Considérations sur l’histoire de France/01

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CONSIDÉRATIONS
SUR
L’HISTOIRE DE FRANCE.

DES SYSTÈMES HISTORIQUES,
DEPUIS LE XVIe SIÈCLE JUSQU’À LA RÉVOLUTION DE 1789.

PREMIÈRE PARTIE.

I.
Opinions traditionnelles sur nos origines nationales et sur la constitution primitive de la
monarchie française. — Elles sont diverses, au moyen-âge, chez les différentes
classes de la nation. — La science les modifie et les transforme. —
Système de François Hotman. — Adrien de Valois. —
Système de l’origine gauloise des Franks. —
Opinion de Fréret.

L’histoire nationale est, pour tous les hommes du même pays, une sorte de propriété commune ; c’est une portion du patrimoine moral que chaque génération qui disparaît, lègue à celle qui la remplace ; aucune ne doit la transmettre telle qu’elle l’a reçue, mais toutes ont pour devoir d’y ajouter quelque chose en certitude et en clarté. Ces progrès ne sont pas seulement une œuvre littéraire noble et glorieuse, ils donnent sous de certains rapports la mesure de la vie sociale chez un peuple civilisé ; car les sociétés humaines ne vivent pas uniquement dans le présent, et il leur importe de savoir d’où elles viennent pour qu’elles puissent voir où elles vont. D’où venons-nous, où allonsnous ? Ces deux grandes questions, le passé et l’avenir politiques, nous préoccupent maintenant, et à ce qu’il semble au même degré ; moins tourmentés que nous de la seconde, nos ancêtres du moyen-âge l’étaient parfois de la première ; il y a bien des siècles qu’on tente incessamment de la résoudre, et les solutions bizarres, absurdes, opposées l’une à l’autre, n’ont pas manqué. Le premier coup d’œil de celui qui étudie sérieusement et sincèrement notre histoire doit plonger au fond de ce chaos de traditions et d’opinions discordantes, et chercher par quelles transformations successives, par quelles fluctuations du faux au vrai, de l’hypothèse à la réalité, la notion des origines de la société française a passé, pour arriver jusqu’à nous.

Lorsque le mélange des différentes races d’hommes que les invasions du Ve siècle avaient mises en présence sur le sol de la Gaule fut accompli, et eut formé de nouveaux peuples et des idiomes nouveaux, lorsqu’il y eut un royaume de France et une nation française, quelle idée cette nation se fit-elle d’abord de son origine ? Si l’on se place au XIIe siècle et qu’on interroge la littérature de cette époque, on verra que toute tradition de la diversité des élémens nationaux, de la distinction primitive des conquérans et des vaincus, des Franks et des Gallo-Romains, avait alors disparu. Le peuple mixte issu des uns et des autres semblait se rattacher exclusivement aux premiers qu’il appelait comme lui Français, le mot franc, dans la langue vulgaire, n’ayant plus de sens ethnographique. Les circonstances et le caractère de la conquête, les ravages, l’oppression, la longue hostilité des races étaient des souvenirs effacés ; il n’en restait aucun vestige, ni dans les histoires en prose ou en vers, ni dans les récits romanesques, ni dans les contes du foyer. Le catholicisme des Franks avait lavé leur nom de toute souillure barbare. Les destructions de villes, les pillages, les massacres, les martyres arrivés durant leurs incursions ou à leur premier établissement, étaient mis sur le compte d’Attila, des Vandales ou des Sarrasins. Les légendes et les vies des saints ne présentaient aucune allusion à cet égard, si ce n’est dans leur rédaction la plus ancienne, la plus savante, la plus éloignée de l’intelligence du peuple et de la tradition orale.

Ainsi la croyance commune était que la nation française descendait en masse des Franks ; mais les Franks, d’où les faisait-on venir ? On les croyait issus des compagnons d’Énée ou des autres fugitifs de Troie, opinion étrange, à laquelle le poème de Virgile avait donné sa forme, mais qui, dans le fond, provenait d’une autre source, et se rattachait peut-être à des souvenirs confus du temps où les tribus primitives de la race germanique firent leur émigration d’Asie en Europe, par les rives du Pont-Euxin. Du reste, il y avait, sur ce point, unanimité de sentiment ; les clercs et les moines les plus lettrés, ceux qui pouvaient lire Grégoire de Tours et les livres des anciens, partageaient la conviction populaire, et vénéraient, comme fondateur et premier roi de la nation française, Francion, fils d’Hector[1].

Quant à l’opinion relative aux institutions sociales, à leurs commencemens, à leur nature, à leurs conditions nécessaires, elle était loin d’être, à ce degré, simple et universelle. Chacune des classes de la population, fortement distincte des autres, avait ses traditions politiques, et pour ainsi dire, son système à part, système confus, incomplet, en grande partie erroné, mais ayant une sorte de vie, à cause des passions dont il était empreint et des sentimens de rivalité ou de haine mutuelle qui s’y ralliaient. La noblesse conservait la notion vague et mal formulée d’une conquête territoriale faite jadis, à profit commun, par les rois et par ses aïeux, et d’un grand partage de domaines acquis par le droit de l’épée. Ce souvenir d’un évènement réel était rendu fabuleux par la fausse couleur et la fausse date prêtées à l’évènement. Ce n’était plus l’intrusion d’un peuple barbare au sein d’un pays civilisé, mais une conquête douée de tous les caractères de grandeur et de légitimité que concevait le moyen-âge, faite, non sur des chrétiens par une nation païenne, mais sur des mécréans par une armée de fidèles, suite et couronnement des victoires de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne sur les Sarrasins et d’autres peuples ennemis de la foi[2]. Au XIIe siècle, et plusieurs siècles après, les barons et les gentilshommes plaçaient là l’origine des fiefs et des priviléges seigneuriaux. Ils croyaient, selon une vieille formule de leur opinion traditionnelle, qu’après avoir purgé la France des nations barbares qui l’habitaient, Charlemagne donna toutes les terres du pays à ses compagnons d’armes, à l’un mille arpens, à l’autre deux mille, et au reste plus ou moins, à charge de foi et d’hommage[3].

