Commentaire sur l’Épître de saint Paul aux Galates

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Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

AVERTISSEMENT POUR LE COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX GALATES.[modifier]


Saint Chrysostome n’a pas mis à ce Commentaire le même soin qu’aux autres. Dans les autres, les matières sont divisées en Homélies ; de telle sorte que chaque discours se termine par une exhortation morale souvent égal, en étendue à la partie explicative du texte. Pour l’Épître aux Galates, il en est autrement. Saint Chrysostome ne fait qu’expliquer les versets les uns après les autres, sans interruption depuis le commencement de l’épître jusqu’à la fin. Il se rencontre bien çà et là quelques passages ayant trait à la morale, mais toujours comme digression et jamais comme conclusion et péroraison d’Homélie. Il n’est pas rare qu’il s’adresse au peuple. Je serais donc porté à croire que ce Commentaire fut composé soit pour être lu ou récité tel qu’il est devant le peuple ; soit pour être ensuite divisé par parties destinées à être présentées chacune avec addition de l’exhortation morale accoutumée. Mais nous sommes réduits sur ce point à de simples conjectures.
Ce Commentaire fut composé à Antioche, puisque saint Chrysostome rappelle à ses auditeurs ses Homélies sur les changements de noms, Homélies certainement prononcées dans cette ville.
Les données manquent pour déterminer l’année où ce Commentaire fut écrit.
Ce que nous venons de dire, que saint Chrysostome n’avait pas mis à ce Commentaire le même soin qu’aux autres, doit seulement s’entendre en ce sens qu’il ne l’a pas divisé en Homélies, et nullement en ce sens que l’explication du texte y serait traitée avec quelque négligence. A ce dernier point de vue, le Commentaire sur l’Épître aux Galates est un des meilleurs de saint Chrysostome. Il renferme plusieurs excellentes réfutations des hérétiques d’alors : Anoméens, Marcionites et Manichéens ; des réprimandes à l’adresse de beaucoup d’habitants d’Antioche qui suivaient certains rites judaïques ; de sévères corrections pour d’autres qui pratiquaient sur eux-mêmes, conseillés par le manichéisme, certaines mutilations contre nature.

COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX GALATES.[modifier]

CHAPITRE I.[modifier]


PAUL, APÔTRE, NON DE LA PART DES HOMMES, NI PAR DES HOMMES, MAIS PAR JÉSUS-CHRIST, ET DIEU SON PÈRE QUI L’A RESSUSCITÉ D’ENTRE LES MORTS, ET TOUS LES FRÈRES QUI SONT AVEC MOI, AUX ÉGLISES DE GALATIE : QUE LA GRACE ET LA PAIX VOUS SOIENT DONNÉES PAR DIEU NOTRE PÈRE ET PAR NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. (1, 2, 3)

Analyse.[modifier]

  • 1. Ce qui a porté saint Paul à écrire cette épître.
  • 2. Paul a été appelé par Jésus-Christ lui-même. – Que le Fils et le Saint-Esprit ont la même puissance.
  • 3. Solution d’une objection des Anoméens abusant de ce passage où il est dit que le Père a ressuscité le Fils, pour soutenir que le Fils est inférieur au Père.
  • 4. Que la vie présente n’est pas mauvaise par elle-même, contre les Manichéens.
  • 5. Continuer d’observer la loi de Moise après l'avènement de la grâce, c’est offenser le Père comme le Fils.
  • 6. Nécessité de résister vigoureusement à ceux qui tentent d’altérer la doctrine de l’Évangile.
  • 7. Contre les chrétiens judaïsants et superstitieux.

