dans cet abandonné séjour ?
Je cherche Mélicerte, à qui sur son amour
J’ai pour Circé deux mots à dire.
Du Palais, mais en vain, j’ai fait déjà le tour ;
Et comme un Amant qui soupire
Assez souvent fuit le grand jour,
J’ai cru, pour conter son martyre,
Qu’il seroit à ce Bois venu faire sa Cour.
Circé vient d’attraper mon Maître.
À silla devant elle il peignoit son tourment,
Quand à mes yeux en un moment
L’une et l’autre a su disparaître.
Qu’il y songe, à la fin lui-même y sera pris.
Il est jeune, bien fait, et ce seroit dommage,
Que faute de vouloir déguiser le mépris
Où Silla pour Circé l’engage,
Il se laissât changer en quelque vieux Loup gris,
Dont peut-être il jouera bientôt le personnage.
Que veux-tu ? C’est un Éventé
Qui ne croit jamais que sa tête.
Pour retrouver Silla dont il est la conquête,
En cent lieux différents j’ai déjà fureté,
Et tandis qu’en ce Bois j’en viens faire l’enquête,
Il la cherche de son côté.
Ne me diras-tu point où Circé l’a cachée ?
Mon âge incompatible avecque le secret,
Du conseil de Circé m’a toujours retranchée.
Je parois étourdie, et puis l’être en effet.
C’est un malheur pour moi, mais j’aurois grand regret,
Si la discrétion aux ans est attachée,
D’avoir l’esprit moins indiscret.
Fort bien ; quoique les ans donnent de la sagesse,
Tu n’as point hâte de vieillir.
L’automne est douce à qui s’empresse
D’avoir des fruits mûrs à cueillir ;
Mais quoi qu’exposer à faillir,
Je tiens toujours pour la jeunesse.
C’est bien fait, le Printemps est la belle saison.
Tu peux faire du tien un agréable usage.
Du moins quand je m’échappe à quelque badinage
Qui semble s’écarter un peu de la raison,
Je dis qu’un jour je serai sage,
Et j’aime assez à chanter sur ce ton.
Ah ! Combien il en est dont les désirs partagent
L’état riant où je me vois,
Qui sans en rien dire envisagent,
Comme un sujet mortel d’effroi,
L’incommode sagesse où les ans les engagent.
Et qui de tout leur cœur enragent
De n’oser être aussi folles que moi !
Sur l’avenir je me trompe peut-être ;
Mais enfin je prétends, lorsque j’en serai là,
Pour fuir leur ridicule, assez bien me connoître…
Mais adieu, va chercher Silla.
Je vois Mélicerte paroître.
Que ton humeur me plaît !
De grâce, éloigne-toi
Il faut que je lui parle, et Circé me l’ordonne.
Je te quitte à regret. Friponne,
Si tu n’as rien à faire autre chose, aime-moi.
Scène II
À vous trouver j’ai bien eu de la peine
Depuis longtemps je vous cherche partout.
Confus, triste, inquiet, je sens que tout me gêne,
Et sans savoir ce que mon cœur résout,
J’entretiens dans ce Bois le chagrin qui m’y mène.
Mais enfin que m’apprendrez-vous ?
Parlez, belle Astérie, et s’il vous est possible,
Soulagez un Amant jaloux.
La jalousie est un mal bien terrible ;
Mais n’importe, le Ciel vous voit d’un œil plus doux,
Et Circé n’est pas insensible.
Quoi, Circé me rendroit son cœur ?
D’un si prompt repentir Circé seroit capable,
Et cette farouche rigueur
Qui la rendoit inexorable,
Aurait fait place à la douceur ?
Je l’avois bien prévu, qu’en lui faisant comprendre
Le dur excès de mes ennuis,
Vous la forceriez à se rendre.
Toute badine que je suis,
J’ai le cœur tourné sur le tendre,
Et pour les malheureux je fais ce que je puis.
Voyez-vous cet Anneau que Circé vous envoie ?
Que ne dois-je point à vos soins ?
Donnez, de grâce, et de ma joie
Allons chercher mille témoins.
Voilà comme souvent l’Amour pour nous s’emploie,
Lorsque nous l’espérons le moins.
Il est vrai. Qui l’eût cru, que pour finir ma peine,
L’Amour dût amener Silla dans ce Palais ?
Mais n’en crois-je point trop mes amoureux souhaits,
Et la nouvelle est-elle bien certaine ?
L’a-t-on vue arriver ? Est-elle avec Circé,
Et de sa part recherchez-vous Mélicerte ?
Le Portroit de Silla n’est donc pas effacé.
Non, toujours son image à mes yeux s’est offerte.
Que de temps à pleurer sa perte
S’est inutilement passé !
Sait-elle qu’en ce lieu l’Amour m’a fait l’attendre ?
Qu’on m’avoit assuré qu’elle s’y feroit voir ?
C’est ce que par vous-même elle pourra savoir ;
Mais Circé, vous l’aimiez ? Une amitié si tendre
Déjà sur vous est-elle sans pouvoir ?
Moi, qui chéris Silla d’une ardeur empressée
Qu’à peine égaleroit le plus parfoit Amant,
J’aurois pris pour Circé le moindre attachement ?
Du seul soupçon ma gloire est offensée.
Par où le méritai-je, et sur quel fondement
M’imputez-vous un changement
Dont je n’eus jamais la pensée ?
J’avois pris pour amour certains soins complaisants
Qu’à Circé je vous ai vu rendre.
On s’attache aux Objets présents,
Et pour peu que l’absence aide à se laisser prendre,
Les Hommes la plupart sont d’une foi si tendre,
Qu’il ne faut qu’un bel œil, et quelques jeunes ans,
¨Pour les réduire à ne se point défendre.
Non, si j’ai vu Circé, j’ai voulu seulement
Apprendre d’elle où Silla pouvoit être.
Dans ces lieux à toute heure elle devoit paroître,
Et j’attendois toujours ce bienheureux moment.
Enfin il est venu, mais suis-je encor moi-même ?
Elle est dans le Palais, et je m’arrête ici ?
Scène III
Seule avec Mélicerte ainsi ?
Dans un Bois ? C’est pousser la franchise à l’extrême.
Qu’en dira-t-on ?
Et bien, on dira que je l’aime.
Le grand malheur pour en être en souci !
Vous tournez tout en raillerie ;
Mais, ma Sœur, à ne rien déguiser entre nous,
Si la même galanterie
Arrivoit à d’autres qu’à vous,
Qu’en penseriez-vous, je vous prie ?
Que ce seroit un rendez-vous.