À cette tradition de conquête et de partage se joignait une tradition de jalousie haineuse contre le clergé, qui, disait-on, s’était glissé, d’une manière furtive, parmi les conquérans et avait ainsi usurpé une part de possessions et d’honneurs. La rivalité du baronnage et de l’ordre ecclésiastique pouvait se présenter comme remontant de siècle en siècle jusqu’au Ve, jusqu’à la grande querelle qui, dès la conversion des guerriers franks au christianisme, s’était élevée entre eux et le clergé gallo-romain. L’objet de cette vieille lutte était toujours le même, et sa forme avait peu changé. Il en reste un curieux monument dans les chroniques du XIIIe siècle ; c’est l’acte d’une confédération jurée, en 1247, par les hauts barons de France, pour la ruine des justices cléricales en matière civile et criminelle. Le duc de Bourgogne et les comtes de Bretagne, d’Angoulême et de Saint-Pol étaient les chefs de cette ligue, dont le manifeste, portant leurs sceaux, fut rédigé en leur nom. On y trouve le droit de justice revendiqué exclusivement comme le privilége des fils de ceux qui jadis conquirent le royaume, et, chose plus bizarre, un sentiment d’aversion dédaigneuse contre le droit écrit qui semble rappeler que ce droit fut la loi originelle des vaincus du Ve siècle. Tout cela est inexact, absurde même quant aux allégations historiques, mais articulé avec une singulière franchise et une rude hauteur de langage.

« Les clercs, avec leur momerie, ne songent pas que c’est par la guerre et par le sang de plusieurs que, sous Charlemagne et d’autres rois, le royaume de France a été converti, de l’erreur des païens, à la foi catholique ; d’abord, ils nous ont séduits par une certaine humilité, et maintenant ils s’attaquent à nous, comme des renards tapis sous les restes des châteaux que nous avions fondés ; ils absorbent dans leur juridiction la justice séculière, de sorte que des fils de serfs jugent d’après leurs propres lois les hommes libres et les fils des hommes libres, tandis que, selon les lois de l’ancien temps et le droit des vainqueurs, c’est par nous qu’ils devraient être jugés[4]… À ces causes, nous tous, grands du royaume, considérant que ce royaume a été acquis, non par le droit écrit et par l’arrogance des clercs, mais à force de fatigues et de combats, en vertu du présent acte et de notre commun serment, nous statuons et ordonnons que, désormais, nul clerc ou laïc n’appelle en cause qui que ce soit devant le juge ecclésiastique ordinaire ou délégué, si ce n’est pour hérésie, mariage ou usure, sous peine de perte de tous ses biens et de mutilation d’un membre[5]. En outre, nous députons certaines personnes chargées de l’exécution de cette ordonnance, afin que notre juridiction, près de périr, se relève, et que ceux qui, jusqu’à ce jour, sont devenus riches de notre appauvrissement, soient ramenés à l’état de la primitive église, et que, vivant dans la contemplation, pendant que nous, comme il convient, nous mènerons la vie active, ils nous fassent voir les miracles qui, depuis long-temps, se sont retirés du siècle[6]. »

Outre la maxime du droit de justice inhérent au domaine féodal, une autre maxime qui se perpétuait parmi la noblesse, était celle de la royauté primitivement élective et du droit de consentement des pairs et des grands du royaume, à chaque nouvelle succession. C’est ce qu’exprimaient, au XIIe et au XIIIe siècle, les formules du sacre, par le cri : nous le voulons, nous l’approuvons, que cela soit[7] ! et, quand ces formules eurent disparu, l’esprit en demeura empreint dans les idées et les mœurs des gentilshommes. Tout en professant pour le roi un dévouement sans bornes, ils se plaisaient à rappeler en principe le vieux droit d’élection et la souveraineté nationale. Dans le discours de l’un d’eux aux états-généraux de 1484, on trouve les paroles suivantes : « Comme l’histoire le raconte et comme je l’ai appris de mes pères, le peuple, au commencement, créa des rois par son suffrage[8]. » Aux mêmes souvenirs, transmis de la même manière, se rattachait encore le principe fondamental de l’obligation, pour le roi, de ne rien décider d’important sans l’avis de ses barons, sans le concours d’une assemblée délibérante, et cet autre principe, que l’homme franc n’est justiciable que de ses pairs, et ne peut être taxé que de son propre consentement, par octroi libre, non par contrainte. Il y avait là un fonds d’esprit de liberté politique, qui n’existait ni dans le clergé, ni dans la bourgeoisie ; il y avait aussi un sentiment d’affection pour le royaume de France, pour le pays natal dans toute son étendue, que n’avaient, au même degré, ni l’une ni l’autre de ces deux classes. Mais c’était un amour de propriétaires plutôt que de citoyens, qui n’embrassait la destinée, les droits, les intérêts que d’un petit nombre de familles, un esprit de conservation aveugle dans ses entêtemens, qui s’opiniâtrait pour le maintien de toute vieille coutume, contre la raison et le bien général ; qui, par exemple, déplorait, comme la ruine de toute franchise et une honte pour le pays, la tentative de substituer au combat judiciaire la procédure par témoins : « Vous n’êtes plus francs, vous êtes jugés par enquête, dit une chanson du XIIIe siècle. La douce France, qu’on ne l’appelle plus ainsi, qu’elle ait nom pays de sujets, terre des lâches !…[9] »

La plus nette et la moins altérée des traditions historiques appartenait à la bourgeoisie, et se conservait isolément dans les grandes villes, jadis capitales de province ou cités de la Gaule impériale. Les habitans de Reims se souvenaient, au XIIe siècle, de l’origine romaine de leur constitution municipale ; ils disaient avec orgueil que la loi de leur ville, sa magistrature et sa juridiction remontaient jusqu’au temps de saint Remy, l’apôtre des Franks[10]. Les bourgeois de Metz se vantaient d’avoir usé de droits civils avant qu’il existât un pays de Lorraine, et parmi eux courait ce dicton populaire : Lorraine est jeune et Metz ancienne[11]. À Lyon, à Bourges, à Boulogne, on soutenait qu’il y avait eu, pour la cité, droit de justice et d’administration libre, avant que la France fût en royaume[12]. Arles, Marseille, Périgueux, Angoulême, et de moindres villes du midi, simples châteaux sous l’empire romain, croyaient leur organisation semi-républicaine antérieure à la conquête franke et à toutes les seigneuries du moyen-âge. Toulouse, jouant sur le nom appliqué par elle à son corps de magistrature, se donnait un capitole, à l’exemple de Rome[13]. Cette conviction de l’ancienneté immémoriale d’un droit urbain de liberté civile et de liberté politique fut le plus grand des appuis moraux que trouva la bourgeoisie dans sa lutte contre l’envahissement féodal et contre l’orgueil de la noblesse. Partout où elle exista, elle fit naître un vif sentiment de patriotisme local, sentiment énergique, mais trop borné, qui s’enfermait trop volontiers dans l’enceinte d’un mur de ville, sans souci du pays, et regardait les autres villes comme des états à part, amis ou ennemis au gré de la circonstance et de l’intérêt.