8-11. C’est de Jésus-Christ lui-même que Paul a reçu immédiatement la doctrine qu’il prêche. – Comment l’aurait-il reçue des hommes, puisque ni avant ni après sa conversion, il n’a eu de rapports familiers avec les chrétiens, que ce n’a été que trois ans après qu’il s’est rendu pou, fort peu de temps auprès de Pierre et de Jacques qu’ensuite il est allé en Syrie et en Cilicie et qu’il est resté personnellement inconnu aux chrétiens.
1. Cet exorde respire le courroux et la fierté, et non pas seulement l’exorde, mais encore toute l’épître, pour ainsi dire. Parler toujours avec douceur à ceux que l’on instruit, quand il est besoin de leur parler avec rudesse, serait le fait non d’un maître, mais d’un corrupteur et d’un ennemi. C’est pour cela que le Seigneur, qui se montrait si doux quand il conversait avec ses disciples, leur parlait quelquefois sévèrement, et employait tour à tour l’éloge ou le blâme. Il avait dit à Pierre : « Tu es heureux, Simon, fils de Jean » (Mt. 16,17) ; il lui avait annoncé que ce serait sur sa"-confession qu’il poserait les fondements de son Église, et peu d’instants après avoir prononcé ces paroles, il s’écrie : « Retire-toi de moi, Satan, tu m’es à scandale ». (Mt. 16,23) Et une autre fois : « Êtes-vous encore sans intelligence », leur dit-il. (Mt. 15,16) On peut juger de 1a crainte qu’il avait su leur inspirer d’après ce que nous raconte Jean : comme ils le voyaient s’entretenir avec la samaritaine, ils lui rappelèrent bien qu’il était temps de prendre de la nourriture, mais aucun d’eux n’osa lui dire : « Qu’avez-vous à causer », ou bien : « Que cherchez-vous dans sa compagnie ? » (Jn. 4,27) Paul le savait, et comme il suivait pas à pas les traces du Maître, il variait son langage suivant les besoins de ses disciples, tantôt brûlant et tranchant dans le vif, tantôt employant des remèdes plus doux. Aux Corinthiens, il disait : « Que voulez-vous ? que je vienne à vous avec la verge, ou avec l’amour et avec l’esprit de douceur ? » (1Cor. 4,21) Aux Galates : « O Galates insensés ! » (Gala III, 1) Et ce reproche, il le leur adresse, non pas une, mais deux fois. Vers la fin de l’épître, il revient à la charge : « Qu’on ne me cause plus de nouvelles peines ». (Gal. 6,6) Puis il leur parle avec douceur, comme lorsqu’il dit : « Mes petits enfants, vous que j’enfante de « nouveau » (Gal. 4,19) ; et bien d’autres fois encore, il tient un pareil langage. Que cette épître respire la colère, tout le prouve et l’on s’en aperçoit à la première lecture.
Il faut dire pourquoi il était irrité contre ses disciples. Ce n’était pas pour peu de choses ni pour un mince motif, autrement il ne se serait pas laissé aller à un tel emportement. S’irriter pour des riens ; est le fait d’un homme à esprit étroit, d’un homme dur et tracassier, de même que c’est le fait d’un homme indolent et apathique, de se laisser abattre à la vue de graves désordres. Il n’en était pas ainsi de Paul. Quelle était donc la faute qui excitait son indignation ? Une grande, et bien grande faute, qui les rendait tous étrangers au Christ, comme il leur dit dans la suite de sa lettre : « Voici que moi, Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien » ; puis il dit encore : « Vous tous, qui cherchez votre justification dans la loi, vous êtes exclus de la grâce ». (Gal. 5,2-4) Que veut-il dire par là ?. Car il faut éclaircir et développer ses paroles. Ceux des Juifs qui avaient la foi, mais qui étaient en même temps attachés au judaïsme, et à qui la vanité tournait la tête, voulurent se poser en docteurs et se rendirent chez les Galates pour leur enseigner qu’ils devaient se faire circoncire, observer le sabbat et les cérémonies du premier jour de chaque mois, qu’ils devaient enfin ne pas écouter Paul qui supprimait tout cela. Pierre, Jacques et Jean disaient-ils, n’empêchent point d’observer ces coutumes, et ce sont les premiers parmi les apôtres, ils ont été disciples du Christ. Il est vrai qu’ils ne s’opposaient point à cela ; mais s’ils toléraient ces pratiques, ce n’était point qu’ils en fissent un dogme, c’était pour condescendre à la faiblesse des Juifs convertis.
Quant à Paul, qui prêchait les gentils ; il n’avait pas besoin de montrer la même condescendance, quand il se trouva en Judée, il fut aussi tolérant que les autres. Mais ces trompeurs se gardaient bien de dire les motifs de cette condescendance de Paul et des autres apôtres, et ils trompaient les simples en disant qu’ils ne devaient pas écouter Paul, car lui ne datait que d’hier et d’aujourd’hui, les autres, Pierre et ses compagnons, étaient ses anciens ; lui, était le disciple des apôtres, eux, étaient les disciples du Christ ; lui était seul, eux étaient beaucoup, et ils étaient les colonnes de l’Église. Et cet homme, ajoutaient-ils, est un hypocrite, car il est reconnu que lui, qui supprime la circoncision, l’a maintient ailleurs. A vous, il prêche une chose, aux autres, une autre.
Quand donc Paul s’aperçut que le feu avait atteint tous les Galates, quand il vit qu’un violent incendie allait consumer l’Église de Galatie, que la maison qu’il avait fondée était ébranlée, et qu’elle était sur le point de s’écrouler, il fut en proie à un juste ressentiment, en proie aussi au désespoir, comme le prouvent ces paroles : « J’aurais voulu me trouver maintenant avec vous, et vous entretenir de vive voix » (Gal. 4,20) ; et il leur écrivit cette épître, où il répond à tous les chefs d’accusation accumulés contre lui. Tout d’abord il répond directement aux insinuations de ses adversaires qui, pour miner son influence, disaient que les autres apôtres étaient les disciples du Christ, et que lui était le disciple des apôtres. Et c’est, pour cela qu’il commence en ces ternies : « Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par des hommes ». Car ces trompeurs disaient, comme je vous l’ai déjà fait remarquer, qu’il était le dernier des apôtres, et qu’il avait été instruit par eux. Pierre, Jacques et Jean sont venus avant lui, disaient-ils, ce sont les premiers parmi les disciples, ils ont reçu les dogmes de Jésus-Christ, c’est à eux qu’il faut obéir, et non à lui, or ils ne sont pas opposés à la pratique de la circoncision, et à l’observation de la loi.
2. En prononçant ces paroles et d’autres semblables, en rabaissant celui-ci, pour vanter ceux-là, ils avaient en vue, non de faire l’éloge des apôtres, mais de tromper les Galates, et ils leur conseillaient mal à propos d’observer la loi. Il est donc naturel qu’il ait commencé ainsi. Comme ils détruisaient le prestige de son enseignement, en prétendant qu’il le tenait des hommes, tandis que Pierre tenait le sien du Christ il répond directement dès le début, à cette obligation, en disant qu’il est apôtre, non de la part des hommes, ni par des hommes. Ananias l’avait baptisé (Act. 9,17), mais ne l’avait pas retiré de l’erreur, ni conduit à la foi c’était Jésus-Christ lui-même qui, du haut du ciel, lui avait adressé miraculeusement la parole et l’avait pris dans ses filets. Quant à Pierre et à son frère, quant à Jean et au frère de Jean Jésus les avait appelés à lui, en se promenant sur le bord de la mer (Mt. 4) ; il appela Paul, après qu’il fut remonté aux cieux. Et de même que, sans avoir besoin d’être appelés deux fois, ils laissèrent là leurs filets et tout le reste, et se mirent à le suivre ; de même Paul, dès le premier appel, arriva à la perfection apostolique : il se fit baptiser, déclara une guerre sans trêve aux Juifs, et par là, dépassa les autres apôtres : « J’ai pris plus de peine qu’eux » (1Cor. 15,10), dit-il. Mais en attendant, il n’insiste pas là-dessus, et se contente d’être leur égal. Son but était, non de prouver qu’il leur était supérieur, mais d’ôter tout fondement à l’erreur des Galates. Ces mots : « Non de la part des hommes », convenaient à tous ceux qui prêchaient l’Évangile, car cette prédication avait son origine et sa racine dans le ciel : ceux-ci « Non par des hommes » convenaient aux seuls apôtres ; car Jésus les avait appelés à lui non par l’intermédiaire d’autres hommes, mais par lui-même. Pourquoi Paul, au lieu de faire mention de sa vocation et de dire : « Paul appelé non de la part des hommes », a-t-il parlé de sa qualité d’apôtre ? Précisément, parce que c’était là-dessus que roulait toute la discussion. On disait que son droit d’enseigner il le tenait des hommes, des apôtres, et qu’il devait suivre leur direction. Or, la preuve qu’il n’avait pas reçu son ministère de la main des hommes, saint Luc la donne, lui qui a dit : « Or, pendant qu’ils s’acquittaient des fonctions de leur ministère devant le Seigneur, et qu’ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit : Séparez-moi Saül et Barnabé ». (Act. 13,2) Ce qui prouve bien que la puissance du Fils et de l’Esprit n’est qu’une seule et même puissance. Car, après avoir été envoyé pair l’Esprit, il dit qu’il a été envoyé par le Christ. Et il le prouve encore ailleurs, quand il rapporte à l’Esprit ce que Dieu a fait. Car, s’entretenant avec les prêtres de Milet[1] : « Veillez sur vous-mêmes », disait-il, « et sur le troupeau à la tête duquel vous a mis l’Esprit-Saint en qualité de pasteurs et d’évêques ». (Act. 20,28) Et cependant il dit dans une autre épître : « Ceux que Dieu a mis dans son Église, d’abord comme apôtres, en second lieu comme prophètes, puis comme pasteurs et comme maîtres chargés d’enseigner ». (1Cor. 12,28) C’est ainsi que dans son langage il ne fait lias de distinction entre Dieu et le Saint-Esprit, attribuant à l’un ce que l’autre a fait, et réciproquement. D’ailleurs il ferme aussi la bouche aux hérétiques quand il dit « Par Jésus-Christ et Dieu son Père ». Comme ils prétendent que cette expression s’applique au Fils parce qu’elle témoigne d’une dignité inférieure, voyez ce qu’il fait : il s’en sert en parlant du Père, et nous enseigne à ne pas nous établir en législateurs de leur nature ineffable, et à ne pas mesurer la divinité du Père et celle du Fils. Car, après avoir dit : « Par Jésus-Christ », il ajoute : « Et par Dieu son père ». Car, si après avoir fait mention seulement du Père, il avait ajouté ces mots « par lesquels », peut-être en auraient-ils tiré parti et dit qu’il rapportait ces mots « par lequel » au Père, parce qu’il lui attribuait les œuvres du Fils. Mais maintenant, en faisant mention en même temps du Père et du Fils, et en se servant de la même expression pour l’un et l’autre, il ne laisse plus de place à une telle interprétation. S’il agit ainsi, ce n’est pas pour attribuer au Père ce qui appartient au Fils, mais c’est pour montrer que cette expression n’admet entre eux aucune distinction de substance.
Que diraient donc à ce propos ceux qui soupçonnent, d’après la formule du baptême : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, qu’il y a entre eux une certaine gradation descendante ? Si le Fils est inférieur au Père parce que son nom vient après celui du Père, que diront-ils en voyant que dans ce passage l’apôtre commence par le Fils pour arriver au Père ? Mais ne prononçons point de blasphème. Il ne faut pas que notre ardeur à réfuter ces gens-là nous fasse sortir de la vérité. II faut au contraire, fussent-ils mille et mille fois plus fous, que nous nous enfermions scrupuleusement dans les limites de la piété. De même que nous ne dirons pas, nous, que le Fils est plus grand que le Père, parce que Paul a parlé en premier lieu du Fils (car ce serait le dernier degré de la folie, et le comble de l’impiété), de même il ne faut pas croire que dans cette formule du baptême, le Fils soit inférieur au Père.
« Qui l’a ressuscité d’entre les morts ». Que faites-vous, Paul ? Vous voulez ramener des judaïsants à la foi, et vous ne leur montrez rien de grand et d’imposant, comme lorsque vous disiez dans votre épître aux Philippiens que « Ayant la forme et la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation d’être égal à Dieu » (Phil. 2,6), comme lorsque vous vous écriiez en écrivant aux Hébreux : « Il est la splendeur de sa gloire, et le caractère de sa substance » (Héb. 1,3), comme lorsque le fils du tonnerre disait tout d’abord à haute voix : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu » (Jn. 1,1), comme lorsque Jésus en personne disait devant les Juifs à plusieurs reprises qu’il pouvait les mêmes choses que son Père, et qu’il avait la même puissance. Vous ne dites rien de cela, vous laissez toutes ces choses de côté pour ne parler que de l’incarnation, de la croix et de la mort du Sauveur ? Oui, répond-il. S’il avait à parler devant des hommes qui n’ont pas idée de la grandeur du Christ, il ferait bien de traiter ces points-là ; mais puisqu’ils se séparent de nous parce qu’ils ont peur d’être punis s’ils s’écartent de la loi, il fait mention de ce fait, qui suffit à prouver la non-nécessité de la loi, je veux parler du bienfait que nous avons tous reçu de la croix et de la résurrection. Dire que au commencement était le Verbe ; et qu’il se trouvait dans la forme de Dieu, en faire l’égal de Dieu, et avancer d’autres choses semblables eût été bon pour démontrer la divinité du Verbe ; mais ce n’était pas ce dont alors il s’agissait. Mais en disant que « Le Père l’a ressuscité d’entre les morts ». Paul rappelle le bienfait capital que nous avons reçu du Christ : ce qui ne contribuait pas peu à lui faire atteindre le but qu’il se proposait. Car la plupart des hommes ont coutume de ne pas prêter autant d’attention au langage de ceux qui célèbrent la grandeur de Dieu, qu’au langage de ceux qui montrent les bienfaits que Dieu leur a accordés. Aussi a-t-il négligé tout cela pour ne parler que des bienfaits dont nous avons été l’objet.
3. Mais ici les hérétiques nous assaillent encore et disent : Voici que le Père ressuscite le Fils. Par l’effet de la maladie dont ils ont été une fois atteints, ils se refusent à entendre les plus sublimes de nos dogmes ; et quand ils rencontrent des expressions humbles et ordinaires, employées soit à cause de la chair, soit pour honorer Dieu, soit dans un autre but, ils les recueillent et les examinent séparément, et se font du tort à eux-mêmes, car je ne saurais Aire qu’ils en font à l’Écriture. Je voudrais bien leur demander pourquoi ils disent cela. Ont-ils l’intention de prouver que le Fils est faible, et qu’il n’a pas la force de ressusciter un seul corps ? Et cependant la foi en lui et même dans les ombres de ceux qui croyaient en lui a fait ressusciter des morts. (Act. 5,15) Quoi, ces hommes qui croyaient en lui, et qui étaient mortels, ont pu rendre des morts à la vie rien que par l’effet de l’ombre que projetaient leurs corps de boue, et par le contact des vêtements qui enveloppaient ces mêmes corps, et lui, n’a pas eu la force de se ressusciter lui-même ? Quelle évidente folie, quel excès de démence ! Ne l’as-tu pas entendu dire : « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours » (Jn. 2,19) ? et une autre fois : « J’ai le pouvoir de déposer mon âme, et j’ai le pouvoir de la reprendre ? » (Jn. 10,18) Pourquoi donc est-il dit que son Père l’a ressuscité ? Pour attribuer au Père les œuvres du Fils, afin d’honorer le Père et de ménager la faiblesse des auditeurs.
« Et tous les frères qui sont avec moi ». Pourquoi n’en fait-il pas mention dans ses autres épîtres ? Ou bien il n’y met que son nom, ou bien il y joint celui de deux ou de trois de ses compagnons. Ici il fait figurer tout un groupe de fidèles, c’est pourquoi il n’en désigne aucun par son nom. Pourquoi donc fait-il cela ? On l’accusait d’être seul à prêcher ce qu’il prêchait, et d’introduire dés nouveautés dans le dogme. Voulant faire tomber ces soupçons, et montrer que ses idées ont beaucoup de partisans, il réunit les frères en un seul groupe, et prouve que ce qu’il écrit, il l’écrit en conformité de sentiment avec eux., « Aux Églises de « Galatie ». Ce n’était pas une seule ville, ni deux, ni – trois, mais toute la nation des Galates qui était consumée par ce fléau de l’erreur. Voyez encore ici une preuve de sa profonde indignation. Il n’a pas dit : A nos bien-aimés, ni à nos saints de Galatie ; mais « Aux Églises de Galatie »..C’était bien là le langage d’un homme dont le cœur est ulcéré, d’un homme qui témoigne son affliction, que de s’adresser à eux sans employer de termes d’amitié ou de politesse, de les désigner seulement par un nom collectif, et de ne pas dire : « Aux Églises de Dieu », mais tout simplement : « Aux Églises de Galatie ». D’ailleurs il est pressé dès le début de les arrêter dans leur tentative de séparation : c’est pour cela qu’il les comprend tous sous ce nom d’Église, afin de les faire rentrer en eux-mêmes et de les réunir en un seul corps. Car ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne sauraient être désignés parce nom-là. Ce nom d’Église est synonyme d’accord et de bonne intelligence.
Que la grâce et la paix vous soient données « par la bonté de Dieu le Père, et par Notre «  Seigneur Jésus-Christ ». Dans toutes ses épîtres, il met cette formule nécessaire, à plus forte raison dans cette épître qu’il adresse aux Galates. C’est parce qu’ils étaient en danger de perdre la grâce, qu’il leur souhaite de pouvoir l’acquérir de nouveau. C’est parce qu’ils s’étaient mis en guerre avec Dieu, qu’il prie Dieu de ramener la paix parmi eux.
« Par la bonté de Dieu le Père ». – Voilà encore qui nous permet de confondre les hérétiques. Ils prétendent que Jean qui a dit au commencement de ses Évangiles : « Et le Verbe était Dieu », a mis le mot Dieu sans article pour marquer que la divinité du Fils était inférieure[2], et ils font : encore observer que Paul, en disant que le Fils avait la forme de Dieu, n’a pas voulu parler du Père, puisqu’il a employé le mot Dieu sans le faire précéder de l’article. Que diront-ils donc maintenant ? Car Paul ne dit pas : Ἀπὸ τοῦ Θεοῦ mais Ἀπὸ Θεοῦ Πατρος. S’il donne à Dieu, dans ce passage, là qualification de Père, ce n’est pas pour flatter les Galates ; loin de là, il les reprend vivement en leur rappelant la cause par laquelle ils sont devenus les fils de Dieu. Cet honneur, ils le doivent non pas à la loi, mais au baptême qui les a régénérés. Aussi partout, même dès le début, répand-il les preuves de la bienfaisance de Dieu. Ses paroles peuvent se traduire ainsi : Vous qui étiez esclaves, ennemis, étrangers, comment se peut-il que vous appeliez tout à coup Dieu votre Père ? Est-ce à la loi que vous devez cette parenté ? Pourquoi donc, laissez-vous celui qui vous a tant rapprochés de Dieu, et courez-vous encore au pédagogue ? non seulement en ce qui concerne le Père, mais aussi en ce qui concerne le Fils, les noms dont on les désigne suffisaient à rappeler aux Galates la bienfaisance dont ils étaient l’objet. Le nom de Jésus-Christ, si nous l’examinons avec soin, retrace à notre esprit tous ses bienfaits. Car Jésus, dit l’Écriture, sera ainsi appelé : « Parce qu’il sauvera lui-même son peuple de ses propres péchés » (Mt. 1,21) ; et le nom du, Christ rappelle l’onction qu’il reçut du Saint-Esprit : « (Et par Notre Seigneur Jésus-Christ) qui s’est donné lui-même pour nos péchés (4) ».
4. Vous voyez que Jésus n’a pas exécuté des ordres avec l’obéissance forcée d’un esclave, et qu’il n’a pas été livré par un autre que par lui. Il s’est donné lui-même : ainsi donc, quand vous entendrez Jean dire, élue le Père a donné son Fils unique pour nous, n’allez pas rabaisser à cause de cela la majesté du Fils unique, rejetez toute comparaison avec ce qui se passe parmi les hommes. Si on dit que le Père l’a donné, on le dit non pour vous faire croire qu’il s’agisse d’une mission imposée à un esclave, mais pour que vous compreniez que cette résolution plaisait aussi au Père, et c’est ce que Paul démontre dans ce même passage quand il dit : « Selon la volonté de Dieu notre-Père ». Il n’a pas dit : « Selon le commandement », mais : « Selon la volonté ». En effet, comme le Père et le Fils n’ont qu’une seule et même volonté, ce que le Fils voulait, le Père le voulait aussi. – « Pour nos péchés ». Nous nous étions, dit-il, plongés nous-mêmes dans une infinité de maux, et nous méritions les plus terribles châtiments. La loi, bien loin dé nous tirer du danger, ne faisait que nous condamner en faisant ressortir nos fautes avec plus d’évidence, elle ne pouvait ni nous délivrer, ni faire cesser la colère de Dieu ; tandis que le Fils de Dieu a rendu possible ce qui était impossible, en effaçant nos péchés, en faisant des amis de ceux qui étaient des ennemis, en nous accordant mille autres faveurs. Puis Paul ajoute « Afin de nous retirer de ce siècle pervers ». Voilà que d’autres hérétiques s’emparent de cette expression, s’en servent pour calomnier la vie d’ici-bas, et s’appuient sur le témoignage de saint Paul. Voyez-vous, disent-ils, il a dit que le siècle présent est pervers. – Et qu’est-ce qu’un siècle, dis-moi ? Un intervalle de temps qui se compose de jours et d’heures. Quoi donc ? Un intervalle de jours est pervers, pervers aussi le cours du soleil ? Mais personne, même l’homme le plus insensé, n’oserait tenir un tel langage. – Mais, dit-on, ce n’est pas le temps lui-même qu’il traite de pervers, c’est la vie d’ici-bas ? – Bien certainement les paroles de Paul n’ont pas ce sens-là, et puis tu ne te renfermes pas dans les paroles mêmes qui servent de texte à ton accusation, mais tu t’y fraies une route pour faire passer ton interprétation. Tu voudras bien m’accorder, à moi aussi, le droit d’interpréter ce passage, d’autant plus que mon explication sera pieuse et raisonnable. Que pourrions-nous donc dire ? que ce qui est mal ne saurait être cause de ce qui est bien ; or, ces couronnes et ces récompenses infinies de la vie future, nous les devrons à la vie d’ici – bas. Et précisément ce bienheureux Paul lui-même fait de cette vie le plus grand éloge quand il dit. « Que si je demeure plus longtemps dans ce corps mortel, « je tirerai du fruit de mon travail ; et ainsi « je ne sais que choisir ». (Phil. 1,22) Ainsi il se propose le choix à lui-même ou de vivre ici-bas, ou de cesser de vivre et d’être avec le Christ ; et il préfère la vie d’ici-bas. Si le siècle était pervers, Paul n’aurait pas dit de lui[3] ce qu’il en a dit, et jamais un homme, quel que fût son zèle, n’aurait pu arriver à la vertu par le moyen d’un tel siècle. Car on ne peut arriver au bien par le mal, à la chasteté par la prostitution, à la bienveillance par la haine. Lorsque Paul, en parlant des pensées qui nous viennent de la chair (Rom. 8,7), dit que la chair n’est pas soumise à la loi de Dieu, et qu’il le ne peut pas l’être, c’est comme s’il disait que le vice, restant ce qu’il est, ne peut être la vertu. Ainsi donc, quand vous entendrez ces mots : « Siècle pervers », songez aux actions mauvaises, aux mauvaises pensées. Ce n’est pas pour nous tuer, pour nous arracher de la vie d’ici-bas que le Christ est venu, ruais il nous laisse au milieu du monde pour nous préparer à devenir dignes de la vie du ciel. C’est pourquoi il disait en s’entretenant avec son Père : « Et pour eux ils sont dans le monde, et moi je vais à vous » (Jn. 17,11) ; et une autre fois : « Je ne vous demande pas de les retrancher du monde, mais je vous demande de les préserver du mal », c’est-à-dire du vice. – Si cette interprétation ne te convient pas, et si tu persistes à dire que la vie d’ici-bas est mauvaise, ne fais pas dès lors de reproches à ceux qui s’en débarrassent. De même qu’on doit à celui qui se retire du vice non le blâme, mais des couronnes ; de même celui qui met fin violemment à ses jours, soit par la corde, soit par tout autre moyen, ne devrait pas être blâmé selon vous. Cependant Dieu châtie ces malheureux plus sévèrement que les homicides, et tous nous les avons en horreur, non sans raison. S’il n’est pas bien de tuer ses semblables, il l’est beaucoup moins encore de se tuer soi-même. Si la vie d’ici-bas était essentiellement mauvaise, il faudrait couronner les meurtriers, parce qu’ils nous débarrassent du mal. Mais sans avoir recours à ces raisonnements, servons-nous de leurs propres paroles pour les confondre. Puisqu’ils prétendent que le soleil est Dieu, et qu’ils en disent autant de la lune à qui ils donnent le second rang, puisqu’ils les adorent comme étant la cause de beaucoup de biens, ils se mettent en contradiction avec eux-mêmes. En effet, ces astres ainsi que les autres ne servent pas à autre chose qu’à notre vie d’ici-bas, cette vie qu’ils prétendent mauvaise ; leurs rayons nourrissent nos corps, les éclairent, et font arriver les fruits à maturité. Comment donc se fait-il que vos dieux s’astreignent à de telles fonctions pour soutenir cette vie mauvaise ? Mais non, les astres ne sont pas des dieux, fi donc ! Ce sont des ouvrages de Dieu, faits par lui pour nos besoins, et le monde n’est pas pervers. Mais, diras-tu, les assassins, les adultères, les violateurs de tombeaux ? – Cela n’a aucun rapport à la vie d’ici-bas. Ces crimes sont le résultat non de la vie de la chair, mais des mauvaises pensées. Car s’ils étaient l’effet de la vie d’ici-bas, s’ils en faisaient fatalement et essentiellement partie, nul n’en serait à l’abri, nul ne serait pur. Remarque donc qu’on ne peut échapper aux besoins qui sont particuliers à la vie de la chair. Or, quels sont ces besoins ? Les voici : il nous faut manger, boire, dormir, grandir, avoir faim, avoir soif, naître et mourir, sans parler des autres nécessités du même genre. Nul ne saurait s’en dispenser, ni pécheur, ni juste,-ni roi, ni simple particulier ; tous nous sommes soumis à la loi de nature. De même si faire le mat était un résultat fatal et naturel de la vie, on ne pourrait pas plus échapper à cette nécessité qu’on n’échappe aux autres. Ne m’objectez par, qu’ils sont rares ceux qui font bien. Car tu ne trouveras jamais que quelqu’un se soit mis au-dessus des nécessités naturelles. Et de la sorte, tant qu’on trouvera un seul homme pratiquant la vertu, mon raisonnement sera inattaquable. Quel est ton langage, ô malheureux l Elle est perverse, cette vie d’ici-bas, dans laquelle nous avons connu Dieu, dans laquelle nous méditons les biens à venir, dans laquelle, devenus anges d’hommes que nous étions, nous nous mêlons au chœur des célestes vertus ? Et quelle autre preuve chercherons-nous que votre opinion est mauvaise et erronée ?
5. Pourquoi donc, objectes-tu, Paul dit-il « Ce siècle pervers ? » Il suit l’usage le plus général. Car nous aussi nous avons coutume de dire : Je ne suis pas content de ma journée, et en parlant ainsi nous critiquons non pas le temps lui-même, chais nos propres actions, ou les circonstances. C’est ainsi que Paul critiquant les mauvaises pensées, s’est servi de cette expression si usitée, et qu’il montre que le Christ nous a délivrés de nos premiers péchés et qu’il nous a garanti la vie future. C’est ce que signifient ces paroles : « Qui s’est donné lui-même pour nos péchés » ; et celles-ci qui viennent après : « Afin de nous retirer de ce siècle pervers », marquent la garantie pour l’avenir. La loi était sans force même pour un seul de ces deux cas, tandis que la grâce est puissante pour tous les deux à la fois.
« Selon la volonté de Dieu notre Père » Comme les Galates croyaient désobéir à Dieu, qui avait donné la loi, et n’osaient abandonner l’Ancien Testament pour le Nouveau, l’apôtre fait aussi tomber cette préoccupation en leur disant que le Père approuvait ces choses. Il n’a pas dit simplement : «, De Dieu le Père », mais : « De Dieu notre père » Il insiste continuellement là-dessus afin de les faire rentrer en eux-mêmes, en leur montrant que le Christ a fait en sorte que celui qui est son Père fût le nôtre. « À qui soit gloire dans tous, les siècles des siècles. Amen ». Voilà encore qui est nouveau chez Paul, et, qui ne lui, est pas habituel. Ce mot « Amen », nous ne le trouvons nulle part au commencement et au début de ses épîtres, trais seulement vers la fin. Cette fois il a adopté cet exorde, parce qu’il veut montrer que ces paroles sont un acte complet d’accusation contre les Galates, et qu’il a dit tout ce qu’il avait à dire. Quand la culpabilité est évidente il n’est pas besoin, pour la confondre, d’un grand attirail de preuves. Il rappelle la croix, et la résurrection, la rémission des péchés, la garantie qui nous a été donnée pour l’avenir, les décrets du Père, les desseins du Fils, la grâce, la paix, tous les biens que nous lui devons, et il termine par des actions de grâces, Et ce n’est pas seulement – pour aboutir à des actions de grâces qu’il a fait cela, c’est aussi pour frapper très-vivement ses auditeurs au spectacle de tant de bienfaits, et devant cette grâce infinie, et pour qu’ils se disent à eux-mêmes : Qu’étions-nous pour que Dieu nous accordât ses faveurs coup sur coup et si promptement ? Ne pouvant les représenter par le langage, il a terminé brusquement par les actions de grâces : non que ses paroles soient à la hauteur de celui qu’il célèbre, mais il glorifie le Seigneur autant qu’il le peut et il appelle ses bénédictions sur toute la terre. C’est pourquoi il met ensuite plus d’âpreté dans son langage, comme si le souvenir des bienfaits de Dieu augmentait l’ardeur de son zèle. Car après avoir dit : « A qui soit gloire dans tous les siècles des siècles. Amen », il reprend avec plus de force en ces termes : « Je m’étonne que vous vous détachiez sitôt de celui qui vous a appelés à la grâce de Jésus-Christ, et que vous passiez ainsi à un autre Évangile (6) ».
Comme ils s’imaginaient plaire, à Dieu en observant la loi, de même que les Juifs en persécutant le Christ, il leur prouve tout d’abord qu’en agissant ainsi ils irritent non seulement le Christ, mais encore son Père. Par votre conduite, leur dit-il, vous vous séparez à la fois et du Christ et du Père. De même que l’Ancien Testament appartient non seulement au Père, mais aussi au Fils ; de même la grâce appartient non seulement au Fils, mais aussi au Père, et tout entre eux est commun « Car tout ce qu’a mon Père est à moi ». (Jn. 16,15) Il leur dit donc qu’ils se sont séparés même du Père, puis il leur adresse deux reproches : pourquoi s’en sont-ils séparés ? pourquoi l’ont-ils fait si vite ? Et certes, s’ils avaient agi autrement, s’ils ne s’en étaient séparés qu’après un long temps, ils mériteraient des reproches : mais ici il s’agit d’une œuvre de séduction. Il mérite le blâme celui qui apostasie après un long temps, mais celui qui succombe au premier choc, et dès les premières escarmouches… Quelle preuve de faiblesse C’est aussi ce qu’il leur reproche, quand il dit : Quoi donc, vos séducteurs n’ont pas même besoin d’attendre, il leur suffit de faire un pas pour vous changer tous entièrement et s’emparer de vous ! Quelle excuse aurez-vous ? Si une pareille conduite à l’égard de ceux qui ont de l’affection pour nous est blâmable, et si celui qui abandonne ses premiers, ses bons amis, mérite d’être condamné, à quel châtiment est exposé, songez-y, celui qui s’esquive quand Dieu l’appelle. Quand Paul dit : « Je m’étonne », il ne parle pas ainsi seulement pour les faire rentrer en eux-mêmes, eux qui, après de tels bienfaits, après un pardon si complet de leurs péchés et une si grande indulgence, sont allés comme des transfuges se soumettre au joug de l’esclavage : il veut encore leur faire savoir quelle grande et quelle bonne opinion il avait d’eux. Car s’il les avait regardés comme des hommes ordinaires et faciles à tromper, il n’aurait pas été surpris de ce qui était arrivé ; mais comme vous êtes de braves gens, dit-il, et que vous avez passé par beaucoup d’épreuves, cela m’étonne de vous. Il suffisait de cette réflexion pour les reconquérir à la foi, et pour les ramener à leurs premières croyances. C’est aussi ce qu’il leur fait comprendre, vers le milieu de son épître, quand il dit : « C’est donc en vain que vous avez subi tant d’épreuves, si toutefois c’est en vain ! »
« Que vous vous détachiez si tôt… » ; il n’a pas dit : « Que vous vous soyez détachés », mais. « Que vous vous détachiez ». C’est comme s’il disait : Je ne crois pas encore, je ne pense pas que la séduction soit consommée. On sent encore ici la préoccupation d’un homme qui veut gagner les cœurs qu’il a perdus. Et cette préoccupation, il la laisse éclater encore plus, quand il dit : « Pour moi j’ai confiance en vous, je suis convaincu que vous n’aurez pas d’autres sentiments ». (Gal. 5,10) « Je m’étonne que vous vous détachiez de Celui qui vous a appelés à la grâce du Christ ». Cet appel, c’est Dieu qui le fait, mais c’est le Fils qui en est cause : c’est lui qui nous a réconciliés avec son Père et qui est l’auteur du bienfait, car nous n’avons pas été sauvés par nos œuvres de justice. Bien plus, les œuvres de l’un sont les œuvres de l’autre, « Car ce qui est à moi est à vous », dit le Christ, « et ce qui est à vous est à moi ». (Jn. XVII 10) Il n’a pas dit : Vous vous détachez de l’Évangile, mais : « De Celui qui vous a appelés, de Dieu ». Il s’est servi des termes les plus propres à effrayer, à frapper les Galates. Ceux qui voulaient les séduire, ne s’y prenaient pas brusquement ; mais peu à peu ils les écartaient du fond des choses, tout en ayant l’air de respecter les noms. C’est ainsi que le diable s’y prend pour nous décevoir, il se garde bien de laisser voir ses pièges. S’ils avaient dit aux Galates : Renier le Christ, ceux-ci auraient pensé qu’ils avaient affaire à des séducteurs dangereux, et se seraient tenus sur leurs gardes. Mais comme ils leur permettaient, en attendant, de demeurer dans la foi, et qu’ils abritaient leur tentative de séduction sous le nom de l’Évangile, ils sapaient en toute sécurité l’édifice de la religion. Les mots dont ils se servaient, servaient à cacher, comme derrière un voile, leur travail souterrain.
6. Comme ils donnaient à leurs fausses doctrines le nom d’Évangile, Paul les attaque sur l’emploi qu’ils faisaient de ce mot, et il le déclare sans détour : « Pour passer à un autre Évangile ; non pas qu’il yen ait un autre… (7) ». Réflexion très-juste, car il n’y en a point d’autre. Cependant il est arrivé que ce passage a produit sur les partisans de Marcion le même effet que des mets sains sur ceux qui sont malades. Marcion s’en est emparé et s’est écrié : Voici que Paul a dit, qu’il n’y a pas un autre Évangile. Ni lui ni ses disciples n’admettent tous les évangélistes : ils n’en reconnaissent qu’un seul, encore l’ont-ils mutilé et bouleversé pour lui faire dire ce qui leur convenait. – Que veut donc dire ce même Paul par ces paroles : « Salon mon Évangile, et « selon la doctrine de Jésus-Christ ? » (Rom. 16,25) De semblables arguments méritent bien qu’on en rie, cependant tout ridicules qu’ils sont, il est nécessaire de les réfuter à cause de ceux qui se laissent duper facilement. Que dirons-nous donc ? Nous dirons que, quand bien même des milliers d’hommes auraient composé des Évangiles, ces nombreux Évangiles n’en formeraient qu’un seul, s’ils contenaient les mêmes choses. La multitude des évangélistes ne saurait empêcher l’unité de l’Évangile. Au contraire, si c’était un seul écrivain qui eût pris la plume mais qui eût écrit des choses contradictoires, son œuvre serait dépourvue d’unité. L’unité ou la non-unité se juge non d’après le nombre des auteurs, mais d’après l’identité ou la diversité des choses. C’est à cela qu’on reconnaît clairement que les quatre Évangiles ne sont qu’un seul Évangile. Puisque tous les quatre disent les mêmes choses, il ne faut pas que la diversité d’auteurs nous y fasse voir une diversité d’Évangiles ; au contraire leur unité doit résulter pour nous de leur concordance. Ici Paul n’a point eu vue le nombre des personnes, mais la diversité des choses. Si l’Évangile de saint Mathieu est autre que celui de saint Luc et pour le sens et pour l’orthodoxie, ils font bien de s’appuyer sur cette parole de Paul mais si ces Évangiles n’en forment qu’un, qu’ils cessent de déraisonner, qu’ils ne feignent plus d’ignorer ce qui est évident même pour des petits enfants. « Mais il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent renverser l’Évangile du Christ ». C’est-à-dire, tant que votre esprit restera sain, tant que votre vue restera nette et ne se troublera pas, tant que vous ne vous imaginerez pas que vous voyez ce qui n’est point, vous ne reconnaîtrez pas d’autre Évangile. Quand nos yeux sont troublés, ils voient autre chose que ce qui existe ; il en est de même de notre esprit, il éprouve les mêmes désordres quand il a été troublé et désorganisé par des raisonnements pernicieux. C’est ainsi que l’imagination des fous prend une chose pour une autre. Mais la folie de l’erreur religieuse est plus dangereuse que celle-là- : elle exerce sa funeste influence non pas dans le domaine des sens, mais dans le domaine de l’esprit ; elle trouble, non pas la prunelle des yeux de notre corps, mais les yeux de notre intelligence. – « Et qui veulent renverser l’Évangile du Christ ». Ces hommes n’imposaient aux Galates qu’une ou deux coutumes nouvelles, la circoncision et l’observation du sabbat ; mais Paul veut montrer qu’une légère atteinte compromet l’ensemble de la foi ; et il dit qu’ils renversent l’Évangile. De même que celui qui, dans une pièce de monnaie rogne quelque chose de l’effigie du prince, lui enlève toute valeur, dé même celui qui détruit seulement une petite partie de la foi orthodoxe, la compromet tout entière, car ce premier changement en amène d’autres de plus en plus pernicieux.