Comme à suivre mon cœur ma bouche est toujours prête,
J’avouerai sans façon, qu’il n’est rien selon moi
De plus satisfaisant qu’un peu de tête à tête ;
Et quand on peut l’avoir, pourquoi
Voulez-vous qu’on soit assez bête,
Pour n’oser témoigner qu’on veut vivre pour soi ?
Mais l’exacte vertu nous doit faire la loi,
Et le plaisant cède à l’honnête.
Voilà l’ordinaire chanson
De qui fait le métier de prude.
Elle met son unique étude
À se garantir du soupçon ;
Et pour l’essentiel, en bonne solitude
Elle n’y fait point de façon.
C’est se tirer avec adresse
D’un pas dont avec peine une autre sortiroit.
Mais, ma Sœur, qui vous entendrait…
J’agis comme je parle, et jamais de finesse,
C’est le moyen de marcher droit.
Pour vous, qui n’avez point d’égale
En vertueux tempérament,
Et qui sur le moindre enjouement
Me faites la Mercuriale,
Dites-moi, de grâce, comment
Vous vous trouvez dans ce lieu solitaire ;
Car comme moi qui n’en fais point mystère,
Vous n’y cherchez point un Amant ?
Je venois voir les aimables Dryades
Qui font leur demeure en ce Bois.
Les doux accents de leurs charmantes voix
Méritent bien les promenades
Que je fais ici quelquefois.
Ne viendroit-il jamais quelque Faune avec elles
Qui vous parleroit à l’écart ?
Avec un Mortel, c’est hasard
Si vous quittez le parti des Cruelles ;
Mais pour un Demi-Dieu, c’est une affaire à part.
Il faut que votre humeur badine
Trouve toujours à s’exercer.
À croire en vous l’air prude qui domine,
De votre retenue on ne peut trop penser,
Mais rien n’est si trompeur quelquefois que la mine.
La vôtre ne l’est point ; et vous voir une fois,
C’est assez pour juger qu’au talent de Coquette…
Mais Circé qui par l’air du palais s’est soustraite,
Amène Silla dans ce Bois.
Quel est son dessein ?
Pour l’apprendre,
Peut-être il ne faut qu’écouter.
Scène IV
Votre amour en ce lieu n’a rien à redouter,
Nymphe ; puisque pour vous je veux tout entreprendre,
Aimez sans vous inquiéter.
J’aurois tort de garder encor quelques alarmes,
Après ce que je viens de voir.
Si l’air en nous cachant cède à votre pouvoir.
Quel sera celui de vos Charmes
Pour confondre un injuste espoir ?
D’abord, je l’avouerai, quand le Prince de Thrace
S’offrant tout à coup à mes yeux,
M’a fait voir qu’il m’avoit prévenue en ces lieux,
J’ai craint que votre appui redoublant son audace
Ne rendit de ma foi son feu victorieux ;
Mais puisqu’à Mélicerte il vous plaît faire grâce,
Sûre de mon bonheur, je n’ai plus à souffrir
Que par la juste impatience
De voir finir une trop dure absence.
Si vous souffrez par là, je puis vous secourir.
Mon intérêt est joint au vôtre.
Je vous l’ai fait connoître ; ainsi
Du succès de vos feux n’ayez aucun souci,
Je m’en charge. Allez l’une et l’autre,
Amenez Mélicerte ici.
Vous m’allez rendre ce que j’aime ?
Madame, pardonnez si je ne vous dis rien,
Quoi que pense l’Amour, quand la joie est extrême,
Jamais il ne s’explique bien.
Si vous savez aimer, jugez-en par vous-même.
Puisque l’Amour vous rend Mélicerte si cher,
Pour voir de vos desseins le succès plus facile,
Il faut à son rival quelque temps vous cacher,
Et de ses soins à vous chercher
Rendre dans un lieu sûr l’entreprise inutile.
Si l’obscur séjour de ce bois
N’a rien pour vous de trop mélancolique,
D’un seul mot j’y puis faire un Palais magnifique,
Où les plaisirs naîtront à votre choix.
C’est là que le Prince de Thrace
Ne vous découvrira jamais,
Et dans votre cœur le trouble fera place
Aux charmes d’une douce paix.
Tandis que l’heureux Mélicerte
Dans Thèbes ira préparer
Les honneurs que l’hymen vous y doit assurer,
Dans cette demeure déserte
Vous serez à couvert du désespoir jaloux,
Qu’Amant dédaigné peut suivre contre vous.
Ma flamme en ce conseil trouve trop d’avantage,
Pour ne s’en pas faire une loi.
Mélicerte a reçu ma foi,
Et pour fuir son rival, il n’est lieu si sauvage
Qui n’ait mille charmes pour moi.
Mais qu’entends-je ?
D’où vient qu’en nous voyant paroître,
Vous détournez vos pas, et cessez de chanter ?
Continuez, de grâce ; il est doux d’écouter,
Quand on sait comme moi quel plaisir en peut naître.
Ce sont Nymphes et Demi-Dieux,
Qui dans ce Bois font leur demeure,
Et qui de leurs concerts les plus mélodieux
Vous viendront à l’envi divertir à toute heure.
Vous étonnez-vous
D’un peu de martyre ?
C’est quand on soupire,
Que l’amour est doux.
La plus belle chaîne
Ne sauroit charmer,
Si l’on a de la peine
À se faire aimer
J’aime les plaisirs
Qu’on me fait attendre ;
Un objet trop tendre
Éteint les désirs.
La plus grande gloire
Qu’on trouve en aimant,
C’est lorsque la victoire
Coûte un long tourment.
Cette Chanson est suivie de ces Paroles, qui sont chantées par un Faune,
et par la même Dryade.
le faune
Il n’est rien de si doux que de changer sans cesse,
L’Amour pour les cœurs inconstants
Ne peuvent avoir que d’heureux temps.
Toujours plaisirs nouveaux, et jamais de tristesse.
Il n’est rien de si doux que de chanter sans cesse.
L’inconstance détruit les douceurs de l’Amour ;
Pour estimer un bien, il faut qu’il soit durable.
L’Amour qui dure trop, est un mal véritable ;
Pour aimer sans chagrin, il faut n’aimer qu’un jour.
Ridicule folie !
Incommode sagesse !
Il n’est rien de si doux que de chanter sans cesse.
Ridicule folie !
Incommode sagesse !
Il n’est rien de si doux qu’une longue tendresse.
À cent Objets divers on doit faire sa cour.
Ridicule folie !
Incommode sagesse !
Il n’est rien de si doux que de chanter sans cesse.
Il n’est rien de si doux qu’une longue tendresse.
La seule douceur de leur voix
Fait que pour ces beaux lieux déjà je m’intéresse.
C’en est assez pour cette fois,
Allez. Que veut Dorine, et quel ennui la presse ?