Voilà quels étaient, à l’époque du grand mouvement de la révolution communale, l’opinion et l’esprit public dans les vieilles cités gauloises, où, après l’établissement des dominations germaniques, s’était concentrée la vie civile, héritage du monde romain. Cet esprit se répandait, de proche en proche, dans les villes d’une date plus nouvelle, dans les communes récemment fondées et dans les bourgades affranchies ; il donnait aux classes roturières occupées de commerce et d’industrie ce qui fait la force dans les luttes politiques, des souvenirs, de la fierté et de l’espérance. Quant à la classe des laboureurs, des vilains, comme on disait alors, elle n’avait ni droits, ni traditions héréditaires ; elle ne suivait point dans le passé et ne marquait à aucun évènement l’origine de sa condition et de ses misères ; elle l’aurait tenté en vain. Le servage de la glèbe, de quelque nom qu’on l’appelât, était antérieur sur le sol gaulois à la conquête des Barbares ; cette conquête avait pu l’aggraver, mais il s’enfonçait dans la nuit des siècles et avait sa racine à une époque insaisissable, même pour l’érudition de nos jours. Toutefois, si aucune opinion sur les causes de la servitude n’avait cours au moyen-âge, cette grande injustice des siècles écoulés, couvre des invasions d’une race sur l’autre et des usurpations graduelles de l’homme sur l’homme, était ressentie par ceux qui la subissaient, avec une profonde amertume. Déjà s’élevait, contre les oppressions du régime féodal, le cri de haine qui s’est prolongé, grandissant toujours, jusqu’à la destruction des derniers restes de ce régime. La philosophie moderne n’a rien trouvé de plus ferme et de plus net sur les droits de l’homme, sur la liberté naturelle et la libre jouissance des biens communs, que ce qu’entendaient dire, aux paysans du XIIe siècle, les trouvères, fidèles échos de la société contemporaine :

« Les seigneurs ne nous font que du mal, nous ne pouvons avoir d’eux raison ni justice ; ils ont tout, prennent tout, mangent tout, et nous font vivre en pauvreté et en douleur. Chaque jour est, pour nous, jour de peines ; nous n’avons pas une heure de paix, tant il y a de services et de redevances, de tailles et de corvées, de prévôts et de baillis[14]… Pourquoi nous laisser traiter ainsi ? Mettons-nous hors de leur pouvoir, nous sommes des hommes comme eux, nous avons les mêmes membres, la même taille, la même force pour souffrir, et nous sommes cent contre un…, défendons-nous contre les chevaliers, tenons-nous tous ensemble, et nul homme n’aura seigneurie sur nous, et nous pourrons couper des arbres, prendre le gibier dans les forêts et le poisson dans les viviers, et nous ferons notre volonté, aux bois, dans les prés et sur l’eau[15]. »

Quoique dès les premiers temps qui suivirent la conquête, des hommes de l’une et de l’autre race, les Franks comme les Gallo-Romains, fussent entrés dans les rangs du clergé, les traditions de cet ordre étaient demeurées purement romaines ; le droit romain revivait dans les canons des conciles et réglait toute la procédure des tribunaux ecclésiastiques. Quant à la nature primitive du gouvernement et à sa constitution essentielle, le clergé supérieur ou inférieur, sauf de rares et passagères exceptions, n’avait qu’une doctrine, celle de l’autorité royale universelle et absolue, de la protection de tous par le roi et par la loi, de l’égalité civile dérivant de la fraternité chrétienne. Il avait conservé, sous des formes religieuses, l’idée impériale de l’unité de puissance publique, et il la maintenait contre l’idée de la souveraineté domaniale et de la seigneurie indépendante, produit des mœurs germaniques et de l’esprit d’orgueil des conquérans. D’ailleurs, tout souvenir d’un temps où la monarchie gallo-franke avait été une pour tout le pays, où les ducs et les comtes n’étaient que des officiers du prince, n’avait pas entièrement péri pour les hommes lettrés, laïcs ou clercs, instruits quelque peu des faits de l’histoire authentique. Au XIIe siècle, l’étude scientifique du droit romain vint donner à ces traditions une force nouvelle et fit naître, pour les propager, une classe d’hommes toute spéciale, sortie de ce qu’il y avait de plus romain sur le sol de la Gaule, les grandes villes.

Les légistes, dès qu’ils purent former un corps, travaillèrent, avec une hardiesse d’esprit et un concert admirable, à replacer la monarchie sur ses anciennes bases sociales, à faire une royauté française à l’image de celle des Césars, symbole de l’état, protectrice pour tous, souveraine à l’égard de tous, sans partage et sans limites. Ils fondèrent une école théorique et pratique de gouvernement, dont le premier axiome était l’unité et l’indivisibilité du pouvoir souverain, qui, en droit, traitait d’usurpation les seigneuries et les justices féodales, et qui, en fait, tendait à les détruire au profit du roi et du peuple. Remontant par la logique, sinon par des souvenirs clairs et précis, jusqu’au-delà du Ve siècle et du démembrement de l’empire romain, ils regardaient comme nulle l’œuvre du temps écoulé depuis cette époque ; ils ne voyaient de loi digne de porter ce nom que dans le texte des codes impériaux, et qualifiaient de droit odieux, droit haineux, la coutume contraire ou non conforme au droit écrit ; ils donnaient au roi de France le titre d’empereur et appelaient crime de sacrilége toute infraction à ses ordonnances[16]. « Sachez, dit un vieux jurisconsulte, qu’il est empereur en son royaume, et qu’il y peut faire tout et autant qu’à droit impérial appartient[17]. » Cette maxime, développée dans toutes ses conséquences, et s’alliant à la vieille doctrine bourgeoise des libertés municipales, devint la voix du tiers-état dans les grandes assemblées politiques du XVe et du XVIe siècle.