Où sont-ils donc ceux qui nous accusent d’humeur querelleuse, parce que nous ne sommes pas d’accord avec les hérétiques ? Où sont-ils maintenant ceux qui disent qu’entre nos adversaires et nous il n’y a point de différence de doctrine, mais que toute la lutte provient de notre esprit de domination ? Qu’ils écoutent les propres paroles de Paul : d’après lui, celui qui veut introduire le plus mince changement dans l’Évangile, le renverse. Or ce n’est pas un mince changement que celui qui est proposé par nos adversaires. N’est-ce rien, en effet, que de dire avec eux que le Fils de Dieu n’est qu’une créature ? N’as-tu pas appris dans l’Ancien Testament, qu’un homme ayant ramassé du bois un jour de sabbat, fut puni du dernier supplice pour avoir violé un des commandements de Dieu, et certes ce n’était pas le plus important ? et qu’Os. ayant soutenu l’arche qui allait se renverser, mourut sur-le-champ, parce qu’il avait empiété sur des fonctions qui n’étaient pas les siennes ? Quoi ! le fait de n’avoir pas observé le sabbat et d’avoir porté la main sur l’arche qui allait tomber a tellement excité l’indignation de Dieu, qu’il a jugé indignes de tout pardon ceux qui s’en étaient rendus coupables, et celui qui a porté la main sur des dogmes sacrés et redoutables, celui-là pourra se justifier et obtenir son pardon ? Non, non. Et voilà précisément la cause de tous ces maux, notre apathie devant ces innovations si petites qu’elles soient. C’est ainsi que des désordres plus grands se sont glissés à la suite de ceux qui étaient moindres et qu’on n’avait pas réprimés. Et de même que ceux qui négligent les lésions du corps humain y font germer la fièvre, la gangrène et la mort, de même ceux qui négligent de porter remède aux troubles de l’âme quand ils ont encore peu de gravité, sont cause que la désorganisation devient plus profonde. Un tel, dira-t-on, n’a pas observé rigoureusement le jeûne, ce n’est pas grave ; un autre, ferme du reste dans l’orthodoxie, s’est plié aux circonstances et n’a pas dit ce qu’il pensait, cela non plus n’est pas bien grave. Un autre, dans un moment de colère, a menacé de renier la vraie foi, mais il n’y a pas encore là de quoi le punir ; c’est la colère, l’impatience-qui l’ont fait pécher. Et combien d’autres péchés du même genre ne trouverait-on pas qui se glissent dans les églises ? Et voilà ce qui nous attire les railleries des Juifs et des gentils, quand ils voient l’Église partagée en mille et mille sectes. Si tout d’abord ceux qui entreprennent d’échapper aux liens sacrés de la religion, et d’ébranler tant soit peu ses dogmes, recevaient le châtiment qu’ils méritent, la peste qui nous désole aujourd’hui ne se serait pas produite, et les Églises ne seraient pas assaillies par une aussi violente tempête. Voilà pourquoi l’apôtre dit que la circoncision est le renversement de l’Église.
7. Aujourd’hui beaucoup parmi nous jeûnent le même jour que les Juifs, et observent le sabbat comme eux : et nous sommes assez généreux, ou plutôt assez faibles pour tolérer de telles pratiques. Et pourquoi parlé-je des Juifs ? Il y en a même parmi les nôtres qui ont emprunté aux païens, bon nombre de leurs coutumes, qui pratiquent les enchantements, – qui croient aux augures, aux présages, qui observent superstitieusement les jours, qui tirent l’horoscope des enfants, et qui leur mettent sur la tête, pour leur malheur, au moment où ils viennent au monde, ces petits billets où chaque lettre est une impiété, leur enseignant ainsi, dès leur début dans la vie, à reculer devant les épreuves qu’impose la conquête de la vertu, et les remettant, autant que cela dépend d’eux, à l’aveugle tyrannie du destin. Si le Christ ne sert de rien à ceux qui sont circoncis, en quoi la foi pourra-t-elle contribuer au salut de ceux qui seront cause de tant de malheurs ? Cependant la circoncision avait été imposée par Dieu ; mais comme l’observation intempestive de cette pratique contrariait le développement du christianisme, Paul a fait tous ses efforts pour la supprimer. Ensuite, Paul s’est donné tant de mal pour combattre les coutumes des Juifs parce qu’on les observait mal à propos, et nous ne retrancherons rien à celles des gentils ? Quelle excuse aurons-nous à donner ? Aussi notre Église est-elle dans le trouble et dans la confusion, et ceux qui devraient recevoir les enseignements des maîtres de la doctrine, pleins de présomption ont changé les rôles, ont tout bouleversé. Et si parmi leurs supérieurs quelqu’un veut les reprendre un peu, ils les traitent avec le dernier mépris, et nous devons nous en prendre à nous-mêmes qui les avons mal élevés. Cependant, quand même leurs supérieurs seraient plus corrompus qu’ils ne le sont, quand même ils auraient toutes sortes de vices, même dans ce cas il ne devrait pas être permis au disciple de faire fi de leurs avertissements. Si l’on a pu dire des docteurs des Juifs, que par cela même qu’ils étaient assis sur la chaire de Moïse (Mt. 23,2), ils avaient droit à se faire écouter de leurs disciples, quand même leur conduite serait telle qu’on dût recommander à ceux-ci de ne pas la prendre pour modèle, et de ne pas l’imiter, de quel pardon seront-ils dignes ceux qui conspuent et foulent aux pieds les chefs de l’Église dont la vie, grâce à Dieu, est ce qu’elle doit être ? S’il nous est interdit de nous juger les uns les autres, combien plus de juger les maîtres qui nous instruisent.
« Mais quand même je vous annoncerais « moi-même, ou quand un ange du ciel vous annoncerait un Évangile différent de celui « que vous avez reçu, qu’il soit anathème (8) ». Voyez la prudence de l’apôtre. Pour qu’on ne dise pas que c’est par pure vanité qu’il vante les dogmes que lui-même a prêchés, il appelle l’anathème sur sa propre tête. Les Galates se retranchaient derrière les grands noms de Jacques et de Jean voilà pourquoi il parle des anges : Ne m’opposez plus Jacques ni Jean leur dit-il, quand même ce serait un des premiers parmi les anges du ciel qui tenterait de dénaturer ces dogmes, qu’il soit anathème. Et ce n’est point par hasard qu’il a dit « du ciel ». Les prêtres étaient appelés des anges : « Les lèvres du prêtre garderont la science, et l’on cherchera la loi de sa bouche, parce qu’il est un ange du Seigneur tout-puissant ». (Mal. 2,7) Pour qu’on ne croie pas que par ce nom d’anges il désigne ces prêtres, l’apôtre ajoute ces mots « du ciel », en faisant allusion aux puissances d’en haut. Il n’a pas dit : S’ils enseignent le contraire, ou s’ils renversent ma doctrine, mais : Quand même leur Évangile ne différerait qu’à peine du mien, quand même ils ne s’attaqueraient qu’aux parties les moins importantes, qu’ils soient anathèmes.
« Comme je l’ai dit auparavant, et comme je le dis encore (9) ». Afin qu’on ne s’imagine pas que c’est la colère ou l’exagération qui dicte ses paroles, ou qu’il cède à un entraînement passager, il revient sur le même sujet. Celui que là colère emporte parle au risque d’avoir à se repentir bientôt : celui qui revient sur ce qu’il a dit pour y insister encore, montre qu’il a parlé ainsi en connaissance de cause, et qu’il ne s’est décidé à prendre la parole qu’après mûre réflexion. Abraham, à la prière qui lui était faite d’envoyer Lazare parmi les hommes, répondit : « Ils ont Moïse et les prophètes : s’ils ne les écoutent pas, ils n’écouteront pas davantage les morts s’ils ressuscitent ». (Lc. 16,29, 31) Le Christ nous représente Abraham tenant ce langage, pour nous faire comprendre qu’il veut qu’on ait plus de confiance dans les Écritures que dans le témoignage des morts qui ressuscitent. Paul (quand je parle de Paul, je parle aussi du Christ, car c’est lui qui inspirait Paul) met les Écritures au-dessus de la parole des anges mêmes descendus du ciel : et certes il a raison. Les anges, tout grands qu’ils sont, ne sont que les serviteurs et les ministres de Dieu, tandis que les Écritures nous viennent toutes non des serviteurs de Dieu, mais du Maître de l’univers, de Dieu lui-même. Aussi Paul dit-il : Si quelqu’un vous enseigne un Évangile différent de celui que je vous ai enseigné. Et il n’a pas dit : Si un tel ou un tel. Son langage est un modèle d’habileté et de tact. Qu’avait-il besoin ensuite de nommer personne lui qui avait poussé si loin l’hyperbole qu’il avait tout embrassé dans sa menace d’anathème, et le ciel et la terre. En n’épargnant ni les évangélistes ni les anges, il n’exceptait aucune dignité ; en ne s’épargnant pas lui-même, il comprenait tout ce qui pouvait le toucher de plus près. Ne me dites pas : « Tes compagnons d’apostolat, tes amis tiennent ce langage », car je ne demande pas de pitié pour moi, s’il m’arrive d’en faire autant. Si Paul parle ainsi, ce n’est pas qu’il condamne les apôtres, ou que ceux-ci faussent le dogme évangélique, loin de nous une pareille supposition. C’est dans le cas, dit-il, où, soit eux, soit moi, nous prêcherions une telle doctrine. Il veut montrer que l’autorité des personnes n’est rien, quand il s’agit de la vérité.
« Car enfin, est-ce des hommes ou de Dieu que je désire maintenant d’être approuvé ? ou ai-je pour but de plaire aux hommes ? Si je voulais encore plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ (10) ». Si je vous trompais, dit-il, quand je vous tiens ce langage, pourrais-je échapper à ce Dieu qui connaît nos secrètes pensées, et auquel je me suis toujours efforcé de plaire ? Voyez-vous cette fierté de l’apôtre ? Voyez-vous cette sublimité évangélique ? C’est aussi ce qu’il disait aux Corinthiens, quand il leur écrivait : « Nous ne vous présentons pas notre apologie, mais nous vous donnons occasion de vous glorifier à notre sujet » (2Cor. 5,12) ; et une autre fois : « Pour moi, je me mets fort peu, en peine d’être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit ». (1Cor. 4,3) Comme il est obligé lui, le maître, de se justifier devant ses disciples, il se soumet à cette épreuve, et s’en indigne, non par un sot orgueil, loin de là, mais parce qu’elle révèle toute la faiblesse d’esprit de ceux qui s’étaient laissé égarer, et le peu de solidité de leur foi. Voilà pourquoi il leur a adressé ces paroles qui peuvent se traduire ainsi : Est-ce que j’ai affaire à vous ? Est-ce que des hommes vont me soumettre à leurs jugements ? Nous n’avons affaire qu’à Dieu, et nous réglons toutes nos actions en vue du compte que nous aurons à lui rendre là-haut, et nous ne sommes pas tombé si bas que nous songions à corrompre le dogme, nous qui devons un jour avoir à répondre de notre enseignement devant le Maître souverain.
8. C’est ainsi qu’il leur parla, se justifiant en même temps qu’il résistait à leurs prétentions. Car il convenait à des disciples non de juger, mais de croire leur maître. Mais puisque les rôles sont changés ; heur dit-il, et que vous vous êtes établis en tribunal, apprenez que je n’ai pas besoin de parler longuement pour me justifier devant vous, et que toutes mes actions ont Dieu peur but, et que c’est son approbation que je cherche pour la manière dont j’enseigne ses dogmes. Celui qui veut persuader les hommes emploie souvent des moyens détournés, il a recours à la tromperie et au mensonge pour s’emparer de l’esprit de sus auditeurs ; mais celui qui cherche à persuader Dieu et qui s’efforce de lui plaire, doit avoir l’âme simple et pure : on ne peut tromper Pieu. Il est donc bien évident, ajoute-t-il, que nous aussi, quand nous écrivons cela, nous ne sommes poussés ni par le désir de dominer, ni par le désir d’avoir des disciples, ni par le désir de nous faire une réputation parmi vous : ce n’est point aux hommes que nous cherchons à plaire, mais à Dieu. Si je voulais plaire aux hommes, je serais encore Juif, je serais encore un des persécuteurs de l’Église. Puisque j’ai laissé de côté ma nation tout entière, mes proches, mes amis, mes parents, et ma grande réputation, pour m’exposer chaque jour aux persécutions, à la haine, aux inimitiés, à la mort, il est évident que ce que je vous dis maintenant je ne le dis pas pour me rendre célèbre parmi les hommes. Il parle ainsi, parce qu’il va leur raconter sa vie passée et sa brusque conversion, et qu’il va leur montrer par des preuves décisives que cette conversion a été sincère, or il craint qu’ils ne s’imaginent qu’il n’agit ainsi que pour se justifier, et il ne veut pas qu’ils en tirent vanité. Aussi a-t-il ajouté : « Car enfin est-ce des hommes que je désire être approuvé ? » Il sait, selon que l’occasion l’exige, reprendre et corriger ses disciples par de hautes et grandes paroles. Cependant il aurait pu choisir un autre ordre de preuves pour démontrer la pureté de sa doctrine, il aurait pu rappeler ses miracles, ses dangers, ses emprisonnements, la mort qu’il bravait tous les jours, combien de fois il avait enduré la faim et la soif, et sa nudité, et tant d’autres épreuves : ruais comme il était alors question non des faux, mais des vrais apôtres, et que ceux-ci avaient partagé ses périls, il va prendre ses arguments autre part. Quand il combattait les faux apôtres, if se mettait en parallèle avec eux, leur opposait sa fermeté dans les dangers, et disait : « Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? Quand je devrais passer pour imprudent, j’ose dire que je le suis encore plus qu’eux. J’ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups, plus enduré de prisons. Je me suis souvent vu tout près de la mort. (2Cor. 2,23)
Maintenant il rappelle son premier genre de vie, et dit : « Je vous déclare donc, mes frères, que l’Évangile que je vous ai prêché n’a rien de l’homme ; parce que je ne l’ai point reçu ni appris d’aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ. (11, 12) ». Voyez quelle insistance il met à prouver qu’il est le disciple du Christ, que nul homme ne lui a servi d’intermédiaire, ruais que Jésus en personne a daigné lui révéler la science tout entière. Et à ceux qui ne croient pas, quelle preuve pourrais-tu donner que c’est Dieu qui t’a révélé par lui-même, et sans intermédiaire, tous ces mystères ineffables ? – Ma vie passée, répond-i1 : car sans l’intervention, sans la révélation divine ; je ne me serais pas converti si promptement. Un effet ; quand on instruit des hommes d’une opinion contraire et qui ont toute l’ardeur, tout le feu de la conviction, il faut beaucoup de temps et d’habileté pour les persuader. Or, lui qui s’est transformé si subitement, qui est devenu tout.: à coup parfaitement sage à l’instant même où sa folie était à son comble, n’est-il pas évident qu’il doit à la vite et aux enseignements de Dieu lui-même ; d’avoir pu si vite et si pleinement venir à résipiscence ? Voilà pourquoi il se trouve forcé de raconter sa première vie, et pourquoi il les prend à témoin de ce qui s’est passé. Que le fils unique dé Dieu ait daigné m’appeler lui-même du haut des cieux, vous, vous n’en savez rien ; et comment le pourriez-vous savoir, puis que vous n’y étiez pas ? Mais que j’aie été un persécuteur, vous le savez fort bien, et vous n’êtes pas sans avoir entendu parler de la violence que je montrais alors, quoiqu’il y ait loin de la Palestine à la Galatie. Et, ceci prouve encore combien elle était brande et intolérable pour tous, puisque le bruit en a été porté si loin. Aussi dit-il encore : « Car vous avez entendu dire de quelle manière j’ai vécu autrefois dans le judaïsme : avec quel excès de fureur je persécutais l’Église de Dieu et la ravageais (13) ». Vous voyez comme il ne craint pas de tout rapporter et sans ménager ses expressions. Il ne se contentait pas de persécuter, il persécutait avec une violence excessive, et non seulement il persécutait, mais encore il ravageait, c’est-à-dire, il tâchait d’éteindre, de renverser, de détruite, d’effacer l’Église : voilà ce que fait un homme qui ravage. – « Je me signalais dans le judaïsme au-dessus de plusieurs de ma nation et de mon âge, et j’avais un zèle démesuré pour les traditions de mes pères (14) ».
9. Pour qu’on ne croie pas que c’était la colère qui le faisait agir ainsi,-il montre que toute sa conduite était inspirée par le zèle. Et que, s’il n’avait pas la connaissance, il n’était persécuteur ni par amour de la vaine gloire, ni par désir de vengeance, mais « qu’il avait un zèle démesuré pour les traditions de ses pères ». Voici le sens de ses paroles : Si j’ai combattu l’Église, je l’ai fait non comme un homme ordinaire, mais par un zèle divin, ce zèle portait à faux, mais ce n’en était pas moins du zèle. Et aujourd’hui que je cours pour l’Évangile et que je connais la vérité, je n’agirais comme je le fais que par vanité ? Si à l’époque de mes erreurs une telle passion n’avait pas de prise sur moi, si mon zèle pour Dieu m’entraînait seul à ces excès, combien plus, maintenant que je connais la vérité, ne mériterais-je pas d’être à l’abri de ce soupçon ? Dès que j’ai eu embrassé les dogmes de l’Église, je me suis immédiatement dépouillé de tout ce qui pouvait m’attacher au judaïsme, et j’ai montré dès lors encore plus de zèle qu’autrefois, ce qui est la preuve que ma conversion a été sincère et que j’étais plein de zèle pour Dieu. Si cela n’était pas, à quel autre motif, dites-moi, pourrait-on attribuer un tel changement, à quoi attribuer la résolution que j’ai prise alors de quitter les honneurs pour l’injure, l’impunité pour le danger, la sécurité pour la misère ? Non, je n’eus pas d’autre mobile que l’amour de la vérité.
« Mais lorsqu’il a plu à Dieu, qui m’a choisi particulièrement dès le ventre de ma mère, et qui m’a appelé par sa grâce, de révéler son fils en moi, afin que je le prêchasse parmi les nations, je l’ai fait aussitôt, sans prendre conseil de la chair et du sang (15, 16) ». Voyez pourquoi il s’attache à prouver que même au temps de son erreur la Providence exerçait sur lui son action mystérieuse. Si dès le ventre de sa mère il était réservé pour devenir un apôtre et pour être appelé à en remplir les fonctions, et s’il ne fut appelé qu’assez tard, obéissant aussitôt qu’il fut appelé, il est bien évident que Dieu avait quelque dessein secret pour avoir attendu jusque-là. Quel était donc ce dessein ? Sans doute il vous tarde d’apprendre de moi pourquoi Dieu ne l’appela pas au nombre de ses douze apôtres. Mais pour ne point m’écarter du sujet qui me presse, et ne point prolonger cet entretien, je vous en prie au nom de l’affection que vous me portez, ne cherchez pas à tout apprendre de moi, cherchez au contraire en vous-mêmes, et priez Dieu de vous révéler la vérité. Nous vous avons parlé à ce sujet, lorsque nous avons raconté son changement de nom, et pourquoi Dieu l’appela Paul au lieu de Saul. Si vous avez oublié mes paroles, lisez le livre où elles ont été recueillies, et vous saurez tout. En attendant, reprenons la suite du discours, et voyons comment il s’y prend encore pour montrer qu’il n’y avait rien d’ordinaire dans ce qui lui est arrivé, mais que c’était Dieu qui faisait tout, qui réglait tout avec une singulière prévoyance. « Et qui m’a appelé par sa grâce ». Dieu l’a appelé à cause de ses mérites, selon ce qu’il dit à Ananie : « Cet homme est un instrument que j’ai choisi pour porter mon nom devant les gentils et devant les rois ». (Act. 9,15) C’est-à-dire, il est capable de me servir et de faire de grandes choses. Telle est la raison que Dieu donne du choix qu’il a fait de lui ; mais lui-même, en toute circonstance, rapporte tout à la grâce et à l’ineffable bonté de Dieu, et il s’exprime en ces termes : « Mais j’ai reçu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fit éclater son extrême patience, et que j’en devinsse comme a un modèle et un exemple à ceux qui croiront en lui pour acquérir la vie éternelle ». (1Tim. 1,16)
Avez-vous remarqué son extrême humilité ? J’ai reçu miséricorde, dit-il, pour que nul ne désespère, en voyant que le plus méchant des hommes a été l’objet de la clémence divine. C’est ce qu’il veut nous faire entendre par ces mots : « Afin que Jésus-Christ fît éclater en moi son extrême patience, et que j’en devinsse comme un modèle et un exemple à ceux qui croiront en lui. Lorsqu’il lui a plu de me révéler son Fils ». Ailleurs le Christ dit : « Nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils voudra le révéler ». (Lc. 10,22) Vous voyez que le Père révèle le Fils, et que le Fils révèle le Père. Il en est de même pour leur glorification, le Fils glorifie le Père, et le Père glorifie le Fils : « Glorifiez-moi, dit-il, afin que je vous glorifie ». (Jn. 17,1, 4) II a dit une autre fois : c De même « que je vous ai glorifié ». Pourquoi Paul n’a-t-il pas dit : Révéler son Fils à moi, mais « En « moi ? » Il voulait montrer que ce ne sont pas seulement des paroles qui lui ont enseigné les choses de la foi, mais qu’il fut entièrement pénétré par l’Esprit, quand la lumière de la révélation se fit dans son âme ; il voulait montrer aussi que le Christ était en lui et s’entretenait avec lui. « Afin que je prêche son évangile parmi les gentils ». non seulement Dieu lui donna la foi, mais encore il le choisit. Dieu s’est révélé à moi non pas seulement pour que je le visse, mais pour que je le fisse connaître aux autres hommes. Et il n’a pas dit simplement : « Aux autres hommes », mais bien : « Afin que je prêche son évangile parmi les gentils ». C’est ici qu’il commence à toucher le point principal de sa justification, et il le tire de la personne de ses disciples. En effet, il n’était point également obligé de prêcher aux Juifs et aux gentils. « Aussitôt je ne pris conseil ni de la chair, ni du sang ». Ici il fait allusion aux apôtres en les désignant par les attributs de la nature humaine. Que dans ces paroles il ait compris tous les autres hommes, nous ne le nierons pas non plus. « Et je n’allai pas à Jérusalem auprès de ceux qui avaient été faits apôtres avant moi (17) ». A les regarder isolément, ces paroles semblent pleines d’orgueil et bien éloignées de la simplicité apostolique. Ne prendre conseil que de soi-même et ne pas consulter les autres semble être le fait d’un homme inintelligent et orgueilleux. « J’ai vu un homme qui s’estimait sage, mais il faut plus espérer de l’insensé que de lui ». (Prov. 15,12) Et l’Écriture dit encore : « Malheur à ceux qui se croient sages et qui se croient instruits ». (Is. 6,21) Paul lui-même a dit : « Ne soyez pas sages à vos propres yeux ». (Rom. 12,16)
10. Un homme, je ne dis pas du caractère de Paul, mais un homme quelconque pourrait-il après avoir appris et enseigné ces belles maximes de modestie, les violer si ouvertement ? Je le répète, ses expressions, à les considérer toutes seules, peuvent exciter de la surprise chez quelques-uns de ceux qui les écoutent et les mettre dans l’embarras. Mais si nous tenons compte du motif qui les lui dictait, tous nous n’aurons plus pour lui que de l’admiration et des applaudissements. Faisons donc ainsi : il ne faut ni examiner ses paroles toutes seules, car cela nous entraînerait dans bien des erreurs, ni passer à la pierre de touche chacune de ses expressions, il faut au contraire nous rendre compte de la pensée de celui qui écrit. Dans nos entretiens avec les autres hommes, si nous n’agissions pas ainsi, et si nous ne recherchions pas l’intention de celui qui parle, nous nous exposerions à bien des haines, ce ne serait partout que désordre. Et cela n’est pas vrai seulement du langage, mais aussi des actions, car, si pour les apprécier nous ne suivons pas la même règle, tout est complètement bouleversé. Les médecins coupent et brisent quelquefois les os des malades, les brigands font la même chose ; qui cependant serait assez aveugle pour ne pas distinguer le médecin du brigand ? Les assassins et les martyrs éprouvent les mêmes souffrances quand on les met à la torture, mais quelle distance entre eux. Si nous ne suivions pas cette règle, nous ne saurions point faire cette distinction. Nous dirions que Hélie était un assassin, nous en dirions autant de Samuel et de Phinée, et nous accuserions Abraham d’avoir voulu tuer son fils, si nous devions n’examiner que leurs actions toutes seules sans tenir compte de l’intention.
Examinons donc les intentions de Paul quand il écrivait ce passage : voyons quel était son but, quels étaient en un mot ses rapports avec les apôtres, et nous saurons quelle était sa pensée quand il tenait ce langage. Ce n’est ni pour les rabaisser, ni pour se vanter lui-même qu’il parle ainsi, dans ce passage et dans les précédents. Comment l’aurait-il fait, puisqu’il se soumettait à l’anathème tout le premier ? Il n’avait en vue que de sauvegarder en tout et pour tout l’intégrité de l’Évangile. Comme les ennemis de l’Église disaient qu’on devait se conformer aux prescriptions des apôtres qui n’interdisaient pas ces coutumes, plutôt qu’à celles de Paul qui les interdisaient, et comme ils partaient de là pour faire pénétrer petit à petit l’erreur des Juifs parmi les Galates, Paul se voit forcé de leur résister avec fermeté, non pas qu’il voulût médire des apôtres, mais il voulait confondre la sotte présomption de ceux qui se vantaient hors de propos. C’est pour cela qu’il dit : « Je ne pris conseil ni de la chair ni du sang ». C’eût été en effet le comble de la folie d’aller consulter les hommes après avoir reçu ses instructions de Dieu lui-même. Il est naturel que celui qui a été instruit par les hommes, retourne auprès des hommes pour leur demander conseil ; mais lui, qui avait eu l’honneur d’entendre cette voix divine et bienheureuse, qui avait été entièrement instruit par celui-là même qui possède le trésor de la sagesse, quel besoin pourrait-il avoir désormais de consulter les autres hommes ? Il serait juste qu’un tel homme instruisît ses semblables au lieu d’être instruit par eux. Ce n’était donc pas un ridicule orgueil qui le faisait parler ainsi, mais le désir de montrer la haute valeur de sa prédication. « Je n’allai pas, dit-il, auprès de ceux qui avaient été faits apôtres avant moi ». Comme ses adversaires répétaient sur tous lestons que ceux-ci étaient ses anciens, qu’ils avaient été appelés avant lui ; je ne suis pas allé auprès d’eux, répond-il. S’il avait dû se mettre en communication avec eux, celui qui lui avait révélé sa doctrine lui en aurait aussi donné l’ordre.
Pourquoi donc n’alla-t-il pas à Jérusalem ? Et certes il y alla, et ce ne fut pas simplement pour y aller, mais ce fut aussi pour y apprendre quelque chose de la bouche des apôtres. – Quand fit-il ce voyage ? Il le fit à l’époque où l’Église d’Antioche, cette Église qui, dès les premiers jours montra tant de zèle, débattait la question dont nous nous occupons maintenant, la question de savoir s’il fallait astreindre les païens convertis à la pratique de la circoncision, ou s’il ne fallait les soumettre à aucune exigence de cette sorte. C’est alors que ce même Paul, accompagné de Silas, se rendit en personne à Jérusalem. Comment se fait-il donc qu’il dise : Je n’y suis point allé, et je n’ai pris conseil de personne ? c’est d’abord parce qu’il ne fit pas ce voyage de lui-même, mais par délégation : en second lieu, parce qu’il y allait non pour s’instruire ruais pour persuader. Pour lui, dès le commencement, il s’en tint à cette opinion, qui fut après cela sanctionnée par les apôtres, qu’il ne fallait pas exiger la circoncision. Comme en attendant on ne croyait pas devoir s’en rapporter à lui, et qu’on avait les yeux tournés vers ceux de Jérusalem, il se rendit dans cette ville, non pour y apprendre personnellement quelque chose de plus, mais pour convaincre ceux qui étaient d’un avis contraire au sien que les apôtres de Jérusalem étaient d’accord avec lui sur ce point. Dès l’abord il avait jeté une telle vue d’ensemble sur ce qu’il était nécessaire de décider, et il avait si peu besoin d’un maître qui l’instruisit, que ces décisions, prises plus tard par les apôtres après mainte délibération, il les prévit avant toute délibération et les garda en lui-même inébranlablement, grâce à la lumière qui lui était venue d’en haut. C’est aussi ce qu’indiquait saint Luc. quand il disait que Paul s’entretint longuement avec eux sur ce sujet, même avant d’aller à Jérusalem. (Act. 15,2) Comme les chrétiens ses frères croyaient avoir besoin de nouvelles instructions à ce sujet, Paul se rendit à Jérusalem pour eux, non pour lui. S’il dit : Je n’y suis pas allé, c’est pour dire et qu’il n’y est point allé avant d’entreprendre ses prédications, et que, lorsqu’il y est allé, il n’y est pas allé pour s’instruire. Telle est la double signification de ses paroles : « Aussitôt je ne pris conseil ni de la chair ni du sang ». Il ne se contente pas de dire : Je ne pris pas conseil, il ajoute « Aussitôt ». Si donc après cela il est allé à Jérusalem, ce n’a pas été pour ajouter à sa doctrine. « Mais je me transportai en Arabie ». Voyez quelle effervescence de zèle : il entreprend de cultiver les pays qui n’avaient pas encore été cultivés et qui étaient encore à l’état sauvage. S’il était resté avec les apôtres, comme il n’avait plus rien à apprendre, la prédication eût été entravée. Il fallait que partout ils transmissent la parole de Dieu. C’est pourquoi le bienheureux Paul, enflammé par, le Saint-Esprit, entreprit tout d’abord d’instruire les peuples étrangers et barbares, et embrassa une carrière pleine de fatigues et de dangers.
11. Contemplez son humilité : Après avoir dit : « Je me transportai en Arabie », il ajoute « Et je retournai à Damas ». Pas un mot de ses succès, ni du nombre, ni de la qualité de ceux qu’il catéchisa, et pourtant, au moment où il recevait le baptême, il montrait tant de zèle qu’il déconcerta les Juifs, et les remplit d’une si violente colère qu’ils s’unirent aux gentils pour lui tendre des embûches et pour essayer de le tuer : ce qui ne serait pas arrivé, s’il n’avait augmenté le nombre des croyants. Battus par les armés de la prédication, ils ne s’occupèrent plus que de le faire périr, et c’est là la meilleure preuve du triomphe de Paul. Mais le Christ ne permit pas qu’il fût tué, il le conservait pour qu’il prêchât son Évangile. Cependant Paul ne parle nullement de ces succès, De même tout ce qu’il dit, il le dit, non par amour-propre, non pour qu’on le croie supérieur aux apôtres, ni par ressentiment centre ceux qui cherchent à le rabaisser, mais parce qu’il craint que cela ne nuise à l’effet de ses prédications. En effet il se traite lui-même d’avorton, déclare qu’il est le premier parmi les pécheurs, le dernier parmi les apôtres, et qu’il est indigne de porter un si beau titre (1Cor. 15,8, 9 ; 1Tim. 1,15) ; et celui qui s’exprimait ainsi était celui qui avait enduré le plus de peines et de travaux. N’est-ce pas une preuve éclatante de son esprit d’humilité ? Un homme qui a conscience de son peu de mérite et qui en convient humblement, n’est pas un homme modeste, mais un homme qui a du bon sens ; mais celui qui après tant de triomphes tient un tel langage, celui-là sait ce que c’est que la modestie. « Et je revins à Damas », dit-il. Cependant à combien de tribulations ne devait-il pas s’attendre en y retournant ? On raconte que celui qui gouvernait cette ville pour le roi Arétas l’avait entourée de sentinelles afin de prendre le bienheureux Paul dans ses filets : preuve évidente de la haine et de l’acharnement que les Juifs mettaient à le poursuivre. Mais dans la conjoncture présente il ne dit pas un mot de cela, et même au lieu de faire mention de son retour à Damas, il l’aurait tu, si les circonstances ne lui avaient paru exiger ce détail. De même, quand il dit dans ce même passage qu’il alla en Arabie et qu’il en revint, il n’ajoute pas encore le récit des résultats que produisit sa mission.
« Ensuite, après un intervalle de trois ans, j’allais à Jérusalem pour visiter Pierre (18) ». Quoi de plus modeste que cet âne ? Après tant et de si beaux triomphes, sans avoir besoin de Pierre, sans avoir besoin de sa parole, et quoiqu’il fût son égal (pour ne rien dire de plus), il va le voir comme étant son supérieur et son ancien. La cause de sa démarche est seulement le désir de faire visite à Pierre. Voyez-vous comme il rend aux apôtres les honneurs qui leur, ont dus, et que, bien loin de se regarder comme supérieur à eux, il ne se considère même pas comme leur égal ? Cette visite même en est une preuve évidente. Aujourd’hui beaucoup parmi nos frères quittent la ville pour aller rendre visite à de saints personnages ; il en était de même de Paul ; il était poussé par un désir semblable quand il se rendait auprès de Pierre, ou plutôt il y était poussé par une humilité bien plus sincère. Ceux qui vont aujourd’hui consulter les saints, le font pour leur utilité, tandis que le bienheureux Paul en agissant ainsi n’avait en vue ni de s’instruire, ni de s’éclairer, mais seulement devoir Pierre et de lui rendre hommage par sa présence. Car « J’allais visiter Pierre », dit-il. Il n’a pas dit : J’allais voir Pierre, mais : J’allais visiter Pierre ; ce qui se dit des villes grandes célèbres que l’on veut connaître : tant c’était pour lui une chose de grande importance que de jouir seulement de la vue de cet apôtre. Et ses démarches même prouvent avec évidence qu’il pensait ainsi. Quand il vint à Jérusalem, après avoir converti beaucoup de gentils, après avoir fait plus qu’aucun des autres, avoir ramené au bien la Pamphylie, la Lycaonie, la nation des Ciliciens, et tous ceux qui habitaient cette partie de la terre, et les avoir conquis à Jésus-Christ, il se présente d’abord devant Jacques avec une singulière humilité, comme devant un homme plus grand et plus respectable que lui. Ensuite il écoute ses conseils avec déférence, quoiqu’ils fussent en contradiction avec sa conduite présente. « Vous voyez, mon frère », lui dit Jacques « combien de milliers de Juifs ont cru. Mais rasez-vous la tête et purifiez-vous ». (Act. 21,20, 24) Et Paul se rasa la tête, et il se soumit à toutes les pratiques des Juifs. Toutes les fois que les intérêts de l’Évangile n’étaient pas en jeu, c’était le plus humble des hommes ; mais quand on abusait de son humilité pour faire mal, il savait renoncer à une modestie intempestive, car ce n’aurait plus été là être humble, mais gâter et corrompre l’esprit de ses disciples. « Et je restai quinze jours auprès de lui ». Faire ce voyage à cause de Pierre était déjà la marque d’une grande déférence, mais rester pendant tant de jours à ses côtés témoignait d’une amitié ; d’une affection bien vives.
« Je ne vis point d’autres apôtres, si ce n’est Jacques le frère du Seigneur (19) ». Voyez comme il réservait pour Pierre la principale part de son amitié, car c’était à cause de lui qu’il avait fait ce voyage, à cause de lui qu’il était resté. Je ne cesse de revenir là-dessus, et je crois devoir y insister afin que vous n’alliez pas le suspecter quand vous entendrez ce qu’il semble avoir dit contre Pierre. C’est par précaution qu’il donne ici ces détails afin que, lorsqu’il dira : « Je résistai en face à Pierre », on ne croie pas qu’il agissait ainsi par haine ou par esprit de contradiction, lui qui avait pour cet apôtre une estime et une affection singulières, car il le déclare lui-même, il n’alla voir que lui parmi tous les apôtres. « Je ne vis point d’autres apôtres, si ce n’est Jacques ». – « Je le vis », dit-il, je n’appris rien de lui. Mais voyez avec quel respect il le nomme ! Il ne dit point simplement Jacques il ajoute encore l’auguste qualification de frère du Seigneur : tellement il était étranger à tout sentiment de jalousie… S’il l’avait voulu, il aurait pu le désigner d’une autre manière en l’appelant : Fils de Cléophas, comme a fait l’évangéliste. (Jn. 19,25) Loin de là, comme il pensait avoir droit aux mêmes honneurs que les apôtres, il parle avec un grand respect de celui-ci, afin d’augmenter d’autant son propre prestige. II se garda bien de le désigner de la manière que je viens de dire : comment l’appela-t-il donc ? Il l’appela « Le frère du Seigneur ». Et cependant Jacques n’était pas même selon la chair le frère du Seigneur, mais il passait pour tel dans la croyance des hommes : néanmoins cela ne détourna pas Paul de lui donner ce titre glorieux. Dans beaucoup de circonstances il donna aussi d’autres preuves de sa loyauté à l’égard de tous les apôtres, et il le fit comme il devait le faire.
« Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens pas dans tout ce que je vous écris a (20) ». Voyez-vous comme en toutes choses brille du même éclat l’humilité de cette âme sainte ? Il présente sa défense avec autant de chaleur que s’il comparaissait devant un tribunal, et que s’il avait à rendre compte de sa conduite. – « J’allai ensuite dans la Syrie et dans la Cilicie (21) », après avoir vu Pierre. Il revient à son sujet, au point en litige, sans parler de la Judée, et parce qu’il avait mission de prêcher les gentils, et parce qu’il n’aurait pas voulu bâtir sur les fondements que d’autres avaient posés. Aussi ne les alla-t-il pas voir même en passant, et ce qui suit en est la preuve. « Car », dit-il, « les Églises de Judée qui croyaient en Jésus-Christ ne me connaissaient pas de visage. Ils avaient seulement ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait alors de détruire (22, 23) ». Quoi de plus modeste que cette âme ? Lorsqu’il rapportait les événements qui témoignaient le plus contre lui, par exemple ses persécutions contre l’Église, et ses violences, il les exagérait singulièrement et étalait sa conduite passée : mais les faits qui seraient à son éloge, il les passe. Il pouvait, s’il l’eût voulu, raconter tous ses triomphes ; il n’en dit pas un mot, en une parole il franchit cet immense océan et se contente de dire : « J’allai en Syrie et en Cilicie », puis : « Ils avaient seulement ouï dire : Celui qui autrefois nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait alors de détruire », après quoi il n’ajoute plus rien. Dans quelle intention s’exprime-t-il ainsi : « Les Églises de Judée ne me connaissaient pas de visage ? » Afin que vous sachiez bien qu’il était si éloigné de leur prêcher la circoncision, qu’il ne leur était pas connu même de vue. « Et ils rendaient grâces à Dieu de ce qu’il avait fait à mon sujet (24) ». Remarquez encore ici comme il reste fidèle à la règle d’humilité qu’il s’est imposée. Car il n’a pas dit : Ils m’admiraient, ils me louaient, ils étaient étonnés. Non, mais il a montré que tout cela était un effet de la grâce, en disant : « Et ils rendaient grâces à Dieu de ce qu’il avait fait à mon sujet ».