Scène V
Ah, Madame.
Dorine.
À quel ardent courroux
Vous va porter ce qui se passe ?
Il n’est que trop certain. Vénus prend contre vous
Le Parti du Prince de Thrace.
En vain vous avez cru pouvoir l’assujettir.
Inquiet pour Silla qu’il a longtemps cherchée,
Il proféroit son nom, le faisoit retentir,
Quand deux Amours sont venus l’avertir
Que dans ce Bois vous la teniez cachée.
L’un d’eux prend soin de l’amener.
Vous l’allez voir ici paroître,
Et dans l’appui qu’il a, peut-être
Votre Art de son pouvoir, quoi qu’il veuille ordonner,
Aura peine à se rendre maître.
Madame, au nom des Dieux, ne m’abandonnez pas.
Vous pouvez tout pour moi dans un destin si rude.
Le remède à ce mal veut de la promptitude,
Et votre seule fuite en d’éloignés Climats
Peut calmer votre inquiétude
.
Thèbes où Mélicerte est aussi craint qu’aimé,
Par son hymen vous doit avoir pour Reine.
Par les routes de l’air souffrez qu’on vous y mène.
Il vous suivra de près, et de son cœur charmé
La conquête par là vous deviendra certaine.
Je m’abandonne à vous.
Paraissez devant moi,
Esprits qui m’écoutez.
Ah Ciel ! Madame.
Quoi,
Vous fuyez à les voir ? Que rien ne vous étonne,
Je réponds de votre personne.
Vous pouvez les souffrir sans en prendre d’effroi.
Partez, et pour Silla faites ce que j’ordonne.
J’ai l’avantage au moins… Mais qu’est-ce que je vois ?
Dorine, les Amours à mes projets s’opposent.
L’obstacle me surprend, qui l’auroit pu prévoir ?
Quoi, de tout mes Charmes disposent,
Et l’on entreprendra d’en borner le pouvoir ?
Animez-vous, Esprits, qui toujours invincibles,
M’avez fait triompher en cent divers Combats.
Forcez vos Ennemis, et ne vous rendez pas.
À ma gloire contre eux seriez-vous insensibles ?
Mais quoi ? Vous reculez ? Vous cédez Silla ? Dieux !
C’en est fait, les Amours l’enlèvent à mes yeux.
Tu l’emportes, Vénus, et je me vois réduite
Au plus mortel ennui qui pouvoit m’accabler ;
Mais le lâche pour qui l’Amour m’a trop séduite,
Verra peut-être par la suite
Que qui m’outrage, a sujet de trembler.
Plus pour lui de tendresse ; il faut que de ma gloire
L’horreur de son destin réponde à ma fierté.
Armez-vous pour sa perte, il l’a trop mérité ;
Mais, Madame, j’ai peine à croire ;
Après l’heureux succès de sa témérité,
Que sur lui votre haine emporte la victoire.
Je serois forcée à céder,
Moi qui puis, arrêtant les Fleuves dans leur course,
Les faire d’un seul mot remonter vers leur source ?
J’aimois, et cet amour a pu m’intimider ;
Mais puisque de mon Art la honteuse impuissance
M’oblige à recourir aux dernières horreurs,
Ma gloire veut une pleine vengeance.
Je m’abandonne à mes justes fureurs.
Sus, Divinités implacables,
Qu’autrefois l’Achéron engendra de la Nuit,
Terreur, désespoir, rage, et tout ce qui vous suit,
Quand pour des projets effroyables
À quitter les Enfers mon ordre vous réduit,
Hâtez-vous de sortir de vos Demeures sombres.
C’est Circé qui le veut.
Madame.
Tu le vois
Avec quel prompt transport du noir séjour des Ombres
Elles accourent à ma voix.
Je triomphe, et leur vue en me tirant de peine,
De cent plaisirs secrets me fait goûter l’appas.
Contre un Ingrat il faut servir ma haine ;
N’y consentez-vous pas ?
C’est assez ; pour punir un lâche qui m’outrage,
Je veux que dans son sein vous versiez à l’envi…
Quoi, cet Amant si cher me sera donc ravi ?
Cruelle, sais-tu bien ce qu’ordonne ta rage ?
Tendresse indigne de Circé !
On me brave, et je crains d’en trop croire ma haine ?
Allez, c’est… Qu’à nommer un Amant fait de peine,
Quand après son nom prononcé
On en voit la perte certaine !
Quelle indigne pitié tâche de m’arrêter ?
Les Éléments à ma voix obéissent,
La Lune en fuit d’effroi, les Enfers en frémissent,
Et le cœur d’un mortel m’osera résister ?
Partez, courez, volez.
C’est le Prince de Thrace
Qui s’est noirci vers moi de mille trahisons.
Pour le punir de sa coupable audace,
Répandez dans son cœur vos plus mortels poisons.
Quoi, vous demeurer immobiles ?
Je parle, et n’obtiens rien de vous ?
Non, vous avez pour moi des craintes inutiles,
L’Amour est étouffé, croyez-en mon courroux.
Le Ciel pour me venger, vous défend de rien faire,
Et vous m’abandonnez dans cet affreux revers ?
Ah, refus qui me désespère !
Que ne peut ma fureur… Je m’égare, me perds.
Donc, pour avoir raison d’un téméraire,
Je ne trouve aujourd’hui qu’impuissance aux Enfers ?
Hélas ! Fut-il jamais un sort plus déplorable ?
Vous me plaignez ? Ah c’est trop m’outrager.
Fuyez ; votre présence et me gêne et m’accable,
Si vous ne pouvez me venger.
Tous vos Charmes détruits vous le font trop connoître.
Madame, vous tentez d’inutiles combats ;
Pour triompher de vous, Vénus arme son bras.
Quoi, le Soleil de qui j’ai reçu l’être,
Lui voit chercher ma honte, et ne l’empêche pas ?
Il peut souffrir… Mais le moment s’approche
Où pour moi sa bonté va peut-être éclater.
Je le vois, c’est lui-même, il le faut écouter.
Scène VI
le
Cesse ton injuste reproche,
Ma Fille, tes ennuis ont beau m’inquiéter.
Celui dont tu voudrois me voir punir l’audace,
N’est point sujet à m’en faire raison.
C’est un Dieu, c’est Glaucus, qui du Prince de Thrace
A pris le visage et le nom.
Ainsi ne pouvant rien contre lui par tes Charmes,
Contente-toi du plaisir de le voir
Languir sous les dures alarmes,
Dont l’Amour est suivi quand il est sans espoir.
Scène VII
Enfin vous n’avez plus à vous faire une honte
Du peu de pouvoir de votre Art.