Tel était l’assemblage confus de croyances traditionnelles et d’opinions dogmatiques, de notions incertaines et de convictions passionnées, au milieu duquel éclata, dans le XVIe siècle, la renaissance des études historiques. Après que les livres de l’antiquité grecque et latine eurent tous été mis au jour par l’impression, les esprits avides de savoir se tournèrent avec ardeur vers les manuscrits du moyen-âge et la recherche des antiquités nationales. On tira du fond des bibliothèques et des archives, et l’on se mit à imprimer et à commenter pour le public, les monumens presque oubliés de la vraie histoire de France. Grégoire de Tours et Frédégaire, la vie de Charlemagne et les annales de son règne écrites par un contemporain, d’autres chroniques originales, les lois des Franks et un certain nombre de diplômes de la première et de la seconde race furent publiés. Une science nouvelle, fondée sur l’étude des documens authentiques et des sources de notre histoire, se forma dès-lors, et entra en lutte avec les opinions propagées par des traditions vagues et par la lecture de chroniques fabuleuses ou complètement inexactes. La plus générale de ces opinions et en même temps la moins solide, celle de l’origine troyenne des Franks, fut la première attaquée, et elle ne put se soutenir, quoiqu’il y eût en sa faveur une sorte de résistance populaire[18]. Les personnes lettrées y renoncèrent promptement et mirent à sa place deux opinions entre lesquelles la science se partagea, l’une qui rangeait les Franks, ou, comme on disait, les Français, parmi les peuples de race germanique, l’autre qui les faisait descendre de colonies gauloises émigrées au-delà du Rhin et ramenées plus tard dans leur ancienne patrie[19]. Mais ce ne fut pas sans de grands efforts de logique, sans de grandes précautions oratoires que les érudits parvinrent à donner cours à ces nouveautés malsonnantes, et le gros du public tint long-temps encore à sa chère descendance troyenne. Cette bizarre prétention de vanité nationale, poursuivie par le ridicule dès la fin du XVIe siècle ne disparut entièrement des livres d’histoire qu’après le milieu du XVIIe.

Quant aux diverses traditions sociales et aux questions qu’elles soulevaient, elles ne pouvaient être aussi aisément tranchées par la science. Non-seulement elles avaient de profondes racines dans les mœurs et les passions des classes d’hommes pour qui elles formaient, chacune à part, un symbole de foi politique, mais encore elles s’appuyaient toutes, plus ou moins, sur un fondement réel et historique. Il était vrai qu’il y avait eu conquête du sol de la Gaule et partage des terres conquises, que la monarchie avait été d’abord élective et la royauté soumise au contrôle d’assemblées délibérantes ; il était vrai que les cités gallo-romaines avaient conservé leur régime municipal sous la domination des Barbares ; il était vrai enfin que la royauté franke avait essayé de continuer en Gaule l’autorité impériale, et cette tentative, reprise d’époque en époque, après des siècles d’intervalle, ne fut jamais abandonnée. Ainsi la noblesse, la bourgeoisie, le clergé, les légistes, avaient raison d’attester le passé en faveur de leurs doctrines contraires ou divergentes sur la nature de la société et le gouvernement de l’état ; il se trouvait, sous chacune de ces croyances, un fonds de réalité vivace que le progrès scientifique pouvait modifier, compléter, transformer, mais non détruire. Elles furent, l’une après l’autre, soulevées par la science qui, en s’y appliquant, fit naître ce genre de livres, moitié histoire, moitié pamphlet, où l’érudition, plus ou moins solide, plus ou moins ingénieuse, est mise en quelque sorte au service d’une passion politique, et où l’esprit de système n’est qu’un reflet de l’esprit de parti, espèce d’ouvrage qui, selon la remarque d’un savant étranger, semble particulière à la France[20]. Chez nous, en effet, l’histoire abstraite et spéculative dans des vues de polémique sociale a eu, depuis le réveil des études jusqu’à ces derniers temps, une importance démesurée ; elle a dominé, d’une manière fâcheuse, sur les recherches désintéressées et sur l’histoire proprement narrative. Voici dans quelles circonstances parut, en 1574, le premier écrit de ce genre, écrit remarquable en lui-même, autant qu’il l’est, d’ailleurs, par sa date.

François Hotman, l’un des plus savans jurisconsultes du XVIe siècle, fut attiré à la religion réformée par la vue de l’héroïque fermeté des luthériens qui subirent à Paris le supplice du feu[21]. Il entra de bonne heure en relation intime avec les chefs du parti protestant ; et adopta leurs principes politiques, mélange des vieilles traditions d’indépendance de l’aristocratie française avec l’esprit démocratique de la Bible et l’esprit républicain de la Grèce et de Rome. Hotman se passionna pour ces doctrines comme pour la foi nouvelle, et répudia les théories de droit public que les hommes de sa profession puisaient dans l’étude journalière des lois romaines impériales. Il prit en égale aversion la monarchie absolue et l’autorité des parlemens judiciaires, et se fit un modèle de gouvernement où la royauté était subordonnée au pouvoir souverain d’une grande assemblée nationale, type dont l’idée, assez vague d’ailleurs, répondait à cette formule souvent répétée alors dans les manifestes de la noblesse protestante : Tenue d’états et conciles libres[22]. Après le massacre de la Saint-Barthélemy, refugié à Genève, et, comme il le dit lui-même, tristement préoccupé, dans cet exil, de la patrie et de ses malheurs, il lui vint à la pensée de chercher, dans le passé de la France, des leçons et un remède pour les maux présens[23]. Il lut tout ce qu’il lui fut possible de rassembler en histoires, chroniques, et autres documens relatifs, soit à la Gaule, soit au royaume de France. Il crut découvrir, dans ses lectures, faites par lui avec patience et bonne foi, la constitution essentielle de la monarchie française, et ce qu’il en tira ne fut autre chose que le programme qu’il avait dans l’esprit en commençant ses recherches, la souveraineté et le contrôle permanent d’une assemblée d’états-généraux. « Il y a plusieurs mois, dit-il, qu’absorbé dans la pensée de si grandes calamités, je me mis à feuilleter tous les anciens historiens de notre Gaule franke, et qu’à l’aide de leurs écrits je composai un sommaire de l’état politique qu’ils témoignent avoir été en vigueur chez nous pendant plus de mille ans, état qui prouve, d’une façon merveilleuse, la sagesse de nos ancêtres, et auquel notre pays, pour avoir la paix, doit revenir, comme à sa constitution primitive et en quelque sorte naturelle[24]. »

