Comment féconder son imagination/Chapitre IV
CHAPITRE IV
POUR DÉVELOPPER L’IMAGINATION VERBALE. — POUR ACQUÉRIR LA FACILITÉ DE PARLER ET D’ÉCRIRE
« Peu importent les paroles ! Seuls comptent les actes ! Les actes et les sentiments vrais ! » Oui, certes ! Et voilà ce que nous entendons constamment. Mais, en fait, la facilité de parole joue dans notre société un rôle capital, qu’il doive ou qu’il ne doive pas lui appartenir. Et bien des personnes ont trop peu de succès dans le monde ou dans leur carrière, parce qu’elles manquent simplement de cette précieuse faculté : la facilité d’exprimer par le langage ou l’écriture leurs pensées, qui sont très justes, et leurs sentiments, qui sont très vifs.
La faiblesse de cette disposition ne révèle pas forcément la pauvreté de leur vocabulaire ni leur méconnaissance des finesses de la langue. Mais autre chose est de comprendre ou de sentir, et autre chose est d’exprimer. Ce qui est restreint chez elles, c’est ce que nous appellerons leur vocabulaire actif ; les mots et les tournures de phrase nécessaires ne se présentent pas assez vite ou même pas du tout à leur esprit. Et cette infériorité relative a même été observée chez des personnes ayant fait des études, et de qui on était donc porté à attendre, à ce point de vue, beaucoup mieux.
La lecture sera d’abord le principal moyen de perfectionnement de votre faculté d’expression. Des lectures variées, multipliées, aidées au besoin du dictionnaire, instrument tout indiqué pour vous rendre clairs et familiers un nombre croissant de mots.
Mais ces lectures n’accroîtront sérieusement votre « vocabulaire actif » que si vous observez ces conditions :
Premier exercice. — Ayez bien soin, d’abord, de relever les termes et les tournures que vous n’auriez pas employés vous-même spontanément. Posez-vous à chaque instant la question : « Cela, est-ce que je l’aurais dit ? ou est-ce que je ne l’aurais pas dit ? » Observez, relisez, répétez ces mots, ces expressions, ces trouvailles qui ne vous seraient jamais venus à la bouche ou sous la plume. Ayez un carnet où vous les écrivez. Faites-les entrer vous-même dans des phrases que vous prononcez mentalement, ou, mieux encore, que vous écrivez aussi : Si ces phrases désignent des événements réels ou possibles de votre vie, le résultat sera plus sûr encore.
Mettez en rapport les expressions qui ne vous sont pas habituelles avec votre personne ou les personnes dont la pensée vous est le plus présente, ne serait-ce que pour dire : « Cette action, je ne l’accomplirais pas », ou « cette parole, un tel ou une telle la prononcerait ou ne la prononcerait pas », etc. ; etc., et vous pouvez être sûr que ces modes d’expression se présenteront à vous quand le moment en sera venu.
Deuxième exercice. — Formez des familles de mots. Rassemblez par écrit tous les synonymes que vous pourrez trouver à un terme. Il existe d’excellents dictionnaires des synonymes, qui vous seraient de la plus grande utilité. Mais rien ne vaudra, ici comme ailleurs, l’effort personnel de recherche. Et le dictionnaire ordinaire vous fournit bien souvent de nombreux synonymes à réunir sur votre « carnet d’expressions et de style. »
Troisième exercice. — Changez la construction des phrases que vous trouvez dans le premier roman venu. Si vous découvrez une tournure plus rapide, plus prenante, plus pittoresque, ces changements seront même des améliorations dont vous serez fort satisfait. En voici quelques-uns.
Faites disparaître les prépositions (dans, par, sur, d’après, etc.) en employant un autre verbe.
Exemples. Vous rencontrez la phrase : « Sur son visage, on voyait qu’il était énergique. » Vous remplacez par : « L’énergie se lisait sur son visage. »
Au lieu de : « Par ce col, on arrive en Italie, » vous dites : « Ce col conduit en Italie. »
Au lieu de : « Dans sa fureur, il prononça ces paroles, » vous dites : « La fureur lui dicta ces paroles. »
Ou encore : faites disparaître les lourds adverbes en « ment », en employant un verbe plus expressif.
Exemple : vous lisez : « Le fleuve inonda complètement le pays ; » vous dites : « Le fleuve submergea le pays. » — vous lisez : « Elle voulut satisfaire complètement les désirs de ses filles ; » vous dites : « Elle voulut combler les souhaits de ses filles. »
Autre changement heureux : supprimer les pronoms relatifs : qui, lequel, par laquelle, etc.
Exemple : « Ce livre, par lequel la cause de la famille est éloquemment défendue » peut être remplacé par : « Cet ouvrage, éloquent plaidoyer pour la famille. »
Mais, avantageux ou équivalents, tous les changements de construction opérés par vous, inventés par vous, mettront à votre disposition, pour l’avenir, des tours de phrase toujours plus nombreux et toujours plus variés.
Nous vous recommandons tout spécialement l’observation et l’emploi des tournures interrogatives et exclamatives qui, d’habitude, ne se présentent pas spontanément chez ceux qui manquent d’imagination verbale.
Par exemple, voulant attirer notre attention sur les différences entre les lois des divers pays, alors que les droits de l’homme sont, en principe, les mêmes partout et pour tous, Pascal s’écrie : « Plaisante justice qu’une rivière borne ! » Voulant exprimer combien la sincérité est chose rare, nous dirons : « Où trouver une personne vraie ? »
Quatrième exercice. — Essayez d’exprimer aussi exactement que possible l’idée d’un texte quelconque sans en conserver un seul mot (pensée abstraite, récit d’un événement, etc.). Seront exceptés, évidemment, les mots inévitables, tels que les articles, pronoms, prépositions, etc. (le, la, un, une, des, quelques, dans, sur…) ou les termes, s’il en est, absolument irremplaçables.
Exemple : « On a porté des jugements bien différents sur la valeur de la vie. » Autre expression : « Des opinions très diverses ont été émises relativement au prix de l’existence. »
Cet exercice, plus difficile qu’il ne paraît, peut être rendu amusant, et nous en garantissons le résultat pour accroissement du vocabulaire actif, car, au point de vue intellectuel, on ne possède vraiment que ce que l’on a cherché et trouvé avec l’aide… de soi-même.
Cinquième exercice. — Enfin, c’est en parlant qu’on apprend à parler, comme le plus grand orateur de l’antiquité, Démosthène, né bègue, et qui, dans sa jeunesse, s’essayait chaque jour à dominer par sa voix le bruit des flots.
Tous les exercices indiqués peuvent et doivent souvent être faits de façon purement orale, à haute voix ou, tout au moins, par la parole intérieure. Exprimez ainsi, aussi promptement que possible, les mêmes idées avec des termes différents, en y joignant des développements et des explications.
Encore un conseil utile : Lorsqu’il vous est possible de prévoir vos rencontres, et de deviner, d’après vos souvenirs, les sujets probables de vos entretiens, préparez par l’imagination votre rôle dans ces entretiens. Précisez à l’avance vos idées et vos paroles, et vous ne serez jamais « pris de court ». Vous n’aurez peut-être pas l’occasion de placer une phrase toute prête, car il faut avant tout avoir l’esprit souple et s’adapter à la circonstance ; mais vous serez étonné de trouver si aisément « le mot qu’il faut ».