Si vous cédez, un Dieu seul vous surmonte ;
Et les Dieux ont leurs droits à part.
Glaucus est Dieu, je le confesse ;
Mais si contre les Dieux mon Art ne peut agir,
Du côté de l’amour, ai-je moins à rougir,
D’avoir montré tant de foiblesse,
Sans pouvoir de Glaucus mériter un soupir ?
C’est là surtout ce qui m’outrage.
La Fille du Soleil tient-elle un rang si bas,
Qu’ayant offert son cœur, elle ne vaille pas
Qu’un Dieu comme Glaucus se fasse un avantage
De soupirer pour ses appas ?
Lui-même qui me traite avec tant d’arrogance,
Qu’étoit-il qu’un Pêcheur, avant que le Destin
Lui fît des Dieux partager la puissance ?
Ne nous démentons point, et jusques à la fin,
De l’affront qu’on me fait poursuivons la vengeance.
Que pouvez-vous contre l’être Divin ?
Encor si Galatée, ou quelque Néréide
Avait disposé de son cœur,
Je me plaindrois de mon malheur,
Et du courroux du Ciel qui contre moi décide,
Le rang de ma rivale adouciroit l’aigreur.
Mais que Silla sur moi l’emporte,
Qu’il m’ose de Silla…
Madame, je le vois.
Calmez l’ennui qui vous transporte,
Et contre une douleur si forte,
De vous-même pour vous daignez prendre la loi.
Scène VIII
Le Ciel enfin s’explique, et vous le devez croire,
Madame, contre vous il a donné l’arrêt.
Il veut que ma constance éternise ma gloire,
Et je dois pour Silla vouloir ce qui lui plaît.
J’ai su que dans ce Bois vous l’avez amenée.
Rendez-la moi, de grâce ; et puisque enfin les Dieux
À ma flamme l’ont destinée,
Faites-la paroître à mes yeux.
Silla n’est plus en ma puissance.
Vénus par les Amours me la vient d’enlever,
Et n’a rien commencé, prenant votre défense,
Qu’elle n’ait dessein d’achever.
Mais un si grand secours n’étoit point nécessaire.
Vous n’aviez qu’à cesser de vous rendre inconnu.
Il n’est rien qu’aussitôt je n’eusse voulu faire,
Et Glaucus par lui-même auroit tout obtenu.
Madame.
Il ne faut point vous cacher davantage,
J’ai su par le Soleil votre déguisement,
Et ne m’étonne plus si j’ai mis en usage
Tout ce qui me devoit assurer l’avantage
De vous acquérir pour Amant.
Le malheureux succès d’une flamme si prompte
A causé quelque peine à mon cœur abusé ;
Mais à quelque refus qu’il se soit exposé,
L’amour ne peut faire de honte,
Quand c’est un Dieu qui l’a causé.
Vous savez quelles lois le Destin nous impose.
C’est sans nous consulter qu’il dispose de nous,
Et lorsque de l’amour nous ressentons les coups,
La nécessité qui le cause…
Scène IX
Venez vite, Seigneur, on a besoin de vous.
D’Amours en l’air environnée,
Silla vient avec eux de descendre au Palais,
Et je crains bien que pour son Hyménée
Votre Amour n’ait formé d’inutiles projets.
Elle a de loin reconnu Mélicerte,
Que deux Amours empêchent d’approcher.
Ravis de se revoir, ils n’ont pu se cacher
Le vif excès de joie où leur âme est ouverte.
Voilà ce qui m’a fait en hâte vous chercher.
Quoi, les Amours qui pour moi s’intéressent,
Ne lui peuvent changer le cœur,
Et toujours avec même ardeur
Ses vœux pour mon rival s’empressent ?
C’est ainsi qu’en suivant un transport amoureux,
On a peu de douceurs qui ne soient inquiètes.
Un rival vous alarme, et tout Dieu que vous êtes,
Sans moi vous aurez peine à devenir heureux.
Pour me venger du faux mystère
Qui m’a fait si longtemps méconnoître Glaucus,
J’aurois sujet dans ma juste colère
De vous abandonner aux soupirs superflus
Où vous réduit l’impuissance de plaire ;
Mais je suis bonne, allez, je ne m’en souviens plus,
Et ferai tout ce qu’il faut faire
Vous vous rendez enfin, et je puis espérer
Que Silla de ma flamme acceptera l’hommage ?
Il suffit que pour vous j’ose me déclarer.
Laissez-moi seule ici ; j’ai pour ce grand ouvrage
Quelques Herbes à préparer,
Dont la recherche à vous quitter m’engage.
Madame…
J’agirai pour vous sans différer.
Ne demandez rien davantage.
Scène X
Il s’en va tout rempli de l’espoir d’être aimé.
Je viens de le promette, il le sera sans doute.
D’une telle promesse il doit être charmé,
Mais, Madame, je la redoute.
Un violent courroux n’est point si tôt calmé,
Et qui court où l’entraîne un transport enflammé,
Change malaisément de route.
Moi changer ! Non, Dorine, à l’affront qu’il m’a fait
Je dois pour m’en venger une fureur extrême,
Dont tu verras bientôt l’effet.
Glaucus ne peut rien souffrir par lui-même,
Je veux à ce défaut qu’il souffre en ce qu’il aime ;
Et je n’aurois qu’un plaisir imparfoit,
Si l’amour que Silla lui va faire paroître
N’augmentoit pas le désespoir
Que dans son cœur doit faire naître
L’état épouvantable où je la ferai voir.
Vous puniriez Silla ? Sa mort pourroit vous plaire ?
Quel crime a-t-elle fait, et quelle dure loi
Autorise contre elle un arrêt si sévère ?
Elle s’est fait aimer, et je ne l’ai pu faire.
N’est-ce pas un crime envers moi
Digne de toute colère ?
Mais, Madame, songez…
Viens, c’est trop écouter.
La vengeance où l’honneur engage
Est un torrent dont le ravage
Redouble d’autant plus qu’on cherche à l’arrêter.
ACTE V
Décoration du quatrième acte.
Une longue Allée de Cyprès qui forment une Perspective très agréable à la vue, succède au Lieu désert qui a paru dans l’Acte précédent.
Scène I
Où donc est le Prince de Thrace ?
Plus sans le voir je passe de moments,
Plus mon impatience a pour moi de tourments ;
Dans mille vains soucis mon esprit s’embarrasse,
Et de ces lieux, quoique charmants
Il semble que sans lui tout l’ornement s’efface.
Ravi de voir enfin par un heureux retour
Votre cœur à ses vœux sensible,
Circé l’autorisant, il veut dans ce grand jour
Avec tout l’appareil possible
De sa félicité rendre grâce à l’Amour.
