Comment féconder son imagination/Chapitre VI
CHAPITRE VI
POUR RENDRE L’IMAGINATION CONCRÈTE ET PRATIQUE
Nos exercices précédents vous ont certainement rendu l’esprit plus actif, l’imagination plus vivante. Vous êtes maintenant bien plus capable de pensées et d’images nouvelles, les idées accourent bien plus nombreuses à votre appel, et les paroles que vous entendez, les phrases que vous lisez, éveillent désormais en vous une tout autre résonance.
Mais la quantité ne suffit pas, il faut aussi veiller à la qualité ; or la qualité principale de la faculté imaginative, la raison d’être de ses envolées dans l’hypothèse, la fiction, le rêve et l’idéal, c’est de pouvoir servir, tôt ou tard, à améliorer le réel. Aussi votre imagination doit-elle fuir l’utopie décourageante et savoir prendre un tour concret et pratique, que nos derniers exercices ne manqueront pas de lui donner.
Nous nous sommes surtout appliqués jusqu’ici à obtenir que des idées éveillent en nous d’autres idées. Nous devons maintenant nous appliquer à obtenir que les idées nous conduisent à imaginer des faits, qui les illustrent, les incarnent, les réalisent, les justifient.
Premier exercice. — Entraînons-nous à imaginer des faits, des événements, aventures ou mésaventures, aussi vraisemblables que possible, pouvant servir de développements, de preuves et d’illustrations à des proverbes ou à des pensées.
Par exemple : « À beau jeu pour mentir celui qui vient de loin. » Amusez-vous aussi à dépeindre la confusion finale d’un hâbleur et d’un vantard, à l’imitation de La Bruyère (Arrias et Sethon) et d’Alphonse Daudet (Tartarin). — Ou encore : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » Faites-en autant pour d’autres fables. Faites-le régulièrement et même par écrit, une ou deux fois par semaine. Illustrez par des faits, soit des morales de la Fontaine, soit des pensées de La Bruyère : rien ne donnera mieux à votre imagination un tour concret, réaliste, pratique, sans parler du profit que vous pourrez en retirer pour la direction de votre vie.
Deuxième exercice. — Et, comme il faut exercer son imagination sur les sujets les plus différents, de temps en temps, au moins une fois par semaine, imaginez dix raisons excellentes, capables de décider à l’achat, soit d’une marque d’autos ou de pneus, soit d’une marque de produit merveilleux pour la lessive, etc. Et pour développer à la fois en vous diverses formes d’imagination, en particulier l’imagination visuelle, inventez en parallèle dix affiches, dont chacune illustrerait remarquablement l’une de vos dix raisons et attirerait forcément l’attention du passant[1], tableaux amusants, héroï-comiques ou même tragiques, ne serait-ce qu’une auto renversée après glissade au milieu d’un paysage d’hiver, et l’inscription forçant le regard : « Voilà ce qui ne vous arrivera jamais avec le pneu X ou Y. » Journaux et affiches vous donnent des exemples parfaits dans l’art de la réclame : imitez-les, dépassez-les.
Troisième exercice. — Imaginez la conduite que tiendraient telles personnes que vous connaissez bien dans telles ou telles circonstances données. L’Américain Sheldon a écrit un ouvrage qui eut un immense retentissement : « Que ferait le Christ à ma place ? » Sans parler de sa portée morale, il est évident qu’il y avait là — et qu’il y a toujours — une excellente école pour l’imagination.
Nous souhaiterions que les quelques exercices décrits en ces pages ne vous donnent de l’imagination que pour vous faire découvrir vos possibilités, insoupçonnées encore, de progrès, de succès et de bonheur ; pour illuminer, utiliser, transformer si possible les réalités qui vous environnent et votre propre réalité, pour inventer pour vous et ceux qui vous approchent une meilleure vie, enfin pour opposer à vos échecs apparents une indomptable espérance. Ayez donc confiance dans l’énergie créatrice et inexploitée de votre imagination. Fécondée et orientée par vous-même, elle fera de vous l’artiste de votre propre beauté morale, et, comme disaient les stoïciens, le sculpteur de votre propre statue.
- ↑ Esquissez-les au crayon ou à la plume, pour si peu que vous sachiez dessiner.