Poèmes incongrus/Complainte du bienheureux Labre

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Pour les autres éditions de ce texte, voir Complainte du bon saint Labre.

Poèmes Incongrus : suite aux Poèmes mobilesLéon Vanier, bibliopole (p. 25-27).

COMPLAINTE
DU BIENHEUREUX LABRE


Un jour le bienheureux Labre
Se promenait au soleil.
Il s’assit dessous un arbre
Pour se livrer au sommeil.
Vint à passer un pauvre homme
Tout nu, qui tremblait de froid,
En faisant des gestes comme
Un ministre sans emploi.

Ah ! pauvre homme, je devine
Pourquoi tu trembles si fort.
Prends pour couvrir ton échine
Ma ch’mise en toile d’Oxford.
Voilà quinze ans que j’la traîne
Jour et nuit par tous les temps.
Que Dieu sous sa garde prenne
Les puces qui sont dedans !


Quand le pauvre eut mis la ch’mise
Il tremblait toujours autant !
Maint’nant faut contre la bise
Garantir ton bienséant.
Ami, voilà ma culotte,
Garde-la comme un trésor,
C’est la premier’ fois que j’l’ôte
Depuis mon tirage au sort !

Quand il eut couvert son torse,
Le pauvre tremblait encor !
Mais sous une rude écorce
Le saint cachait un cœur d’or.
Tiens, dit-il, dans ces chaussettes
Mets tes pieds avec respect,
C’est celles des grandes fêtes,
J’ai fait l’tour du monde avec.

Quand il eut mis les chaussettes.
Le pauvre tremblait encor.
Ami, couvre-toi la tête
De ce modeste castor,
Garde-toi de mettre en gage
Ce souvenir précieux,
Car c’est l’unique héritage
Que m’aient laissé mes aïeux !


Quand il eut coiffé le feutre
Le pauvre tremblait encor.
Ah ! dit l’saint, quoi donc lui feutre,
Pour l’arracher à la mort ?
Dis-moi, quelle est ta souffrance,
Pourquoi que tu trembl’ ainsi ?
— C’est que depuis ma naissance
J’ai la danse de Saint-Guy !