Ce curieux livre où se rencontre, pour la première fois, une invocation des lois fondamentales de l’ancienne monarchie, fut composé en langue latine et intitulé : Franco-Gallia, titre qu’une traduction contemporaine rend par ces mots la Gaule française[25]. Il est aisé de se figurer par quel abus de méthode l’auteur, imposant à l’histoire ses idées préconçues, arrive à montrer que, de tout temps en France, la souveraineté fut exercée par un grand conseil national, maître d’élire et de déposer les rois, de faire la paix et la guerre, de voter les lois, de nommer aux offices et de décider en dernier ressort de toutes les affaires de l’état. En dépit des différences d’époque, de mœurs, d’origine et d’attributions, il rapproche et confond ensemble sous un même nom, comme choses de même nature, les états-généraux des Valois, les parlemens de barons des premiers rois de la troisième race, les assemblées politico-ecclésiastiques de la seconde, les revues militaires et les plaids de la première, et enfin les assemblées des tribus germaniques telles que Tacite les décrit. Hotman parvient de cette manière à une démonstration factice, à un résultat faux, mais capable de séduire par l’abondance des citations et des textes dont il semble découler. Lui-même était dupe de l’espèce de magie produite par ses citations accumulées ; il disait naïvement de son ouvrage : « Qu’y a-t-il à dire contre cela ? Ce sont des faits, c’est un pur récit, je ne suis que simple narrateur[26]. »

Le point de départ de cette prétendue narration est l’hypothèse d’une hostilité constante des indigènes de la Gaule contre le gouvernement romain. L’auteur suppose, entre les Gaulois et les peuplades germaniques voisines du Rhin, une sorte de ligue perpétuelle pour la vengeance ou le maintien de la liberté commune. Toute invasion des Germains en Gaule, course de pillage, prise de villes, lui semble une tentative de délivrance, et le nom de Franks, hommes libres, comme il l’interprète, le titre dont se décoraient les guerriers libérateurs. Il croit le voir paraître d’abord chez une seule tribu, celle des Caninéfates, et s’étendre progressivement à mesure que d’autres tribus s’associent pour cette croisade de l’indépendance[27]. Selon lui, après deux cents ans de luttes continuelles, la Gaule se vit enfin délivrée du joug romain par l’établissement des bandes frankes sur les rives de la Meuse et de l’Escaut. Ces bandes victorieuses et les Gaulois affranchis, formant dès-lors une seule nation, fondèrent le royaume de la Gaule-franke dont le premier roi, Hildérik, fils de Merowig, fut élu par le suffrage commun des deux peuples réunis[28]. Après avoir établi nos origines nationales sur cette base étrangement romanesque, Hotman tire de toute la suite de l’histoire de France les propositions suivantes, où le lecteur ayant quelque notion de la science actuelle fera facilement et sans aide la part du faux et du vrai :

« Chlodowig fils de Hildérik, ayant enlevé aux Romains ce qui leur restait de territoire, chassé les Goths et soumis les Burgondes, le royaume fut constitué politiquement dans toute son étendue. La royauté se transmit par le choix du peuple, quoique toujours dans la même famille ; le peuple fut le vrai souverain et fit les lois dans le grand conseil national, appelé, selon les temps, champ de mars, champ de mai, assemblée générale, placite, cour, parlement, assemblée des trois états. — Ce conseil jugeait les rois, il en déposa plusieurs de la première et de la seconde race, et il fallut toujours son consentement pour ratifier, à chaque nouveau règne, la succession par héritage. — Charlemagne n’entreprit jamais rien sans sa participation. — Le pouvoir de régir et d’administrer ne résidait pas dans tel ou tel homme décoré du titre de roi, mais dans l’assemblée de tous les ordres de la nation où était le vrai et propre siège de la majesté royale[29]. L’autorité suprême du parlement national s’est maintenue intacte jusqu’à la fin du règne de la seconde race, c’est-à-dire pendant cinq siècles et demi. — Le premier roi de la troisième race lui porta une atteinte grave en rendant héréditaires les dignités et les magistratures, qui auparavant étaient temporaires et à la nomination du grand conseil ; mais ce fut probablement de l’aveu de ce conseil lui-même. — Une atteinte plus grave encore lui vint des successeurs de Hugues Capet, qui transportèrent à une simple cour de justice le droit de ratifier les lois, et le nom auguste de parlement. — Toutefois le conseil de la nation garda la plus haute de ses anciennes prérogatives ; il continua de faire acte de souveraineté dans les grandes circonstances et dans les crises politiques. — On peut suivre la série de ses actes jusqu’après le règne de Louis XI, qui fut forcé par une rébellion nationale, dans la guerre dite du bien public, à reconnaître la suprématie des états du royaume et à s’y soumettre[30]. » Ainsi, ajoute l’auteur, en concluant et en essayant d’amener vers un même but les passions politiques qui divisaient ses contemporains ; « ainsi notre chose publique, fondée et établie sur la liberté, a duré onze cents ans dans son état primitif, et elle a prévalu, même à force ouverte et par les armes, contre la puissance des tyrans[31]. »

C’est du livre de François Hotman que les idées de monarchie élective et de souveraineté nationale passèrent dans le parti de la ligue, parti qui, selon son origine toute municipale et plébéienne, devait naturellement se rallier à d’autres traditions, à celles de la bourgeoisie d’alors, et pour lequel ces doctrines d’emprunt ne pouvaient être qu’une ressource extrême et passagère[32]. Quelque éloigné que soit de la vérité historique le système du jurisconsulte protestant, on doit lui reconnaître le mérite de n’avoir point eu de modèle, et d’avoir été construit tout entier sur des textes originaux, sans le secours d’aucun ouvrage de seconde main. En 1574, il n’en existait pas encore de ce genre ; Étienne Pasquier travaillait à ses recherches plus ingénieuses qu’érudites, elles n’avaient pas paru dans leur ensemble, et d’ailleurs elles étaient trop peu liées, trop capricieuses et trop indécises dans leurs conclusions, pour fournir le moindre appui à une théorie systématique ; les compilations plus indigestes et plus chargées de science de Fauchet et de Dutillet ne virent le jour que plus tard. Ainsi François Hotman ne dut rien qu’à lui-même, et la témérité de ses conjectures, ses illusions, ses méprises, lui appartiennent en propre, aussi bien que la hardiesse de ses sentimens presque républicains. Du reste, son érudition était saine en grande partie, et la plus forte qu’il fût possible d’avoir alors sur le fonds de l’histoire de France. Il traite quelquefois avec un bon sens remarquable les points secondaires qu’il touche en passant. Par exemple, il reconnaît dans l’idiome de la Basse-Bretagne un débris de la langue des anciens Gaulois ; il soutient, contre le préjugé universel de son temps, que la loi salique n’a rien statué sur la succession royale et ne renferme que des dispositions relatives au droit privé ; il marque d’une manière assez exacte l’habitation des Franks au-delà du Rhin, et se montre inébranlable dans l’opinion de leur origine purement germanique[33].