La pompe qu’il prépare à quelque ordre l’oblige,
Qui l’a forcé de vous quitter.
Je le sais, mais de lui quelques soins qu’elle exige,
Il s’y devroit moins arrêter.
Vous le verrez bientôt, mais craignez Mélicerte.
Son rival préféré l’a mis au désespoir.
Il se plaint, il murmure, et surpris de vous voir…
Si par là de mon cœur il répare la perte,
Les plaintes sont en son pouvoir.
Quoi, l’amour sans regret souffre ainsi qu’on se quitte ?
Mais peut-on être juste, et voir d’un œil égal
Le fort et le foible mérite ?
Regardons Mélicerte auprès de son rival.
La différence est-elle si petite,
Que ce soit m’y connoître mal,
Qu’écouter contre lui ce qui me sollicite ?
Oui, sans doute, et mon cœur y doit prendre intérêt.
Ce rival n’est que trop digne qu’on le préfère ;
Une noble fierté fait briller ce qu’il est,
Et sur son front est peint le caractère…
Enfin, Madame, il suffit qu’il vous plaît,
C’est tout en amour que de plaire.
Quand par accueil obligeant
Mon cœur pour lui s’est fait connoître,
Quelle joie à vos yeux n’a-t-il pas fait paroître ?
Que ne m’a-t-il point dit de flatteur, d’engageant ?
J’ai dû, j’ai dû me rendre, et toute autre en ma place
Dès l’abord l’auroit préféré.
Il ne s’est pas encor tout à fait déclaré,
Mais si j’en crois l’image qu’il me trace
Du bonheur qui m’est préparé,
Un plus haut rang par lui m’est assuré,
Que celui de Reine de Thrace.
Vous l’avez entendu toutes deux ?
Il est vrai ;
Et ce qui me feroit soupçonner quelque chose,
C’est que des Amours il dispose.
De son pouvoir sur eux vous avez fait l’essai.
Vénus toujours un peu coquette
Ne pourroit-elle pas avoir aimé sans bruit,
Et fait quelque intrigue secrète
Dont il auroit été le fruit ?
Ce qu’il a fait ici, sent bien son parentage
Avecque la Divinité.
Je ne pénètre point dans cette obscurité.
Il m’aime, c’est assez ; après cet avantage
Rien ne sauroit manquer à ma félicité.
Reposez-vous sur moi ; je saurai le mystère,
S’il est du mystère à savoir.
De ses secrets certain Dépositaire
Sur qui mes yeux ont tout pouvoir,
Pour peu que je le presse, aura peine à se taire.
Mais vers vous Mélicerte….
Ah Dieux !
Quel malheur ici me l’envoie ?
Scène II
Ma présence ne peut que déplaire en ces lieux,
Madame, et je vois trop que m’offrir à vos yeux,
C’est venir troubler votre joie.
Si vous le connoissez, vous pouvez m’épargner
Ce qu’un fâcheux Objet cause d’impatience.
Quoi, jusque-là me dédaigner !
De mon fidèle amour est-ce la récompense ?
Après avoir pour vous si longtemps soupiré,
Après…
Finissons là, de grâce.
Quand vous aurez bien murmuré
De voir un rival préféré,
Les choses ne sont pas pour prendre une autre face.
Si pour vous un autrefois mon cœur s’est déclaré,
Ce cœur sent aujourd’hui qu’un autre vous efface,
Et ce trouve contraint, quoi qu’il vous ait juré,
À donner au Prince de Thrace
Ce qui vous sembloit assuré ?
Quel aveu ! Quoi, Madame, il se peut que vous-même
Vous m’osiez prononcer l’arrêt de mon trépas ;
Et malgré mon amour extrême,
La honte de changer a pour vous tant d’appas,
Que vous la regardez comme un bonheur suprême
Qui remplit tous vos vœux ? Hélas !
Quand malgré les Amours dont l’injuste puissance
M’empêchoit de vous approcher,
Vous m’assuriez tantôt d’une entière constance,
Ce rival qui vous est si cher
Méritoit-il la préférence,
Lui qui jamais n’avoit su vous toucher ?
Les amours l’ont cru nécessaire ;
Et si mon cœur change de vœux,
Ce changement n’arrive que par eux,
Leur conseil m’autorise à ce que j’ose faire.
Ils m’ont fait voir votre rival
Toujours ferme, toujours glorieux de ses peines,
Tandis que refroidi, lâche, foible, inégal,
Par un éloignement fatal
Vous cherchiez à briser mes chaînes.
Ils m’ont fait voir… Mais pourquoi m’excuser ?
Je ne vous blâme point d’avoir fui ma présence.
Vous avez au dégoût qu’elle a pu vous causer
Cherché remède par l’absence ;
C’est ainsi qu’il en faut user.
Nous n’avons point un cœur pour le tyranniser,
Et, rien n’est tant à nous que notre complaisance.
Ah, ne vous armez point de ces fausses raisons
Pour tâcher à rendre plausible
La plus noire des trahisons.
Jamais autre que vous ne m’a trouvé sensible,
Et malgré votre éloignement
J’ai fait gloire toujours du nom de votre Amant.
Mais croyez-moi, Madame, il entre ici du Charme ;
On contraint vos désirs, je le connois trop bien.
Si jamais votre amour fut satisfait du mien,
Daignez craindre ce qui m’alarme,
Et pour vous et pour moi ne précipitez rien.
Le charme est grand, je le confesse,
Puisqu’en votre rival il m’a fait découvrir
Tout ce qui peut mériter ma tendresse.
Mais adieu, ce discours vous blesse,
Et c’est trop vous faire souffrir.
Scène III
Où pourrai-je trouver ton Maître ?
Circé qui l’entretient, l’arrête en ce Jardin
D’où vous voyez la Mer paroître.
Je vous suivrai partout, et jusques à la fin
J’approfondirai mon Destin,
Quelque rigoureux qu’il puisse être.
Je plains le malheur qui le suit.
Quand l’Anneau de Circé le rend à ce qu’il aime,
Il trouve que pour lui Silla n’est plus la même,
Et qu’en son cœur l’absence l’a détruit.
Insensible aux ennuis que traîne sa disgrâce,
Elle ferme les yeux…
N’a-t-elle pas raison ?
Nommez son changement parjure, trahison,
Quand le cœur n’en dit plus, que voulez-vous qu’on fasse ?
Comme on ne doit chercher que la joie en aimant,
Tant qu’on s’en trouve bien, j’approuve que l’on aime
Avec l’entier attachement
Que demande un amour extrême ;
Mais pour ne pas vouloir chagriner un Amant,
Quand on ne sent plus rien, s’obstiner fortement
À se faire enrager soi-même !
Il faut avoir perdu le jugement.
