Conférences inédites de l'Académie royale de peinture et de sculpture/Conférences de Le Brun, de Philippe et de Jean-Baptiste de Champaigne

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DEUXIÈME PARTIE

CONFÉRENCES DE LE BRUN
DE PHILIPPE ET DE J.-B. DE CHAMPAIGNE




Nous publions ici toutes les conférences inédites de Le Brun, de Philippe et de Jean-Baptiste de Champaigne dont les manuscrits existent aux Archives de l’École des Beaux-Arts. Nous ne donnons aucune des conférences recueillies en 1883 par M. Jouin[w 1], dans Félibien, dans Testelin ou dans Guillet de Saint-Georges ; nous ne donnons pas non plus la conférence de Le Brun sur l’Expression des passions, dont il existe de nombreuses éditions. Le lecteur ne trouvera ici que les discours non encore imprimés des trois peintres.

En dehors des conférences antérieurement publiées et de celles que nous avons transcrites ici, en existe-t-il d’autres de Le Brun ou des Champaigne ? et s’il en existe, peut-on espérer les retrouver ? La question vaut qu’on l’examine.

Nous avons expliqué ailleurs[1] que, grâce aux procès-verbaux de l’Académie, à la Vie de Charles Le Brun, de Nivelon, aux témoignages de Félibien, de Testelin et de Guillet de Saint-Georges, nous sommes à peu près sûrs de posséder l’énumération complète de tous les écrits de Le Brun, qui se bornent à deux conférences de l’année 1667, à une série de conférences sur l’expression et la physionomie, au Sentiment sur le discours du mérite de la couleur de Blanchard, et au discours sur le Ravissement de saint Paul de Poussin. Or de ces diverses œuvres, il n’y a que les conférences ayant précédé et suivi l’Expression des Passions et la conférence sur la Physionomie qui nous manquent. À vrai dire, nous en connaissons les idées générales par Testelin (discours sur l’Expression) et même par quelques passages de Nivelon. Mais le texte authentique semble définitivement perdu. Nous avons donné plus haut le Sentiment sur le discours du mérite de la couleur ; nous donnerons dans cette seconde partie la conférence sur le Ravissement de saint Paul. Ce sont les deux seules pièces qui soient restées inédites[2].

En ce qui concerne les conférences de Champaigne, Guillet de Saint-Georges nous a laissé deux indications précieuses. Par la première, nous apprenons que Philippe de Champaigne fit à l’Académie plusieurs discours : « un sur le tableau du Titien, représentant le corps du Sauveur qu’on porte au tombeau, un sur la Rébecca de M. Poussin, un sur l’effet des ombres, un sur l’Enfant Jésus du Titien, un contre les copistes des manières, et un sur l’Enlèvement de Déjanire du Guide[3]. » Or, à part la conférence sur la Rébecca et la conférence sur le Moïse de Poussin (qui fut relue le 5 décembre 1682, puis le 6 février 1694, et donna aux académiciens l’occasion de discuter « s’il est permis de mêler l’allégorie avec l’histoire[4] »), nous possédons tous les discours dont parle Guillet, et nous les avons tous publiés dans cet ouvrage, exception faite de celui qui fut prononcé en 1667 (sur la Mise au tombeau du Titien) et que Félibien a imprimé. Nous avons même retrouvé le manuscrit d’un discours sur la sainte Famille de Raphaël, prononcé le 2 mars 1669, auquel les procès-verbaux ne font allusion qu’en 1681. Nous l’avons joint aux autres, et c’est pourquoi il nous semble que nous possédons à peu près tout ce qu’a écrit Philippe de Champaigne.