CHAPITRE II. ENSUITE, AU BOUT DE QUATORZE ANS, J’ALLAI A JÉRUSALEM AVEC BARNABÉ, ET JE PRIS AUSSI TITE AVEC MOI. OR, J’Y ALLAI SUIVANT UNE RÉVÉLATION. (1, 2)[modifier]

Analyse.[modifier]

  • 1. Lorsque, quatorze ans plus tard, Paul se rendit de nouveau à Jérusalem pour exposer sa doctrine aux premiers apôtres, ils furent d’accord avec lui que Tite ne devait pas être circoncis.
  • 2. En quoi les faux apôtres différent des véritables. – Pourquoi Paul circoncit Timothée.
  • 3. Paul reconnu pour l’apôtre des gentils. – Prudence admirable de cet apôtre.
  • 4-6. Il reprend publiquement saint Pierre de ses ménagements intempestifs envers les Juifs. – Contre les chrétiens judaïsants.
  • 7 et 8. Conséquences absurdes auxquelles arrivent ceux qui veulent faire exister la loi ancienne avec la Loi de grâce.


1. La première fois qu’il se rendit à Jérusalem, ce fut, dit-il, à cause de Pierre et pour lui faire visite, et la seconde fois, ce fut par suite d’une révélation du Saint-Esprit. « Et j’exposai aux fidèles, et en particulier aux a plus considérables, l’Évangile que je prêche parmi les gentils, afin que mes courses ne a fussent pas ou n’eussent pas été vaines ». Que dis-tu, ô Paul ? Toi qui au début n’as pas voulu prendre conseil, qui ne l’as pas voulu non plus au bout de trois ans, tu t’y décides enfin après quatorze ans écoulés, de crainte que tes courses ne soient vaines ? Combien ne valait-il pas mieux agir ainsi tout d’abord et non pas après tant d’années ? Eh quoi ! tu courais sans avoir la conviction que tes courses ne seraient pas inutiles ? Quel est l’homme assez insensé pour prêcher pendant tant d’années sans savoir si son enseignement est bon ? Et ce qui augmente encore notre embarras, c’est qu’il déclare qu’il a fait ce voyage par suite d’une révélation. Ceci, je le répète, est bien plus extraordinaire que ce qui précède, mais suffit aussi à nous donner la solution de cette difficulté. S’il eût fait ce voyage de sa seule inspiration, cela surtout serait inexplicable, car cette âme bienheureuse n’avait pas coutume de tomber dans de telles contradictions. N’est-ce pas lui-même qui a dit : « Je cours, usais non sans but ; je frappe, mais non dans le vide ». (2Cor. 9,26) Si donc tu sais où tu cours, pourquoi dis-tu : « De peur que mes courses ne fussent ou n’eussent été vaines ? » Voilà qui prouve clairement que s’il était allé à Jérusalem sans y être conduit par une révélation, il aurait agi comme un insensé. Mais sa conduite fut loin d’être aussi absurde. Or, puisqu’il est entraîné par la grâce du Saint-Esprit, qui osera désormais concevoir contre lui un tel soupçon ? Et voilà pourquoi il ajoute ces mots : « Par suite d’une révélation », afin qu’on ne l’accusât pas d’inconséquence, même avant la solution de cette difficulté, quand on saurait que sa démarche ne lui avait pas été inspirée par des motifs humains, mais par la Providence qui voit les événements présents et les événements futurs. Quelle était donc la pause de ce voyage ? Pas plus cette fois que la première, lorsqu’il alla d’Antioche à Jérusalem, il ne le fit pour lui-même. Il savait très-bien qu’il faut suivre purement et simplement les préceptes du Christ, mais il voulait rétablir l’union parmi les dissidents. Ainsi donc il n’avait pas besoin de se renseigner pour savoir si ses courses étaient vaines, il voulait fournir aux opposants une entière garantie. Comme la réputation de Pierre et de Jean était plus grande que celle des autres apôtres, et qu’on les croyait en désaccord avec Paul, qui prêchait sans se préoccuper de la circoncision, tandis qu’eux-mêmes laissaient subsister cette pratique, et qu’on pensait qu’il avait tort d’agir ainsi et que ses courses étaient vaines : « J’allai à Jérusalem », dit-il, « et je leur communiquai l’Évangile que je prêche », non pas pour en apprendre personnellement quelque chose (plus loin il s’explique plus nettement là-dessus), mais pour faire comprendre à ceux qui conservaient des doutes que je n’étais point dans l’erreur. Le Saint-Esprit qui prévoyait ces chicanes, lui inspira l’idée d’aller à Jérusalem et d’y faire connaître ses doctrines. C’est pour cela qu’il dit : « Je m’y rendis par suite d’une révélation », et qu’il prit avec lui Tite et Barnabé comme témoins de son enseignement.
« Et je leur exposai l’Évangile que je prêche aux gentils », c’est-à-dire, que je prêche sans parler de la circoncision, « Et en particulier à ceux qui paraissaient les plus considérables ». Que signifient ces mots « En particulier ? » Quand on veut réformer dés dogmes communs à tous, ce n’est pas en particulier, mais en public qu’on doit le faire. Paul ne fit pas ainsi : c’est qu’il ne voulait rien apprendre, ni rien réformer, mais il voulait détruire le prétexte dont se couvraient ceux qui cherchaient à tromper les fidèles. Comme tous dans Jérusalem se seraient scandalisés si quelqu’un s’était permis de transgresser la loi et d’interdire l’usage de la circoncision, ce qui faisait dire à Jacques : « Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs ont cru : or tous ont ouï dire que vous enseignez à renoncer à la loi ». (Act. 21,20, 21) ; comme tous étaient prêts à se scandaliser, il n’eut pas le courage de passer outre, de parler en toute liberté et de mettre son enseignement au grand jour. Il le communique en particulier aux plus considérables, en présence de Tite et de Barnabé, afin qu’ils pussent tous deux témoigner devant ses adversaires que les apôtres, loin de trouver son enseignement contraire à celui de l’Église, le sanctionnaient tel qu’il était… En se servant de cette expression « A ceux qui paraissaient les plus considérables », il n’a pas l’intention de contester aux apôtres la considération dont ils jouissaient, puisqu’il dit de lui-même : « Moi aussi je parais posséder l’Esprit de Dieu ». Ce langage est celui d’un homme qui mesure ses paroles, et non d’un homme qui conteste la possession d’une qualité. Il en est de même ici. « A ceux qui paraissaient les plus considérables », dit-il, en ajoutant son témoignage à celui de tous les autres fidèles.
« Mais on n’obligea point Tite que j’avais emmené avec moi, et qui était gentil, de se frire circoncire (3) ». Qu’est-ce à dire : « Il était gentil ? » – Il avait été du nombre des gentils, et n’était pas circoncis. Je n’étais pas le seul à prêcher comme je faisais, Tite en taisait autant tout incirconcis qu’il était, et les apôtres ne l’obligèrent point de se faire circoncire. – Ce qui était la meilleure preuve que les apôtres ne condamnaient ni les actes, ni les paroles de Paul. Et ce qui le prouve encore plus, c’est que les adversaires de Paul, quoiqu’ils fussent prévenus de ce qu’il faisait, ne purent malgré tout leur acharnement décider les apôtres à imposer l’usage de la circoncision. Il y fait allusion quand il parle de « Ces faux frères qui s’étaient introduits dans « l’Église (4) ». Quels étaient ces faux frères ? Car dans le moment présent cette question, n’est pas sans importance. Si les apôtres permettaient alors de pratiquer la circoncision, pourquoi traites-tu de faux frères ceux qui se conforment à l’opinion des apôtres en prescrivant l’observation de cette pratique ? D’abord, parce que ce n’est pas la même chose de prescrire de faire, ou de laisser faire. – Car celui qui prescrit, regarde ce qu’il prescrit comme une chose indispensable et de première importance, taudis que celui qui ne prescrit ni n’empêche de faire la chose que l’on veut, la permet non comme indispensable, mais par suite d’une prudente conduite. Par exemple, c’est ce qui avait lieu quand Paul écrivait aux Corinthiens au sujet des devoirs du mariage.
2. Après différents conseils sur cette matière, pour qu’on ne croie pas qu’il veuille ériger en textes de loi ses recommandations aux Corinthiens, il ajoute : « Or, je vous dis ceci par condescendance, et non par commandement ». (1Cor. 7,6) Car il ne s’agissait pas d’un jugement imposé d’autorité, mais d’une conduite indulgente pour leur penchant à l’incontinence. Aussi dit-il : « À cause de votre incontinence ». Si vous voulez connaître l’opinion de Paul à ce sujet, écoutez ces paroles : « Je désire que tous les hommes soient comme moi-même » (1Cor. 7,7), qu’ils vivent dans la chasteté. Il en était de même dans la circonstance présente : si les apôtres permettaient la circoncision, ce n’était pas pour faire observer la loi, mais par condescendance pour la faiblesse juive. S’ils avaient tenu à faire respecter la loi, ils n’auraient pas toléré deux enseignements, l’un pour les Juifs, l’autre pour les gentils. Car si la chose eût été obligatoire pour les infidèles, il est évident qu’elle l’eût été aussi pour tous les fidèles. D’un autre côté, s’ils établissaient comme une loi de ne point troubler, les gentils au sujet de la circoncision, ils montraient qu’ils ne la permettaient aux Juifs que par pure condescendance.
Il n’en était pas ainsi des faux frères, ils visaient à exclure les gentils de la grâce et à les ramener sous le joug de la servitude. C’était là la première différence, et certes elle était considérable. La seconde, c’est que les apôtres ne faisaient cela qu’en Judée, où la loi dominait, tandis que les faux frères le faisaient en tout pays, car ils s’étaient adressés à tous les Galates. D’où il est clair qu’ils agissaient ainsi, non pour édifier, mais pour détruire l’édifice jusqu’aux fondements, et que les intentions des apôtres, quand ils autorisaient la circoncision, n’étaient pas les mêmes que celles des faux frères quand ils s’efforçaient de l’imposer. – « Qui s’étaient introduits dans l’Église pour espionner la liberté que nous avons en Jésus-Christ ». Voyez-vous comme il fait allusion à leur esprit d’hostilité en employant ce mot d’espion ? Car des espions ne s’introduisent parmi leurs adversaires que pour se tenir au courant de ce qu’ils font, et en profiter pour les attaquer et détruire leur puissance. C’est ce que faisaient ces faux frères qui voulaient ramener les fidèles sous le joug de la servitude. Ce qui montre bien qu’au lieu d’avoir les mêmes vues que tes apôtres, ils étaient en complet désaccord à ce sujet. Tandis que ceux-ci permettaient la circoncision pour détacher peu à peu les fidèles de la, servitude, eux ne l’établissaient que pour les enfoncer plus avant dans la servitude. Aussi observaient-ils avec un soin scrupuleux et minutieux quels étaient ceux qui restaient incirconcis : ce que Paul nous fait entendre par ces mots : « Ils s’étaient introduits pour espionner la liberté dont nous jouissons ». Il nous dévoile leurs desseins, non seulement en se servant de ce mot d’espion, mais encore en nous les montrant qui s’introduisent, qui se glissent furtivement dans l’Église.
« Nous n’avons pas cédé à leurs ordres même pour un moment (5) ». Remarquez cette expression noble et significative. Il n’a pas dit : « À leurs observations », mais : « À leurs ordres ». Car ils agissaient ainsi non pour enseigner quelque chose d’utile, mais pour imposer leur volonté et établir la servitude, aussi nous avons bien cédé aux apôtres, mais non pas à ces gens-là. « Afin que la vérité de l’Évangile demeurât votre partage ». C’est-à-dire, afin de corroborer par nos actions ce que nous vous avons déjà dit, à savoir que « Ce qui était de vieux, est passé, et tout est devenu nouveau. » (2Cor. 5,17), et que « Si quelqu’un est en Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature » (Id), et que a Jésus-Christ « ne servira de rien à ceux qui pratiquent la circoncision ». (Gal. 6,15) Pour établir plus fortement ces vérités, nous n’avons pas même cédé un instant. Ensuite comme on ne pouvait manquer de lui objecter la conduite que tenaient les apôtres, et qu’il était tout naturel que quelques-uns lui dissent : Comment se fait-il donc qu’ils prescrivent cet usage ? Voyez avec quelle habileté il détruit cette objection. Il ne dit point la vraie cause, par exemple, que les apôtres agissaient ainsi par condescendance et d’après une vue secrète, autrement il aurait porté tort à ceux qui l’écoutaient. Il faut que ceux qui doivent profiter d’une combinaison secrète en ignorent la cause, car si tout leur était dévoilé, l’avantage qu’ils peuvent en retirer serait entièrement perdu pour eux. Il faut donc que celui qui dirige la combinaison, ait le secret des événements, et que celui qui doit en avoir le profit, ne sache rien. Et pour rendre plus évident ce que je viens d’avancer, je cite un exemple pris au cœur même de notre sujet. Ce même Paul, le bienheureux Paul, qui voulait détruire la circoncision, au moment d’envoyer Timothée pour prêcher les Juifs, ne l’y envoya qu’après l’avoir d’abord fait circoncire. (Act. 16)
Paul prit cette précaution afin que Timothée fût bien reçu fie ses auditeurs, et celui-ci s’introduisit chez les Juifs avec la circoncision, pour abolir l’usage de la circoncision. Timothée, lui, savait bien le motif de cette précaution, mais il n’en dit rien à ses disciples. S’ils avaient su qu’il s’était fait circoncire précisément pour supprimer la circoncision, ils n’auraient pas écouté le premier mot de ses prédications, et tout l’avantage qu’ils devaient retirer de sa mission aurait été perdu, tandis que leur ignorance d’alors leur rendit un signalé service. Car pensant qu’il avait fait cela comme un rigide observateur de la loi, ils l’accueillirent de bon cœur et avec docilité lui et ses enseignements. Après l’avoir accueilli, ils se laissèrent instruire peu à peu et renoncèrent à leurs anciennes coutumes, ce qui ne serait pas arrivé si, dès le commencement, ils avaient su l’objet de sa démarche. Après l’avoir appris, ils se seraient détournés de lui, après s’être détournés de lui, ils ne l’auraient pas écouté, et s’ils ne l’avaient pas écouté, ils seraient restés dans leur ancienne erreur. C’est pour que cela n’eût pas lieu, qu’il leur cacha le motif de sa conduite. Voilà aussi pourquoi Paul, dans la circonstance présente, ne donne point la raison de sa conduite, mais il change de méthode et s’y prend autrement en parlant ainsi : « De ceux qui paraissaient les plus considérables (je ne m’arrête pas à ce qu’ils ont été « autrefois, Dieu n’a point égard à la qualité « des personnes) (6)… » Ici, non seulement il n’excuse pas les apôtres, mais encore il réserve le poids de sa parole pour les saints, afin d’être utile aux faibles. Voici le sens de ses paroles Quand même ceux-ci permettraient la circoncision, ils auraient à en rendre compte eux-mêmes à Dieu. Car Dieu ne les acceptera point parce qu’ils sont grands et qu’ils commandent aux autres. Cependant il ne s’exprime pas aussi clairement, il ménage ses expressions. Il n’a pas dit : Si ceux-ci troublent la prédication et prêchent autrement qu’il ne leur a été prescrit, ils encourront les condamnations les plus terribles et seront châtiés. Il se garde bien de s’exprimer ainsi, et s’il les prend à partie, c’est avec respect, en ces termes : « Quant à ceux qui paraissaient être les plus considérables (je ne m’arrête point à ce qu’ils étaient autrefois)… » Il n’a point dit : « Ce qu’ils sont », mais : « Ce qu’ils étaient », montrant par là qu’eux – mêmes avaient cessé désormais de prêcher dans ce sens, parce que la prédication évangélique avait triomphé partout. « Ce qu’ils étaient », c’est-à-dire, s’ils continuaient de prêcher dans ce sens, ils auraient à en rendre compte. Car ce n’est point devant les hommes, mais devant Dieu qu’ils doivent se justifier.
3. Il parlait ainsi, non pas qu’il eût des doutes, ou qu’il ignorât les intentions des apôtres, mais, comme je l’ai dit plus haut, il croyait utile d’employer cette tactique. Ensuite, afin de ne pas paraître les accuser parce qu’il avait adopté une marche contraire, et de ne pas être suspect d’animosité, il corrige aussitôt son expression et dit : « Ceux qui paraissaient être les plus considérables ne m’ont rien appris de nouveau ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire, ce que vous dites, vous, je l’ignore, mais ce que je sais bien, c’est qu’ils ne m’ont pas fait d’opposition, qu’ils ont été du même sentiment que moi, qu’ils ont été d’accord avec moi. Voilà ce que signifie cette parole : « Ils m’ont donné les mains », ils ne m’ont rien appris, ils n’ont rien corrigé à mon enseignement, ils n’y ont rien ajouté. « Les plus considérables » ne m’ont rien appris de nouveau. C’est-à-dire : ils connaissaient mes doctrines, et ils n’y ont rien ajouté, rien corrigé, et cela sachant que j’étais venu pour communiquer avec eux. J’étais venu suivant la révélation du Saint-Esprit, pour communiquer avec eux, et j’avais Tite avec moi quoiqu’il fût incirconcis ; ils ne me dirent rien de plus que ce que je savais, et n’exigèrent point que Tite se fît circoncire.
« Mais au contraire »… Qu’est-ce que cela, « Au contraire ? » D’après certaines personnes, Paul dit que non seulement il n’apprit rien des apôtres, mais que ce furent les apôtres qui apprirent quelque chose de lui : ce que, pour ma part, je ne saurais admettre. Qu’avaient-ils à apprendre encore de lui ? Chacun d’eux était parfaitement instruit. Ce n’est donc pas là ce qu’il veut dire quand il se sert de cette expression : « Au contraire » : il veut faire entendre que les apôtres, non seulement ne lui firent pas de reproches, mais qu’ils étaient si loin de le blâmer qu’ils lui donnèrent des éloges : car l’éloge est le contraire du blâme. Ensuite, comme il était naturel qu’on lui fit cette objection : S’ils vous donnaient des éloges, comment se fait-il donc qu’ils ne supprimèrent pas la circoncision ? Puisqu’ils vous donnaient des éloges, ils auraient dû la supprimer. De dire qu’ils la condamnaient, il trouvait que c’était trop hardi, et que ce serait se mettre en opposition avec ce dont ils étaient convenus. D’un autre côté, avouer que ce n’était qu’une tolérance, l’exposait nécessairement à une autre objection, et il le voyait bien. S’ils approuvaient votre enseignement, aurait-on pu lui dire, et s’ils toléraient en même temps la pratique de la circoncision, ils étaient en contradiction avec eux-mêmes. – Comment se tirer de là ? Il pouvait bien répondre qu’on faisait cela par condescendance pour la faiblesse juive, mais cet aveu eût compromis entièrement l’œuvre et le but de l’Évangile. Aussi passe-t-il ce – point sous silence, et le laisse-t-il à l’état de doute et comme en suspens, en s’exprimant ainsi : « Quant à ceux qui paraissaient être les plus considérables (je ne m’arrête point à ce que… »). C’est comme s’il disait : Je n’accuse, ni ne critique ces saints ils savent ce qu’ils font, car ils rendront compte à Dieu de leurs actions ; mais ce que je me propose, c’est de prouver qu’ils ne voulaient pas abolir mes doctrines, ni les corriger, ni y ajouter quelque chose comme si elles eussent été incomplètes, et que tout au contraire ils les approuvèrent tous ensemble. Et de cela j’ai pour témoin Tite et Barnabé. Voilà pourquoi il ajoute : « Ayant reconnu que la charge de prêcher l’Évangile de l’incirconcision m’avait été donnée, comme à Pierre celle de prêcher l’Évangile de la circoncision (7)… » Il ne prend pas ces mots circoncision et incirconcision au pied de la lettre, il s’en sert pour faire la distinction des Juifs et des gentils. Puis il ajoute : « Car celui qui a agi efficacement dans Pierre pour, le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre apôtre des gentils (8) ».
De même que par l’incirconcision il désigne les gentils, de même ce sont les Juifs qu’il désigne par la circoncision. Il montre qu’il est l’égal des apôtres, et c’est au premier d’entre eux et non aux autres qu’il se compare, afin de prouver qu’ils étaient tous égaux en dignité. Après avoir fourni cette preuve de leur unité de vues, il parle désormais avec plus d’assurance et de liberté ; et il ne s’en tient plus seulement aux apôtres, il remonte jusqu’au Christ, et rappelle la grâce qu’il en a reçue : il en prend les apôtres à témoin et dit : « Ceux qui paraissaient comme les colonnes de l’Église, Jacques Céphas et Jean ayant reconnu la grâce que j’avais reçue, nous donnèrent la main à Barnabé et à moi pour marque de la société et de l’union qui était entre eux et nous ». Il ne dit pas : « Ayant entendu parler de la grâce que j’avais reçue », mais : « Ayant reconnu », c’est-à-dire, ayant appris par les faits mêmes, « ils nous donnèrent la main à moi et à Barnabé pour marque de là société et de l’union qui était entre eux et nous ». Avez-vous remarqué comme peu à peu il a prouvé que son enseignement était approuvé du Christ et des apôtres ? Car le Christ ne lui aurait pas accordé sa grâce et ne l’aurait pas laissée agir efficacement en lui, s’il n’avait approuvé sa prédication. Quand Paul est obligé de se comparer à quelqu’autre, il ne parle que de Pierre ; quand il doit invoquer un témoignage, c’est celui des trois apôtres réunis, et il a soin de prononcer leur nom avec éloge : « Jacques Céphas et Jean qui paraissaient comme les colonnes de l’Église ». Et d’un autre côté, s’il dit « Qui paraissaient », ce n’est pas qu’il leur refuse cette qualité, mais il s’appuie sur l’opinion générale et dit : Ces grands personnages qui sont élevés au-dessus des autres, et dont on parle partout, peuvent rendre témoignage pour mon enseignement, et prouver qu’il est approuvé du Christ ; ils le savent par les faits, et l’expérience même n’a fait qu’affermir leur conviction. C’est pourquoi ils m’ont donné la main, et non pas seulement à moi, mais aussi à Barnabé, « Afin que nous prêchassions l’Évangile aux gentils et eux aux circoncis (9)».
O l’admirable prudence ! O preuve irréfutable de la bonne harmonie des apôtres entre eux l Paul montre que leur doctrine est sa doctrine, et que sa doctrine est leur doctrine. Des deux côtés on était d’accord pour que ceux-ci prêchassent les Juifs dans ce sens, et pour que lui prêchât les gentils comme il faisait : aussi ajoute-t-il : « Afin que nous prêchassions l’Évangile aux gentils et eux aux circoncis ». Voyez-vous comme ici, en parlant de la circoncision, il ne fait pas allusion à la chose elle-même, mais bien aux Juifs ? Toutes les fois en effet qu’il parle de la chose elle-même et qu’il l’attaque, il place en regard l’incirconcision, comme lorsqu’il dit : « La circoncision vous est utile, si vous accomplissez la loi ; mais si vous la violez, votre circoncision ne devient qu’une incirconcision » ([[Bible_Crampon_1923/Romains|Rom 2,25) ; et ailleurs : « La circoncision n’a pas plus de valeur que l’incirconcision ». ([[Bible_Crampon_1923/Galates|Gal 5,6) Quand c’est aux Juifs qu’il fait allusion et non à cette pratique elle-même, il ne se sert pas du mot incirconcision comme terme contraire, mais du mot de gentils. Car ce sont les Juifs qu’on oppose aux gentils, et la circoncision à l’incirconcision. Par exemple lorsqu’il dit : « Celui qui agit efficacement dans Pierre pour en faire l’apôtre de la circoncision, agit efficacement en moi pour que je sois l’apôtre des gentils », et lorsqu’il disait tout à l’heure : « Nous, pour prêcher l’Évangile aux gentils, eux, pour le prêcher à la circoncision », ce n’était pas à la circoncision même qu’il faisait allusion ; par ce mot il désignait le peuple Juif et l’opposait aux gentils. « Ils nous recommandaient seulement de nous ressouvenir des pauvres : ce que j’ai eu aussi grand soin de faire (10) ».
4. Quel est le sens de ces paroles ? Nous avons fait deux parts du monde pour la prédication : moi je dois prêcher aux gentils, eux ont reçu les Juifs en partage, selon la volonté de Dieu, mais cela ne m’a pas empêché de me joindre à eux pour secourir de mes propres ressources les pauvres d’entre les Juifs. Or s’il y eût eu entre eux et lui guerre et combats, ils n’auraient pas accepté ses secours. Quels sont ces pauvres ? Beaucoup de Juifs qui avaient cru s’étaient vu priver des biens qu’ils possédaient en Palestine, et étaient chassés de partout. C’est ce qu’il fait entendre dans son épître aux Hébreux quand il dit : « Vous avez souffert avec joie les attaques de ceux qui vous ravissaient vos biens » (Héb. 10,34) ; c’est aussi à cela qu’il fait allusion, quand il écrit aux Thessaloniciens pour célébrer leur fermeté : « Vous êtes les imitateurs des Églises de Dieu qui sont en Judée, car vous avez souffert de la part de vos compatriotes les mêmes avanies que celles-ci de la part des Juifs ». (1Thes. 2,14) Il ne cesse de montrer que ceux des gentils qui se convertissaient n’étaient pas si maltraités par les autres gentils demeurés attachés au paganisme, que l’étaient les Juifs convertis par leurs compatriotes qui les persécutaient. Car ce peuple est le plus intraitable qu’il y ait sur la terre. C’est pourquoi Paul fait tous ses efforts pour procurer à ces malheureux la pitié et la sympathie générale, soit qu’il écrive aux Romains, soit qu’il écrive aux Corinthiens. Et non seulement il recueille de l’argent, mais encore il le porte lui-même (1Cor. 16), et dit : « Maintenant je vais à Jérusalem porter aux saints quelques aumônes ». (Rom. 15,25) – Car ils n’avaient pas le nécessaire. Ce qu’il disait en ce moment-là peut se traduire ainsi Alors je songeai à les secourir, j’en pris l’engagement, et je tins parole. Puis, après avoir ainsi prouvé que lui et les apôtres étaient d’accord et avaient les mêmes vues, il se trouve amené forcément à parler de la discussion qu’il eut avec Pierre dans Antioche, et dit : « Quand Pierre vint à Antioche, je lui résistai en face parce qu’il était répréhensible : Car, avant que quelques-uns qui venaient d’avec Jacques fussent arrivés, il mangeait avec les gentils : mais après leur arrivée, il se retira et se sépara d’avec les gentils, ayant peur de blesser les circoncis ».
Beaucoup, après une lecture superficielle de ce passage des Écritures, croient que Paul accuse Pierre de dissimulation : mais cela n’est pas, non cela n’est pas ! Loin de vous une telle pensée ! Nous allons voir que la conduite que Pierre et Paul tinrent alors, cache une singulière habileté, et qu’ils agissaient ainsi pour le profit de ceux qui les écoutaient. Et d’abord il faut parler de la franchise de Pierre et de son esprit primesautier qui l’entraînait toujours à se prononcer avant les autres. C’est à cela qu’il dut son surnom, et à sa foi inflexible, inébranlable. Un jour qu’une question commune était adressée à tous les apôtres, il s’écria avant les autres « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ». (Mt. 16,16) C’est alors que les clefs du ciel lui furent confiées. Et sur la montagne il fut le seul qu’on vit prendre la parole, et lorsque Jésus parlait de la croix, c’est lui qui, pendant que les autres se taisaient, dit au Sauveur : « Ayez pitié de vous-même ». (Mt. 16,22) Si ces paroles n’annonçaient pas beaucoup de jugement, elles témoignaient du moins d’une vive affection. En toute circonstance nous le voyons montrer plus d’ardeur que les autres, et courir avant eux au danger. Quand le Seigneur se montra sur le bord de la mer, il laissa les autres tirer la barque et ne put se résoudre à – rester avec eux. Puis, après la résurrection, au milieu des cris de fureur des Juifs qui voulaient les mettre en pièces, il s’avança le premier, ne craignit pas de prendre la parole et dit : Le crucifié a été enlevé de ce monde et il est dans les cieux. Autre chose est d’ouvrir une porte fermée et de commencer une entreprise, autre chose de se déclarer après coup. Comment accuser de dissimulation celui qui au péril de sa vie avait bravé le ressentiment d’une foule si nombreuse ? Cet homme qui, fouetté et jeté dans les fers, ne perdit rien de la fierté de son langage, et cela au début de sa carrière, au milieu même de Jérusalem, où le danger était si grand, comment aurait-il pu longtemps après, lorsqu’il était à Antioche où il ne courait aucun danger, et où sa réputation s’était si bien établie, appuyée qu’elle était sur le témoignage de ses actions, comment aurait-il pu craindre des Juifs devenus chrétiens ? Lui qui au début, dans Jérusalem même, n’avait pas eu peur des Juifs, comment aurait-il pu si longtemps après, alors qu’il était eu pays étranger, craindre ceux d’entre eux qui s’étaient convertis ? Ce n’est donc pas un acte d’accusation que Paul dresse contre Pierre, mais son langage lui est inspire par la même pensée qui lui avait déjà fait écrire : « Quant à ceux qui paraissaient les plus considérables, je ne m’arrête pas à ce qu’ils ont été autrefois ». Mais, pour ne point rester plus longtemps dans le douté à ce sujet, il est nécessaire de faire connaître la cause du débat.
Dans Jérusalem même, les apôtres, comme je l’ai dit plus haut, toléraient la circoncision, car il n’était pas possible d’arracher brusquement les Juifs au joug de la loi. Mais, lorsqu’ils entrèrent à Antioche, ils n’observèrent plus de semblables pratiques, et vécurent au contraire sans distinction aucune avec les gentils devenus fidèles : cure Pierre aussi faisait alors. Mais quand vinrent de Jérusalem ceux qui l’avaient vu prêcher chez eux, dans le sens de la circoncision, Pierre cessa de se mêler aux gentils, parce qu’il craignait de les effrayer, et il se sépara de ses compagnons. Il avait deux choses en vue ; c’était de ne pas scandaliser les Juifs convertis, et de fournir à Paul un prétexte plausible pour l’en blâmer. Si en effet, après avoir, dans Jérusalem, prêché l’Évangile de la circoncision, il avait changé de doctrine quand il était à Antioche, les Juifs convertis auraient pensé qu’il agissait, ainsi par crainte de Paul, et ses disciples l’auraient méprisé pour sa versatilité, ce qui n’aurait pas été un mince scandale. Cependant Paul, qui savait fort bien à quoi s’en tenir, n’aurait pas ou de pareils soupçons sur son compte, en le voyant revenir sur ce qu’il avait fait, car il connaissait les intentions de Pierre. Aussi Paul adresse-t-il des reproches à Pierre, qui les supporte patiemment, afin que ses disciples soient plus prompts à suivre son changement en voyant leur maître subir ces reproches sans répondre. Sans un événement de ce genre, les recommandations de. Paul n’aurait pas eu beaucoup de résultats, tandis qu’en profitant de l’occasion pour éclater en critiques très-vives, il intimidait davantage les disciples de Pierre. Si d’un autre côté Pierre avait répondu, on lui aurait reproché, et à bon droit, d’arrêter le développement de l’Évangile, tandis que dans la circonstance présente, les reproches de l’un et le silence de l’autre faisaient une profonde impression sur les Juifs convertis. Voilà pourquoi Paul se montre si acerbe à l’égard de Pierre.
5. Voyez quelle précision dans son langage, et comme il donne à comprendre aux hommes intelligents qu’il parla de la sorte, non par esprit de lutte, mais par une politique prudente. « Lorsque Pierre vint à Antioche », dit-il, « je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible ». Il ne dit pas que c’était là son opinion, mais que c’était celle des autres. Si pour sa part il l’avait trouvé répréhensible, il n’aurait pas manqué de le dire nettement. Quand il dit : « Je lui résistai en face », ce n’est là qu’une figure. Car si t’eût été une lutte véritable, ils ne l’auraient pas engagée devant leurs disciples, qui en auraient été singulièrement scandalisés. Mais cette fois une lutte apparente et publique devait amener de bons résultats. Et de même que Pierre avait cédé aux Juifs convertis, quand il était à Jérusalem, de même ceux-ci devaient céder à leur tour maintenant qu’ils étaient à Antioche. En quoi Pierre était-il donc répréhensible ? « Car, avant que quelques-uns qui venaient d’avec Jacques[4] fussent arrivés, il mangeait avec les gentils ; mais après leur arrivée il se retira et se sépara d’avec les gentils, ayant peur de blesser les circoncis (12) ». Il ne redoutait pas le danger, car lui, qui n’en avait pas eu peur au commencement, devait le redouter beaucoup moins encore à cette époque, mais il craignait de voir ses disciples renoncer au christianisme. C’est aussi ce que Paul lui-même dit aux Galates : « Je crains pour vous que je n’aie pris une peine inutile » (Gal. 4,11} ; et ailleurs : « Mais j’appréhende qu’ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi « ne se corrompent ». (2Cor. 11,3) La crainte de la mort n’était rien pour eux, mais ce qui troublait surtout leur âme, c’était la crainte de perdre leurs disciples.
« De sorte que Barnabé même se laissa aller, lui aussi, à user de cette dissimulation (13) ». Ne vous étonnez pas s’il appelle cela de la dissimulation ; il ne veut pas, comme je l’ai déjà dit, dévoiler le fond de sa pensée, afin de redresser les Juifs convertis. Comme ils étaient encore singulièrement attachés à la loi, il traite de dissimulation la conduite de Pierre, et lui en fait de vifs reproches, afin de briser complètement les liens qui les maintenaient sous le joug de la loi. Pierre entend cela et feint de se trouver en faute, pour que les reproches qu’il s’attire servent à redresser les autres. Si Paul avait adressé ses réprimandes aux Juifs convertis, ils en auraient été indignés et en auraient fait fi ; car ils ne le tenaient pas en très-grande estime. Tandis qu’en voyant leur maître garder le silence devant les reproches de Paul, ils n’étaient plus en droit de résister aux injonctions de cet apôtre et de les dédaigner.
« Mais quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit, suivant la vérité de l’Évangile (14) »… Que cette expression ne vous trouble pas non plus : il ne dit pas cela pour condamner Pierre, mais s’il se servait d’une expression aussi énergique, c’est que cela était utile, et que, ceux qui l’écoutaient devaient faire leur profit des reproches adressés à Pierre, et en prendre occasion pour devenir meilleurs… « Je dis à Pierre devant tous ». Voyez-vous quelle leçon pour les autres ? II prononce ces mots : « Devant tous. », afin d’effrayer ceux qui l’entendent. Qu’as-tu à répondre, dis-moi ? « Si toi, qui es Juif, tu vis à la façon des gentils, et non à la façon des Juifs, de quel droit obliges-tu les gentils à judaïser ? » Et cependant ce n’étaient pas les gentils qui s’étaient réunis avec lui, mais les Juifs. Pourquoi donc, ô Paul, reprocher ce qui n’est pas arrivé ? pourquoi ne pas parler des Juifs qui usaient de dissimulation, mais des gentils ? pourquoi vous en prendre au seul Pierre, quoique les autres eussent imité sa dissimulation ? Voyons ce qu’il lui reproche : « Si toi, qui es Juif, tu vis à la façon des gentils, et non à la façon des Juifs, de quel droit forces-tu les gentils à judaïser ? » Et cependant Pierre se retirait, tout seul et sans entraîner avec lui les gentils convertis. Où Paul veut-il donc en venir ? À empêcher qu’on ne soupçonne le but de ses reproches. S’il avait dit : Tu as tort d’observer la loi, les Juifs convertis l’auraient blâmé et auraient trouvé qu’il parlait avec arrogance à leur maître. Mais s’il se plaint de Pierre, c’est pour défendre et justifier ses propres disciples, je parle des gentils, et c’est par ce moyen qu’il fait accepter ses paroles. Et ce n’est pas seulement par ce moyen, mais encore, c’est en écartant le reproche de tous les disciples, Juifs ou gentils, pour le reporter tout entier sur Pierre. « Toi », dit-il, « qui es Juif, tu vis à la manière des gentils, et non à la manière des Juifs ». N’est-ce pas à peu près comme s’il disait franchement : Imitez votre maître, puisqu’il vit à la manière des gentils, tout Juif qu’il est ? Il se garde bien toutefois de parler ainsi : car les disciples Juifs auraient rejeté ses paroles ; mais, en feignant de reprocher à Pierre sa conduite à l’égard des gentils, il dévoile la vraie pensée de cet apôtre. D’un autre côté s’il avait dit : Pourquoi contrains-tu les Juifs à judaïser ? son insistance aurait déplu. Tandis qu’en paraissant se préoccuper seulement des gentils et non des Juifs, il amène ceux-ci à de meilleurs sentiments. Car le meilleur moyen de faire accepter la critique, c’est d’en écarter ce qui peut indisposer celui à qui elle s’adresse. Les gentils ne pouvaient faire un crime à Paul de son intervention en faveur des disciples Juifs. Pierre fit réussir entièrement cette combinaison par son silence et par sa résignation à accepter le reproche de dissimulation, ce qui lui permettait de cacher aux Juifs la vraie dissimulation dont il était convenu avec Paul.
D’abord Paul ne s’adresse qu’à la personne de Pierre : « Si toi qui es Juif… » – plus loin il donne plus de latitude à sa parole, se met lui-même en cause et s’exprime ainsi : « Nous qui sommes Juifs par notre naissance, et non du nombre des gentils qui sont des pécheurs (15) ». Ces paroles sont une exhortation à laquelle l’apôtre a ajouté un mot de blâme par ménagement pour les Juifs.
6. Il s’agit de cette manière dans une autre circonstance où il a l’air de parler d’une manière tandis qu’il prépare autre chose ; comme lorsqu’il dit dans son épître aux Romains : « Maintenant je vais à Jérusalem pour me mettre au service des saints ». (Rom. 15,25) Son intention n’était pas de leur dire ni de leur apprendre simplement pourquoi il se rendait à Jérusalem ; mais il voulait les exciter à se montrer eux aussi charitables. Car s’il n’avait voulu que leur faire connaître le motif de son voyage, il lui suffisait de dire : « Je vais me mettre au service des saints ». Voyez maintenant quels détails il y ajoute : « Car les Églises de Macédoine et d’Achaïe ont résolu avec beaucoup d’affection, de faire quelque part de leurs biens à ceux d’entre les saints de Jérusalem qui sont pauvres. Ils s’y sont portés d’eux-mêmes, et en effet ils leur sont redevables ». (Rom. 15,26,27) Et il ajoute : « Car si les gentils ont participé aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi leur faire part de leurs biens temporels ». (Id)
Voyez donc comme il s’y prend pour rabaisser l’orgueil des Juifs usant d’une voie détournée pour arriver à son but, et comme il parle avec autorité : « Nous qui sommes Juifs par notre naissance, et non du nombre des gentils qui sont des pécheurs ». Que signifient ces mots : « Juifs de naissance ? » – Nous ne sommes pas des prosélytes, veut-il dire, mais dès l’enfance nous avons été nourris de la loi, et nous avons renoncé à ses principes sucés avec le lait pour nous réfugier dans la foi du Christ. « Sachant que l’homme n’est point justifié par les œuvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ, nous avons cru nous aussi en Jésus-Christ (16) ». Voyez comme il dit tout et sans rien compromettre. Si nous avons laissé la loi, dit-il, ce n’est pas qu’elle fût mauvaise, mais c’est qu’elle était insuffisante. Si donc la loi ne donne pas les moyens de se justifier, la pratique de la circoncision est superflue. Il s’en tient là d’abord, puis à mesure qu’il avance il montre quelle est non seulement superflue, mais encore dangereuse. Il faut bien observer comment il fait entendre cela dès le début quand il dit : « L’homme n’est point justifié par les œuvres de la loi ». Plus loin encore il parle avec plus de force : « Que si, cherchant à être justifiés par Jésus-Christ, il se trouvait que nous fussions nous-mêmes des pécheurs, Jésus-Christ serait donc ministre du péché (17) ». Si la foi en Jésus-Christ, dit-il, ne peut pas nous justifier, il faut nécessairement en revenir à la loi. Car si, après l’avoir abandonnée pour Jésus-Christ, nous trouvons dans ce fait notre condamnation au lieu de notre justification, il se rencontrera que c’est Jésus qui est l’auteur de notre condamnation, Jésus pour lequel nous nous sommes faits les transfuges de la loi. Voyez-vous avec quelle puissance de logique il nous force de reconnaître l’extrême absurdité de cette supposition ? S’il ne fallait pas abandonner la loi et que nous l’ayons abandonnée à cause de Jésus, comment serons-nous jugés ? – Pourquoi donc, ô Paul, adresses-tu ces paroles et ces remontrances à Pierre, lui qui savait à quoi s’en tenir là-dessus mieux que tous les autres ? Dieu ne lui avait-il pas montré qu’on ne doit tenir aucun compte de la circoncision quand il s’agit d’hommes étrangers à cette pratique ? N’est-ce pas en se tenant à ce point de vue qu’il a résisté victorieusement à l’argumentation des Juifs ? n’a-t-il pas, à ce sujet, promulgué de Jérusalem les prescriptions les plus claires ?
Non, non, ce n’est pas pour redresser Pierre qu’il lui parle ainsi ; c’est bien à lui qu’il s’adresse, il le fallait, mais c’étaient ses disciples qu’il cherchait à réfuter. Son argumentation ne frappe pas seulement les Galates, mais encore ceux qui souffrent du même mal. Et aujourd’hui ceux qui ne se font pas circoncire, mais jeûnent cependant et observent le sabbat en même temps que les Juifs, ceux-là font comme eux, et s’excluent eux-mêmes de la grâce. Car si Jésus ne sert de rien à ceux qui pratiquent seulement la circoncision, voyez quel danger, et comme ce danger s’aggrave avec le temps, si à cette pratique on ajoute l’observance du jeûne et du sabbat, si l’on s’astreint à suivre deux prescriptions au lieu d’une. Ce danger s’aggrave avec le temps en effet, ces hommes agissaient ainsi au commencement, quand leur cité était encore debout, ainsi que leur temple, et tout le reste. Mais aujourd’hui, ceux qui les imitent et qui voient de leurs yeux le châtiment infligé aux Juifs, qui voient la destruction de leur ville, et qui cependant observent la plupart de leurs pratiques, quelle excuse auront-ils, eux qui se conforment aux prescriptions de la loi, quand ceux-là mêmes qui sont Juifs, ne peuvent s’y conformer malgré toute leur bonne volonté ? Tu t’es revêtu du Christ, tu es devenu un des membres du Maître, tu es inscrit parmi les habitants de la cité divine, et tu rampes encore autour de la loi ? Et comment pourras-tu obtenir ta part du royaume céleste ? Écoute Paul disant, qu’observer la loi c’est renverser l’Évangile. Et, si tu le veux, apprends comment cela doit avoir lieu, tremble et fuis l’abîme ouvert sous tes pas. Pourquoi observes-tu le sabbat, et jeûnes-tu en même temps que les Juifs ? Sans doute parce que tu crains la loi, et que tu crains aussi de renoncer à ses formules écrites. Tu n’hésiterais pas à laisser la loi de côté, si tu ne regardais la foi comme sans force, et impuissante à nous sauver toute seule. Si tu trembles à l’idée de ne pas observer le sabbat, c’est que tu crains la loi comme si elle avait encore aujourd’hui la même autorité. Eh bien, si la loi est encore nécessaire, ce n’est pas une partie, ce n’est pas une seule, ce sont toutes ses prescriptions qu’il faut observer, et si on les observe toutes, on n’est plus justifié par la foi. Si tu observes le sabbat, pourquoi ne te fais-tu pas circoncire ? Et si tu te soumets à la circoncision, pourquoi ne pas faire de sacrifices sanglants ? à observer la loi, il faut l’observer tout entière ; et s’il n’est pas indispensable de l’observer tout entière, il n’est pas nécessaire non plus de l’observer en partie. Si tu crains d’avoir à rendre compte de ta conduite, parce que tu n’auras pas observé une partie de la loi, combien plus dois-tu craindre si tu ne l’observes pas dans tous ses détails ! Si l’on n’est pas puni pour la transgresser entièrement, on le sera bien moins pour ne la transgresser qu’en partie, et si l’on est puni pour la violer en partie, on le sera bien davantage pour la violer tout entière. D’un autre côté, s’il est nécessaire d’observer, il est nécessaire aussi ; ou que nous cessions d’écouter le Christ, ou, si nous écoutons le Christ, que nous transgressions la loi. Si l’on doit rester fidèle à la loi, ceux qui ne lui sont pas fidèles la transgressent, et il se trouvera que l’auteur de cette désobéissance est Jésus-Christ, car il a détruit lui-même la loi en ce qui concerne ces pratiques, et a de plus donné ordre aux autres d’en faire autant.
7. Voyez-vous où en arrivent ceux qui se soumettent aux pratiques des Juifs ? Jésus-Christ, qui devrait être l’auteur de leur justification, devient ainsi l’auteur de leur péché, comme nous le fait entendre Paul quand il dit : « Jésus-Christ serait donc ministre du péché ». Ensuite, après avoir poussé ce raisonnement jusqu’à l’absurde, et n’ayant pas besoin d’une nouvelle argumentation pour rétablir la vérité, il se contente de dire : « Ce qu’à Dieu ne plaise ! » Car, coutre les choses par trop absurdes et révoltantes, il n’est pas besoin de faire effort de logique, une simple exclamation de dégoût suffit. « Car, si je rétablissais de nouveau ce que j’ai détruit, je me ferais voir moi-même prévaricateur (18) ». Voyez l’habileté de Paul. Ses adversaires voulaient prouver que celui qui n’observe pas la loi, la transgresse, et lui, retournant leurs arguments contre eux, prouve que celui qui observe la loi renonce non seulement à la foi, mais encore à la loi elle-même. En disant : « Si je rétablissais de nouveau ce que j’ai détruit », il fait allusion à la loi. Le sens de ses paroles, le voici : La loi a cessé d’exister, et nous l’avons reconnu nous-mêmes par l’abandon que nous avons fait de quelques-unes de ses pratiques, et en recourant à la foi pour nous sauver. Si donc nous nous efforçons de la rétablir, nous sommes infidèles par cela seul que nous voulons observer des pratiques abolies par Dieu lui-même. Ensuite il montre comment s’est opérée – leur abolition. « Car pour moi je suis mort à la loi de par la « loi (19) » Il y a deux choses à considérer dans cette expression : ou bien Paul parle de la loi de grâce, terme qui lui est habituel, comme dans ce passage : « La loi de l’Esprit de vie m’a rendu la liberté » (Rom. 8,2), ou bien ici il pense à l’ancienne loi, et démontre que c’est par un effet de cette loi même qu’il est, mort à la loi. C’est-à-dire : c’est la loi elle-même qui m’a induit à ne plus lui rester attaché. Si donc j’allais lui redevenir fidèle, je lui serais infidèle par cela même. Comment et de quelle manière ? – Voici la réponse de Moïse : « Le Seigneur votre Dieu suscitera un prophète d u milieu de vos frères, et vous l’écouterez comme moi-même » (Deut. 18,15) il parlait de Jésus-Christ. Ainsi donc ceux qui ne lui obéissent pas, transgressent la loi. Il nous faut encore examiner sous un autre point de vue cette expression : « Je suis mort à la loi de par la loi ». La loi ordonne de faire tout ce qui est écrit dans le livre où elle est contenue, et elle frappe d’un châtiment celui qui y manque. Nous sommes donc tous morts pour elle, nous qui ne l’avons pas exactement pratiquée. Et voyez avec quelle réserve il se met ici en lutte avec elle : il n’a pas dit : « La loi est morte pour-moi », mais : « Je suis mort pour elle ». Voici ce qu’il veut dire : si celui qui est mort ne peut se conformer aux prescriptions de la loi, il en est de même de moi qui suis mort par suite de la malédiction de la loi : malédiction qui entraîne la mort pour celui qui en est l’objet. Qu’elle ne s’impose donc plus à un mort dont elle-même a prononcé la condamnation, le frappant ainsi non seulement dans son corps niais aussi dans son âme, dont la mort amène aussi celle du corps. Tel est le sens de ses paroles, et la suite le prouve avec évidence ; « Afin dune plus vivre que pour Dieu, j’ai été crucifié avec Jésus-Christ ». Il avait d’abord dit : « Je suis mort », et, afin qu’on ne lui ré pondît pas : « Comment se fait-il que tu vives ? » il fait intervenir celui qui est la cause de la vie, et il montre que la loi l’avait fait mourir, lui plein de vie, mais que Jésus l’avait pris et, quoique mort, et à cause même de sa mort, l’avait rendu à la vie : nous faisant ainsi assister à un double miracle, à la résurrection d’un mort, résurrection produite par la mort de celui qui ressuscite. Ici il appelle vie la mort ; car tel est le sens de ces paroles : « Et afin de ne plus vivre que pour Dieu, j’ai été crucifié avec Jésus-Christ ». Comment, dira quelqu’un, peut-il avoir été crucifié et vivre et respirer ensuite ? Que Jésus ait été crucifié, cela ne fait pas de doute ; mais toi, comment se peut-il que tu aies été crucifié et que tu vives encore ?
Examinez donc l’explication qu’il donne : « Et je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi (23) ». Par ces mots : « J’ai été crucifié avec le Christ », il fait allusion au baptême, et par ceux-ci : « Ce n’est plus moi qui vis », il fait allusion à cette nouvelle doctrine, dont la conséquence est la mortification de la chair. Et ces mots : « Mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi », que signifient-ils ? – Je ne fais rien, dit-il, qui soit contraire à la volonté du Christ. De même qu’en parlant de la mort, il ne pense pas à la mort ordinaire, mais à la mort qui résulte du péché, de même quand il parle de la vie, il pense à la vie de l’âme délivrée du : péché. Vivre pour Dieu, ce n’est as autre chose que d’être mort pour le péché. À l’exemple du Christ qui s’est soumis à la mort physique, je suis mort pour le péché : « Faites donc mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous, la fornication, l’impureté, l’adultère » (Col. 3,5) ; et ailleurs : « Notre vieil homme a été crucifié » (Rom. 6,6), ce qui a lieu au moment du baptême. Après cela, si tu restes mort pour le péché, ta vis pour Dieu, mais si tu retournes au péché, tu corromps cette vie dont tu jouissais. Paul se gardait bien d’agir ainsi, et il ne cessait de rester mort pour la loi. Si donc je vis pour Dieu, dit-il, et que cette vie soit autre que celle de la loi, je suis mort pour la loi, et ne puis plus rester fidèle à la loi.
8. Voyez quelle perfection de vie, et admirez par-dessus toute chose cette âme bienheureuse : il n’a pas dit : « Je vis », mais : « C’est Jésus-Christ qui vit en moi ». Qui peut-être assez hardi pour parler de la sorte ? Car après s’être montré fidèle et docile au Christ ; après s’être débarrassé de toutes les attaches du monde, et avoir toujours agi conformément à ses divines volontés, il ne dit pas : « Je vis pour le Christ », mais ce qui est bien plus fort : « C’est Jésus-Christ qui vit en moi ». De même que le péché, quand il est le maître, vit seul en nous, et fait de notre âme ce qu’il veut, de même s’il vient à mourir en nous et que nous fassions la volonté du Christ, c’est celui-ci qui vit en nous, c’est-à-dire, qui agit, qui domine en nous. Comme après avoir dit : « J’ai été crucifié », et : « Je ne vis plus, mais je suis mort », il semblait à beaucoup dire des choses incroyables, il ajouta : « Et si je vis maintenant dans ce corps mortel, j’y vis en la foi du Fils de Dieu ». Mes paroles, dit-il, ont trait à la vie de l’intelligence, mais si on examinait aussi cette vie des sens, on verrait qu’elle aussi je la dois à ma foi en Jésus-Christ. Car, autant, que cela dépendait de l’ancienne doctrine et de la loi, j’étais digne du dernier supplice, et depuis longtemps tout à fait perdu : « Parce que tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu ». (Rom. 3,23) Nous étions donc tous sous le coup d’une condamnation, quand Jésus est venu nous mettre en liberté : nous étions tous morts, sinon en, fait, du moins, suivant l’arrêt porté par la loi, et c’est au moment où nous nous attendions à être frappés qu’il nous a délivrés. La loi nous accusait, Dieu prononçait la sentence fatale, quand Jésus vint, qui se livra à la mort et nous arracha tous à son empire. Aussi a-t-il raison de dire : « Si je vis maintenant dans ce corps mortel, je vis dans la foi ». Sans l’intervention de Jésus, rien ne pouvait prévenir la ruine universelle : on aurait vu se renouveler les scènes du déluge. Mais la présence du Christ retint la colère de Dieu, et il nous a rendu la vie en nous faisant croire en lui, Pour vous convaincre que tel était bien le sens de ses paroles, écoutez ce qu’il dit immédiatement après ; car après ces mots : « Si je vis maintenant dans ce corps mortel, je vis dans la foi », il ajoute : « Dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même à la mort pour moi ».
Que fais-tu, ô Paul, tu t’appropries ce qui est notre héritage commun, tu ramènes à toi seul ce qui a eu lieu en faveur de la terre entière ? Car il n’a pas dit : « De Jésus qui nous aime », mais : « De Jésus qui m’a aimé ». L’évangéliste a dit : « Tellement Dieu a aimé le monde » (Jn. 3,16), et toi-même quand tu dis : « Lui qui a livré son propre Fils, et ne l’a pas épargné » (Rom. 8,32), tu sais bien que ce n’est point pour toi seul, mais pour tous, puisque tu fais remarquer ailleurs : « Qu’il agissait ainsi pour se faire un peuple particulièrement consacré à son service ». (Tit. 2,14) Pourquoi donc s’exprime-t-il ainsi dans ce passage ? C’est qu’il s’était représenté la déplorable condition de la nature humaine, l’ineffable bienveillance du Christ, et de quel abîme de maux il nous avait retirés, et de quels bienfaits il nous avait comblés, et que la vivacité de son émotion avait dû se reproduire dans son langage. Les prophètes aussi se sont en quelque sorte approprié plusieurs fois ce Dieu qui se donne également à tous, eux qui ont dit : « O Dieu, mon Dieu, dès le matin je m’éveille en songeant à toi ». (Ps. 62,1) Sans parler de cela, il nous prouve que chacun de nous doit être aussi reconnaissant envers le Christ, que s’il était venu pour lui seul. Même s’il se fût agi d’un seul homme, il n’aurait pas fait difficulté de se montrer aussi généreux, car il a pour chacun des hommes autant d’amour que pour la terre entière. Son sacrifice s’est accompli au profit de toute la nature, et il était assez efficace pour nous sauver tous, mais ceux-là seuls en ont le bénéfice qui croient en lui. Cependant il ne se laissa pas détourner de sa résolution par l’idée que tous ne viendraient pas à lui. De même que dans le festin de la parabole, qui avait été préparé pour tous, le Père de famille ne retira pas les mets qu’il avait fait servir parce que les invités n’avaient pas voulu venir, mais en invita d’autres, ainsi a fait Jésus-Christ. La brebis séparée des quatre-vingt-dix-neuf, était seule, et cependant il ne négligea pas de se mettre à sa recherche. C’est précisément à cela que Paul, dissertant sur le judaïsme, fait allusion : « Car enfin, si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru, leur infidélité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu ? Non certes. Dieu est véritable, et tout homme est menteur ». (Rom. 3,3) Ainsi Jésus t’a tellement aimé, ô homme, qu’il s’est livré lui-même, et qu’il t’a conduit, quand tu n’avais aucun espoir de salut, au sein d’une vie si glorieuse et si belle, et toi, après de tels bienfaits, tu retournes à tes anciennes erreurs ?
Après avoir scrupuleusement employé tous les ressorts du raisonnement, il proclame désormais sa décision avec véhémence et dit « Je ne veux point rendre la grâce de Dieu inutile (21) ». Qu’ils écoutent donc ceux qui maintenant judaïsent et restent attachés à la loi. C’est à eux que cela s’adresse : « Car si la justification s’acquiert parla loi, Jésus-Christ sera donc mort en vain ». Quel péché plus grave pouvons-nous commettre ? Quoi de plus fort et de plus persuasif que ces paroles ? Si Jésus-Christ est mort, évidemment c’est parce que la loi était impuissante à nous justifier, et si la loi justifie, la mort de Jésus a été inutile. Et comment serait-il permis de supposer et de dire, qu’un événement si grand et si terrible, si fort au-dessus de l’intelligence humaine, qu’un mystère aussi ineffable, que les patriarches ont désiré avec tant d’impatience, que les prophètes ont annoncé, dont la vue faisait trembler les anges, que ce sacrifice regardé par le monde entier comme le comble de la miséricorde divine, se soit accompli inutilement et en pure perte ? C’est donc en réfléchissant à cette monstrueuse et absurde conséquence qu’un tel, qu’un si grand événement a pu avoir lieu en vain (car cela résultait de la conduite même que tenaient les Galates), c’est alors qu’il emploie à leur égard de dures paroles et qu’il dit :

CHAPITRE III.[modifier]

O GALATES INSENSÉS, QUI VOUS A ENSORCELÉS, VOUS A QUI ON A MIS DEVANT LES YEUX JÉSUS-CHRIST CRUCIFIÉ.