C’est bien dit, la constance est d’une âme grossière
Qui voudroit du vieux temps ramener les vertus.
Mais Circé, qu’est-ce ? A-t-elle emporté le dessus,
Elle qui faisoit tant la fière ?
À dire vrai, je ne m’y connois plus.
Rien n’est si dangereux qu’une jeune Sorcière
Qui comme toi sait l’art de vaincre les refus.
L’entreprise en est meurtrière ;
Mais craindre des Herbes, abus.
Vous n’en parlez ainsi que sur la confiance
D’un suprême pouvoir qui nous est inconnu.
Depuis qu’en ce Palais votre Maître est venu,
Circé de ce qu’elle est n’a plus que l’apparence,
Et son Art, dont cent fois elle a tout obtenu,
Semble réduit à l’impuissance.
Nous sommes gens, s’il faut ne cacher rien,
Fort sûrs partout de la victoire.
Mon Maître… Sur sa mine on a peine à le croire ;
C’est le plus grand Magicien
Dont jamais on ait eu mémoire,
Et pour peu que tu fisses gloire
De me vouloir un peu de bien,
Je t’en dirois toute l’histoire
L’honneur défend que j’aime, il n’y faut point songer.
Toute intrigue m’effraie, et j’ignore…
Courage.
À te donner leçon je veux bien m’engager.
Il ne t’en coûtera qu’un droit d’apprentissage
Qui te paroîtra si léger,
Que tu croiras me devoir davantage.
Malgré ton point d’honneur, tu n’es pas si sauvage.
Qu’à n’être plus farouche on ne pût t’obliger.
Sans perdre temps à m’entreprendre,
Si vous avez des douceurs à conter,
Ma Compagne est toujours en humeur d’écouter,
Et saura mieux que moi…
Pourquoi vous en défendre ?
Est-ce que vous craignez d’avoir l’âme si tendre,
Que vous ne puissiez résister
Mais c’est vous faire tort…
Tort, ou non, sans querelle.
Si j’étois ce qu’il est, je serois de son goût.
Pour un cœur que l’amour au vrai triomphe appelle,
Une Prude adoucie est un friand ragoût,
Et je vous en voudrois plutôt qu’à la plus belle.
Si je n’ai pas ce vif éclat
Dont votre jeunesse vous flatte,
Qu’il nous juge, et qu’il dise…
Entre vous le débat.
La question est délicate,
Et c’est plus que vuider une affaire d’État.
Fais-nous donc part de ta magie,
Et nous dis d’où ton maître en a pu tant savoir.
Si de le révéler j’avois fait folie,
Jamais il ne me voudroit voir.
J’ai la langue liée.
Attends, j’ai tout pouvoir.
Il faut que je te la délie.
Viens ça.
Non.
Viens, ou crains. Je puis quand il me plaît
À tout mutin faire connoître,
Qu’en ce que je souhaite on doit prendre intérêt.
Adieu, je vais trouver mon Maître :
Juge par là de ce qu’il est.
Qu’en pensez-vous, ma sœur ?
Je n’en fais aucun doute,
Voici de la divinité.
Avec tant de légèreté
Prendre par l’air ainsi sa route,
C’est l’effet d’un pouvoir qui n’est point limité.
Scène IV
Ah, ma Sœur, savez-vous quelle est notre surprise ?
J’en viens de voir assez pour me l’imaginer ;
Mais apprenez qu’un Dieu parmi nous se déguise,
Et cessez de vous étonner.
Celui qui passe ici pour le Prince de Thrace,
C’est Glaucus, à qui dans sa Cour
Parmi les Dieux Marins Neptune a donné place.
Vous connoissez l’objet de son amour,
Vous en a-t-on appris la funeste disgrâce.
Quoi, qu’est-il arrivé ?
J’en tremble encor d’horreur.
Par un supplice épouvantable
Silla vient d’éprouver tout ce qu’en sa fureur
L’Amour qu’on brave trop, a de plus redoutable.
Glaucus dans le Jardin rendoit grâce à Circé,
D’avoir fait que pour lui Silla devînt sensible,
Quand vers eux d’un pas empressé,
Avecque cette Nymphe autrefois inflexible,
Mélicerte s’est avancé.
Sur Glaucus, dont Silla reçoit d’abord l’hommage,
Il jette un regard furieux,
Et tout rempli de la secrète rage
De les voir à l’envi l’un et l’autre à ses yeux
Se donner de leur flamme un tendre témoignage,
Il s’emporte, il menace, il accuse les Dieux,
Et demandant raison de cet outrage.
Rejette sur Circé le changement fatal
Qui fait triompher son rival.
Circé ne fait sur lui qu’étendre sa baguette,
Il devient Arbre au même instant.
Dans le tronc qui l’enferme il murmure, on l’entend.
Silla voit le prodige, et tremblante, inquiète,
Semble prévoir le malheur qui l’attend.
Circé, pour apaiser ce qu’elle prend d’alarmes,
Lui fait connoître un Dieu caché dans son Amant,
Et par un prompt éloignement ;
La laisse en liberté de goûter tous les charmes,
Que doit avoir pour elle un si doux changement.
Témoin du tendre amour qui possédoit leurs âmes,
Des rigueurs de Circé je murmurois tout bas,
De n’être favorable à de si belles flammes,
Que pour livrer Glaucus à de plus durs combats,
Quand tout à coup… Hélas ! Comment vous dire
Ce que j’ai peine encor moi-même à concevoir ?
Une Source s’élève, et l’eau qu’elle fait choir
Ayant enveloppé Silla qui se retire,
À Glaucus, comme à moi, la rend hideuse à voir,
Ce n’est plus cette Nymphe aimable
Sur qui le Ciel versa les plus riches trésors.
Des Monstres par ce Charme attachés à son corps ;
Font de leurs cris affreux un mélange effroyable,
Dont l’horreur à Silla tient lieu de mille morts
Elle s’en désespère, et sa disgrâce est telle,
Qu’en vain Glaucus s’efforce à lui prêter secours ;
Le Charme a commencé de faire effet sur elle,
Il n’en peut plus rompre le cours.
Il se plaint, il s’afflige, et si de sa vengeance
Circé vouloit le rendre elle-même témoin,
Sans doute elle auroit peine en ce pressant besoin
À ne pas… Mais vers nous je la vois qui s’avance.
Scène V
Laissez-nous l’une et l’autre. Et bien, Dorine, enfin
Ai-je assez rétabli ma gloire ?
Triompher du pouvoir Divin,
C’est emporter la plus haute victoire.
Mais, Madame, Silla…
Quoi, Silla ?
Dois-je croire
Que vous ne plaignez pas son malheureux destin ?