La seconde indication de Guillet concerne Jean-Baptiste de Champaigne : « Il composa, dit-il, plusieurs discours qu’il lut à l’Académie : un sur l’Arche d’alliance, de M. Poussin ; un sur Ruth qui glane, de M. Poussin ; un sur le mérite du dessin ; un contre les copistes des manières ; un sur les Bacchanales de M. Poussin ; un sur les circonstances qu’il faut observer en traitant l’histoire dans les tableaux ; un sur les Pèlerins d’Emmaüs du Titien : un sur une Madeleine du Guide[5]. »

Si nous remarquons que le discours sur le mérite du dessin est certainement le même que la réponse à Blanchard, et que le discours contre les copistes des manières doit être restitué à Philippe de Champaigne[6], nous sommes en droit de dire que nous possédons probablement toutes les conférences de Jean-Baptiste de Champaigne, sauf celle qui étudie « les circonstances qu’il faut observer en traitant l’histoire dans les tableaux[7] ». Car nous possédons les manuscrits de tous les discours dont parle Guillet, et les procès-verbaux n’en mentionnent aucun autre, quoique, depuis la fin de 1693 jusqu’à la fin de 1698, l’Académie semble avoir pris à tâche de relire toutes les ouvertures de conférence des deux Champaigne.

Nous avons donc la plupart des conférences de Le Brun et des deux Champaigne, puisqu’il n’en manque que deux ou trois du premier, deux de Philippe de Champaigne et une de Jean-Baptiste ; et quoique nous ne puissions guère espérer retrouver les discours perdus, nous sommes en mesure de juger la valeur de ces trois peintres comme critiques d’art. Pour ce qui concerne Le Brun, il est indispensable de compléter par les discours de 1667 et la conférence sur l’Expression des passions, les deux pièces curieuses que nous transcrivons ici ; mais, pour les Champaigne, les nombreux discours que nous donnons suffisent à les faire connaître comme théoriciens de la peinture. Il faut regretter seulement que la conférence de Rébecca soit à jamais perdue[8], quoique Guillet de Saint-Georges, dans son mémoire sur Philippe de Champaigne, nous en ait donné une longue et intéressante relation. On verra que si les documents sont importants pour l’histoire des théories de l’art français, ils ne prouvent pas que les artistes aient été capables de faire comprendre aux étudiants ou au public le mérite véritable des belles œuvres.

  1. Quid Carolus Le Brun de arte sua senserit. Paris 1903, préface.
  2. Le texte exact du manuscrit de la conférence sur l’Expression des Passions, tel qu’on le trouve aux Archives des Écoles des Beaux-Arts, n’a jamais été publié mais il ne diffère que sur des points peu importants de l’édition de 1698 et d’un autre manuscrit, publié par M. Jouin dans son ouvrage sur Charles Le Brun.
  3. Mémoires sur la vie. I, i, p. 244.
  4. Procès-verbaux.
  5. Mémoires sur la vie. t. I, p. 340.
  6. D’ailleurs Guillet de Saint-Georges, dans le passage cité plus haut, attribue aussi à Philippe de Champaigne une conférence contre les copistes des manières. Il n’est pas probable que le sujet ait été traité à la fois par l’oncle et par le neveu : si le fait se fût produit, il aurait certainement été remarqué et mentionné. Or le seul manuscrit que nous possédions semble précisément de la main même de Philippe de Champaigne.
  7. Cette conférence même est-elle de J.-B. de Champaigne ? Le procès-verbal du 7 décembre 1697 fait mention d’un « discours de feu M. de Champaigne l’Oncle, sur l’histoire et la composition du tableau », qui me semble le même que celui dont parle Guillet de Saint-Georges. Il est donc bien difficile de déterminer l’auteur de ce discours : on peut même se demander si ce n’est pas sous un autre titre une des conférences qui roulèrent sur ce sujet, comme, par exemple, celle de Rébecca. En tous cas, à moins d’un hasard heureux, nous ne serons sans doute jamais fixés sur ce point.
  8. Une note inscrite au xviiie siècle sur le cahier des Archives de l’École des Beaux-Arts qui avait dû contenir la conférence, signale que « l’original manque ». Mais les procès-verbaux nous apprennent que cette conférence fut relue très souvent au xviie siècle, le 2 décembre 1679, où elle fut « fort estimée », le 6 juin 1682, le 10 octobre 1682, le 3 octobre 1693.
  1. Note Wikisource : voir Conférences de l’Académie royale de peinture et de sculpture, recueillies, annotées et précédées d’une Étude sur les artistes écrivains, par Henry Jouin, Paris, 1883.