Dans cet opuscule tout rempli de citations textuelles et formé de lambeaux disparates des historiens latins et des chroniqueurs du moyen-âge, il y a, chose singulière, un air de vie et un mouvement d’inspiration. L’amour enthousiaste du gouvernement par assemblées, espèce de révélation d’un temps à venir, s’y montre à toutes les pages. Il éclate dans certaines expressions, telles que le nom de saint et sacré, que l’auteur donne au pouvoir de ce grand conseil national qu’il voit sans cesse dominant toutes les institutions de la Gaule franke et de la France proprement dite[34]. Le livre de François Hotman eut un succès immense, et son action fut grande sur les hommes de son siècle qu’agitait le besoin de nouveautés religieuses et politiques ; elle survécut à la génération contemporaine des guerres civiles et se prolongea même durant le calme du règne de Louis XIV. Ce bizarre et fabuleux exposé de l’ancien droit public du royaume devint alors la pâture secrète des libres penseurs, des consciences délicates, et des imaginations chagrines plus frappées, dans le présent, du mal que du bien. Au commencement du XVIIIe siècle, sa réputation durait encore ; les uns l’aimaient, les autres le déclaraient un livre pernicieux ; mais les grandes controverses qu’il avait soulevées cent vingt-cinq ans auparavant, éloignées de l’opinion des masses, ne remuaient plus en sens contraire que quelques esprits d’élite[35].

Les premiers essais d’une érudition impartiale, mais plus habile à déchiffrer la lettre des textes qu’à en exprimer le vrai sens historique, et des histoires narratives tout-à-fait nulles pour la science, remplissent l’intervalle qui sépare François Hotman d’Adrien de Valois. Ce fut en l’année 1646, que ce savant historien publia, sous le titre de Gestes des anciens Franks, le premier des trois volumes in-folio qui forment son œuvre capitale ; les deux autres, complétant l’histoire de la dynastie mérovingienne, parurent en 1658[36]. Selon le projet et les espérances de l’auteur, ces volumes ne devaient être que le commencement d’une gigantesque histoire de France, rassemblant dans un même corps d’annales écrites en latin, d’un style châtié, tous les récits et toutes les informations dignes de foi ; mais, après avoir parcouru l’espace de cinq siècles, depuis le règne de l’empereur Valérien jusqu’à l’avénement de la seconde race, il se sentit découragé par l’immensité de l’entreprise, et son travail s’arrêta là. Tel qu’il est, cet ouvrage mérite le singulier honneur d’être cité d’un bout à l’autre à côté des sources de notre vieille histoire, comme un commentaire perpétuel des documens originaux. Tout s’y trouve éclairci et vérifié en ce qui regarde les temps, les lieux, la valeur des témoignages et l’authenticité des preuves historiques ; les lacunes des textes, les omissions et les négligences des chroniqueurs sont remplies et réparées par des inductions du plus parfait bon sens ; il y a exactitude complète quant à la succession des faits et à l’ordre matériel du récit, mais ce récit, on est forcé de l’avouer, manque de vie et de couleur. Le sens intime et réel de l’histoire s’y trouve, pour ainsi dire, étouffé par l’imitation monotone des formes narratives et de la phraséologie des écrivains classiques.

Si Adrien de Valois signale et fait remarquer, par la différence des noms propres, d’un côté latins ou grecs, de l’autre germaniques, la distinction des Gallo-Romains et des Francs après la conquête, il ne fait point ressortir les grandes oppositions de mœurs, de caractères et d’intérêts, qui s’y rattachent. L’accent de barbarie des conquérans de la Gaule, cette rudesse de manières et de langage exprimée si vivement par les anciens chroniqueurs, se fait peu sentir ou disparaît sous sa rédaction. « Personne que toi n’a apporté des armes si mal soignées : ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache, ne sont en état, de servir[37] ; » cette apostrophe du roi Chlodowig au soldat dont il veut se venger, discours, sinon authentique, du moins évidemment traditionnel, se perd, chez le narrateur moderne, dans un récit pâle et inanimé : « Comme il passait l’armée en revue et examinait tous les hommes l’un après l’autre, il s’approcha du soldat dont il a été parlé ci-dessus, et, regardant ses armes, les prenant et les retournant plusieurs fois entre ses mains, il dit qu’elles n’étaient ni fourbies, ni affilées, ni propres au combat…[38]. » Et quand le même roi excite ses guerriers contre les Goths : « Je supporte avec peine que ces Ariens possèdent une partie des Gaules ; marchons avec l’aide de Dieu, et quand nous les aurons vaincus, réduisons leur terre en notre puissance[39] ; » au lieu de cette brusque allocution si fortement caractéristique, on trouve encore du récit et toute la froideur d’un discours indirect : « Il les exhorte à attaquer, sous sa conduite, Alarik dont il vient de recevoir une injure, à marcher contre les Visigoths, à les vaincre, avec la faveur de Dieu, et à s’emparer de leur territoire, disant que des catholiques ne devaient pas souffrir que la meilleure partie des Gaules fût possédée par les Ariens…[40]. »

Le texte de Grégoire de Tours, dont Adrien de Valois connaissait tout le prix, car il l’appelle avec vérité le fonds de notre histoire[41], subit continuellement dans son livre de semblables transformations. La monarchie des rois de la première race est trop pour lui la monarchie de son temps ; il applique à celle-là les maximes et les formules de l’autre, sans trop se douter du contraste, et aussi sans qu’il y ait rien de bien choquant dans cet anachronisme. On sent toujours l’homme d’un esprit judicieux, libre de toute préoccupation systématique, ne cherchant dans l’histoire autre chose que la vérité, mais manquant de pénétration pour la saisir tout entière, dans les détails comme dans l’ensemble, dans la peinture des mœurs comme dans la critique des faits. Avec ces qualités plutôt solides qu’attrayantes, avec un long ouvrage qui ne flattait aucune passion politique, aucune opinion de classe ni de parti, et dont la forme était celle d’une glose sur des textes absens, l’historien de la dynastie mérovingienne avait peu de chances de faire une vive impression sur le public contemporain. Personne n’entreprit de le traduire en français, ni d’exposer, en le résumant, la théorie de ses recherches et de ses découvertes historiques. Il n’eut pas l’honneur d’être chef d’école au XVIIe siècle, comme le furent, dans le siècle suivant, des hommes moins instruits, moins sensés, mais plus dogmatiques que lui. Il n’eut pas même le pouvoir de fixer les esprits et la science de son temps à l’égard de la question d’origine, de faire reconnaître comme seule véritable la descendance germanique des Franks et de renverser l’hypothèse des colonies gauloises ramenées en Gaule, hypothèse toujours admise par un certain nombre de savans et à laquelle les circonstances vinrent bientôt donner la faveur publique et une sorte de règne passager.

