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Confidences de femmes/8

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A. Messein Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 59-66).

VIII

Logique.

— Si j’y suis ? bien sûr que non, je n’y suis pas !

Elle est diabolique, cette maison ; toute la journée, il y pleut des raseurs ! Le matin, à tout bout de champ, la sonnette est en branle ; impossible de travailler en paix. Après déjeuner, comme l’on me sait chez moi jusqu’à trois heures, les visiteurs s’abattent sur mon gîte comme les mouches sur un pot de miel entamé. Ah ! bonté divine ! Quand je pense que des gens se plaignent de n’avoir pas de relations !…

— …

— Comment ! c’était Mme Durand ? Mais j’y étais ! Avec elle je ne me gêne pas ; nous eussions causé pendant que je m’habillais.

— …

— C’est vrai vous ne pouvez pas deviner.

Que j’envie donc la belle sérénité de ma camériste, laquelle ne « s’éluge », comme elle dit, que lorsque mes familiers sont en retard le jour du soufflet au fromage ; car si elle le servait un tant soit peu aplati, il lui semblerait que c’est toute sa gloire qui s’effondre. Suis-je ridicule d’être ainsi nerveuse, agitée, injuste… Oh ! oui, injuste ! Mes bons amis qui m’entourent d’une si vigilante affection, qui, pour me voir, viennent des quatre coins de Paris en s’accommodant de l’heure qui me convient, voilà que je les qualifie de raseurs ! Mais on n’imagine pas non plus à quel point, le trille continu d’une sonnette peut exaspérer les nerfs d’une pauvre femme pressée, qui s’habille avec la préoccupation de dix courses urgentes à faire en un seul après-midi.

Voyons, récapitulons : À trois heures, l’avoué… Dernière urgence, ça ; à quatre heures, l’architecte ; à cinq heures, Machin ; à six, Chose… Et ma robe ! sapristi ! J’oubliais que je dois essayer ma robe… Je n’aurais rien à me mettre pour la soirée de Rachilde…

Et… et Georges ?… Pauvre Georges, qui comptait m’avoir deux grandes heures tantôt… Le « bleuter » ? Oh ! non, ce serait trop brutal… Je vais passer le prévenir ; je resterai cinq minutes, rien que cinq minutes ; il sera raisonnable, il comprendra… Deux heures vingt-cinq ?… Je pourrai même lui donner dix minutes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Non, non, je n’enlève pas mon manteau ; je te dis que je suis pressée ! Je suis venue t’embrasser en courant et je me sauve !

— …

— Oter mon chapeau ? Mais tu perds la tête ! Je te répète que je n’ai qu’une seconde ! N’insiste pas, tu me ferais regretter d’être venue. Ce que je te dis est sérieux, voyons ! très sérieux. Tu sais bien, je vais chez l’avoué pour le… ah ! fais attention tu m’étouffes… et mon rouge… et… et ma poudre… laisse-moi. Tiens, regarde mon nez à présent : il est joli on le dirait encaustiqué ! Ça, c’est méchant, tu n’as pas même le respect des nez ! On voit bien que tu ignores ce qu’il en coûte pour les conserver mats et veloutés par cette température.

— …

— Je le sais bien qu’il y a tout ce qu’il faut dans ta chambre. Il ne manquerait plus que je sois obligée de m’en aller avec cette figure « gabillée ». La tête de l’avoué ! il serait capable de croire des choses… surtout celui-là, il a une manière de vous regarder… C’est drôle, je ne m’imaginais pas que les avoués étaient des hommes comme les autres.

— …

— C’est vrai, c’est assommant, ces corsages kimono ; on ne peut lever les bras, il faut pourtant que j’arrange un peu mes boucles, mon chapeau ne tient plus. Tu m’as toute décoiffée ; mais tu sais, c’est bien la dernière fois que je viens te voir quand je serai pressée. C’est ta faute, tant pis pour toi.

— …

— Non, ne dégrafe pas tout du long, seulement l’agrafe de la taille et les deux du haut… pour que je puisse remuer les bras.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— …

— Hein !! quatre heures ! ah ! et l’avoué ?

— …

— C’est bien ça l’égoïsme des hommes ! « En me dépêchant un peu » ! comme c’est facile, mes cheveux débouclés, ma figure gonflée, m’habiller… Non, mais, ma parole ! on dirait que tu as hâte de me voir partir à présent !

— …

— C’est pour rire, mon chéri, je comprends… je ne t’en veux plus ; mais dis-moi que tu m’aimes.

— …

— Mieux que ça… t’adore, moi… ah ! et puis flûte pour l’avoué… Il attendra… À un jour près ! Il sera encore vivant demain, je suppose.

— …

— Oh ! tu penses à l’architecte maintenant ! D’abord, si tu m’aimais un peu, tu n’aurais pas cette idée fixe de me renvoyer…

— …

— Non, je ne suis pas de mauvaise foi. Où vas-tu chercher « que j’ai le sens de la déformation » ? Je constate un fait, voilà tout. Et même ce n’est pas une raison parce que j’ai affirmé, dis-tu… que j’étais si pressée, pour me pousser dehors brutalement.

— …

— Allons, ne te désole pas, c’est fini. Oui, là, j’ai été injuste, mais que veux-tu ? On a de ces susceptibilités quand on aime. Donne tes lèvres, c’est ça, restons blottis tout contre, comme deux pauvres petits inséparables. Tu en as vu quelquefois dans leur cage ? Tu ne trouves pas qu’on leur ressemble ? C’est tout de même bon de s’aimer…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Tu crois qu’on a dormi longtemps ? Quelle heure peut-il bien être ?

— …

— Hein neuf heures ! neuf heures du soir ! tu es sûr, ta pendule n’est pas détraquée ?… C’est effrayant comme le temps file ! Et mes courses ! l’avoué… et puis… et puis ? qu’est-ce que j’avais donc encore à faire ? Ah ! c’est trop fort par exemple, voilà que je ne me le rappelle plus… Oh bien, c’est peut-être que ce n’était pas si important…