Analyse.[modifier]

  • 1. Que l’apôtre laisse éclater enfin son indignation qu’il avait jusqu’ici contenue.
  • 2. Ne pas finir par la chair après avoir commencé par l’esprit.
  • 3. C’est par la foi qu’Abraham et ses vrais enfants sont justifiés. – La loi ne justifie pas : le juste vit de la foi.
  • 4. C’est par la foi que les promesses faites à Abraham seront accomplies.
  • 5. Que le Fils est vrai Dieu. – Contre les Anoméens. – Tous un eu Jésus-Christ.


1. Dès lors il passe à un autre ordre d’idées. D’abord il avait prouvé qu’il n’était apôtre ni par les hommes, ni de la part des hommes, et qu’il n’avait pas eu besoin des enseignements des autres apôtres : puis, après avoir bien établi qu’il était lui aussi digne d’enseigner, il s’exprime avec une assurance encore plus grande, compare et discute la foi et la loi. Au début il dit : « Je m’étonne que vous ayez changé si promptement » (Gal. 1,6), et maintenant il s’écrie : « O Galates insensés ! » C’est qu’alors l’indignation couvait chez lui, mais après s’être justifié, il la laisse éclater, une fois ses preuves données. S’il traite les Galates d’insensés, ne vous en étonnez pas, car en agissant ainsi il ne viole pas la loi de Jésus-Christ qui défend de traiter son frère de fou, il l’observe avec soin au contraire. Car il n’a pas été dit purement et simplement : « Celui qui appelle son frère fou », mais bien : « Celui qui sans nécessité appelle son frère « fou ». (Mt. 5,22) Or, qui, plus que les Galates, méritait cette épithète, eux qui après tant et de si grands miracles, restaient attachés à l’ancienne loi, comme si de rien n’était ? Si pour cela vous regardez Paul comme un insulteur, vous traiterez Pierre d’homicide pour ce qui est arrivé à Saphire et à Ananie. Si c’est être absurde que de parler ainsi, ce serait l’être encore bien plus que d’en dire autant de Paul. Examinez, je vous prie, comme il se garde bien de montrer cette âpreté dans son exorde. Il ne le fait qu’après avoir donné ses preuves et ses arguments, et quand le reproche qui les frappe vient non pas directement de lui, mais des preuves mêmes. Car c’est après leur avoir démontré qu’ils repoussaient la foi, et qu’ils rendaient inutile le sacrifice que Jésus-Christ avait fait de sa vie, c’est alors qu’il fait intervenir les reproches, et encore pas autant qu’ils le méritaient, car ils méritaient certes de s’entendre traiter bien plus durement. Mais voyez comme il adoucit aussitôt le coup qu’il a porté. Il n’a pas dit : Qui vous a trompés ? qui vous a abusés ? qui a troublé votre jugement ? Mais : « Qui vous a fascinés ? » Parole de blâme qui emporte en même temps une idée d’éloge, car elle montre que leur conduite antérieure était digne d’envie, et que la perte de leur bonheur était le fait du démon, qui avait déchaîné la tempête sur la sérénité de leurs âmes. Quand vous entendez ici parler de l’envie, et dans l’Évangile « De l’œil mauvais » (expressions synonymes), (Mt. 6,23), n’allez pas croire que le regard ait la propriété de nuire, car l’œil, considéré comme un organe de notre corps, ne saurait être mauvais. Mais le Christ se sert de cette expression pour désigner l’envie. Les yeux ont seulement la faculté de voir, mais le regard mauvais n’appartient qu’à la pensée dépravée qui est en nous. Comme c’est par le sens de la vue que les objets que nous regardons laissent leur empreinte dans notre âme, et que le plus souvent la richesse engendre l’envie, et que la richesse se voit par le ministère des yeux, et, qu’il en est de même de la puissance et du brillant entourage de la puissance, il disait que celui-là avait l’œil mauvais qui, non seulement regardait, mais encore regardait avec envie par suite d’une disposition mauvaise de son âme. En disant : « Quel envieux vous a « fascinés ? » il fait entendre que ceux qui ont ainsi agi n’avaient en vue ni de pourvoir à leurs intérêts, ni de compléter leur bonheur, mais voulaient au contraire le diminuer et le gâter. Car le propre de l’envie est non pas d’ajouter à ce qui manque, mais de soustraire une partie de ce qui est complet, et de gâter le tout. Il dit cela, non pour faire croire que l’envie puisse agir par elle-même, mais pour leur faire comprendre que ceux qui leur ont donné de, tels enseignements étaient poussés par l’envie. « Après que je vous ai fait voir « Jésus-Christ crucifié devant vous ». Mais il a été crucifié à Jérusalem et non dans le pays des Galates. Pourquoi donc dit-il : « Crucifié devant vous ? » Il montre la puissance de la foi qui est capable de voir même ce qui se passe au loin. Et il ne dit pas : « Qui a été crucifié », mais : « Qui a été mis sous vos a yeux crucifié », indiquant ainsi que les yeux de la foi sont de plus fidèles témoins que ceux des quelques hommes qui étaient présents à la mise en croix du Sauveur, et qui avaient vu ce spectacle. Car bon nombre d’entre eux n’en avaient retiré aucun profit, tandis que les, premiers qui n’avaient pas vu avec les yeux du corps avaient cependant mieux vu par les yeux de la foi. Ce langage contient à la fois le blâme et l’éloge : l’éloge, parce qu’ils avaient accepté avec une foi complète tout ce qui leur avait été répété à ce sujet ; le blâme, parce que, après avoir vu, mieux que les assistants, Jésus mis à nu, étendu et cloué sur la croix, sali de crachats, bafoué, forcé de boire du vinaigre, insulté par des malfaiteurs, percé d’un coup de lance (et ce spectacle, il le leur peignait par ces mots : « Que je vous ai fait voir crucifié devant vous »), ils l’avaient abandonné pour retourner à la loi, sans rougir au souvenir des souffrances qu’il avait endurées. D’un autre, côté, remarquez comment lorsqu’il publie la puissance de Jésus, Paul laisse de côté le ciel et la terre, et la mer et le reste, pour ne parler que de la croix, de cette croix le signe le plus éclatant de l’amour de Dieu pour nous.
« Je ne veux savoir de vous qu’une seule chose. Est-ce par les œuvres de la loi que vous avez reçu le Saint-Esprit, ou par l’audition de la foi. (2) ? » Puisque vous ne prêtez point votre attention à de longs discours, dit-il, et que vous ne voulez pas voir la grandeur de l’œuvre de Jésus, je veux, maintenant que je vous vois descendus au plus bas degré de l’ingratitude, vous persuader en peu de mots et par la démonstration la plus rapide. Plus haut il répétait dans ce but les observations qu’il avait fait entendre à Pierre, maintenant, il s’adresse directement à eux, et fait servir à son argumentation non ce qui s’est passé ailleurs, mais ce qui s’est passé chez eux, et non pas seulement les bienfaits dont ils avaient profité tous ensemble, mais encore ceux qu’ils avaient reçus chacun en particulier. Voilà sur quoi il s’appuie pour les persuader. Et c’est pour cela qu’il dit : « Je ne veux savoir de vous qu’une seule chose. Est-ce par les œuvres de la loi que vous avez reçu le Saint-Esprit, ou par l’audition de la foi ? » Vous avez reçu le Saint-Esprit, dit-il, vous avez fait de grandes choses, vous avez opéré des miracles en ressuscitant des morts, en guérissant des lépreux, en prophétisant, en parlant toutes les langues : sans doute vous teniez cette puissance de la loi ? Mais elle n’avait jamais rien produit de semblable auparavant. Vous la teniez donc de la foi ?
2. Eh bien, n’est-ce pas le comble de la démence que d’abandonner la foi après qu’elle a opéré en vous de tels prodiges, et de vous enfuir comme des transfuges auprès de cette loi qui n’a pu rien faire de pareil ? – « Êtes-vous si insensés qu’après avoir commencé par l’esprit vous finissiez maintenant par la chair (3) ? » Il emploie de nouveau les paroles amères et avec le même à propos. Au lieu d’augmenter, comme vous le deviez, ce précieux trésor avec le temps, non seulement, leur dit-il, vous ne l’avez pas fait, mais encore vous êtes-revenus sur vos pas. Ceux qui commencent avec peu, savent augmenter leur richesse avec le temps, tandis que vous qui avez commencé avec des trésors, vous arrivez au résultat contraire. Si vous n’aviez d’abord obtenu que les biens de la chair, vous auriez dû vous élever vers les biens de l’esprit maintenant, après avoir commence par les biens de l’esprit, vous les perdez pour vous en tenir à ceux de la chair, car faire des miracles provient de l’Esprit, et la circoncision ne concerne que la chair. Vous, après avoir fait des miracles, vous recherchez la circoncision ; après avoir possédé la réalité, vous revenez aux figures ; après avoir aperçu la lumière du soleil, vous recherchez celle de la lampe ; après avoir vécu d’aliments solides, vous recourez au lait. Et il n’a pas dit : « Vous finissez par la chair », mais : « Vous finissez ensuite par la chair », montrant qu’après s’être emparés d’eux comme de bêtes brutes ces faux apôtres, auxquels ils s’étaient livrés pour souffrir toutes leurs volontés, les mutilaient à leur gré. Ce serait comme si un général ou un homme distingué pour son courage venait après des milliers de trophées et de victoires, s’offrir pour partager le déshonneur des déserteurs, et soumettre son corps aux marques infamantes qu’on voudrait y graver.
« Est-ce donc en vain que vous avez tant souffert ? Si toutefois c’est en vain (4) ». Cet argument devait avoir bien plus d’effet que les précédents. Car la simple mention des miracles opérés ne pouvait pas produire autant d’effet que le récit des luttes qu’ils avaient soutenues, des souffrances qu’ils avaient endurées pour Jésus-Christ. Après que vous avez souffert toutes ces épreuves, les faux apôtres veulent vous en faire perdre le fruit et vous ravir la couronne que vous avez méritée. Ensuite, pour ne pas bouleverser leur âme, et pour soulager leur inquiétude, il n’insiste pas sur l’arrêt qu’il vient de prononcer, et ajoute : « Si toutefois c’est en vain ». Si vous voulez, dit-il, revenir à résipiscence et reprendre possession de vous-mêmes, ce, ne sera pas en vain. Où sont-ils maintenant ceux qui nient les effets du repentir ? Voilà des hommes qui avaient reçu le Saint-Esprit, qui avaient fait des miracles, avaient confessé le Christ, et supporté pour lui mille dangers et mille persécutions, et qui après tant de prodiges s’étaient laissé priver de la grâce. Cependant, leur dit-il, si vous le voulu, vous pouvez reprendre possession de vous-mêmes.
« Celui donc qui vous communique son Esprit, et qui fait des miracles parmi vous, le fait-il par les œuvres de la loi ou par la foi que vous avez ouï prêcher (5) ? » Ces dons abondants dont vous avez été comblés, tous ces prodiges que vous avez accomplis, en êtes-vous redevables à la loi ou bien à la foi ? – A la foi, évidemment. Comme les faux apôtres s’étaient ingéniés à leur faire croire que la foi n’a point de puissance, si la loi ne se joint à elle, il prouve au contraire qu’en s’adjoignant les prescriptions de la loi, la foi n’aura plus aucune efficacité ; la foi a précisément toute son efficacité lorsqu’elle est pure de tout mélange avec la loi : « Vous qui voulez être justifiés parla loi, vous êtes déchus de la grâce ». (Gal. 5,4) Mais cette parole il ne la prononce que plus tard, quand il s’exprime plus librement, et qu’il s’appuie sur les résultats qu’il a déjà produits, pour en obtenir de nouveaux : jusque-là il ne prend pour texte de ses observations que les événements passés. Car, leur dit-il, quand vous vous montriez fidèles non à la loi, mais à la foi, alors vous receviez le Saint-Esprit et vous faisiez des miracles. Ensuite, comme il était question de la Loi, il mettait en avant un argument qui était une arme excellente, et faisait intervenir Abraham avec beaucoup d’à-propos et une grande autorité, et disait : « Selon qu’il est écrit d’Abraham : qu’il crut ce que Dieu lui : avait dit, et que sa foi lui fut imputée à justice (6) ».
Les prodiges opérés par vous, dit-il, montrent bien la puissance de la foi, mais, si vous le voulez ; je vous la démontrerai aussi d’après les anciens textes. Comme on leur avait souvent parlé de ce patriarche, il le fait intervenir dans le débat, et montre que lui aussi a opéré, sa justification par la fui. S’il a pu être justifié avant la grâce qui résulte de la foi, (il est vrai qu’il était riche en bonnes œuvres), combien cela vous est-il plus facile à vous ! Quel dommage a-t-il éprouvé pour n’avoir pas vécu sous la foi ! Aucun, mais sa foi a suffi pour le justifier. Car la loi n’existait pas alors, dit-il, et elle n’existe pas plus aujourd’hui qu’elle n’existait alors. Pour démontrer l’inefficacité de la loi, il présente Abraham justifié avant l’établissement de la loi, et il gagne à cela de n’avoir pas à se défendre contre cette objection. S’il est vrai que la loi n’avait pas encore été donnée alors, et qu’elle ne le fut que depuis, il est vrai aussi que son règne a cessé maintenant. Voyant qu’ils étaient fiers d’appartenir à la postérité d’Abraham, et qu’ils craignaient, en abandonnant la loi, de lui devenir étrangers, Paul se sert de cet argument pour les ramener à des sentiments tout contraires, il met fin à leurs craintes, et montre que la foi est le meilleur moyen de se rapprocher de lui. Et cela il l’avait déjà prouvé avec beaucoup d’évidence dans son épître aux Romains (Rom. 4,3) ; il revient à la même démonstration dans l’épître de ce jour et avec autant de force : « Sachez donc », dit-il, « que ceux qui sont enfants de la foi sont les vrais enfants d’Abraham (7) ». Cette assertion même il l’appuie sur le témoignage de l’Ancien Testament : « Aussi Dieu dans l’Écriture prévoyant qu’il justifierait les nations parla foi, l’a annoncé par avance comme une bonne nouvelle à Abraham, en lui disant : Toutes les nations de la terre seront bénies en vous (8) ». Si donc ceux qui lui sont attachés par les liens de la parenté physique, ne sont pas en réalité ses enfants, et si ce privilège appartient à ceux qui imitent sa foi (tel est en effet le sens de ces mots, « Toutes les nations de la terre seront bénies en vous) », il est évident que les nations entrent par la foi dans la postérité d’Abraham.
3. Cette argumentation le conduit à un autre résultat très-important. Comme ils se troublaient en songeant que la loi était plus ancienne, que la foi était venue après elle, il dissipe encore ces craintes, en leur faisant voir, par l’exemple d’Abraham, que la foi est plus vieille que la loi, puisque ce patriarche a été justifié avant que celle-ci n’ait été établie. Il montre que ce qui arrive maintenant est conforme aux prophéties : « Car Dieu dans l’Écriture, prévoyant qu’il justifierait les nations par la foi, l’a annoncée par avance comme une bonne nouvelle à Abraham ». Quel est le sens de ces paroles ? Celui-là même, dit-il, qui a donné la loi, avait décidé, avant même de la donner, que les nations se justifieraient parla foi. Et l’Écriture n’a pas dit : « L’annonça par avance », mais « L’annonça par avance comme une bonne nouvelle », afin de nous faire comprendre que le patriarche se réjouissait de ce moyen de justification, et qu’il en désirait l’avènement. Comme ils étaient obsédés par une autre crainte (car il était écrit : « Maudit soit quiconque ne demeure pas dans les préceptes de cette loi et ne les accomplit pas dans ses œuvres) » (Deut. 27,26) ; il les rassure encore et fait servir simplement et habilement ce passage à leur prouver le contraire, en leur démontrant qu’ils sont bénis au lieu d’être maudits pour avoir abandonné la loi, tandis que ceux qui l’observent toujours ne sont pas bénis, mais maudits. Les faux apôtres prétendaient que celui qui n’observe pas la loi est maudit, et lui, prouve que celui qui l’observe est maudit, que celui qui ne l’observe pas est béni. Les faux apôtres prétendaient encore que celui qui s’en tient uniquement à la foi est maudit ; lui, prouve que celui qui s’en tient uniquement à la foi est béni. Comment donc vient-il à bout de prouver tout cela ? Car il ne faut pas supposer que nous avancions cela à la légère. Pour vous en convaincre, écoutez avec soin ce qui va suivre.
Cette preuve, il l’avait déjà donnée auparavant quand il avait fait remarquer que l’Écriture avait dit au patriarche : « Toutes les nations de la terre seront bénies en vous ». Alors ce n’était pas la loi, mais la foi qui agissait ; aussi poursuit-il son raisonnement en disant : « Ceux qui s’appuient sur la foi sont donc bénis avec le fidèle Abraham (9) ». Afin qu’on ne retourne pas cet argument contre lui et qu’on ne lui dise pas : Il était naturel qu’il fût justifié par la foi, puisque la loi n’existait pas encore ; montre-nous la foi justifiant après que la loi a été établie, il va doit de ce côté, et prouve plus qu’on ne lui demande, en faisant voir que non seulement la foi justifiait, mais que la loi était une cause de malédiction pour ceux qui l’observaient. Et pour vous bien pénétrer de ce que j’avance, écoutez les propres paroles de l’apôtre : « Au lieu que tous ceux qui s’appuient sur les œuvres de la loi sont dans la malédiction (10) ». Mais ce n’est là qu’une affirmation, ce n’est pas encore une preuve. Vous demandez la preuve ? La loi elle-même nous la fournit : « Maudit soit quiconque ne demeure pas dans les préceptes de cette loi et ne les accomplit pas dans ses œuvres. Et il est clair que nul par la loi n’est justifié devant Dieu (11) ». Car tous ont péché, et tous sont sous le coup de la malédiction. Mais il ne s’exprime pas en ces termes, pour ne pas paraître se contenter d’une simple affirmation, il a de nouveau recours au témoignage de l’Écriture qui, en peu de mots, porte une double conclusion, à savoir que nul n’a strictement observé la loi (ce qui entraîne comme conséquence la malédiction), et que la foi a le pouvoir de justifier. Ce témoignage où le prend-il ? Chez le prophète Habacuc, qui a dit : « Le juste vivra de la foi ». (Hab. 2,4) Ce passage montre non seulement que la foi a le pouvoir de justifier, mais encore que la loi n’a pas le pouvoir de sauver. Nul, dit Paul, n’avait observé la loi, et tous par cela même étaient sous le coup de la malédiction, c’est alors que la foi vint nous offrir un moyen facile d’échapper au sort qui nous menaçait : et c’est là une preuve considérable que la loi était impuissante à nous fournir des moyens de justification. Car le prophète n’a pas dit : Le juste vivra de la loi, mais bien : « Vivra de la foi ».
« Or, la loi ne s’appuie point sur la foi ; au contraire elle dit : Celui qui observera ces préceptes y trouvera la vie (12) ». La loi, dit-il, n’exige pas seulement la foi, mais aussi les œuvres, tandis que la grâce résultant de la foi sauve et justifie. Avez-vous remarqué comme il a prouvé que ceux qui s’attachent à la loi se trouvent, par l’impossibilité où ils sont de l’observer exactement, sous le coup de la malédiction ? Comment se fait-il que la foi ait cette puissance de justifier ? C’est ce qu’il a expliqué auparavant, et en s’appuyant sur des considérations très-fortes. Comme la loi ne pouvait fournir à l’homme les moyens de se justifier, la foi vint nous offrir un remède singulièrement efficace en rendant possible ce qui par l’effet de la loi ne l’était pas. Si donc l’Écriture dit que « Le juste vivra de la foi », dénonçant ainsi l’insuffisance de la loi pour ce qui concerne le salut, et si Abraham a pu se justifier par la foi, il est évident que l’efficacité de la foi est grande. Il est clair aussi que celui qui ne sort pas de la loi est maudit, et que celui qui s’attache à la fui est justifié. Mais, dira-t-on, comment pourras-tu nous prouver que la malédiction ne subsiste plus ? – Abraham vivait avant la loi, mais nous qui avons été ses, esclaves, qui avons vécu sous son joug, nous avons à lui rendre compte de notre conduite et nous méritons d’être frappés de la, malédiction. Quel est donc celui qui nous a soustrait à ce danger ? – Voyez comme il s’empresse de répondre à cette observation ; et sa réponse est décisive. Celui qui a été une fois justifié, qui est mort à la loi, qui s’est fait une vie nouvelle, comment pourrait-il encourir la malédiction ? Cependant il ne se contente pas de cette réponse, et s’y prenant d’une autre manière pour réfuter ses adversaires, il écrit : « Mais Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s’étant rendu lui-même malédiction pour nous, selon qu’il est écrit : Maudit est celui qui est pendu au bois (13) ».
Le peuple pouvait encourir une autre malédiction, celle qui est conçue en ces termes « Maudit soit quiconque ne demeure pas dans les préceptes de cette loi, et qui ne les accomplit pas dans ses œuvres ». (Deut. 27,26) Que prouve cela ? Que le peuple avait encouru la malédiction, car il n’était pas resté dans les préceptes de la loi, et il n’y avait pas un homme qui l’eût observée en entier. A la place de cette malédiction le Christ a substitué l’autre : « Maudit soit celui qui est pendu au bois ». Celui qui était pendu au bois était maudit, celui qui transgressait la loi était aussi maudit ; or Jésus qui se préparait à nous délivrer de la malédiction ne devait pas l’encourir, et à la place de celle-ci, il fallait qu’il en encourût une autre. Ce qu’il fit : il se soumit à la première et par elle détruisit la seconde, celle qui résultait de la non-observation de la loi. Et, de même qu’un homme innocent s’offrant pour mourir à la place d’un homme condamné à mort, le soustrait au châtiment, de, même Jésus s’est dévoué pour nous. Comme il n’avait pas encouru la malédiction de la transgression de la loi, il se soumit à l’autre genre de malédiction pour délivrer les hommes de celte qu’ils avaient encourue : « Car il n’avait pas commis de péché, et la ruse n’avait pas trouvé place sur ses lèvres ». (Is. 53,9)
4. De même que par sa mort il a préservé de la mort ceux qui allaient mourir, de même en attirant sur lui-même la malédiction, il l’a détournée de dessus la tête des hommes. « Afin que la bénédiction donnée à Abraham fût communiquée aux gentils (14). » Comment aux gentils ? « En ta postérité », dit le Seigneur, « toutes les nations seront bénies » (Gen. 22,18), c’est-à-dire en Jésus-Christ. Si cela était dit des Juifs, serait-il rationnel que ceux qui, ont encouru la malédiction pour avoir violé la loi pussent transmettre la bénédiction aux autres hommes ? Car nul parmi ceux qui sont maudits ne peut communiquer la bénédiction dont lui-même est exclu. Il est donc évident que ces paroles se rapportent entièrement à Jésus-Christ : c’est, lui qui est la postérité d’Abraham, c’est par lui que les gentils ont été bénis, c’est ainsi que se réalise la promesse qui nous avait été faite au sujet du Saint-Esprit, et c’est ce que Paul voulait faire entendre quand il ajoutait : « Afin, qu’ainsi nous reçussions par la foi le Saint-Esprit qui avait été promis ». Comme il n’était pas possible que la grâce du Saint-Esprit parvînt aux gentils qui n’étaient en état ni de la recevoir, ni de la comprendre, Jésus commencé par les bénir et par les délivrer de la malédiction après quoi, une fois qu’ils sont justifiés par la foi, ils attirent à eux la grâce du Saint-Esprit. Ainsi donc la croix a détruit la malédiction, la foi a introduit la justification, et la justification nous a procuré la grâce du Saint-Esprit.
« Mes frères, je vais me servir du langage des hommes : Lorsqu’un homme a fait un contrat en bonne forme, nul ne peut ni le casser, ni y introduire de nouveaux articles (15) ». Que signifient ces mots : « Je vais me servir du langage des hommes ? » Cela signifie qu’il va emprunter ses exemples à la vie commune. Comme il a jusqu’à présent appuyé ses raisonnements sur les Écritures, sur les miracles opérés par eux-mêmes, sur les épreuves du Christ, et sur les actes du patriarche Abraham, il va désormais prendre ses exemples dans la vie commune. C’est son invariable habitude : il donne ainsi plus de charme à sa parole, la rend plus accessible, plus intelligible pour les intelligences obtuses. Tel est aussi le tour qu’il prend dans sa lettre aux Corinthiens : « Quel est celui qui mène paître un troupeau, et n’en mange pas du lait ? Qui est-ce qui plante une vigne et n’en mange point du fruit ? » (1Cor. 9,7) C’est encore de la même manière qu’il parle aux Hébreux : « Parce que le testament n’a lieu que par la mort, n’ayant point de force tant que le testateur est encore en vie ». (Héb. 9,17) Il serait facile de s’assurer qu’il s’est plu souvent à – employer ce genre de preuves. C’est aussi de ce procédé que se sert continuellement le Seigneur dans l’Écriture, comme quand il dit : « Est-ce que la femme pourrait oublier son fils ? » Et ailleurs : « Le vase dit-il au potier : Que fais-tu ? » (Isaïe 49, 45, et 29, 16) Dans le livre d’Osée il parle comme un époux dédaigné par sa femme (Os. 1,2). Souvent il emprunte ses images à la vie humaine, comme lorsque le prophète reçoit une ceinture, ou pénètre sous le toit du potier (Jer. 18,2). Que peut donc prouver Paul par cet exemple ? Que la foi est plus ancienne, la loi plus nouvelle et seulement provisoire, et donnée aux hommes pour frayer la route à la foi. Voilà pourquoi il dit : « Frères, je vais me servir du « langage des hommes ». Plus haut, il les traitait d’insensés, et maintenant il les appelle ses frères, les consolant en même temps qu’il les frappe. « Lorsqu’un homme a fait un contrat en bonne forme ». Si un homme, dit-il, fait un testament, se trouvera-t-il quelqu’un qui vienne ensuite le modifier ou y ajouter quelque chose ? car tel est le sens de ces mots :… « On y introduit de nouveaux articles ». Si cela est vrai des hommes, combien plus quand il s’agit de Dieu ! Et en faveur de qui Dieu avait-il fait son testament ?
« Or les promesses de Dieu ont été faites à Abraham et à sa race. L’Écriture ne dit pas : A ceux de sa race, comme s’il en eût voulu marquer plusieurs ; mais, à sa race, c’est-à-dire à l’un de sa race, qui est Jésus-Christ. Ce que je veux donc dire est que Dieu ayant fait et autorisé comme un contrat en faveur de Jésus-Christ, la loi qui n’a été donnée que quatre cent trente ans après, n’a pu le rendre nul, ni en abroger la promesse. Car si c’est par la loi que l’héritage nous est donné ; ce n’est donc plus par la promesse. Or, c’est, par la promesse que Dieu l’a donné à Abraham (16-18) ». Vous le voyez donc, Dieu a fait un contrat en faveur d’Abraham, en disant que les bénédictions parviendraient aux gentils par l’intermédiaire de sa race. Eh bien ! comment la loi peut-elle le défaire ? Comme cet exemple ne convenait au sujet qu’en partie, l’apôtre avertit pour cette raison qu’il va « Se servir du langage des hommes ». C’est-à-dire, ne jugez pas de la générosité de Dieu par cet exemple seul, vous vous en feriez une idée trop étroite. Examinez et remontez plus haut ; Dieu n’a-t-il pas annoncé à Abraham que les gentils seraient bénis par l’intermédiaire de sa race ? Et sa race selon la chair, n’est-elle pas représentée par Jésus-Christ ? La loi n’est-elle pas venue quatre cent trente ans après ? Or, si la loi transmet la bénédiction, et la vie, et la justification, la promesse reste sans effet. Quoi ! nul ne pourra casser le testament fait par un homme, et le testament du Seigneur sera cassé au bout de quatre cent trente ans ! Car si les dispositions contenues dans ce testament ne se réalisent pas par l’effet de ce testament, mais par une autre cause, c’est qu’il a été annulé, ce testament. Cela est-il admissible ?
« Pourquoi donc », dit-il, « la loi a-t-elle été établie ? à cause des prévarications (19) ». Car la loi non plus n’a pas été créée en vain. Voyez-vous comme ses regards embrassent tout ? On dirait qu’il a des yeux par milliers. Après avoir exalté la foi, et avoir montré qu’elle est plus ancienne, il ne veut pas que les Galates regardent la loi comme ayant été inutile, et il rectifie leur opinion à ce sujet, en expliquant qu’elle avait eu sa raison d’être et qu’elle avait eu une véritable utilité, à cause des prévarications. c’est-à-dire, parce qu’elle empêchait les Juifs de vivre sans rien qui les retînt, et de se laisser entraîner aux derniers excès du vice. Elle leur servait de frein ; elle les formait, réglait leur conduite, les empêchait de violer, sinon toutes, au moins quelques-unes de ses prescriptions. De sorte que la loi n’a pas procuré peu d’avantages aux hommes. Mais jusqu’à quelle époque cela doit-il durer ? « Jusqu’à l’avènement de ce Fils que la promesse regarde », et ce Fils, c’est Jésus-Christ. Si donc elle a été donnée pour durer jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ, pourquoi vouloir mal à propos lui faire dépasser ce terme ? « Et cette loi a été donnée par les anges par l’entremise d’un médiateur ». Ou bien ce sont les prêtres qu’il appelle des anges, ou bien il veut dire que les anges eux-mêmes ont prêté leur ministère à l’établissement de la loi. Pour lui le médiateur est le Christ, et il fait entendre qu’il existait avant la loi, et que c’est lui-même qui l’a donnée. « Or, un médiateur n’est pas d’un seul, et il n’y a qu’un, seul Dieu (20) ».
5. Que vont répondre à cela les hérétiques ? Si ces mots : « Le seul vrai Dieu » (Jn. 17,3) ne permettent pas de croire que le Fils soit le vrai Dieu, il faut aussi en conclure qu’il n’est pas Dieu, puisqu’il a été dit : « Il n’y a qu’un seul Dieu ». (Deut. 6,4:) Mais si, malgré ces mots : « Un seul Dieu, le Père » (1Cor. 8,6), le Fils ne laisse pas d’être Dieu, il est évident que le Père étant le vrai Dieu, le Fils est aussi-le vrai Dieu. Mais un médiateur, dit-il, est le médiateur de deux personnes. De qui donc le Christ était-il le médiateur ? Bien évidemment il servait de médiateur entre Dieu et les hommes. Voyez-vous comme Paul démontre que le Christ lui-même a donné la loi ? Si donc il a donné la loi lui-même, il a le droit de l’annuler. – « La loi donc est-elle contre les promesses de Dieu (21) ? » Car si les bénédictions nous ont été données par l’intermédiaire de la race d’Abraham, et que la loi ait fait peser sa malédiction sur elle, elle s’est mise en contradiction avec les promesses de Dieu. Comment réfute-t-il cette objection ? D’abord il la repousse avec dégoût et s’écrie : « Loin de nous une telle supposition », puis il continue l’enchaînement de ses preuves et dit : « Car si la loi qui a été donnée avait pu donner la vie, on pourrait dire alors avec vérité que la justification s’obtiendrait par la loi ». Voici le sens de ses paroles : Si nous avions compté sur elle, dit-il, pour obtenir la vie, et si elle avait eu le pouvoir d’opérer notre salut, on aurait peut-être raison de parler ainsi ; mais si c’est la foi qui sauve, et que la loi attire la malédiction, nous ne pourrions rien perdre à l’avènement de la foi qui nous affranchit de tout. Si la promesse devait s’accomplir par l’intermédiaire dé la loi, on n’aurait pas tort de croire que s’écarter de la loi serait s’écarter de la justification. Mais si elle à été donnée pour nous circonscrire tous dans de certaines limites, c’est-à-dire, pour confondre notre négligence, pour nous faire sentir nos fautes, non seulement elle n’empêche pas l’effet de la promesse, mais encore elle en favorise l’accomplissement. C’est ce qu’il veut prouver quand il dit : « Mais l’Écriture a comme renfermé tous les hommes sous le péché, afin que ce que Dieu avait promis fût donné par la foi de Jésus-Christ à ceux qui croiraient en lui (22) ».
Comme les Juifs n’avaient pas conscience de leurs propres péchés, et que dans cet état ils ne désiraient pas s’en faire absoudre, Dieu leur donna la loi qui leur révéla leurs blessures, et leur fit désirer l’intervention du médecin. « L’Écriture », dit-il, « les enferma sous le péché », c’est-à-dire, qu’elle les convainquit de péché, et les retint, en faisant naître la crainte chez eux. Vous voyez donc que la loi, au lieu d’être contraire aux promesses de Dieu, n’a fait qu’en hâter l’accomplissement. Si la loi en revendiquait pour elle seule l’exécution et la responsabilité, on serait fondé à présenter cette objection ; mais si elle ne fait qu’obéir à une autre influence, à laquelle son action tout entière soit subordonnée, en quoi est-elle contraire aux promesses de Dieu ? Sans elle, tous les hommes auraient abouti au vice, et parmi les Juifs il n’y en aurait pas eu un seul qui eût voulu écouter le Christ ; tandis que, du jour où elle leur a été donnée, elle a produit un double résultat : elle a développé chez ceux qui l’observaient des germes suffisants de vertu, elle leur a donné conscience de leurs péchés, ce qui était le meilleur moyen de leur faire désirer la venue du Fils de Dieu. Aussi ceux qui n’ont pas cru en lui, n’ont pas cru, parce qu’ils ignoraient leurs propres péchés. Et voilà pourquoi Paul disait : « Parce que ne connaissant point la justification qui vient de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justification, ils ne se sont point soumis à Dieu pour recevoir cette justification qui vient de lui ». (Rom. 10,3)
« Or, avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la loi, qui nous tenait renfermés pour nous disposer à cette foi qui devait nous être révélée un jour (23) ». Voyez-vous avec quelle clarté il résume nos explications ? S’il se sert de ces expressions : « Nous étions sous la garde…, qui nous tenait renfermés », c’est qu’il ne veut pas prouver autre chose que ceci, à savoir qu’en observant les prescriptions de la loi on était en sûreté. Car la loi, en retenant les Juifs derrière la crainte, comme derrière un rempart, et en leur imposant un genre de vie en rapport avec elle-même, les conservait pour la foi. « Ainsi la loi nous a servi de conducteur, pour nous mener comme des enfants à Jésus-Christ, afin que nous fussions justifiés par la foi (24) ». Celui qui conduit les enfants n’est pas le rival de celui qui les instruit, mais son coopérateur, car il préserve de tous les vices le jeune homme qui lui est confié, et fait tous ses efforts pour le rendre apte à profiter des leçons du maître. Mais quand le jeune homme est arrivé en pleine possession de lui-même, celui qui le conduisait s’éloigne pour toujours. Ce qui fait dire à Paul : « Mais la foi étant venue, nous ne sommes plus sous un conducteur comme des enfants ; puisque vous êtes tous enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ (25, 26) ». Si donc la loi remplissait l’office de pédagogue, et si elle nous a gardés et contenus, elle n’a pas été l’ennemie de la grâce, elle l’a aidée au contraire, mais si, après la venue de la grâce, elle persistait à nous garder sous sa direction, c’est alors qu’elle serait son ennemie. Si elle nous tenait enfermés, quand nous devons nous éloigner d’elle, c’est alors qu’elle nuirait à notre salut. Qu’une lampe, après nous avoir éclairés pendant la nuit, continue de briller pendant le jour de manière à nous empêcher de voir le soleil, elle nous importunera au lieu de nous rendre service ; il en serait de même de la loi, si elle nous empêchait d’acquérir des biens plus grands. Par conséquent ceux qui l’observent aujourd’hui sont ceux qui la déprécient le plus. En effet, le pédagogue rend son élève ridicule quand il s’obstine, hors de propos, à le retenir près de lui. C’est pourquoi Paul a dit : « Mais la foi étant venue, vous n’êtes plus sous un conducteur comme des enfants ». Ainsi donc nous ne sommes plus sous un conducteur comme des enfants. « Car vous êtes tous enfants de Dieu ». Oh ! combien est grande la puissance de la foi, et comme il l’a fait ressortir à mesure qu’il avance ! D’abord il a prouvé aux Galates que la foi les rendait enfants d’Abraham : « Vous savez », leur dit-il, « que ceux qui observent la foi sont les fils d’Abraham ». Et maintenant il leur déclare qu’ils sont aussi les enfants de Dieu : « Car tous vous êtes enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ », par la foi et non par la loi. Ensuite, après avoir prononcé cette grande et admirable parole, il expose de quelle manière ils sont devenus les enfants de Dieu.
Car vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ (27) ». Pourquoi n’a-t-il pas dit Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous êtes nés de Dieu ? Car il semble que cela eût dû faire suite aux raisonnements par lesquels il leur prouve qu’ils sont enfants de Dieu. – Parce qu’il veut faire sur eux une impression plus forte. Car si Jésus-Christ est le Fils de Dieu, et que vous, vous soyez revêtus de Jésus-Christ, vous le possédez en vous-mêmes, vous devenez semblables à lui, vous êtes réunis dans une seule et même parenté, sous une seule et même forme. « Il n’y a plus maintenant ni Juif ni gentil, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ; mais vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ (28) ». Voyez-vous l’inépuisable ambition de ce grand cœur ? Il a dit : « Nous sommes les enfants de « Dieu par le moyen de la foi », il ne s’en tient pas là, il s’efforce à trouver quelque choie de plus, une parole qui exprime plus clairement notre étroite union avec Jésus-Christ. Il a dit « Vous avez été revêtus de Jésus-Christ » ; cela ne lui suffit pas, il développe encore sa pensée, il resserre encore plus cette intime communion du chrétien avec Jésus-Christ, et dit « Vous n’êtes tous qu’un en Jésus ». C’est-à-dire, vous n’êtes qu’une seule forme, qu’un seul type en Jésus-Christ. Quoi de plus imposant qu’une telle parole ? Le gentil et le Juif, et celui qui naguère encore était esclave, se trouvent posséder la même forme, non pas que celle de l’ange ou celle de l’archange, mais que celle du Maître du monde, et portent en eux Jésus-Christ. « Que si vous êtes à Jésus-Christ, vous êtes donc la race d’Abraham, et les héritiers selon la promesse (39) ». Voyez-vous comme il fait ressortir maintenant ce qu’il disait d’abord au sujet de la race d’Abraham, que les bénédictions de Dieu lui avaient été données à lui, ainsi qu’à sa race ?