L’ère de calme et d’unité qui commence avec les belles années du règne de Louis XIV vit l’esprit de lutte politique s’éteindre à l’intérieur, et toutes les passions sociales se porter au dehors et s’unir dans un but commun, l’agrandissement du territoire français et la fixation de ses limites. Le gouvernement, tel que l’avaient fait le temps et les circonstances, fut accepté franchement par tous les partis et toutes les classes de la nation ; il y eut dans les ames très peu de susceptibilité quant aux bornes du pouvoir et aux conditions de l’obéissance, mais en revanche une grande délicatesse sur le point d’honneur national. Ce sentiment public, dont l’influence s’étendit jusqu’à l’histoire, mit en vogue, d’une manière presque subite, le système qui, reniant pour la France toute tradition de conquête étrangère, faisait de la monarchie franke sur le sol de la Gaule, un gouvernement indigène. L’opinion suivant laquelle les Franks et les Gaulois étaient des compatriotes, long-temps séparés, puis réunis en un seul peuple, opinion émise pour la première fois au XVIe siècle, avait deux formes ou variantes. L’une remontait jusqu’au IVe siècle avant notre ère et à l’émigration de Sigovèse et de Bellovèse, l’autre s’arrêtait à des temps plus récens et à une prétendue émigration, sans date précise, de quelques peuplades gauloises amoureuses de la liberté et fatiguées du joug romain[42]. Plusieurs savans et demi-savans, depuis l’année 1660, s’appliquèrent à étayer de nouvelles démonstrations et à développer, avec plus ou moins d’emphase patriotique, ces conjectures sans fondement, devenues tout d’un coup populaires.

« La Gaule ne peut être considérée comme un pays de conquête, « mais comme ayant été perpétuellement possédée par ses naturels habitans, » dit l’auteur encore estimé d’un volumineux traité des fiefs[43], et il établit cette assertion sur les données suivantes : que les Franks, Gaulois d’origine, qui avaient passé le Rhin, repassèrent le même fleuve, soit pour trouver de nouvelles habitations, soit pour délivrer leurs frères les Gaulois de la servitude des Romains ; qu’en moins de quarante ans ils chassèrent les Romains de la Gaule, et que le peu de résistance qu’ils éprouvèrent de la part des indigènes donne lieu de croire que cette entreprise n’avait pas été faite sans leur participation ; qu’ainsi, au Ve siècle, il n’y eut conquête pour la Gaule que relativement à l’expulsion des Romains, et qu’à l’égard des Gaulois elle est demeurée en l’état où elle était de toute ancienneté. Les formes du style et l’expression appartiennent ici, comme la pensée, à l’écrivain du XVIIe siècle[44]. Une fois poussés par le désir de complaire à la vanité nationale, les esprits systématiques ne s’en tinrent pas là et atteignirent bientôt les dernières limites de l’absurde. Dans un livre publié en 1676 et intitulé : De l’origine des Français et de leur empire, tous les conquérans du Ve siècle, tous les destructeurs de l’empire romain, les Goths, les Vandales, les Burgondes, les Hérules, les Huns eux-mêmes, devinrent frères des Gaulois. L’auteur, ne doutant pas du succès de sa découverte, en parlait ainsi : « La nation se trouvera par là, d’une manière aussi solide qu’imprévue, n’avoir qu’une même origine avec ce que le monde a jamais eu de plus terrible, de plus brave et de plus glorieux[45] » ; et le Journal des savans disait de cette opinion extravagante : « Il n’y en a pas qui soit allée plus avant et qui soit plus glorieuse à la nation[46]. »

C’est surtout en Allemagne que le système des colonies gauloises devait trouver des contradicteurs, soit à cause des progrès de ce pays dans les véritables voies de l’histoire, soit par un sentiment étranger à la science, la rivalité d’orgueil national, et l’envie de conserver à la race teutonique l’honneur d’avoir produit les Franks. Il paraît même que la crainte des envahissemens de la France et de l’ambition de Louis XIV fut un aliment pour cette controverse, et que la démonstration de l’origine purement germaine des conquérans de la Gaule figurait dans des diatribes contre le projet supposé d’une monarchie universelle[47]. Du reste, la querelle scientifique entre les deux pays se prolongea long-temps, et dura plus que les desseins ambitieux, et même que la vie du grand roi. Les partisans de l’identité de races entre les Gaulois et les Franks eurent, pour appui le plus solide, l’autorité d’un savant jésuite, le père Lacarry, qui traita ce sujet sans ridicule[48], et leur plus célèbre adversaire fut un homme de génie, Leibnitz. Dans sa dissertation latine sur l’origine des Franks, publiée en 1715, il définit avec une grace maligne la méthode conjecturale de ses antagonistes : « C’est du désir, dit-il, non du raisonnement[49]. » Il s’anime davantage dans une réplique en français, où son patriotisme se soulève à l’idée de céder à une nation étrangère les vieux héros de l’indépendance germanique : « Si Arminius a été de race gauloise, sentiment fort nouveau, il faut que les Chérusques aient été une colonie gauloise, chose inouie que je sache…[50] » Leibnitz réussit mieux sur ce point à combattre le faux qu’à établir le vrai, et sa raison si supérieure se laissa égarer dans un système presque aussi hasardé que l’autre ; il fit venir les Franks des rives de la Baltique aux bords du Rhin. Le père Tournemine, jésuite, prit la défense de l’opinion déjà soutenue par un membre distingué de cet ordre, et lui-même se vit réfuté, en 1722, par un bénédictin, dom Vaissette, l’auteur de l’histoire du Languedoc[51]. Ce fut la dernière fois que l’hypothèse patriotique de l’unité de race produisit un débat sérieux entre des hommes de sens et de savoir ; la science française, ramenée dans le droit chemin, venait d’y faire un pas décisif et de se montrer, sur la question de l’origine et de la nationalité des Franks, plus nette et plus exacte que l’érudition germanique.