Elle méritoit peu ce que j’ai fait contre elle ;
Mais lorsque l’on se venge on n’examine rien,
Et fût la peine encor mille fois plus cruelle,
Je doute que son cœur souffre autant que le mien.
Pour haïr, oublier un Ingrat qui m’outrage,
J’ai beau de ses dédains me peindre la fierté ;
J’ai beau m’en faire une honteuse image ;
Malgré toute l’indignité
Des refus où pour moi ma Rivale l’engage,
Mon cœur est plus à lui qu’il n’a jamais été.
Je te l’ai déjà dit, Vénus sur moi se venge
De ses feux pour mon Père autrefois découverts,
Et puisque sous ses lois l’Amour exprès me range,
Plus d’espoir que mon destin ne change,
Sans cesse malgré moi je traînerai mes fers.
Tout ce que je puis faire en l’état déplorable
Où me réduit un feu dont j’ai trop cru l’appas,
C’est ce cacher si bien le tourment qui m’accable
Que Glaucus n’en jouisse pas.
Le voici qui vers moi précipite ses pas
Voyons de quoi sa douleur est capable.
Scène VI
Venez, venez, Barbare, il manque à vos fureurs,
Pour goûter pleinement votre lâche vengeance
D’offrir à vos regards les indignes horreurs
Qui confondent mon espérance.
Hélas ! C’est donc ainsi que l’orage est calmé ?
Silla dont vous deviez m’assurer la tendresse,
Silla dont à mon cœur charmé
Vous promettiez…
L’effet a suivi ma promesse.
Si vous aimez Silla, n’êtes-vous pas aimé ?
Je le suis, il est vrai, mai c’est pour mon supplice.
C’est pour la voir par de tendres soupirs
Me demander la fin des cruels déplaisirs
Où de votre rigueur l’expose l’injustice.
Devenir ce qu’elle est, quoique sans rien souffrir,
À tous insupportable, odieuse à soi-même,
C’est plus mille fois que mourir.
Jugez si ma peine est extrême.
J’ai causé son malheur, je l’adore, elle m’aime,
Et je ne puis la secourir.
Vous réduire à cette impuissance,
C’est faire tort à la Divinité ;
Mais vous n’ignorez pas ce qu’il faut que j’en pense,
De ce que vous pouvez j’ai fait l’expérience,
Et sais ce qu’il m’en a coûté.
J’ai vu deux fois mon Art contre vous inutile.
Deux fois par vous mes projets avortés
De surprise à vos yeux m’ont laissée immobile ;
Et pour Silla vous vous épouvantez ?
Montrez dans la disgrâce une âme plus tranquille.
Le prompt effet qui suit vos volontés,
Pour changer son destin, vous rendra tout facile
Ah, cessez d’insulter aux ennuis d’un Amant
Qui frémit de votre vengeance.
Contre moi, contre un Dieu vous manquez de puissance,
Et je puis d’un seul mot détruire en un moment ?
Ce qu’une crédule espérance
Offriroit pour me nuire à votre emportement.
Mais le Destin vous rend maîtresse de vos Charmes,
Quand ce n’est qu’un Mortel qu’attaque leur pouvoir,
Et si dans le malheur où Silla vient de choir
Je puis soulager mes alarmes
Par quelque foible ombre d’espoir,
Il n’est plus qu’à vous émouvoir,
De la seule pitié j’emprunte ici les armes.
De grâce, renoncez à vos transports jaloux,
Et pour laisser calmer leur aveugle furie,
Songez que deux Amants n’espèrent que par vous,
Qu’ils veulent vous devoir leur bonheur le plus doux,
Et que c’est un Dieu qui vous prie.
Il n’est rien qu’on ne doive aux Dieux,
Et sur nos volontés leurs droits si loin s’étendent,
Qu’à la moindre prière on se tient glorieux
D’accorder tout ce qu’ils demandent ;
Mais comme entre eux et moi l’amour rend tout pareil,
Quand vous m’avez refusé votre hommage,
Songiez-vous que par cet outrage
C’étoit la Fille du Soleil
Dont vous aigrissiez le courage ?
Tout entier à Silla, vous avez dédaigné
D’adoucir, de flatter ma peine.
Contre vous à mon tour toute entière à ma haine,
J’ai suivi ses transports, et n’ai rien épargné
Pour rendre ma vengeance et sensible et certaine.
Mes vœux ont réussi, vous souffrez, et pour moi
C’est un plaisir que rien n’égale.
Allez aux pieds de ma Rivale
Par de nouveaux serments signaler votre foi.
Un temps si long perdu loin d’elle
Ne se peut réparer que par un prompt retour.
Courez, on vous attend, faites bien votre cour,
Et recevez le prix de cette ardeur fidèle
Qui vous a fait dédaigner mon amour.
D’un outrage forcé me faites-vous complice,
Et connoissant l’Être Divin,
Aurez-vous toujours l’injustice
De m’imputer ce qu’a fait le Destin ?
Quand d’Europe, d’Io, de Sémélé, d’Alcmène,
L’amoureux Jupiter a chéri les appas,
Dépendoit-il de lui de ne soupirer pas,
Et pour toucher leurs cœurs eût-il pris tant de peine
Si le sien libre à s’enflammer
Eût pu se défendre d’aimer ?
C’est de cet Ascendant la fatale puissance
Qui vers Silla m’entraîne malgré moi.
Obéir au Destin qui m’en fait une loi,
Est-ce avoir oublié ce que votre naissance
Vous pouvoit faire attendre de ma foi ?
Si j’ai par mes refus excité la colère
Qui contre ce que j’aime arme votre rigueur,
Songez que ce n’est point un crime volontaire,
Et que si je pouvois disposer de mon cœur,
Ce cœur mettroit tous ses soins à vous plaire.
Non, Silla les a mérités ;
Et comme la raison éclaire enfin mon âme,
J’estime trop une si belle flamme,
Pour vouloir mettre obstacle à vos félicités.
Jouissez d’un amour qui ferme, inviolable,
Ne finira qu’avec ses jours.
Mon Art vous en est responsable,
Et s’il ne faut qu’en prolonger le cours,
Pour rendre plus longtemps votre bonheur durable
Vous êtes sûr de mon secours.
Achevez, Inhumaine, et par cette menace
Montrez qu’on peut braver les Dieux impunément.
D’un triomphe si fier je vois le fondement.
Le Soleil est d’accord de tout ce qui se passe,
Et ce fatal enchantement
Qui me fait de Silla déplorer la disgrâce,
À votre cœur altier souffriroit moins d’audace
S’il n’appuyoit votre ressentiment.
Mais tout change, et peut-être ai-je le sujet d’attendre
Après une si lâche et noire trahison…
Ciel, qu’ai-je encor à craindre, et que vient-on m’apprendre ?