CHAPITRE IV. JE DIS DE PLUS : TANT QUE L’HÉRITIER EST ENCORE ENFANT, IL N’EST POINT DIFFÉRENT D’UN SERVITEUR, QUOIQU’IL SOIT LE MAÎTRE DE TOUT ; MAIS IL EST SOUS LA PUISSANCE DES TUTEURS ET DES CURATEURS, JUSQU’AU TEMPS MARQUÉ PAR SON PÈRE. AINSI, LORSQUE NOUS ÉTIONS ENCORE ENFANTS, NOUS ÉTIONS ENCORE ASSUJETTIS AUX ÉLÉMENTS DE CE MONDE. (1-3)[modifier]

Analyse.[modifier]

  • 1. Juifs en tutelle sous la loi, libres par la foi. – Galates entraînés dans le judaïsme.
  • 2. Leur première affection pour Paul. – Douceur de l’apôtre.
  • 3 et 4. Sa tendresse pour ses disciples. – Agar et Sara, figures des deux alliances.


1. L’enfant dont il est question ici n’est pas tel par son âge, mais par ses goûts. Paul nous fait comprendre aussi que Dieu voulait dès le début nous accorder les biens dont il nous a gratifiés plus tard ; mais comme nous étions encore trop enfants, il nous a laissés sous la dépendance des éléments de ce monde, c’est-à-dire qu’il nous a fait observer les néoménies[5] et le sabbat. Or, la succession de ces jours-là est subordonnée au cours de la lune et du soleil. Si donc on vous ramène à la loi, c’est absolument comme si une fois arrivés à l’âge d’homme on vous faisait revenir à l’enfance. Voyez-vous où conduit l’observation des jours marqués par la loi ? Elle fait du Seigneur, du maître, du roi de toutes choses un simple serviteur. « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils formé d’une femme et assujetti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, et pour que nous pussions réclamer notre adoption (4,5) ». Paul indique ici deux causes et deux résultats de l’incarnation : elle nous a délivrés des maux, elle nous a procuré des biens, entreprise que nul, excepté Jésus, ne pouvait faire réussir. Quels sont donc ces biens qu’elle nous a procurés ? Elle nous a sauvés de la malédiction de la loi, et nous a rendus enfants adoptifs. « Pour racheter », dit-il, « ceux qui étaient sous la loi, et pour que nous pussions réclamer notre adoption ». Il a raison de dire : « Pour que nous pussions réclamer », c’est bien la preuve que cette adoption nous était due. Car dès le début, ainsi que Paul nous l’a fait remarquer plus d’une fois, Dieu avait fait à Abraham en leur faveur des promesses qui se sont réalisées. Et à quoi reconnaître, dira-t-on, que nous sommes devenus les enfants de Dieu ? Aune chose, dit-il, c’est que nous avons été revêtus de Jésus-Christ le vrai Fils de Dieu. Il en donne une seconde preuve, c’est que nous avons reçu l’Esprit d’adoption.
« Et parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie : Abba, mon père. Aucun de vous n’est donc point maintenant serviteur, mais enfant. Que s’il est enfant, il est aussi héritier de Dieu par Jésus-Christ (6,7) ». Car nous ne pourrions l’appeler notre Père, s’il ne nous avait d’abord reconnus pour ses fils. Si donc par l’effet de la grâce nous avons cessé d’être esclaves pour devenir libres, d’être enfants pour devenir hommes faits, d’être étrangers à Dieu pour devenir ses héritiers et ses enfants, ne serait-il pas absurde, ne serait-ce pas le comble de l’ingratitude que dû l’abandonner et de revenir sur nos pas ? « Autrefois, lorsque vous ne connaissiez point Dieu, vous étiez assujettis à ceux qui n’étaient point véritablement dieux. Mais après que vous avez connu Dieu, ou plutôt que vous-avez été connus de lui, comment vous tournez-vous vers ces observations légales, défectueuses et impuissantes, auxquelles vous voulez vous assujettir par une nouvelle servitude (8, 9) ». Ici Paul s’adresse à ceux d’entre les gentils qui s’étaient convertis à la foi, et leur dit que c’est une espèce d’idolâtrie que de s’assujettir à observer les jours, et que cette coutume les expose maintenant à des châtiments plus terribles. Il dit : Des éléments qui ne sont point véritablement des dieux, afin de leur faire partager son opinion, et de les mettre dans une perplexité plus grande. Voici le sens de ses paroles : Vous étiez alors dans les ténèbres, vous viviez dans l’erreur, et vous rampiez à terre ; aujourd’hui que vous connaissez Dieu, ou plutôt que vous êtes connus de lui, ne vous exposerez-vous pas à un plus grand et plus terrible châtiment, en retombant dans votre ancienne maladie malgré les soins dont vous avez été comblés ? Si vous avez trouvé Dieu, ce lest pas à vos efforts que vous le devez ; mais c’est lui-même qui vous a retirés de l’erreur où vous croupissiez. Il dit de la loi qu’elle est défectueuse et impuissante, parce qu’elle n’a aucune influence pour nous procurer les biens dont il est question.
« Vous observez les jours et les mois, les saisons et les années (10) ». D’après ce passage, il est évident que les faux apôtres ne leur prêchaient pas seulement l’observation de la circoncision, mais encore celle des fêtes et des néoménies. « J’appréhende pour vous, que je n’aie peut-être travaillé en vain parmi vous (11) ». Voyez-vous cette bonté apostolique ? Les Galates étaient assaillis par la tempête, il tremble, il craint pour eux. De là cette expression si bien faite pour les ramener à de meilleurs sentiments : « J’ai peut-être travaillé en vain parmi vous », c’est-à-dire, ne me faites pas perdre le fruit de tant de sueurs. En disant « J’appréhende », et en ajoutant ces mots : « Que peut-être », il excite leur inquiétude et fait naître en même temps chez eux une meilleure espérance. Car il n’a pas dit : « J’ai travaillé en vain », mais : « Peut-être ai-je travaille en vain ». Vous n’avez pas encore, leur dit-il, fait complètement naufrage, mais je prévois que la tempête qui gronde sur vous amènera ce résultat. Aussi, je crains, mais je ne désespère pas : car il dépend de vous que tout aille bien, et que vous retrouviez le beau temps d’autrefois. Ensuite, tendant pour ainsi dire la main à ces naufragés, il leur dit : « Soyez comme moi, parce que j’ai été comme vous (12) ». Il s’adresse à ceux qui appartenaient à la nation juive. Il se met en avant, afin de les décider par son exemple à renoncer à leurs anciens errements. Si vous n’aviez personne autre pour vous servir d’exemple, il vous suffirait, pour vous raffermir dans votre conversion, de jeter les yeux sur moi seul. Regardez-moi donc, car moi aussi j’ai eu les mêmes sentiments que vous, et j’ai été un chaud partisan de la loi, et cependant plus tard je n’ai pas craint de l’abandonner, pour me ranger sous le drapeau de la foi. Et vous le savez bien, avec quelle ardeur je me cramponnais au judaïsme, et avec quel empressement plus grand encore je l’ai quitté ensuite. Ce raisonnement, il a bien fait de ne le présenter qu’après les autres. Car la plupart, des hommes, même quand ils ont trouvé toutes sortes de bonnes raisons pour se décider, prennent plus volontiers leur parti quand ils voient un homme de leur race leur donner l’exemple. « Je vous en prie, mes frères, vous ne m’avez jamais offensé en aucune chose. Remarquez comme il emploie encore, en s’adressant à eux, les épithètes les plus honorables, ce qui était en même temps un moyen de leur rappeler la grâce dont ils avaient été l’objet. Après leur avoir fait de vifs reproches, et avoir examiné leur conduite à tous les points de vue, et leur avoir prouvé qu’ils avaient violé la loi, après leur avoir infligé toutes sortes de critiques, il les épargne, il panse leurs blessures, il leur parle avec plus de douceur. De même que de continuels ménagements détruisent l’effet des bons conseils, de même une critique toujours acerbe finit par révolter celui auquel elle s’adresse. Aussi, en toute circonstance, est-il bien de ne jamais dépasser la mesure. Voyez-vous comme il s’excuse auprès d’eux de leur avoir ainsi parlé ; il leur montre que son langage lui a été inspiré non pas seulement par son indignation, mais aussi par son affection pour eux. Il leur avait fait de profondes incisions, il apaise leur douleur par le baume de sa parole. En montrant que ni la haine, ni la rancune ne lui ont dicté son langage, il leur rappelle l’amour qu’il leur avait témoigné, et se fait pardonner ses critiques tout en s’attirant leur admiration.
9. Voilà pourquoi il dit : « Je vous en prie, mes frères, vous ne m’avez jamais offensé en aucune chose. Vous savez que lorsque je vous ai annoncé premièrement l’Évangile, ç’a été parmi les persécutions et les afflictions de la chair ; et que vous ne m’avez point méprisé, ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair (13, 14) ». Mais l’important n’est pas encore de n’avoir fait de tort à personne, car le premier venu ne voudrait pas nuire à qui ne lui a rien fait, et ne voudrait pas gratuitement et inutilement lui causer quelque chagrin. Mais vous, non contents de ne me faire aucun tort, vous m’avez témoigné une grande, une inépuisable bienveillance ; et il n’était pas possible qu’après avoir eu tant à me louer de vous, l’idée pût me venir de vous parler avec malveillance. Ce n’est donc point par haine que je me suis exprimé de la sorte ; par conséquent ce ne peut être que par esprit d’affection et de dévouement. « Je vous en prie, vous ne m’avez jamais offensé en aucune chose. D’un autre côté, vous savez que lorsque je vous ai prêché l’Évangile, ç’a été parmi les afflictions de la chair ».
Rien de plus compatissant que cette âme sacrée, rien de plus doux, rien de plus affectueux. Ces premières paroles étaient donc l’effet non d’une colère irréfléchie, ou d’un mouvement passionné de l’âme, mais d’une affection profonde. Que dis-je ? vous ne m’avez offensé en rien. Vous m’avez montré un empressement ardent et sincère. « Vous savez que lorsque je vous ai annoncé premièrement l’Évangile, ça été parmi les persécutions et les afflictions de la chair, et que vous ne m’avez point méprisé, ni rejeté ys à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair ». Quel est le sens de ces paroles ? J’étais pourchassé, dit-il, j’étais frappé du fouet, je m’exposais à mille morts, tandis que je vous prêchais l’Évangile, et même en cet état je n’étais point pour vous un objet de mépris. Car c’est ce que signifient ces expressions : « Vous ne m’avez point méprisé ni rejeté à cause de ces épreuves que je souffrais en ma chair ». Voyez-vous comme l’Esprit-Saint l’inspire ? Tout en se justifiant, il éveille chez eux le remords, en leur rappelant tout ce qu’il a souffert à cause d’eux. Mais cependant rien de tout cela ne vous a scandalisés, dit-il, et vous n’avez méprisé ni les souffrances, ni les persécutions que j’endurais ; car c’est de cela qu’il veut parler quand il rappelle ses épreuves et les afflictions de sa chair. « Mais vous m’avez reçu comme un ange de Dieu ». N’est-il donc pas étrange que vous m’ayez accueilli comme un ange de Dieu, quand j’étais pourchassé et persécuté, et que vous refusiez de m’accueillir quand je viens vous rappeler vos devoirs ?
« Où est donc le temps où vous vous estimiez si heureux ? car je puis vous rendre ce témoignage, que vous étiez prêts alors, s’il eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner, Suis-je donc devenu votre ennemi parce que je vous ai dit la vérité (15,16) ? » Il laisse échapper ici son embarras et sa stupeur, et veut savoir d’eux-mêmes les causes de leur changement. Qui vous a séduits, leur dit-il, et vous a persuadés d’avoir d’autres sentiments envers moi ? N’êtes-vous plus ceux qui m’entouraient de soins assidus, et qui m’aimaient plus que la prunelle de leurs yeux ? Qu’est-il donc arrivé ? D’où vient cette haine ?d’où viennent ces soupçons ? De ce que je vous ai dit la vérité ? C’est précisément pour cela que vous devriez m’honorer et me chérir davantage, au lieu que je vous suis devenu odieux maintenant, parce que je vous parle franchement. Pour moi, leur dit-il, je ne vois pas d’autre cause à votre changement que la franchise de mon langage. Et voyez avec quelle humilité il se justifie. Car il se fonde, non sur ce qu’il a fait pour eux, mais sur ce qu’ils ont fait pour lui, afin de leur prouver qu’il est impossible qu’il leur ait parlé dans un esprit de malveillance. Il ne leur a pas dit : Comment croire que celui qui s’est exposé pour vous aux coups de fouet, aux persécutions et à la souffrance, vienne maintenant conspirer votre perte ? Non, il leur rappelle leur belle conduite dont ils avaient droit d’être fiers, et il conclut en disant : Comment croire que celui qui a été traité par vous avec tant d’égards, et que vous avez reçu comme un ange, veuille vous payer d’ingratitude ?
« Ils s’attachent fortement à vous ; mais ce n’est pas d’une bonne affection, puisqu’ils veulent vous séparer de nous, afin que vous vous attachiez fortement à eux (17) ». En effet, l’émulation est un bon sentiment quand elle nous fait rivaliser de vertu avec un autre homme ; c’est un mauvais sentiment, quand elle cherche à écarter de la vertu celui qui fait bien. Et c’est là le but qu’ils recherchent maintenant : vous avez la pleine connaissance du vrai, ils veulent vous la faire perdre, pour vous ramener à leur doctrine bâtarde et mutilée, et pourquoi ? Uniquement pour se poser en docteurs de la loi, et pour vous rabaisser au rang de disciples, vous qui maintenant leur êtes supérieurs. C’est ce qu’il leur faisait entendre par ces paroles : « Afin que vous vous attachiez fortement à eux ». Quant à moi, leur dit-il, je veux tout au contraire vous rendre meilleurs qu’eux, et faire de vous le modèle des hommes les plus parfaits. Et c’est ce qui eut lieu quand j’étais avec vous. Aussi ajoute-t-il : « Il est beau d’être zélés dans le « bien, en tout temps, et non pas seulement « quand je suis parmi vous (18) ». Par là il donne à entendre que c’est son absence qui est cause de tout, et que, pour être vraiment heureux, les disciples doivent rester fidèles à leurs devoirs, non seulement en présence du maître, mais encore en son absence. Mais comme ceux-ci n’en étaient pas encore venus à ce point de perfection, il fait tous ses efforts pour les y amener.
« Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous (19) ». Voyez ses craintes, voyez son trouble. « Mes frères, je vous en supplie. – Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l’enfantement ». Ne dirait-on pas une mère craintive, empressée autour de ses petits enfants ? « Jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé dans vous ». Voilà bien les entrailles d’un père. Voilà bien la douleur et l’abattement qui conviennent à un apôtre. Avez-vous entendu ce cri plus déchirant que celui de la mère pour son nourrisson ? Vous avez, dit-il, dégradé l’image de Dieu, détruit votre parenté avec lui, changé votre forme qui s’était modelée sur la sienne : il vous faut passer par un nouvel enfantement, par une nouvelle création. Et pourtant je vous appelle toujours mes enfants, pauvres êtres chétifs et avortés ! Mais il se garde bien de leur parler ainsi. Bien au contraire, il les épargne et ne veut pas continuer de les frapper, pour ne pas ajouter blessure sur blessure. Il fait comme les médecins habiles qui, lorsqu’ils ont à traiter des malades dont le mal doit durer longtemps, se gardent bien d’être toujours à leur prescrire des remèdes, et qui ont soin de leur accorder quelques moments de répit, pour ne pas les abattre et les épuiser tout à fait. Cet enfantement moral était plus douloureux que l’enfantement physique, plus douloureux en proportion même de l’affection qu’il leur portait, et de la faute qu’ils avaient commise.
3. Ce que j’ai toujours dit et dirai toujours, c’est que le plus petit manquement aux lois de Dieu trouble entièrement et détruit la forme des choses. « Je voudrais être présent maintenant parmi vous, et vous faire en« tendre ma voix (20) ». Remarquez comme son zèle l’emporte 'et ne lui permet pas de taire ses secrets sentiments. Tel est l’homme vraiment dévoué : les paroles ne lui suffisent pas, il veut encore être présent. « Afin de vous « faire entendre ma voix », dit-il. C’est-à-dire afin d’échanger nos gémissements, afin d’exciter vos larmes et vos cris de douleur. Ce n’était pas par le moyen d’une lettre qu’il pouvait leur faire voir ses larmes et leur faire entendre ses gémissements : aussi brûle-t-il du désir de les aller voir en personne : « Parce que je suis dans la perplexité en songeant à vous ». Je ne sais ni que vous dire, ni quel raisonnement vous faire. Comment se fait-il qu’après vous être élevés au plus haut des cieux, et par les dangers que vous avez affrontés pour la foi, et par les miracles que vous avez opérés, comment se fait-il que vous soyez tombés tout d’un coup à un tel degré d’avilissement, que vous vous soyez astreints à observer le sabbat et la circoncision, et que vous vous soyez mis à la remorque des judaïsants ? C’est pour cela qu’il leur disait au début : « Je m’étonne que vous ayez changé si vite » (Gal. 1,6), et qu’il dit maintenant : « Je suis dans la perplexité en songeant à vous ». C’est comme s’il s’exprimait ainsi : Que vous dire ? de quoi vous entretenir ? que penser ? Je suis dans la perplexité, et je me vois forcé d’avoir recours aux gémissements. Les prophètes en font autant, eux aussi, quand ils sont dans l’embarras. C’est encore là un moyen qui n’est pas peu efficace pour plaire à tees auditeurs, que de gémir sur eux et de ne pas se contenter de leur donner des conseils. Dans son entretien avec les Milésiens, il prononçait les mêmes paroles : « Pendant trois ans je n’ai cessé de vous avertir avec larmes » (Act. 20,31) : expression semblable à celle dont il se sert maintenant : « Je voudrais vous faire entendre ma « voix ». Nous sommes abattus par les malheurs qui ont fondu sur nous contre toute attente, et il ne nous reste plus qu’à verser des larmes. Ainsi donc, après les avoir gourmandés et les avoir confondus, et leur avoir parlé derechef avec douceur, il gémit sur leur sort, et dans ses plaintes il y a non seulement de quoi les effrayer, mais aussi de quoi flatter leur amour-propre. Il ne montre ni l’âpreté d’un homme qui fait des reproches, ni l’indulgence de celui qui cherche à plaire, mais il en fait un mélange qui donne à sa parole une force singulière de persuasion. Après avoir gémi sur eux, avoir provoqué leur attendrissement et augmenté leur sympathie, il reprend la discussion, et pose un argument plus considérable, à savoir que la loi ne veut pas qu’on l’observe. D’abord il avait fait intervenir l’exemple d’Abraham, maintenant c’est la loi elle-même qu’il fait intervenir, la loi recommandant qu’on cesse de l’observer et qu’on se retire d’elle. Argument plus puissant que les autres. Ainsi donc, leur dit-il, si vous voulez vous conformer à la loi, abandonnez-la, telle est sa volonté. Mais il ne leur parle pas ainsi, il arrive au même but par un autre moyen, et en prenant ses preuves dans l’histoire.
« Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la loi, n’entendez-vous point ce que dit la loi (21) ? » Il a eu raison de dire « Vous qui voulez », car ce qui avait donné naissance à cette discussion, ce n’était point l’esprit de tradition, mais l’esprit de dispute qui s’était manifesté hors de propos chez les faux apôtres. Par la loi il désigne ici le livre de la création (la Genèse), ce qu’il fait souvent en appelant dé ce nom l’Ancien Testament tout entier. « Car il est écrit qu’Abraham a eu deux fils, l’un de la servante, et l’autre de la femme libre (22) ». Il en revient encore à Abraham, non pour se répéter, mais parce que, le nom de ce patriarche produisant beaucoup d’effet sur les Juifs, il veut montrer qu’il contenait en lui le germe et la première image de ce qui devait se passer alors. Il leur avait d’abord prouvé qu’ils étaient enfants d’Abraham, mais comme il n’y avait pas égalité de condition entre les enfants de ce patriarche, et qu’on faisait la distinction du fils de la femme libre, et du fils de la femme esclave, il va leur prouver désormais qu’ils ne sont pas seulement ses enfants, mais qu’ils le sont tous au même titre, qu’ils soient d’origine libre ou non. Telle est la puissance de la foi.
« Mais celui qui naquit de la servante, naquit selon la chair ; et celui qui naquit de la femme libre, naquit en vertu de la promesse de Dieu (23) ». Que veut-il faire entendre par ces mots. « Selon la chair ? » Après avoir dit que là foi nous rattache à Abraham, et comme il semblait incroyable à ceux qui l’écoutaient, qu’il pût dire que ceux qui n’étaient pas issus d’Abraham, que ceux-là étaient ses enfants, il leur prouve que ce fait si étrange date de bien plus loin. Car Isaac, qui n’était pas né dans les conditions naturelles et ordinaires du mariage, qui en réalité ne devait pas l’existence à t’œuvre de la chair, était pourtant fils, et fils légitime d’Abraham, quoique né d’un corps mort à la vie des sens et d’un sein épuisé par la vieillesse. Car ce n’est point la chair, ce n’est point la puissance procréatrice de ses parents qui causèrent sa naissance : le sein qui le porta était infertile et par suite de la vieillesse et par suite d’une infirmité naturelle. Celui qui procréa Isaac, c’est le Verbe de Dieu. Il n’en fut pas ainsi du fils de l’esclave : celui-là était bien le produit des lois de la nature, le produit des relations que crée le mariage. Et cependant, de ces deux enfants, c’est celui qui n’était pas né selon la chair qui l’emportait sur l’autre. Que cette idée, que vous n’êtes pas enfants d’Abraham selon la chair, ne vous trouble donc pas, car c’est à cause de cela, c’est précisément parce que vous n’êtes pas ses enfants selon la chair, que vous lui êtes unis de plus près. Le fait d’être ses descendants selon la chair est une tache plutôt qu’un honneur, car la naissance, qui ne procède pas de la chair, est plus merveilleuse et montre encore plus l’action du Saint-Esprit, et la preuve se voit dans la destinée différente de ces deux enfants nés dans les temps anciens. En effet, Ismaël était né selon la chair, et pourtant il était esclave : ce n’était pas tout, car il fut aussi chassé de la maison paternelle, tandis qu’Isaac, parce qu’il était né par suite de la promesse, et en sa qualité de fils et d’homme libre, était le maître de tout le patrimoine.
« Tout ceci est une allégorie (24) ». Il force le sens du mot quand il appelle allégorie ce qui est une figure. Ce qu’il veut dire, le voici : Cette histoire n’a pas seulement la signification qu’on lui reconnaît tout d’abord, elle en a encore une autre, et c’est pour cela qu’il dit que c’est une allégorie. Qu’y a-t-il donc dans cette seconde signification ? Pas autre chose que ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux. « Car ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, qui a été établie sur le mont Sinaï, et qui n’engendre que des esclaves, est figurée par Agar ». – « Ces deux femmes », quelles femmes ? Les mères de ces deux enfants, Sara et Agar. « Quelles sont ces deux alliances ? » Les deux lois. Comme des noms de femmes figurent dans cette histoire, il les laisse subsister pour désigner leur race, et ces noms lui servent à indiquer la filiation des événements. Comment ces noms peuvent-ils lui servir à cet usage (25) ? « Agar en effet, dit-il, est le mont Sinaï en Arabie ». On disait qu’Agar était esclave : c’est aussi le nom du mont Sinaï dans la langue de ce pays.
4. Ainsi donc, tous ceux qui sont issus de l’ancienne alliance sont nécessairement esclaves. Car cette montagne, où fut donnée l’ancienne alliance, et qui porte le même nom que la femme esclave, contient aussi Jérusalem. Car tel est le sens de ces paroles : « Le Sinaï correspond à la Jérusalem actuelle », c’est-à-dire, qu’il l’avoisine, qu’il la touche. « Elle est esclave avec ses enfants ». Que résulte-t-il delà ? Que non seulement Agar était esclave, et engendrait des esclaves, mais qu’il en était de même de celle-ci, c’est-à-dire de l’ancienne alliance, dont la femme esclave est le type. Or, Jérusalem est voisine de la montagne qui porte le même nom que l’esclave, montagne sur laquelle l’ancienne alliance a été formée. Où donc se retrouve le type de Sara ? « Au lieu que la Jérusalem d’en haut est vraiment libre (26) ». Par conséquent ceux qui sont issus d’elle ne sont pas esclaves. La figure de la Jérusalem terrestre était Agar, et la preuve, c’est que cette montagne portait le même nom, et la figure de la Jérusalem céleste est Sara. Cependant il ne lui suffit pas dé signaler ces figures, il cite encore le témoignage d’Isaïe à l’appui de ses paroles : car après avoir dit : La Jérusalem céleste est notre mère, en désignant ainsi l’Église, il nous fait voir que le prophète est d’accord avec lui. « Car il est écrit : Réjouissez-vous, stérile, qui n’enfantiez point ; poussez des cris de joie, vous qui ne deveniez point mère ; parce que celle qui était délaissée a plus d’enfants que celle qui a un mari (2, 8) ». (Is. 54,1) Quelle est donc cette veuve, cette femme délaissée jusqu’alors ? N’est-il pas évident que c’est l’Église des gentils, quand elle était privée de la connaissance de Dieu ? Quelle est cette_ femme qui avait un mari ? N’est-il pas évident que c’est la synagogue ? Cependant celle qui était, stérile l’a emporté sur l’autre par le nombre de ses enfants. La première ne comprenait qu’une seule nation, tandis que les enfants de l’Église pullulent en grâce chez les barbares, sur la terre, sur la mer, sur le globe tout entier. Voyez-vous comme Sara, par ce qui lui est arrivé, le prophète, parce qu’il nous a dit, nous ont peint à l’avance ce qui devait avoir lieu ? Rendez-vous compte de tout : Isaïe avait parié de la femme stérile, et l’avait représentée comme devenant extrêmement féconde. Nous voyons le type de cet événement dans Sara, qui, après avoir été stérile, est devenue la mère d’une race très-nombreuse. Cela ne suffit – pas à Paul, il cherche aussi minutieusement comment la femme stérile est devenue mère, afin de trouver ainsi le moyen d’adapter la figure à la réalité. C’est pourquoi il ajoute : « Nous sommes donc, mes frères, les enfants de la promesse, figurée dans Isaac (28) ».
non seulement l’Église a été stérile, comme Sara, non seulement elle est devenue, très féconde, comme elle, mais encore elle a engendré de la même manière que Sara. De même que ce ne fut point la nature, mais la promesse de Dieu qui la rendit mère [car celui qui a dit : « J’arriverai dans cet instant, et Sara aura un fils » (Gen. 18,10), celui-là, en pénétrant dans son sein, a formé le fils qu’elle a enfanté], de même la nature n’a été pour rien dans l’acte de notre génération, mais ce sont les paroles que Dieu prononce par la bouche du prêtre, ces paroles que savent les fidèles ; ce sont elles qui, au moment de son immersion dans les eaux sacrées, forment et engendrent celui qui est baptisé, comme s’il était dans le sein de sa mère. Or, si nous sommes les fils de la femme stérile, nous sommes libres. Est-ce là de la liberté ? dira-t-on. Ne voyons-nous pas les Juifs emprisonner et fouetter ceux qui croient ? et ceux qui passent pour libres, ne les voyons-nous pas persécutés ? C’était en effet ce qui se passait à cette époque, où les fidèles étaient en butte aux persécutions. Mais que cela même ne vous trouble pas, dit-il, car nous retrouvons l’image de ces événements dans ce qui concerne Isaac, qui, quoique libre, était persécuté par l’esclave Ismaël. Aussi ajoute-t-il ces paroles. « Et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’Esprit, il en arrive de même encore aujourd’hui : Mais que, dit l’Écriture ? Chassez la servante et son fils : car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre (29, 30) ».
Quoi donc ? Toute notre consolation consiste à savoir que les hommes libres sont persécutés par les esclaves ? Non, dit-il ; je ne m’en tiens pas là, écoutez encore ce qui suit, et vous y trouverez de quoi vous consoler et vous raffermir contre les persécutions. Ce qui suit, ce sont ces mots : « Chassez la servante et son fils : car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre ». Avez-vous vu quel a été le prix de cette tyrannie éphémère, de cette arrogance intempestive ? L’enfant persécuteur est exclu de l’héritage paternel, le voilà forcé de s’exiler et d’errer en compagnie de sa mère. Examinez, je vous prie, combien est habile le langage de Paul. En effet, il ne s’est pas contenté de dire : Il a été chassé parce qu’il avait persécuté, ruais aussi afin qu’il ne pût hériter. Car ce n’était pas pour le punir de cette persécution passagère que Dieu lui infligeait ce châtiment (cela eût été Peu de chose en effet, et n’eût pas, produit les conséquences que Paul faisait ressortir), mais il ne permit pas qu’il eût part aux avantages destinés au fils de la promesse, montrant par là que ces événements étaient préparés d’avance, indépendamment de la persécution subie par Isaac, et que ce qui leur avait donné naissance, ce n’était point cette persécution, mais la volonté de Dieu. Il n'a pas dit : Le fils d’Abraham ne sera pas héritier, mais : « Le fils de la servante » ; le désignant ainsi par le côté le moins noble de son origine. Mais Sara était stérile : l’Église des gentils l’était aussi. Voyez-vous comme la figure est reproduite trait pour trait par les événements qui ont suivi ? De même que Sara passa toutes les premières années de sa vie sans pouvoir enfanter, de même l’Église des gentils n’enfante que quand les temps sont accomplis. C’est la malédiction que faisaient entendre les prophètes quand ils disaient. « Réjouissez-vous, stérile, qui n’enfantiez point ; poussez des cris de joie, vous qui deveniez point mère ; parce que celle qui était délaissée a plus d’enfants que celle qui a un mari ». C’est l’Église qu’ils désignaient. Elle ne connaissait pas Dieu, mais une fois qu’elle l’eut connu, elle surpassa en fécondité la féconde synagogue.
« Ainsi, mes frères, nous ne sommes point les enfants de la servante, mais de la femme libre (31) ». S’il entre dans tous ces détails et s’il y insiste, c’est qu’il veut nous prouver que ce qui est arrivé n’est pas de date récente, mais remonte bien plus haut et était préparé depuis des siècles. Comment donc ne serait-il pas absurde que nous, qui étions tenus en réserve depuis tant de siècles, et qui jouissons de la liberté, nous allions de gaîté de cœur nous replacer sous le joug de l’esclavage ? À ces raisons il eu ajoute une autre qui devait déterminer les Galates à rester fidèles aux dogmes qu’il leur avait enseignés.

