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Confidences de femmes/19

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A. Messein Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 157-164).

XIX

Le véritable amant.

C’est un gentil garçon, un esprit délicat, supérieur assurément aux intellectuels catalogués. Mais, comme il est doux, timide, pas hâbleur, qu’il ne fait pas de mauvais vers, n’écrit pas de romans, n’est rien dans la presse, le barreau ou l’armée, ne monte pas en aéroplane, ne se révèle pas plus « cabot » qu’il n’est « artiste amateur », que ce n’est pas non plus un snob insipide, dont l’unique préoccupation est de figurer aux « échos mondains », dans cinq soirées le même jour, qu’il fait du sport, sans tapage ni photographe, et ne soupçonne pas les bénéfices glorieux du « communiqué », — les femmes le tiennent comme sans importance.

Elles le rangent dans la catégorie des « bons camarades », des hommes dont on n’a pas l’air de s’apercevoir qu’ils sont aussi des hommes, et que l’on recherche particulièrement quand on aime… ailleurs, sans certitude d’être aimée.

Il est celui dont la présence réconforte aux heures noires, quand le monde vous est odieux, et que la solitude vous effraie… Il ne dit pas de mots fastidieux, n’a pas de gestes brusques qui font mal, comme s’ils vous heurtaient l’âme.

On peut le traiter familièrement, sans qu’il s’imagine « des choses »… Il ne compte pas : il est un peu comme le pain sur une table copieusement servie ; il ne compte pas et pourtant on ne saurait s’en passer.

C’est l’ami, auquel on dit sans coquetterie « Ragrafez-moi ma robe, elle bâille dans le dos… » — « Tournez-vous, il faut que je raccommode ma jarretelle… » Ou bien encore : « Je me suis arraché deux cheveux blancs. » On lui fait même, sans aucune gêne, d’autres confidences. Si l’on apprenait qu’il a une liaison sérieuse, on s’écrierait volontiers : « Lui ? Allons donc ! C’est impossible ! » Pour un peu, on ajouterait, naïvement : « Il ne me ferait pas ça. »

De par la loi tyrannique de notre égoïsme, il est notre « patito », il fait partie de notre « domestique », comme on disait au grand siècle, sans autre profit que celui de nous voir souvent.

Au fond, nous savons très bien qu’il est secrètement amoureux de nous… mais nous n’avons pas l’air de le remarquer : cela troublerait, ou plutôt compliquerait notre vie. Dès que nous redoutons l’aveu, nous parlons de sympathie, de bonne amitié, de fraternel dévouement… seuls sentiments que nous soyons capables d’éprouver, les meilleurs, les plus durables… On s’éloigne et on le retient. Il ne faut pas qu’il s’en aille. Grand Dieu ! que deviendrions-nous, quand nous souffrons pour un autre, — ou que nous attendons l’autre ?

Mais avec quelle simplicité naturelle, d’un mot affectueusement féroce, on le renvoie, comme on renvoie à la niche le bon chien frétillant, dont la compagnie a distrait notre attente, autant qu’elle nous fatigue, lorsqu’Il est là…

Au hasard d’un caprice, quand nous n’obéissons plus qu’à nos nerfs inquiets, nous pouvons le prier de nous accompagner n’importe où, dans les églises ou les musées, à travers la campagne magnifique ou désolée… Ah ! on sait bien que celui-là ne ronchonnera pas. Peu lui importe que l’auto aille vite ou lentement, que le train soit bondé ou désert, et que l’on rencontre ou que l’on ne rencontre pas d’auberge, où l’on pourra boire et manger… Il est heureux d’être à nos côtés et cette seule joie compense tous les petits désagréments de la route.

Lorsqu’il atteint quarante-cinq ans, on ne lui donne plus d’âge… Il a le dos légèrement voûté, comme s’il se courbait avec résignation devant la fatalité, qui chaque jour lui enlève une illusion… Il ne croit plus à grand’chose, et… il est encore prêt à croire à tout. Peut-être au fond (sait-on jamais) éprouve-t-il quelque rancœur de n’être rien, rien qu’un brave homme, pas bête, pourtant alors que tant de crétins « arrivent » à force de bluff et de muflerie.

Sa mise est soignée, mais avec un je ne sais quoi de désuet : c’est que maintenant son tailleur l’habille avec les étoffes dont il veut se débarrasser… et que son chemisier lui réserve ses « rossignols ».

Son valet de chambre ou sa femme de ménage, suivant sa fortune, se sont petit à petit habitués à le gruger sans vergogne. S’il s’en aperçoit, il ne dit rien. Il n’ose pas.

Il prend insensiblement des allures de vieux garçon et il s’ensuit que les « camaraderies » féminines — les femmes de son âge ont toujours trente ans — se font plus rares… S’il est agréable à une femme de régner sur un homme jeune et plaisant, elle ne tient que médiocrement à avoir pour sigisbée un monsieur falot, « démodé », sans prestige.

Il arrive quelquefois qu’il finit par épouser sa bonne…

Ou bien encore dans sa province, où il est allé passer un mois, histoire de se « retremper », il rencontre la délicieuse jeune fille bien élevée si « reposante » après la Parisienne coquette et complexe. Sa petite âme est blanche et fraîche. Elle a des yeux doux et étonnés, qui ignorent tous les artifices de la séduction. Elle trottine à travers la maison, veillant elle-même à ce que tout soit en ordre. Les pendules marquent l’heure exacte et il y a des fleurs nouvelles dans les vases. Le couvert est net et appétissant.

« C’est elle seule qui s’occupe de tout », affirme la mère.

Alors, s’il lui reste quelque fortune, comme elle a toujours rêvé d’habiter Paris, il l’épouse…

Et elle le trompe.