Scène VII
Un malheur qui va vous surprendre.
Des fureurs de Circé Silla s’est fait raison,
Elle n’est plus.
Silla n’est plus !
Désespérée
De l’affreux changement qui causoit ses soupirs,
Sans me vouloir entendre, elle s’est retirée
Où la Mer qu’elle voit offre à ses déplaisirs
L’heureux secours d’une mort assurée.
Là, d’un fixe regard envisageant les flots,
Après quelques moments d’un calme qui m’abuse,
"Fais-moi, dit-elle, ô Mer, rencontrer le repos
Que depuis si longtemps la Terre me refuse
À ces mots tout à coup je la vois s’élancer.
L’onde s’entrouvre, et frémit de sa chute,
Et finissant les maux où sa vie est en butte,
Cache l’horreur du sort qui l’y fait renoncer.
Et bien, êtes-vous satisfaite ?
Votre vengeance a-t-elle un succès assez doux ?
Non, sa trop prompte mort l’a rendue imparfaite.
Je la voulois vivante, et que souffrant par vous,
Elle en fît mieux sentir à votre âme inquiète
L’ennui d’avoir sur elle attiré mon courroux.
Votre peine finit quand la mienne redouble.
Silla ne vivant plus, dégage votre foi.
D’un calme heureux faites-vous une loi,
Et tâchez, pour n’avoir jamais rien qui le trouble,
À ne vous souvenir ni d’elle, ni de moi.
Circé disparaît ainsi que son Palais.
Scène VIII
Quel charme en un moment nous met sur ce rivage.
Le Palais de Circé disparaît à nos yeux ;
Mais hélas ! Pour changer de lieux ;
En sentirai-je moins la rage,
D’avoir perdu ce que j’aimois le mieux ?
Toi qui vois ma douleur, si jamais, ô Neptune,
De quelque aimable Objet ton cœur fut enflammé,
Prends pitié de mon infortune,
Et me rends, s’il se peut, ce que j’ai tant aimé.
Il m’entend, sur les flots je le vois qui s’élève.
Toute la Cour le suit, j’en puis bien espérer.
Scène IX
Je plains les durs ennuis qui te font soupirer ;
J’ai commencé déjà, si Jupiter achève,
L’heureux sort de Silla pourra les réparer.
Ce rocher qui s’offre à ta vue,
Servira sous son nom d’éternel monument,
Qu’en son sein la Mer l’a reçue,
Et c’est là qu’à jamais de cet événement
Mille vaisseaux brisés par de fréquents naufrages
Rendront d’éclatants témoignages.
Cependant si le Ciel qui lit dans le Destin,
Souffre que de Silla ma volonté décide,
Pour t’assurer un bien qui n’ait jamais de fin,
Je l’arrache à la mort, et la fais Néréïde.
Ah, je n’en doute point, le Ciel sera pour moi.
J’en vois la marque, il s’ouvre, et Jupiter lui-même
Va prononcer l’arrêt suprême,
Qui rendra justice à ma foi.
Scène X
Le Destin pour Silla permet tout à Neptune,
Et touché de son désespoir,
Lui donne par moi le pouvoir
De la combler de gloire après son infortune ;
Mais dans l’être nouveau qu’elle va recevoir,
Glaucus, contente-toi du plaisir de la voir,
Sans l’accabler encor d’une flamme importune.
Quelques droits que Circé t’ait acquis sur son cœur,
Ce Charme dissipé te défend l’espérance,
Et tu croirois en vain par ta persévérance
Venir à bout de sa vigueur.
Et bien, je forcerai mon amour au silence.
Qu’elle vive ; la voir est l’unique douceur
Que presse mon impatience.
Viens lui prêter la main pour la tirer des flots.
Scène XI
Enfin les Dieux, en vous sauvant la vie,
Daignent assurer mon repos.
À m’acquitter vers eux ce bienfoit vous convie.
La surprise où me met l’inespéré bonheur.
De voir par leur bonté ma disgrâce arrêtée,
Ma laisse peu capable…
Ils connoissent ton cœur,
C’est assez, va, prends place auprès de Galatée,
Tandis que pour te faire honneur,
Les Nymphes et les Dieux des Campagnes prochaines
Te viendront applaudir sur la fin de tes peines.
Avancez, Faunes et Sylvains,
Et par quelque brillant spectacle,
De ce jour fortuné célébrant le miracle,
Honorez du Destin les Décrets Souverains.
Tout aime
Sur la terre et dans les cieux.
L’Amour par un pouvoir suprême
Asservit Hommes et Dieux,
Tout aime.
Jusque dans les eaux, il échauffe les cœurs,
Et malgré leur froideur extrême
Il fait ressentir ses plus vives ardeurs ;
Rien n’échappe à ses douces langueurs,
Tout aime.
Les Plaisirs sont de tous les âges,
Les plaisirs sont de toutes les saisons.
Pour les rendre permis, on sait que les plus sages
Ont souvent trouvé des raisons.
Rions, chantons,
Folâtrons, sautons.
Les plaisirs sont de tous les âges,
Les plaisirs sont de toutes les saisons.
Ce chœur étant fini, les faunes et les sylvains témoignent leur joie par des sauts surprenants ; et les divinités de la mer, accompagnées de plusieurs fleuves,
donnent pareillement des marques de leur allégresse par plusieurs figures extraordinaires ; ce qu’ils font à différentes reprises,et même après les deux premiers couplets de la chanson suivante.
Il n’est point de plaisir véritable,
Si l’amour ne l’assaisonne pas.
On a beau dans le bien le plus stable
Rechercher de sensibles appas.
Il n’est point de Plaisir véritable,
Si l’Amour ne l’assaisonne pas.
Ses langueurs n’ont rien que d’agréable,
On se perd dans ses tendres hélas.
Il n’est point de Plaisir véritable,
Si l’Amour ne l’assaisonne pas.
À l’amour il faut rendre les armes,
Tôt ou tard il triomphe de nous.
Plus on veut résister à ses charmes,
Plus on doit redouter son courroux.
À l’amour il faut rendre les armes,
Tôt ou tard il triomphe de nous.
De ses maux ne prenons point d’alarmes,
S’ils sont grands, le remède en est doux.
À l’amour il faut rendre les armes,
Tôt ou tard il triomphe de nous.
Les plaisirs sont de tous les âges,
Les plaisirs sont de toutes les saisons.
Pour les rendre permis, on sait que les plus sages
Ont souvent trouvé des raisons
Rions, chantons,
Folâtrons, sautons.
Les plaisirs sont de tous les âges,
Les plaisirs sont de toutes les saisons.