CHAPITRE V. APPUYEZ-VOUS, LEUR DIT-IL, SUR LA LIBERTÉ QUE VOUS A DONNÉE JÉSUS-CHRIST EN VOUS RACHETANT.[modifier]

Analyse.[modifier]

  • 1 et 2. Qui s’appuie sur la loi est déchu de la grâce. – C’est la foi qui nous sauve.
  • 3. Contre ceux qui se mutilaient.
  • 4 et 5. Contre les Manichéens.
  • 6. La loi consiste dans l’amour.


1. Croyez-vous vous remettre en liberté, parce que vous courez de vous-même à l’ancienne servitude ? Mais est-ce Jésus qui vous a rachetés, et un autre qui a payé le prix de votre : rançon ? Voyez-vous tous les arguments qu’il emploie pour les arracher à l’erreur des Juifs ? Il leur prouve en premier lieu que c’est le comble de la folie de vouloir redevenir esclave, quand on est sorti de l’esclavage pour recouvrer la liberté ; en second lieu, qu’ils se montreront ingrats envers leur bienfaiteur, en méprisant celui qui les a affranchis, en accordant leurs préférences à celui qui les a réduits en servitude ; en troisième lieu, que cela est impossible. Car la loi a perdu son empire sur nous, depuis qu’on nous en a affranchis. En leur disant de « S’y tenir appuyés », il fait allusion à la tempête qui est venue les assaillir. « Et ne vous mettez point de nouveau sous le « joug de la servitude ». Par ce mot de « Joug », il veut leur faire sentir le poids de la servitude, et par cet autre mot : « De nouveau », il leur fait entendre qu’ils ne sont plus dans leur bon sens. Car si vous n’aviez jamais senti le poids de la servitude, vous ne mériteriez pas tous ces reproches ; mais, puisque vous savez par expérience combien pèse ce joug, comment pourriez-vous compter qu’on vous pardonne ?
« Voici que, moi, Paul, je vous dis : Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien (2) ». Quelle menace ? Et il est probable qu’il enveloppait dans l’anathème : les messagers du faux Évangile. Mais comment a-t-il pu dire que Jésus-Christ ne leur servirait de rien ? Paul ne prend pas la peine de s’expliquer, il affirme, pensant que désormais la dignité de sa personne et l’autorité de sa parole valent tous les raisonnements. C’est pour cela qu’il débute par dire : « Voici que, moi, Paul, je vous dis », assurance qui prouve qu’il est sûr de son fait. Nous, qui vous parlons, nous allons, autant qu’il nous sera possible, achever d’expliquer ses paroles. Comment Jésus-Christ ne servira-t-il de rien à celui qui se fait circoncire ? Celui qui se fait circoncire, se fait circoncire parce qu’il craint la loi, celui qui craint la loi, ne croit pas à l’efficacité de la grâce ; celui qui ne croit pas à l’efficacité de la grâce, ne tire aucun profit de la grâce à laquelle il ne croit pas. Reprenons notre raisonnement à un autre point de vue celui qui se fait circoncire, se soumet à l’empire de la loi : or, en s’y soumettant, et en la négligeant dans ses points essentiels, pour ne s’y conformer que dans des choses de moindre importance, il se place de nouveau sous le coup de la malédiction ; or, en s’exposant à la malédiction, et en renonçant à la liberté qu’il tenait de la foi, comment pourra-t-il être sauvé ? Car, pour me servir d’une image un peu étrange, l’homme qui agit ainsi ne croit ni au Christ, ni à la loi ; il se tient entre deux, pour profiter des avantages qu’il voit de chaque côté ; aussi arrive-t-il à ne recueillir aucun profit ni d’un côté ni de l’autre. Après avoir dit : « Le Christ ne vous servira de rien », il en donne la preuve d’une manière brève et énigmatique. « D’un autre côté », dit-il, « je déclare à tout homme qui se fera circoncire, qu’il est obligé de garder toute la loi (3) ».
Pour qu’on n’aille pas croire que c’est l’animosité qui le fait parler : Je vous dis, non seulement à vous, s’écrie-t-il, mais encore à tout homme qui se fait circoncire, qu’il est obligé d’observer toute la loi ; car les règlements dont elle se compose forment un seul corps. Et de même que celui qui s’est engagé par contrat à devenir esclave au lieu d’homme libre qu’il était, n’est plus maître de ses actions, mais doit se conformer à tous les règlements de l’esclavage ; de même, quand il s’agit de la loi, dès que vous observez quelqu’une de ses moindres prescriptions, et que vous vous êtes replacé sous son joug, vous devez subir sa domination dans toutes ses conséquences. C’est aussi ce qui se passe pour la transmission des héritages : celui qui n’en touche rien est débarrassé de toutes les charges qui peuvent peser sur la succession du mort, tandis que s’il en touche une petite partie, quand même il ne recevrait pas l’héritage entier, il est, par le fait même d’en avoir sa part, solidaire avec les autres pour le tout. Voilà ce qui a lieu également pour la loi, non pas seulement pour les raisons que je viens d’exposer, mais pour d’autres, car les règlements dont se compose la loi forment un seul corps. Prenons un exemple : La circoncision ne peut aller sans le sacrifice de rigueur et sans l’observation des jours ; le sacrifice exige un jour et un lieu déterminés, – le lieu, des purifications de mille sortes, – les purifications, certaines opérations de différents genres. Car il n’est permis à celui qui n’est pas purifié, ni de sacrifier, ni d’approcher des sanctuaires, ni d’accomplir aucune des cérémonies analogues. C’est ainsi que les rites s’accumulent et qu’il faut, pour observer une seule de ses prescriptions, passer en revue la loi tout entière. Si donc vous vous êtes fait circoncire, mais que ce ne soit pas le huitième jour, ou, si c’est le huitième jour, mais que vous n’ayez pas fait de sacrifice, ou, si vous avez fait le sacrifice, mais que ce n’ait pas été dans le lieu déterminé pour cela, ou, s’il a été fait dans le lieu déterminé, mais pas de la manière que le veut la loi, ou, si ç’a été de la manière indiquée par la loi, mais sans que vous-même fussiez purifié, ou, si vous étiez purifié, mais non d’après les formalités de rigueur, tout ce que vous aurez fait est vain et sans résultat. Voilà pourquoi Paul dit « Il est tenu d’observer la loi tout entière ». Si la loi doit régner, observez-la, non en partie, mais toute.
« Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous n’avez plus de part à Jésus-Christ, vous êtes déchus de la grâce (4) ». Après avoir donné ses preuves, il prononce désormais ses décisions, et sa décision est qu’ils sont exposés au danger le plus terrible. Puisque celui qui se réfugie sous l’égide de la loi, ne peut être sauvé par elle, et s’exclut de la grâce, à quoi est-il destiné, sinon à un châtiment d’autant plus inévitable que l’une sera sans force pour le protéger, et que l’autre le repoussera loin d’elle !
2. Il augmente ainsi leurs craintes, porte le trouble dans leurs pensées, et leur montre dans toute son horreur le naufrage qui les attend, puis il leur ouvre tout aussitôt le port de la grâce : ce qu’il fait en toute circonstance, pour faciliter et assurer davantage le salut de ceux qui l’écoutent. C’est pourquoi il ajoute : « Mais pour nous, c’est en vertu de la foi que nous espérons recevoir du Saint-Esprit nos moyens de justification (5) ». Nous n’avons besoin, dit-il, d’aucune des prescriptions de la loi, car la foi suffit à nous procurer le Saint-Esprit, et par lui notre justification, et mille autres biens précieux. « Car en Jésus-Christ ni la circoncision, ni l’incirconcision ne servent de rien, mais la foi qui est animée par l’amour (6)». Voyez comme il parle maintenant avec plus de liberté : Celui qui s’est revêtu du Christ, n’a plus souci de ces inutilités, dit-il. Et pourtant il disait que la circoncision est nuisible ; comment se fait-il donc qu’il la présente maintenant comme indifférente ? Elle est indifférente pour ceux qui s’y sont déjà soumis avant de s’être convertis à la foi, mais non pour ceux qui se font circoncire après avoir connu la foi. Voyez comme il la rejette en même temps que l’incirconcision. Car ce qui fait une différence entre elles, c’est la foi. Si on dressait une liste d’athlètes et que les uns eussent le nez aquilin, d’autres camus, que les uns fussent basanés et que les autres eussent la peau blanche, ces détails ne feraient rien pour la valeur de chacun d’eux ; mais, ce dont il faudrait se préoccuper, ce serait de savoir s’ils sont forts et s’ils connaissent leur métier : de même pour celui qui se fait inscrire sur le registre de la nouvelle alliance qu’il ait ou n’ait point ces marques physiques, il n’y gagne pas plus qu’il n’y perd. Quel est le sens de ces mots : « La foi animée par l’amour ? » En leur parlant ainsi il leur porte un coup bien sensible, car il leur montre que c’est parce que l’amour du Christ n’était pas enraciné dans leur cœur, que le mal a pu s’y introduire ; car ce que l’on exigeait d’eux ce n’était pas seulement d’avoir la foi, mais d’avoir aussi l’amour. C’est comme s’il leur disait : Si vous aviez aimé le Christ comme vous le deviez, vous n’auriez pas passé comme des transfuges du côté de la servitude, vous n’auriez pas renié celui qui vous a rachetés, vous n’auriez pas insulté celui qui vous a mis en liberté. Du même coup il désigne ceux qui avaient comploté leur perte, en montrant qu’eux aussi, s’ils les avaient aimés, n’auraient pas osé agir de la sorte. Il veut de plus les ramener dans le droit chemin par cette parole : « Vous couriez si bien ; qui vous arrête brusquement (7) ? » Ce ne sont pas là les paroles d’un homme qui interroge, mais d’un homme qui ne sait comment s’expliquer ce qui est arrivé, et qui en est désespéré. Comment une si belle course a-t-elle pu s’interrompre ? Qui a été assez puissant pour cela ? Vous qui étiez au-dessus de tous les hommes et occupiez le rang de docteurs de la foi, vous n’êtes plus même au rang des disciples. Que s’est-il passé ? Qui a été assez fort pour faire cela ? Ces exclamations sont bien celles d’un homme qui se plaint et qui gémit ; c’est comme un écho de ses premières paroles : « Quel œil jaloux a détruit votre bonheur ? » (Gal. 3,1) – « Ce sentiment dont vous vous êtes laissé persuader ne vient pas de celui qui vous a appelés (8) ». Ce n’était pas pour vous exposer aux tempêtes qu’il vous avait appelés, et s’il vous avait donné une loi, ce n’était pas pour que vous suivissiez celle des Juifs. Ensuite, pour qu’on ne lui dise pas : Pourquoi tant grossir et tant exagérer cette affaire ? Nous n’avons observé qu’une seule des prescriptions de la loi, et tu fais tant de bruit ?. Écoutez comme il les effraie en leur signalant, non les conséquences immédiates, mais les conséquences futures : « Un peu de levain aigrit toute la pâte (9) ». C’est ainsi, dit-il, que ce petit manquement, s’il n’y est pas porté remède, vous engagera entièrement dans le judaïsme, de la même manière que le levain agit sur la pâte.
« Je crois et j’espère de la bonté du Seigneur, « que vous n’aurez point à l’avenir d’autres « sentiments que les miens (10) ». Il n’a pas dit : J’espère que vous n’avez pas, mais j’espère que vous n’aurez point à l’avenir d’autres sentiments, c’est-à-dire que vous vous corrigerez. : D’où le savez-vous, ô Paul ? Il n’a pas dit : Je sais, mais : Je crois. J’ai confiance en Dieu, dit-il, et j’invoque son intervention en toute assurance, pour qu’il vous rende meilleurs. Il n’a pas dit simplement : « Je crois et j’espère », il a ajouté : « De la bonté de Dieu ». En toute circonstance il mêle le blâme à l’éloge. C’est comme s’il disait : Je connais mes disciples, je sais que vous vous corrigerez. Je l’espère fermement, parce que le Seigneur ne laisse périr personne, pas même le premier venu, et parce que vous pouvez par vous-mêmes revenir à votre premier état. En même temps, il les exhorte à faire eux-mêmes des efforts, parce qu’il n’est pas possible d’obtenir les faveurs de Dieu, sans y mettre du sien. « Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu’il soit ». Il emploie deux moyens pour les retenir : les encouragements pour eux, et les malédictions pour les faux apôtres, ou plutôt la prédiction des malheurs qui doivent les frapper. Voyez comme il évite de prononcer le nom de ceux qui avaient conspiré contre ses disciples, afin de ne pas augmenter leur confusion. Voici le sens de ses paroles : Parce que vous n’aurez plus d’autres sentiments que les miens, ce n’est pas une raison pour que ceux qui ont été la cause de votre erreur échappent au châtiment. Ils seront punis, car il ne convient pas que le zèle des uns soit la sauvegarde de la méchanceté des autres. Il en est ainsi, pour qu’ils n’entreprennent plus rien contre les autres hommes. Il n’a pas dit simplement : ceux qui troublent, mais il a parlé d’une manière plus générale : « Quel qu’il soit ».
« Et pour moi, mes frères, si je prêche encore la circoncision, pourquoi est-ce que je souffre tant de persécutions (11) ? » Comme on l’accusait de judaïser encore sur bien des points, et de ne pas prêcher sincèrement l’Évangile, voyez comme il se justifie pleinement, en les prenant eux-mêmes à témoin. Car vous savez, vous aussi, leur dit-il, que pour me persécuter on prétexte que je recommande de s’écarter de la loi : or si je prêche la circoncision, pourquoi suis-je persécuté ? car ceux qui sont Juifs d’origine n’ont pas d’autre reproche à m’adresser. Et si je leur permettais de garder la foi tout en observant les coutumes de leurs pères, je n’aurais eu rien à démêler ni avec ceux qui ont la foi, ni avec ceux qui ne l’ont pas, puisque je n’aurais ébranlé aucune de leurs règles de conduite.
3. Quoi donc ? n’a-t-il pas prêché la circoncision ? n’a-t-il pas circoncis Timothée ? (Act. 16) Oui, il l’a circoncis. Comment donc dit-il : « Je ne prêche pas la circoncision ? » Et en cela même voyez son exactitude et sa véracité. II n’a pas dit. Je ne pratique pas la circoncision, mais je ne la prêche pas, c’est-à-dire je ne recommande pas d’y croire. N’allez pas vous y soumettre pour raffermir vos croyances. J’ai circoncis, mais je n’ai pas prêché la circoncision. « Le scandale de la croix est donc anéanti ? » C’est-à-dire, il n’y a plus rien qui vous arrête ou vous retienne, si ce que vous dites est vrai. Ce n’était pas tant la croix qui était un scandale pour les Juifs, que le fait de déclarer qu’il ne fallait passe conformer aux coutumes qu’ils tenaient de leurs pères. Quand ils amenèrent Étienne devant le tribunal, ils ne dirent pas : Cet homme adore le crucifié, mais « cet homme parle contre la « loi et contre le lieu saint ». (Act. 6,13) Et à Jésus ils reprochaient de détruire la loi. C’est pourquoi Paul leur dit : Si je vous accorde la circoncision, il n’y a pas de débat entre vous et moi : il n’y a plus de haine contre la croix et contre la prédication évangélique. D’un autre côté, s’ils cherchent chaque jour à nous faire périr, comment se fait-il qu’ils nous reprochent cela ? J’ai été en butte à leurs attaques, parce que j’ai introduit un incirconcis dans le temple. Il faut donc que je sois bien insensé, si je permets la circoncision, de m’exposer ainsi inutilement et de gaîté de cœur à tant de persécutions, et faire supporter un tel scandale à la croix ? Remarquez bien en effet que nos ennemis ne nous font la guerre que pour une chose : pour la circoncision. Étais-je donc insensé au point de braver les souffrances et de scandaliser les autres pour une chose de nulle importance ? Il parle du scandale de la croix, parce que la doctrine, dont la croix est le symbole, ordonnait, et c’était là ce qui scandalisait le plus les Juifs, de renoncer aux coutumes de leurs pères. « Plût à Dieu que ceux qui ont causé votre ruine fussent exterminés (12) ! » Remarquez avec quelle amertume il parle de ceux qui les ont séduits. Au début il attaquait ceux qui s’étaient laissé séduire, en les traitant, jusqu’à deux fois, d’insensés : après les avoir remis en bonne voie, il s’attaque désormais à leurs séducteurs. Nous devons profiter de cette circonstance pour nous rendre compte, de son habileté : il parle aux Galates et les, traite comme ses enfants, comme des hommes qui peuvent profiter de ses conseils et se corriger, tandis qu’il frappe sans ménagement leurs séducteurs, comme des gens qui lui sont étrangers et dont la maladie est incurable ; soit qu’il dise : « Chacun portera sa peine, quel qu’il soit » ; soit qu’il les maudisse en ces termes : « Plût à Dieu que ceux qui ont causé votre ruine fussent exterminés ! » Il a eu raison de dire : « Ceux qui ont causé votre ruine ». Car les faux apôtres les avaient dépossédés de leur patrie, de leur liberté, de leur céleste parenté, pour les forcer à en chercher une autre tout à fait étrangère ; ils les avaient chassés de la Jérusalem céleste et indépendante, pour les obliger à errer comme des captifs et des hommes sans patrie. C’est pourquoi il les maudit. Voici le sens de ses paroles : Je ne m’intéresse nullement à ces gens-là : « Quand vous avez averti l’hérétique une ou deux fois, ne vous occupez plus de lui ». (Tit. 3,10) S’ils y tiennent tant, qu’ils ne se fassent pas seulement circoncire, mais qu’on les coupe entièrement s’ils le veulent.
Où sont-ils donc ceux qui osent se mutiler eux-mêmes, qui attirent la malédiction sur eux, qui calomnient l’œuvre du Créateur, et qui adoptent les erreurs des Manichéens ? Ceux – ci prétendent que le corps est notre ennemi et composé d’une fange malsaine et corrompue : et les autres, par leur conduite, donnent une raison d’être à ces tristes doctrines, puisqu’ils se privent de leur virilité comme d’une chose ennemie et pernicieuse. D’après ce principe, il faudrait bien plus encore se priver de la vue, car c’est par elle que le désir pénètre dans l’âme. Mais le vrai, le, seul coupable, c’est la volonté corrompue et non les yeux ou quelque autre partie du corps. Si vous n’admettez point cela, pourquoi votre langue, à cause de ses blasphèmes, vos mains, qui vous servent à dérober, vos pieds, qui vous portent au mal, en un mot tout votre corps ne tomberait-il pas sous le fer ? En effet, votre ouïe, doucement flattée, a étendu sa molle influence sur votre âme, et vos narines, en sentant des odeurs délicates, ont charmé votre intelligence et l’ont précipitée à la recherche les plaisirs. Eh bien, retranchons tout, et nos oreilles, et nos mains, et nos narines. Mais c’est là le dernier degré de l’aberration, c’est une monstrueuse folie inspirée par Satan. Il fallait se contenter de régler les mouvements désordonnés de l’âme ; mais le génie du mal, toujours avide de sang, vous a fait croire que l’artiste s’est trompé et qu’il fallait briser l’instrument qu’il avait façonné. Mais quand le corps est trop bien nourri, disent-ils, comment empêcher que les désirs n’y prennent feu ? Mais remarquez encore une fois que c’est la faute de l’âme : si la chair est trop bien nourrie, cela ne dépend pas de la chair, mais de l’âme. Si elle voulait affaiblir la chair, elle en aurait tous les moyens. Tandis que vous, vous agissez d’une manière absurde, vous faites comme un homme qui, en voyant un autre qui allume un feu, y met du bois, et incendie sa maison, ne dirait rien à celui qui a allumé le feu, mais adresserait des reproches au feu lui-même, parce qu’il a reçu beaucoup de bois et s’est élevé à une grande hauteur. Ces reproches reviennent de droit non pas au feu, mais à celui qui l’a allumé. Car le feu nous a été donné pour cuire nos aliments, pour nous éclairer et pour nous rendre d’autres services, et non pour brûler les maisons. De même les appétits charnels nous ont été donnés pour perpétuer les familles ainsi que la race humaine, et non pour nous pousser à l’adultère, à la fréquentation des mauvais lieux et à la débauche pour faire de nous des pères de famille et non des adultères : pour vivre légitimement avec une femme, et non pour la corrompre, contrairement à la loi : pour déposer dans son sein ces germes de fécondité, et non pour vicier ceux que son époux y a laissés. L’adultère n’est pas le résultat des appétits charnels, mais bien de l’incontinence, car le désir nous fait rechercher simplement le commerce des femmes, mais non pas de cette manière.
4. Ce n’est point sans intention que nous avons parlé ainsi : c’est une première lutte, une première escarmouche contre ceux qui prétendent que la création de Dieu est mauvaise, et qui négligent les faiblesses de l’âme pour s’emporter, comme des fous furieux, contre le corps, et calomnier la chair. À ce sujet l’apôtre Paul prononce ensuite d’autres paroles, non pour accuser la chair, mais les suggestions du diable.
« Car vous êtes appelés, mes frères, à un état de liberté ; ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d’occasion pour vivre selon la chair (13) ». À partir d’ici il semble ne vouloir parler que de la morale ; il y a dans cette épître quelque chose de particulier et qu’on ne retrouve dans aucune autre du même apôtre. Il partage toutes ses épîtres en deux parties : la première consacrée à l’explication du dogme, la dernière à des conseils sur la vie que doivent mener les fidèles ; tandis que maintenant, après avoir eu occasion de parler de la morale, il revient de nouveau à l’explication du dogme. Ces deux choses se tiennent, quand on veut réfuter les Manichéens. Que signifient ces mots : « Ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d’occasion pour vivre selon la chair ? » Jésus-Christ, dit-il, nous a délivrés du joug de l’esclavage, il nous a rendu la pleine liberté de nos actions, non pour que nous en abusions, mais pour que nous puissions mériter une plus belle récompense, en nous conformant aux préceptes d’une philosophie plus belle. Comme il lui est arrivé en maintes circonstances de dire que la loi est le joug de l’esclavage, et que la grâce est ce qui nous a délivrés de la malédiction, il ne veut pas qu’on aille croire que, s’il nous recommande de renoncer à la loi, c’est pour nous permettre de vivre sans loi aucune, et il rectifie cette opinion erronée en disant : Ce n’est pas un corps de doctrines contraires à toute loi, mais une philosophie supérieure aux lois, car les liens dont nous chargeait la loi sont brisés. Et si je vous parle ainsi, ce n’est pas pour vous abaisser, mais pour vous élever. L’habitué de mauvais lieux, et l’homme qui garde sa virginité, sortent tous deux des limites de la loi, mais non pour le même motif : l’un s’abaisse vers ce qui est plus vil, l’autre s’élève vers ce qui est plus beau : l’un dépasse, l’autre surpasse la loi. Voici donc le sens des paroles de Paul : Le Christ vous a débarrassés du joug, non pour vous laisser bondir et ruer, mais pour que vous marchiez en bon ordre, sans y être contraints par le joug. Ensuite il nous montre de quelle manière nous devons nous y prendre pour qu’il en soit ainsi. Comment cela ? Assujettissez-vous les uns aux autres », dit-il, « par « une charité spirituelle ». Ici encore, il fait entendre que l’amour des querelles, la discorde, le désir de commander et l’outrecuidance ont été les causes de leur erreur : car le père de l’hérésie, c’est le désir de commander. En leur disant : « Assujettissez-vous les uns aux autres », il leur a fait voir que ce malheur est venu de l’orgueil et de l’outrecuidance ; aussi leur présente-t-il le remède qui convient le mieux. Comme ils n’étaient plus d’accord parce qu’ils voulaient dominer les uns les autres, il leur dit : « Assujettissez-vous les uns aux autres » ; c’est le moyen de retrouver le bon accord. Il n’indique pas nettement leur faute, mais il indique nettement le remède, afin que par lui ils comprennent ce qu’ils ont fait : c’est comme si, au lieu de dire à un débauché qu’il vit dans la débauche, on lui recommandait d’être toujours chaste. Celui qui aime son prochain, comme il le doit, ne refuse pas de s’assujettir à lui avec plus d’humilité que le plus humble esclave. De même que le feu, quand on l’approche de la cire, la ramollit facilement, de même l’ardeur de la charité dissout tout orgueil et toute arrogance plus rapidement que le feu. Aussi ne leur a-t-il pas dit simplement : « Aimez-vous les uns les autres », mais : « Assujettissez-vous les uns aux autres », montrant par là jusqu’où ils doivent pousser l’esprit de charité. Après les avoir débarrassés du joug de la loi, non pour donner libre carrière à leurs instincts de désordre, il met à la place un autre joug, celui de la charité, joug plus puissant, mais bien plus léger et bien plus doux que le premier. Ensuite il fait connaître les heureuses conséquences qui résultent de la pratique de cette vertu. « Car toute la loi est renfermée dans ce seul précepte : Vous aimerez votre prochain comme vous-même (14) ». (Mt. 22,39 ; Lev. 19,18) Comme ils ne cessaient de lui citer la loi : Si vous tenez tant à vous y conformer, leur dit-il, ne pratiquez pas la circoncision, car ce n’est point par la circoncision, mais par la charité qu’on s’y conforme. Voyez comme il n’oublie pas l’objet de sa principale préoccupation : il y revient sans cesse, même quand il traite une question de morale. – « Que si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres (15) ». Il n’emploie pas le ton affirmatif, de peur de les indisposer, mais il sait bien que c’est ce qui est arrivé en réalité, quoiqu’il en parle d’un air de doute. Il n’a pas dit : Puisque vous vous mordez les uns les autres, ni prononcé le reste de la phrase avec ce ton d’affirmation. Il n’affirme pas non plus quand il dit : « Prenez garde que vous ne vous consumiez les uns les autres ». C’est la réflexion d’un homme qui a peur et qui n’est pas rassuré, mais non d’un homme qui prononce une condamnation. Il parle aussi avec une certaine emphase. Car il n’a pas dit seulement : « Vous vous mordez », ce qui est l’indice d’une grande colère ; mais il a ajouté : « Vous vous dévorez les uns les autres », ce qui est la preuve que la perversité s’était enracinée dans leur cœur. Celui qui mord satisfait un moment sa colère, mais celui qui dévore est arrivé aux dernières limites de la fureur et de la bestialité. Par ces expressions de « mordre » et de « dévorer », il ne fait pas allusion aux blessures du corps, mais à d’autres qui sont bien plus dangereuses ; car celles que reçoit la chair de l’homme sont moins cruelles que celles que son âme reçoit. Le dommage éprouvé par l’âme est d’autant plus grand qu’elle-même l’emporte davantage sur le corps. « Prenez garde, dit-il, que vous ne vous consumiez les uns les autres ». Comme c’est précisément à ce résultat de se consumer eux-mêmes, tout en cherchant à consumer les autres, qu’arrivent les hommes qui commettent des injustices et qui complotent contre leur prochain, il leur dit Prenez garde que le mal que vous voulez faire ne retombe sur vous-mêmes. La discorde et la guerre percent et détruisent, et ceux qui en sont l’objet, et ceux qui en sont les auteurs ; elles les rongent mieux que la teigne ne ronge les étoffes. « Je vous le dis donc : Marchez dans le chemin de l’Esprit, et vous n’accomplirez point les désirs de la chair (16) ».
5. Voici qu’il nous indique une autre route par laquelle il nous est facile d’arriver à la vertu, et qui nous mène heureusement aux résultats qu’il signale : une route qui livre passage à la charité, et qui des deux côtés est étroitement resserrée par la charité. Rien, en effet, rien ne nous donne l’esprit de charité, comme d’être animés du Saint-Esprit, et rien n’engage autant le Saint-Esprit à séjourner en nous, que la force de la charité. C’est pour cela qu’il dit : « Marchez dans le chemin du Saint-Esprit, et vous n’accomplirez point les désirs de la chair ». Après leur avoir dit ce qui causait leur maladie, il leur dit aussi quel est le remède qui leur rendra la santé. Or, quel est ce remède, et quelle est la puissance qui nous procurera les biens dont il vient de parler, si ce n’est une vie conforme aux volontés de l’Esprit ? Aussi dit-il : « Marchez dans le chemin de l’Esprit ; et n’accomplissez pas les désirs de la chair. Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit en a de contraires à ceux de la chair, et ils sont opposés l’un à l’autre ; de sorte que vous ne faites pas les choses que vous voudriez (17) ». Quelques personnes s’appuient sur ce passage pour reprocher à l’apôtre d’avoir divisé l’homme en deux parties, en le représentant comme composé de deux essences contraires, et en montrant que le corps est en lutte avec l’âme. Mais cela n’est pas, non, cela n’est pas : dans ce passage il parle de la chair et non du corps, car s’il faisait allusion au corps, comment expliquer ce qui suit immédiatement : « Car la chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit ? » Et certes ce mot de « chair », se dit non de ce qui met en mouvement, mais de ce qui est mis en mouvement ; non de ce qui fait l’action, mais de ce qui la reçoit : comment donc la chair peut-elle avoir des désirs ? Ce n’est pas elle qui en a, mais bien l’âme. En effet, il est dit autre part : « Mon âme est désireuse » (Ps. 83,2) ; et : « Que désire ton âme, et je le ferai » (1Sa. 20,4) ; et « Ne marche pas suivant le désir de ton âme » (Sir. 18,30) ; et ailleurs encore : « Tel est le désir de mon âme ». (Ps. 41,2) Comment donc se fait-il que Paul dise : « La chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit ? » Il a coutume d’appeler chair, non la nature du corps, mais nos mauvais désirs, comme lorsqu’il dit : « Vous, vous n’êtes pas dans la chair, mais vous êtes dans l’Esprit » (Rom. 8,9, 8) ; et une autre fois : « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu ». Quoi donc ? faut-il supprimer la chair ? Et lui-même qui parlait ainsi, n’était-il pas enveloppé de chair ? De pareilles doctrines sont une inspiration non de la chair, mais du diable, « car il a été homicide dès le commencement ». (Jn. 8,44).
Que signifient donc ces paroles ? Par ce mot de chair, il veut parler ici de nos instincts grossiers, licencieux et déréglés. Or, ceci n’est pas une accusation à l’adresse du corps, mais une plainte contre l’âme sans énergie : la chair n’est qu’un instrument, et nul ne hait ou ne déteste un instrument, mais bien celui qui s’en sert pour faire le mal. Ce n’est pas le fer, mais le meurtrier que nous haïssons et que nous punissons. Mais cela même, dira-t-on, est une parole d’accusation dirigée contre le corps, que de comprendre les péchés de l’âme sous le nom de la chair. Quant à moi, je reconnais que la chair est inférieure à l’âme, et que cependant elle a, elle aussi, sa beauté. Ce qui est moins beau est beau encore, tandis que ce qui est mal n’est pas seulement inférieur, mais encore contraire à ce qui est beau. Si vous pouvez me prouver que le vice est le produit du corps, accusez la chair : si vous la calomniez à cause de l’usage que Paul a fait de son nom, vous devez aussi calomnier l’âme. En effet, il traite d’homme « animal »[6] celui qui est privé de la connaissance de la vérité (1Cor. 2,14), et il appelle « Esprits de malice », la troupe des démons. (Eph. 6,12) L’Écriture se sert aussi du nom de la chair pour désigner des mystères, et pour désigner l’Église dans son ensemble, quand elle dit qu’elle est le corps de Jésus-Christ. (Col. 1,18) Si vous voulez vous représenter les services que rend la chair, supposez les sens éteints, et vous verrez l’âme veuve de toute connaissance, et incapable de savoir aucune des choses qu’elle sait. Si la puissance du Dieu créateur se révèle à notre esprit parce que nous voyons de ses œuvres, comment pourrions-nous la voir sans nos yeux ? Si la foi vient de ce que nous entendons, comment entendrions-nous sans oreilles ? Nos prédications et nos visites auprès des fidèles sont l’œuvre de notre langue et de nos pieds. « Et comment les prédicateurs leur prêcheront-ils, s’ils ne sont envoyés ! » (Rom. 10,15) Si nous écrivons, c’est grâce à nos mains. Voyez-vous que d’avantages nous procure le ministère de la chair ? Si Paul dit : « La chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit », c’est qu’il parle de deux pensées qui se font opposition : du vice et de la vertu, et non de l’âme et du corps. Si l’âme et le corps étaient opposés, l’un tendrait à supprimer l’autre, comme l’eau le feu, la lumière l’ombre. Mais si l’âme prend soin du corps, et s’occupe beaucoup de lui, et qu’elle supporte mille maux plutôt que de le laisser, et qu’elle résiste quand on veut l’en séparer ; si le corps lui prête son ministère, et lui procure une foule de connaissances, et s’il a été organisé de manière à exécuter toutes les actions qu’elle veut voir accomplies, comment pourraient-ils être contraires l’un à l’autre, se combattre l’un l’autre ? Je vois qu’en réalité loin d’être contraires, ils sont parfaitement d’accord et se protègent réciproquement. Ainsi donc ce n’est point à leur antagonisme qu’il fait allusion, mais à celui des bonnes et des mauvaises pensées. Vouloir et ne pas vouloir, est le propre de l’âme. C’est pourquoi il a dit Ces deux choses sont opposées entr’elles. Il veut que nous ne permettions pas à notre âme de suivre ses mauvais désirs. C’est un cri qu’il a poussé comme un pédagogue ou un professeur qui cherche à effrayer ses disciples. « Que si vous êtes poussés par l’Esprit, vous n’êtes point sous la loi (18) ».
6. Sur quoi appuie-t-il ce qu’il avance ? Sur un raisonnement clair et très-concluant. Celui qui possède l’Esprit, autant qu’il le doit, éteint, grâce à lui, tous ses mauvais désirs ; celui qui en est délivré, n’a pas besoin du secours de la loi, car il s’est élevé bien au-dessus des promesses qu’elle nous fait. En effet, celui qui ne se met pas en colère, en quoi a-t-il besoin de s’entendre citer cette formule : « Tu ne tueras point ! » Celui qui ne regarde pas avec des yeux impudiques, qu’a-t-il besoin qu’on lui recommande de ne pas commettre l’adultère ? Qui parle des fruits du vice à celui qui en a extirpé la racine de son cœur ? La racine du meurtre c’est la colère, et de l’adultère, c’est la vaine curiosité des yeux. C’est pour cela qu’il dit : « Si vous êtes poussés par l’Esprit, vous n’êtes point sous la loi ». Il me semble que dans ce passage il fait un grand et merveilleux éloge de la loi. Si la loi a suppléé l’Esprit, autant qu’il était en elle, avant la venue de l’Esprit, ce n’est certes pas une raison pour rester toujours sous sa férule. Alors il était naturel que nous fussions sous la loi, afin de châtier nos désirs par la crainte, puisque l’Esprit ne s’était pas encore manifesté : mais aujourd’hui, que nous avons reçu la grâce qui ne nous défend pas seulement d’écouter nos désirs, mais qui les arrête dans leur développement, et les fait servir à de plus nobles usages, quel besoin avons-nous de la loi ? Celui qui voit par lui-même quelle est la meilleure conduite à tenir, quel besoin a-t-il d’un pédagogue ? On se passe de – son professeur de littérature, quand on est devenu philosophe. Pourquoi donc vous ravaler vous-mêmes, vous qui vous êtes d’abord soumis à la direction de l’Esprit, et qui maintenant vous tenez accroupis sous le joug de la loi ?
« Or il est aisé de connaître les œuvres de la chair, qui sont la fornication, l’impureté, l’impudicité, la dissolution, l’idolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches, et autres choses semblables, dont je vous déclare, comme je vous l’ai déjà dit, que ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu (19-21) ». Maintenant, vous qui accusiez votre chair, et qui pensiez qu’en parlant ainsi de la chair, Paul la considère comme notre adversaire, comme notre ennemie (supposons avec vous que l’adultère et la fornication soient du fait de la chair), dites-moi comment les inimitiés les dissensions, les jalousies, les animosités, les hérésies et les empoisonnements (car ces crimes sont le fait d’une âme corrompue, ainsi que les autres du reste), dites-moi comment la responsabilité en peut être attribuée à la chair ? Voyez-vous comme il veut parler ici non de la chair, mais de nos instincts bas et grossiers ? C’est pour cela qu’il fait entendre des paroles de menace : « Ceux qui commettent ces crimes ne seront point héritiers du royaume de Dieu ». Si ces crimes étaient le résultat d’une nature mauvaise et non d’une âme pervertie, ce n’est pas « Ceux qui commettent, mais ceux qui subissent ces crimes », qu’il eût dû dire. Pourquoi sont-ils exclus dit royaume céleste ? Les couronnes, pas plus que les châtiments, ne sont dus aux actes naturels, mais à ceux qui procèdent d’une mauvaise pensée. Voilà pourquoi Paul nous a jeté cette menace.
« Les fruits de l’Esprit, au contraire, sont la charité, la joie, la paix (22) ». Il n’a pas dit : Les œuvres, mais : « Les fruits de l’Esprit ». – L’âme est donc une chimère ? Il ne parle que de la chair et de l’Esprit ; où donc est l’âme ? Est-ce qu’il parle d’êtres sans âme ? Puisqu’il rapporte ce qui est mal à la chair, et ce qui est bien à l’Esprit, c’est que pour lui l’âme n’existe pas ? – Nullement ; car c’est l’âme qui maîtrise les passions, c’est elle que cela regarde. Elle a devant elle le bien et le mal : si elle se sert du corps comme elle le doit, elle accomplit l’œuvre de l’Esprit ; si elle s’écarte de l’Esprit et se livre à ses mauvais désirs, elle se rend elle-même plus grossière et plus vile. Voyez-vous comme tout prouve que maintenant il ne parle pas en réalité de la chair, mais des pensées mauvaises ou non. « Pourquoi dit-il : Les fruits de l’Esprit ? » Parce que les mauvaises œuvres viennent de nous seuls, et c’est pour cela qu’il les appelle des œuvres, tandis que les bonnes n’exigent pas seulement un effort de notre volonté, mais aussi la bienveillante intervention de Dieu. Ensuite, au moment de s’expliquer là-dessus, il expose en ces termes l’origine des biens : « La charité, la joie, la paix, la patience, l’humanité, la bonté, la persévérance, la douceur, la foi, la modestie, la continence. Il n’y a point de loi contre ceux qui vivent de la sorte (23) ». Quelle recommandation faire à celui qui a en lui tous les moyens de se bien conduire, qui a, pour lui enseigner la sagesse, le meilleur des maîtres, la charité ? De même que les chevaux qui sont dociles vont d’eux-mêmes comme ils doivent aller, et n’ont pas besoin du fouet, de même l’âme qui pratique la vertu par l’effet de l’Esprit, n’a pas besoin des remontrances de la loi. Par ces paroles, il a prononcé encore, et d’une manière vraiment admirable, la déchéance de la loi, en déclarant, non pas qu’elle était sans valeur, mais qu’elle est inférieure aux nouvelles doctrines que nous tenons de l’Esprit.
« Or, ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés (24) ». Afin qu’on ne dise pas : Quel est l’homme qui est tel ? il désigne par leurs œuvres ceux qu’il a en vue, en donnant encore une fois le nom de chair aux mauvaises actions. Ils n’ont pas supprimé la chair, autrement comment vivraient-ils ? Mais ce qui est crucifié est mort et incapable d’agir. Paul nous fait le tableau de la vraie sagesse, car les désirs, quelque importuns qu’ils soient, grondent en vain. Puis donc que l’Esprit a tant de puissance, vivons avec lui, ayons assez de lui. C’est aussi le conseil que nous donne Paul quand il dit : « Vivons donc dans l’Esprit, et conduisons-nous par l’Esprit (25) », en nous conformant à ses ordres. Car tel est le sens de ces mots : « Conduisons-nous », c’est-à-dire, contentons-nous de la puissante intervention de l’Esprit, et ne recherchons pas en outre celle de la loi. Ensuite, montrant que ceux qui introduisaient la circoncision, le faisaient par ambition, il dit : « Ne nous laissons point aller à la vaine gloire, nous piquant les uns les autres, et étant envieux les uns des autres (26) ». Car l’envie naît de la vaine gloire, et de l’envie naissent des maux innombrables.

