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Claude Paysan/035

La bibliothèque libre.
La Cie d’imprimerie et de gravures Bishop (p. 157-159).


XXXV


À chaque soir, lorsqu’il montait à sa chambre, il trouvait toujours, détachés de son bouquet de fleurs, des pétales nouveaux gisants sur la table ou déjà chassés dans les coins par quelques souffles égarés. Et maintenant sans plus aucun parfum, aucun éclat, dénudé, ce bouquet jadis si adoré n’offrait plus qu’une apparence chétive et fanée…

C’était presque devenu une petite chose insignifiante qui ne disait rien, qui ne réveillait plus de souvenirs dans l’âme. Devant ces pauvres pétales flétris, Claude lui-même ne paraissait éprouver qu’une impression très vague et très légère.

C’est que son cœur semblait se refroidir peu à peu des flammes brûlantes qui l’avaient consumé jusqu’aux fibres ; il avait l’air plus libre, moins accessible aux sensations dont le nom de Fernande l’agitait toujours autrefois. En réalité, se disait-il, ça ne devait que finir ainsi ; et il se trouvait heureux quand il y réfléchissait…

Étrange revirement des choses, c’était la mère Julienne, elle qui avait tant pleuré, qui maintenant se montrait toute attristée en remarquant l’oubli se faire en apparence dans le cœur de Claude. Sans doute qu’elle n’osait rien espérer de Fernande, mais de savoir qu’elle serait toujours à même de se reposer sur sa sympathique pitié, ça ne l’affligeait plus autant l’amour insensé de son fils ; au contraire. Quant à Claude lui-même, lorsqu’il s’interrogeait profondément, il se reconnaissait en vérité moins fortement épris. Fernande était déjà partie depuis plusieurs mois et son image, qui d’abord ne le quittait jamais, ne s’offrait pas aussi souvent, ni avec autant de précision à son esprit. L’absence, la séparation prolongée, l’air soucieux de la vieille Julienne, peut-être aussi le souhait que Fernande avait secrètement formulé, contribuaient à ce changement inattendu dans son cœur.

Et alors de sentir ses attaches moins serrées, de pouvoir laisser flotter ses pensées sans que tout-à-coup une figure, un sourire, une ombre, un rien ne vint à tout propos le faire haleter péniblement d’angoisse, il en éprouvait une sensation particulière de contentement.

Il se disait toutes ces choses, seul, le soir.

Il essayait de se convaincre que, bien vrai, avec le cours des semaines de l’hiver, il se détachait petit à petit de l’affection folle qui l’avait tant fait souffrir. À présent il aurait même pu parler de Fernande s’il l’avait voulu, prononcer son nom sans émotion, et s’il ne le faisait pas, c’était plutôt à cause de sa mère qui le gênait encore un peu.

C’est que pour celle-là ce n’était pas la même chose ; elle pénétrait trop loin dans les tréfonds enfouis de son âme et ça le troublait toujours de voir sur lui ce regard maternel qui le devinait. Mais pour tout autre… pour Jacques, par exemple, oui, pour Jacques, ça ne lui aurait rien fait en vérité de tout lui raconter, s’il avait été là…

… Le printemps revenait à jours précipités ; les froids cuisants de l’hiver perdaient sensiblement de leur acuité ; il y avait même du soleil chaud qui pénétrait déjà à travers les fenêtres et dans les carrés de lumière que ses brillants rayons dessinaient sur le plancher, Gardien allait s’étendre, le museau entre les pattes, dans une voluptueuse attitude de paresse.

Sans bien savoir pourquoi, Claude alors ressentait au fond de lui comme un trouble mal défini qui était la hâte sans doute de reprendre ses travaux de la terre, de respirer les caressantes brises du Richelieu, de revoir les feuilles vertes et les fleurs roses, d’admirer encore une fois toutes les teintes éblouissantes que prend la nature dans le renouveau du printemps.