CHAPITRE VI. MES FRÈRES, SI QUELQU’UN EST TOMBÉ PAR SURPRISE EN QUELQUE PÉCHÉ… (1).[modifier]

Analyse.[modifier]

  • 1. Corriger avec douceur. – S’entre-supporter. – Croire qu’on n’est rien.
  • 2. Devoir de celui qui enseigne.
  • 3. Semer pour recueillir. – Paul dictait ses lettres à un secrétaire.
  • 4. Paul ne se glorifie que de la croix. – Combien est grande la puissance de la croix.


1. Comme sous l’apparence du reproche ils satisfaisaient leurs passions, et semblaient agir ainsi pour punir les péchés, tandis qu’en réalité ils voulaient établir leur domination, il leur dit : « Mes frères, si quelqu’un est tombé par surprise en quelque péché ». Il n’a pas dit : Si quelqu’un a commis quelque péché, mais : « Si quelqu’un est tombé par surprise », c’est-à-dire, s’il a été entraîné. « Vous autres, qui êtes spirituels, ayez soin de le relever ». Il n’a pas dit : Punissez-le, ni : Condamnez-le, mais : Redressez-le. Et même il ne s’en est pas tenu là, mais il leur montre qu’ils doivent témoigner la plus grande bienveillance à ceux qui ont fait un faux pas, et ajoute : « Ayez soin de le relever dans un esprit de douceur ». Il n’a pas dit : Avec douceur, mais : « Dans un esprit de douceur », pour montrer que cela plaît à l’Esprit, et que c’est un don de l’Esprit que de pouvoir redresser avec modération ceux qui ont péché. Ensuite, afin de prévenir tout mouvement d’orgueil chez celui qui redresse les autres, il lui tait partager la même crainte et dit : « Chacun de nous faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté aussi bien que lui ». Ceux qui sont riches apportent de quoi payer l’écot de ceux qui sont dans le besoin, afin d’être traités de la même manière, s’il leur arrivait de tomber dans la même gêne : imitons leur conduite. Aussi leur en fait-il une nécessité : « Chacun de vous faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté aussi bien que lui… ». Il prend la défense du pécheur d’abord, en disant : « Si quelqu’un est tombé par surprise », ce qui est une expression adoucie pour indiquer la grande faiblesse du pécheur ; ensuite en ajoutant : « Chacun craignant d’être tenté aussi bien que lui », ce qui attribue la chute du pécheur à la malignité du démon plutôt qu’à la lâcheté de l’âme.
« Portez les fardeaux les uns des autres… « (2) ». Comme il n’est pas possible qu’on soit homme et sans défauts, il les engage à n’y pas regarder de trop près quand il s’agit des péchés des autres, et à supporter les défauts du prochain, pour qu’on supporte aussi les leurs. Il en est du corps de l’Église comme d’un corps de constructions : toutes les pierres ne conviennent pas à la même place : l’une sera bien dans les angles, mais non dans les fondations ; l’autre sera bien dans les fondations, mais non dans les angles. Nous retrouvons la même organisation dans notre propre corps. Et cependant les différentes parties qui composent le tout, s’adaptent bien entre elles, et nous n’exigeons pas de chacune le même genre de service. C’est cet ensemble de parties et de fonctions différentes qui constitue un corps et un édifice. « Et ainsi vous accomplirez ensemble la loi de Jésus-Christ ». Il n’a pas dit : « Vous accomplirez », mais : « Vous accomplirez ensemble », c’est-à-dire : Vous contribuerez tous à l’accomplir en vous soutenant mutuellement. Ainsi, celui-ci est porté à la colère, et toi tu es lent : supporte donc ses vivacités pour qu’il ne s’impatiente pas de tes lenteurs. De la sorte lui ne péchera pas parce qu’il s’appuiera sur toi, et toi tu ne resteras pas plongé dans ton engourdissement, parce que ton frère sera là pour te soutenir. Ainsi vous vous tendrez réciproquement la main quand vous serez sur le point de tomber, et vous accomplirez la loi en commun, car chacun de vous se tiendra tout prêt à suppléer l’autre. Si vous n’agissez pas ainsi, mais si chacun s’apprête à critiquer les actions du prochain, il n’y aura que désordre parmi vous. De même que le corps, si on exigeait de tous ses membres les mêmes services, ne pourrait plus subsister ; de même nous semons la discorde parmi les frères, si nous demandons à tous la même chose.
« Car si quelqu’un s’estime être quelque chose, il se trompe lui-même, parce qu’il n’est rien (3) ». Dans ce passage il a encore l’arrogance. Car celui qui se croit quelque chose, n’est rien, et par cette indulgence envers lui-même il montre du premier coup son peu de valeur réelle. « Or, que chacun examine bien ses propres actions… ». Dans ce passage il nous fait entendre qu’il faut soumettre notre vie à un examen, et non pas à un simple examen, mais à un examen sévère. Par exemple, as-tu fait quelque bonne action ? Examine si ce n’est pas la vanité, ou la nécessité, ou la vengeance, ou l’hypocrisie, ou quelque autre motif purement humain qui ; t’a fait agir. De même que l’or, qui semble brillant avant d’avoir passé par le creuset, ne brille de tout son éclat qu’après avoir été livré au feu qui en sépare tout alliage impur, de même nos actions ne se laissent bien voir telles qu’elles sont qu’après un sévère examen qui nous y découvre bien des taches. « Et alors il trouvera sa gloire en ce qu’il verra de bon dans lui-même, et non point en se comparant avec les autres (4) ». S’il parle ainsi, ce n’est point pour nous tracer un programme que nous devons suivre, c’est pour condescendre à notre faiblesse. C’est comme s’il disait : Il est absurde de se glorifier, mais si vous y tenez, que ce ne soit pas aux dépens de votre prochain, comme faisait le pharisien. Celui qui aura été élevé à ne pas se glorifier aux dépens des autres, ne tardera pas à ne plus se glorifier du tout. Voilà pourquoi Paul nous a fait cette concession : il a voulu nous faire perdre peu à peu cette habitude tout entière. Car celui qui s’est accoutumé à ne se glorifier que par rapport à lui-même et non par rapport aux autres, se débarrassera bientôt de cette faiblesse. Celui qui ne se croit pas meilleur que les autres (car tel est le sens de ces mots : « En se comparant avec les autres »), mais ne s’enorgueillit qu’en se comparant avec lui-même, celui-là cessera plus tard même d’agir ainsi. Et pour que vous compreniez que tel est le but qu’il poursuit, voyez comme il éveille les craintes de celui à qui il fait cette concession : après avoir dit d’abord : « Que chacun examine bien ses propres actions », il ajoute : « Car chacun portera son propre fardeau (5) ». Il semble vouloir nous dissuader de nous glorifier en nous comparant aux autres, mais en réalité il corrige celui qui se glorifie, afin qu’il ne soit pas fier de lui-même, car il le fait réfléchir sur ses propres péchés, et par ces mots : « De fardeau qu’il faut porter », il pèse sur sa conscience. « Que celui qu’on instruit dans les choses de la foi, assiste de ses biens en toute manière celui qui l’instruit (6) ».
2. Il va désormais parler de ceux qui enseignent, et conseiller à leurs disciples de leur témoigner toutes sortes d’égards. Et pourquoi Jésus a-t-il réglé qu’il en serait ainsi ? Car c’est un précepte du Nouveau Testament, que ceux qui prêchent l’Évangile doivent vivre de l’Évangile. Il en est de même dans l’Ancien Testament : les lévites recevaient de ceux qui étaient au-dessous d’eux des revenus considérables. Pourquoi cela a-t-il été réglé ainsi ? Pour nous procurer l’occasion d’être humbles et charitables. Comme la dignité de ceux qui enseignent les prédispose à l’orgueil, Jésus a prévenu ces sentiments, en les réduisant à avoir besoin des secours de leurs disciples : et par compensation il a donné à ceux-ci l’occasion de faire preuve de bienveillance et de bonté, en les exerçant à être charitables pour leurs maîtres et doux pour les autres hommes. Ce qui n’était pas peu fait pour exciter la charité d’une et d’autre part. Si cela ne se passait pas comme je viens de le dire, pourquoi Dieu, qui nourrissait de la manne les Juifs, tout ingrat qu’ils étaient, a-t-il réduit les apôtres à la position de gens qui demandent leur pain ? N’est-il pas évident qu’il a voulu par là donner l’essor à deux grandes vertu : l’humilité et la charité ? qu’il a voulu apprendre aux disciples à ne pas rougir de choses qui paraissent peu honorables ? Car demander l’aumône semble être une chose dont on doive rougir : mais ils n’avaient plus de pareilles idées quand ils voyaient leurs maîtres s’y résigner sans détour. De la sorte les disciples en retiraient ce grand avantage d’être élevés à mépriser toute vanité. C’est pourquoi Paul dit : « Que celui qu’on instruit dans les choses de la foi, assiste de ses biens en toute manière celui qui l’instruit ». C’est-à-dire, qu’il le fasse vivre dans l’abondance, car tel est le sens de ces paroles : « Qu’il l’assiste de ses biens en toute manière ». Que le disciple, dit-il, n’ait rien en propre et qu’il mette tous ses biens en commun. Car il reçoit plus qu’il ne donne : en effet, combien les trésors du ciel ne sont-ils pas supérieurs à ceux de la terre ? C’est ce que Paul faisait entendre ailleurs quand il disait « Si donc nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous recueillions un peu de vos biens « temporels ? » Voilà pourquoi il appelle cela une communauté, montrant que c’est un véritable échange. Par là notre charité devient plus ardente et plus solide. Si le maître ne demande que le nécessaire, il ne perd rien de sa dignité, même quand il reçoit. Car c’est même une chose honorable que d’être si absorbé par les soins de la prédication, qu’on soit réduit à avoir besoin des autres, à vivre dans une profonde pauvreté, et à mépriser tous les biens terrestres. S’il dépasse la mesure, il perd de sa dignité, non pas parce qu’il reçoit, mais parce qu’il reçoit trop : ensuite, pour que la perversité du maître ne ralentisse pas le zèle du disciple, et pour qu’il ne soit pas indifférent pour la pauvreté en songeant à ses mauvaises mœurs, Paul dit plus loin : « Ne nous lassons pas de faire le bien ». Ici il montre la différence qui existe entre la recherche des biens spirituels et celle des biens temporels, et il s’exprime en ces termes : « Ne vous y trompez pas, on ne se moque point de Dieu. L’homme ne recueillera que ce qu’il aura semé : car celui qui sème dans sa chair recueillera de la chair la corruption et la mort ; et celui qui sème dans l’Esprit, recueillera de l’Esprit la vie éternelle (7, 8) ».
De même qu’en fait de semences, on ne peut récolter de blé là où on a semé de l’orge, car il faut que la semence et la récolte soient de même espèce ; de même, quand il s’agit des œuvres, celui qui sème dans sa chair la mollesse, l’ivrognerie, les désirs déréglés, en récoltera les fruits. Or ces fruits, quels sont-ils ? Les châtiments, lis supplices, la boute, le ridicule, la corruption. Car les riches festins et les plaisirs ne produisent pas d’autre résultat que la corruption : eux-mêmes sont corrompus et corrompent le corps. Il n’en est pas de même des choses de l’Esprit, elles produisent même des résultats tout contraires. Voyez plutôt : Vous avez semé l’aumône ; les trésors du ciel et une gloire éternelle vous sont réservés : vous avez semé la chasteté, vous récolterez les honneurs, le prix du combat, les éloges des anges et la couronne décernée par le souverain Juge. – « Ne nous lassons donc point de faire le bien, puisque sans fatigue nous en recueillerons le fruit en son temps. C’est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous, mais principalement à ceux qu’une même foi a rendus comme nous domestiques du Seigneur (9, 10) ». Pour qu’on ne croie pas qu’ils doivent avoir soin de leurs maîtres, à l’exclusion des autres hommes, il élargit le cercle de ses recommandations, et il ouvre à tous les hommes l’accès de leur charité ; il va même jusqu’à leur dire d’être compatissants pour les Juifs et pour les gentils, tout en observant la gradation convenable, mais de leur être compatissants néanmoins. En quoi consiste cette gradation ? À montrer de l’affection aux fidèles surtout. Ce qu’il a coutume de faire dans ses autres épîtres, il le fait encore ici, il ne nous recommande pas seulement d’être compatissants, mais de l’être avec ardeur et avec constance. C’est à quoi il fait allusion quand il parle de semence, et qu’il nous exhorte à ne pas nous fatiguer de faire le bien. Ensuite, après avoir exigé beaucoup de nous, il dépose à notre porte le prix de la lutte, cette récolte extraordinaire et d’un nouveau genre qu’il vient de dépeindre.
3. Pour ne parler que du travail de la terre, ce n’est pas seulement celui qui sème, mais ainsi celui qui amasse la récolte, qui prend beaucoup de peine, obligé qu’il est de lutter contre la chaleur, la poussière et toutes sortes de désagréments. Mais il n’y a plus rien de tout cela quand il s’agit dé la récolte spirituelle, dit-il. Et il le fait ressortir avec évidence : « Nous en recueillerons le fruit en son temps et sans éprouver de fatigue ». Par ces paroles il les exhorte et les entraîne : il revient encore à la charge d’un autre côté et les excite en disant : « C’est pourquoi pendant que nous en avons le temps faisons le bien ». Si nous ne sommes pas maîtres de semer toujours, nous ne le sommes pas non plus d’être toujours généreux envers les autres. Quand nous avons laissé échapper l’occasion, nous ne pouvons rien faire de plus, eussions-nous mille fois le désir de revenir sur ce qui s’est passé. Témoins les vierges de l’Évangile (Mt. 25) qui, malgré toute leur bonne volonté, se virent fermer la porte de l’Époux, parce qu’elles n’avaient pas emporté une aumône abondante. Témoin le riche qui avait méprisé Lazare, et qui, faute d’avoir mérité son appui, gémissait et suppliait sans parvenir à exciter la compassion d' Abraham et de personne autre, et restait perpétuellement étendu sur son gril sans obtenir aucun pardon (Lc. 16). Voilà pourquoi il dit : « Tant que nous en avons le temps faisons le bien » même « envers tous », et par là il préservait ses disciples d’une bassesse particulière aux Juifs. Ces hommes en effet, n’avaient de bonté que pour ceux de leur race : tandis que la doctrine de la grâce convie à la table de la charité et la terre et la mer, quoiqu’elle fasse cependant une distinction en faveur des fidèles.
« Voyez quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main. Tous ceux qui mettent leur gloire en des cérémonies charnelles, vous obligent à vous faire circoncire (11, 12) ». Remarquez la douleur de cette âme bienheureuse. De même que ceux qui sont en proie à un vif chagrin, ou qui ont perdu quelqu’un des leurs, ou qui sont frappés d’un coup imprévu, n’ont de repos ni nuit ni jour par suite du chagrin qui obsède leur âme ; de même le bienheureux Paul, après avoir dit quelques mots au sujet de la morale, revient au sujet qu’il a traité d’abord et qui lui tient le plus à cœur : « Voyez quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main ».
Par ces paroles il veut seulement leur faire comprendre qu’il a écrit lui-même la lettre entière. Ce qui est la marque d’une sincère affection. Quand il s’adressait à d’autres, il dictait et un autre écrivait : c’est ce qui ressort de son épître aux Romains, car à la fin de l’épître on lit : « Je vous salue, moi Tertius qui ai écrit l’épître ». Cette fois c’est Paul lui-même qui a tout écrit. Il était obligé de le faire, non pas seulement par affection pour les Galates, mais encore pour enlever tout prétexte aux mauvais soupçons. Comme on l’accusait de ne pas agir de la même manière que les autres apôtres, et qu’on prétendait qu’il prêchait réellement la circoncision tout en feignant de ne pas la prêcher, il se vit contraint d’écrire cette épître de sa propre main, et de la leur envoyer comme un témoignage écrit. Par cette expression « quelle lettre », il me semble qu’il n’a pas voulu indiquer la grandeur, mais la forme disgracieuse des caractères ; c’est presque comme s’il disait : J’écris très-mal, et cependant j’ai été forcé d’écrire de ma propre main, pour fermer la bouche aux sycophantes.
« Tous ceux qui mettent leur gloire en des cérémonies charnelles, ne vous obligent à vous faire circoncire qu’afin de n’être point eux-mêmes persécutés pour la croix de Jésus-Christ. Car ceux mêmes qui se font circoncire ne gardent point la loi, mais ils veulent que vous receviez la circoncision, afin qu’ils se glorifient en votre chair (13) ». Dans ce passage, il montre qu’ils ne supportent pas ce joug volontairement, mais qu’ils y sont contraints, leur donnant ainsi une occasion de se retirer, prenant presque leur défense, et les engageant à s’éloigner au plus vite. Quel est le sens de ces mots : « Qui mettent leur gloire en des cérémonies charnelles ? » Ils veulent acquérir de la réputation parmi les hommes, parce que les Juifs leur reprochaient d’avoir renoncé aux coutumes de leurs pères. Pour n’être plus exposés à ces reproches, dit-il, ils veulent vous nuire, pour se glorifier en votre chair auprès des autres Juifs. Il disait cela afin de montrer que ces hommes n’agissaient pas ainsi en vue de Dieu. C’est comme s’il disait : Ce n’est point la piété qui a fait agir ces hommes : tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait par des motifs purement humains, pour plaire aux infidèles en mutilant les fidèles, et ils aiment mieux manquer à Dieu que de déplaire aux hommes. Voilà ce que signifient ces mots : « Qui mettent leur gloire en des cérémonies charnelles ». Après avoir déjà montré, par d’autres raisonnements, qu’ils sont indignes de pardon, il les confond de nouveau en leur prouvant que le mobile de leur conduite n’a pas été seulement de plaire aux autres hommes, mais encore de satisfaire leur amour-propre. C’est pourquoi il a ajouté : « Afin qu’ils se glorifient en votre chair », vous ayant pour disciples, et jouant le rôle de maîtres. Et quelle preuve en donne-t-il ? « La loi n’est pas même observée par eux », dit-il. Quand même ils l’observeraient, ils seraient encore tout à fait indignes de pardon : or dès à présent leurs intentions mêmes sont coupables.
« Mais pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (14) ». Pour lui, se glorifier est chose blâmable, mais quand il s’agit du monde et d’être glorifié par les infidèles s’il s’agit du ciel et des fidèles, ce n’est plus de la vanité, c’est une véritable gloire, et une grande. La pauvreté est chose honteuse, pour nous c’est chose glorieuse ; l’obscurité et l’humilité prêtent à rire à la plupart des hommes, nous nous en faisons gloire. C’est ainsi que la croix même est pour nous un sujet de glorification. Paul n’a pas dit : Je ne me glorifie pas, ou : Je ne veux pas me glorifier, mais : « À Dieu ne plaise que je me glorifie ». Il repousse cette idée comme déraisonnable, et invoque le secours de Dieu pour se préserver de ce péché. Et pourquoi a-t-on le droit de se glorifier de la croix ? Parce que Jésus-Christ a pris pour moi la forme d’un esclave, qu’il a souffert pour moi un vil esclave, un ennemi, un ingrat, et qu’il m’a aimé au point de se livrer pour moi. Où trouver rien de pareil ? Si des esclaves sont fiers, pour peu qu’ils soient loués par leurs maîtres, qui sont des hommes comme eux, comment ne devrons-nous pas nous glorifier, lorsque le Maître suprême, le vrai Dieu, n’a pas rougi de monter sur la croix pour nous ?
4. Ne soyons pas indignes de son ineffable bonté. Lui-même ne s’est pas indigné d’être mis en croix pour vous, et vous, vous rougiriez de reconnaître sa bonté infinie ? C’est comme si un prisonnier, qui n’aurait jamais rougi de son roi, en avait honte après que celui-ci et parce que celui-ci serait venu en personne dans sa prison pour lui ôter ses chaînes. Ce serait le comble de la démence, car c’est précisément alors qu’il faut être fier. « Par qui le monde est mort et crucifié pour moi, comme je suis mort et crucifié pour le monde ». Par le monde il ne désigne ni le ciel, ni la terre, mais les choses de la vie humaine, les louanges accordées par les hommes, l’éclat de la puissance, la gloire, la richesse, et tout ce que nous regardons comme brillant. Cela est mort pour moi. Voilà le chrétien tel qu’il doit être, voilà le langage qu’il doit toujours tenir. Mais ce premier genre de mort n’a pas suffi à Paul, il en a ajouté un autre en disant : « Et moi je suis mort pour le monde ». Il fait allusion à deux genres de mort, et dit : Et ces choses sont mortes pour moi, et moi je suis mort pour elles ; elles ne peuvent pas se saisir et s’emparer de moi, car elles sont bien et dûment mortes, pas plus que je ne puis les désirer, car je suis mort pour elles, moi aussi. Rien de plus heureux que cette mort : c’est sur elle que repose la vie heureuse. « Car la circoncision ne sert de rien, ni l’incirconcision, mais la nouvelle créature. Je souhaite la paix et la miséricorde à tous ceux qui se conduiront selon cette règle, et à l’Israël de Dieu (15, 16) ».
Voyez-vous à quelle hauteur il a été élevé par la puissance de la croix ? non seulement c’est par elle que toutes les choses de ce monde sont mortes pour lui, mais c’est encore elle qui l’a mis bien au-dessus des préceptes de l’ancienne loi. Quoi d’égal à une telle puissance ? Cet homme prêt à tuer comme à se laisser tuer pour la circoncision, la croix l’a persuadé, et le voilà qui ne tient pas plus de compte de la circoncision que de l’incirconcision, et qui s’est mis à la recherche de choses nouvelles et étranges, et supérieures au ciel lui-même. Ce qu’il appelle la nouvelle créature, c’est notre doctrine ; il l’appelle ainsi et pour ce qu’elle a produit et pour ce qu’elle produira : pour ce qu’elle a produit, parce que notre âme, vieillie dans le péché, a repris tout à coup par l’effet du baptême une nouvelle jeunesse et qu’elle a été en quelque sorte créée à nouveau ; ce qui fait qu’on exige de nous une vie nouvelle et conforme à nos célestes destinées : pour ce qu’elle produira, parce que le ciel et la terre et toute la création deviendront incorruptibles ainsi que nos corps. Ne me parlez donc plus, dit-il, de la circoncision qui désormais n’a plus de puissance comment pourra-t-on la remarquer au milieu d’un changement si considérable et universel ? Recherchez au contraire ces biens nouveaux que nous apporte la grâce. Ceux qui suivent cette voie jouiront de la paix et s’attireront les bonnes grâces du Seigneur, et auront seuls le droit de prendre le nom d’Israël : tandis que ceux qui ont des opinions contraires, quand même ils descendraient d’Israël et porteraient son nom, se verront privés de tout cela, de cette communauté de nom et d’origine. Ceux qui ont le droit de s’appeler israélites, sont ceux qui se conforment à cette règle, qui se détachent des anciens errements, et suivent la voie de la grâce. « Au reste, que personne ne me cause de nouvelles peines (17) ».
Ici il ne s’exprime pas en homme qui est las et abattu, car, lui qui était prêt à tout frire et à tout souffrir pour ses disciples, comment aurait-il pu se fatiguer et se décourager, lui qui a dit : « Insistez toujours, soit à temps, soit à contre-temps » (2Tim. 4,2), et qui a dit : « Si Dieu leur donne la connaissance de la vérité, et qu’ils se dégagent des pièges du diable ? » (2Tim. 2,25, 26) Pourquoi donc tient-il ce langage aux Galates ? Pour raffermir leur esprit chancelant, pour augmenter leur appréhension, pour consolider la loi qu’il leur avait enseignée, et parce qu’il ne voulait pas cesser de les stimuler. « Car je porte imprimées sur mon corps les marques du Seigneur Jésus ». Il n’a pas dit : J’ai ; mais : « Je porte les marques », comme un homme fier de porter un trophée ou des insignes de la royauté, quoiqu’il semblât que ce fût un déshonneur. Lui, il ce glorifie de ses cicatrices, et, comme les porte-drapeaux d’une armée, il est fier de ses blessures et se plaît à les montrer. Dans quel but s’exprime-t-il ainsi ? Il n’y a pas de raisonnement, il n’y a pas de parole qui plaide plus éloquemment pour moi que ces marques imprimées sur mon corps, leur dit-il. Plus retentissantes que le bruit de la trompette, elles couvrent la voix de mes adversaires, de ceux qui prétendent que je prêche l’Évangile avec dissimulation, et que dans mon langage je recherche l’approbation des hommes. Si l’un voyait sortir des rangs un soldat couvert de sang et de blessures, on n’oserait pas le soupçonner de lâcheté, ni de trahison, en voyant sur son corps les preuves manifestes de son courage. C’est aussi ce que vous devez penser de moi, dit-il. Voulez-vous entendre ma défense, et connaître le fond de ma pensée, regardez mes blessures, elles vous offriront des arguments plus concluants que mes paroles et que mes lettres. Au commencement de son épître, il s’appuie sur sa brusque conversion, pour prouver que ses opinions étaient sincères, et à la fin il s’appuie sur les dangers qui en sont résultés pour lui, afin qu’on ne dise pas qu’après s’être écarté de la droite voie, il n’a même pas su persévérer dans ses nouveaux sentiments. Ses travaux, ses dangers, ses blessures sont là pour témoigner qu’il y a persévéré. Après avoir présenté son apologie claire et complète, et avoir montré qu’il n’y avait trace dans son langage ni de colère, ni de haine, mais qu’il conservait inébranlable son affection pour eux, il revient au même but qu’il a déjà poursuivi, et clôt son épître en leur souhaitant toutes sortes de biens : « Mes frères », dit-il, « que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ demeure avec votre esprit. Ainsi soit-il. (48) ».
C’est par cette dernière parole qu’il scelle tout ce qu’il a dit précédemment. Il ne s’est pas contenté de dire : Soit avec vous, comme dans les autres circonstances, mais il a dit : « Que la grâce demeure avec votre esprit », pour les soustraire aux préoccupations de la chair, et leur montrer en toute occasion la bonté de Dieu, et leur rappeler la grâce dont ils ont joui, grâce qui le rendait assez fort pour qu’il les arrachât à tonte erreur judaïque. S’ils avaient reçu le Saint-Esprit, ils n’en étaient pers redevables à l’indigence de la loi, mais à la justification selon lu fui : et si, après l’avoir reçu, ils l’avaient gardé, c’était encore un effet, non de la circoncision, mais de la grâce. C’est pour cela qu’il termine ses exhortations par un vœu, et que, en même temps qu’il les appelle ses frères, il leur parle de la grâce et du Saint-Esprit, priant Dieu qu’ils puissent en jouir sans cesse, et assurant leur sécurité de deux manières : car les paroles dont il se sert contiennent à la fois un vœu et un enseignement qui, résumant tout ce qu’il a déjà dit, devient pour eux comme un double rempart. En effet, cet enseignement leur rappelait de quels biens ils avaient joui, et les rendait plus fidèles aux dogmes de l’Église, tandis que le vœu, en appelant sur eux la grâce et en les engageant à persévérer, empêchait l’Esprit de se retirer d’eux. Tant qu’ils le possédaient, la trompeuse doctrine des faux apôtres s’envolait comme de la poussière. En Jésus-Christ, notre Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, en compagnie du Père et du Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. BOUCHERIE.

FIN DU COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX GALATES ET DU DIXIÈME VOLUME.[modifier]


Traduction de M. HOUSEL.

  1. Et Éphèse. (Voyez Act. 20,17)
  2. C’est l’argument d’Eusèbe de Césarée. Contra Marcellum, 16, 17.
  3. Les éditions donnent περὶ ἐ αύτοῦ se rapportant à Paul, je préférerais περὶ αύτοῦ se rapportant à αίών ou βιος.
  4. Jacques lui-même était resté à Jérusalem.
  5. Renouvellement de chaque mois.
  6. Anima, φυχή, âme.