En l’année 1714, un homme qui a laissé après lui un nom illustre, et qui, jeune alors, n’était qu’élève en titre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, Nicolas Fréret, lut à une assemblée publique de cette académie un mémoire sur l’établissement des Franks au nord de la Gaule. Il annonça, dans le préambule de sa dissertation, que ce travail ne resterait point isolé ; qu’il n’était pour lui que le commencement d’une longue série de recherches ayant pour objet l’état des mœurs et du gouvernement aux diverses époques de la monarchie française[52]. Le jeune érudit, avec une grande sûreté de méthode, résolut, ou, pour mieux dire, trancha cette question de l’origine des Franks posée à faux ou faiblement touchée jusqu’à lui. Ses conclusions peuvent se réduire à trois : « Les Franks sont une « ligue formée au IIIe siècle entre plusieurs peuples de la Basse-Germanie, les mêmes à peu près qui, du temps de César, composaient la ligue des Sicambres. — Il n’y a pas lieu de rechercher la descendance des Franks ni les traces de leur prétendue migration, puisque ce n’était point une race distincte ou une nation nouvelle parmi les Germains. — Le nom de Frank ne veut point dire libre ; cette signification, étrangère aux langues du nord, est moderne pour elles ; on ne trouve rien qui s’y rapporte dans les documens originaux des IVe, Ve et VIe siècles. Frek, frak, frenk, frank, frang, vrang, selon les différens dialectes germaniques, répond au mot latin ferox dont il a tous les sens favorables ou défavorables, fier, intrépide, orgueilleux, cruel[53]. »

Ces propositions, qui aujourd’hui sont des axiomes historiques, renversèrent d’un même coup et les systèmes qui cherchaient le berceau d’une nation franke, soit en Gaule, soit en Germanie, antérieurement au IIIe siècle, et celui qui érigeait les Franks, sur l’interprétation de leur nom, en hommes libres par excellence et en libérateurs de la Gaule. Elles ressortaient, dans le mémoire de Fréret, du fonds de l’histoire elle-même, exposée sommairement et rendue, sous cette forme, plus claire et plus précise que dans la narration ample, mais peu travaillée, du livre d’Adrien de Valois. L’établissement successif des diverses tribus conquérantes, les déplacemens graduels de la frontière romaine, les traités des Franks et les relations de leurs rois avec l’empire, la distinction des guerres nationales faites par toutes les tribus confédérées, et des courses d’aventure entreprises par de simples bandes ; tous ces points obscurs ou délicats de l’histoire de la Gaule au IVe et au Ve siècle étaient, pour la première fois, reconnus et abordés franchement.

Le mémoire qui faisait ainsi justice d’erreurs en crédit jusque-là, et qui donnait aux opinions saines plus de relief et d’autorité, souleva d’étranges objections au sein de l’académie, et sa lecture fut suivie d’un évènement plus étrange encore ; Fréret fut arrêté par lettre de cachet et enfermé à la Bastille. Les motifs de son emprisonnement, qui dura six mois, sont un mystère ; il est impossible de deviner laquelle des thèses de sa dissertation parut criminelle au gouvernement d’alors ; mais une telle expérience le détourna des grandes recherches sur l’histoire nationale auxquelles il voulait se dévouer. Ses travaux académiques prirent un autre cours ; il remonta jusqu’à l’antiquité la plus reculée, et son admirable netteté d’esprit fit sortir une science nouvelle des ténèbres et du chaos. La chronologie des temps qui n’ont point d’histoire, l’origine et les migrations des peuples, la filiation des races et celles des langues furent pour la première fois établies sur des bases rationnelles. Que serait-il arrivé, si cette merveilleuse faculté de divination s’était appliquée tout entière au passé de la France, si Fréret eût pu suivre, en pleine sécurité d’esprit, son premier choix et les projets de sa jeunesse ? Voilà ce qu’on ne peut s’empêcher de se demander avec un sentiment de regret. L’annonce d’une révolution dans la manière de comprendre et d’écrire l’histoire semble sortir de ces lignes tracées en 1714 : « Quoique les historiens les plus estimés de l’antiquité, ceux que l’on nous propose pour modèles, aient fait leur principal objet du détail des mœurs, presque tous nos modernes ont négligé de suivre leurs traces. C’est le détail, abandonné par les autres écrivains, que je me propose pour but dans ces recherches[54]… » Les tendances de l’époque présente, les instincts de la nouvelle école historique étaient pressentis, il y a plus de cent vingt ans, par un homme de génie ; si cet homme eût rencontré dans son temps la liberté du nôtre, la science de nos origines sociales, de nos vieilles mœurs, de nos institutions, aurait avancé d’un siècle.


II.
Controverse sur le caractère et les suites politiques de l’établissement des Franks
dans la Gaule. — Système du comte de Boulainvilliers. — Réponse d’un
publiciste du tiers-état. — Système de l’abbé Dubos. — Jugement
de Montesquieu. — Son erreur sur les lois personnelles.
— Conséquences de cette erreur.

Le roman de la communauté d’origine entre les Franks et les Gaulois, et le roman de la Gaule affranchie par l’assistance des Germains, étaient définitivement balayés et rejetés hors de l’histoire de France. À leur place demeurait, comme seul constant, le fait contre lequel l’orgueil national s’était débattu en vain, la conquête de la Gaule romaine par un peuple de race étrangère. Quel était le vrai caractère de ce fait désormais incontestable ? Quelles avaient dû être ses conséquences politiques ? Jusqu’où s’étaient-elles prolongées dans la suite des siècles écoulés depuis l’établissement de la domination franke ? En subsistait-il encore quelque chose, et par quels liens de souvenirs, de mœurs, d’institutions, la monarchie française se rattachait-elle à l’évènement qui semble marquer son berceau ? Voilà le problème historique dont la solution occupa surtout les esprits durant la première moitié du XVIIIe siècle, et qui souleva l’importante controverse où figurent les noms de Boulainvillers et de Dubos, et le grand nom de Montesquieu. C’est dans la détermination exacte de la nature et des résultats sociaux de la conquête que fut cherché alors le principe essentiel de la monarchie, cette loi fondamentale de l’état, que François Hotman, son inventeur, avait fait dériver de l’association spontanée des Franks et des Gaulois dans un même intérêt, dans une même liberté, dans une sorte de communion de la vieille indépendance germanique.

En histoire et généralement dans toutes les parties de la science humaine, les grandes questions n’éclatent pas tout d’un coup, et long-temps avant de devenir l’objet de l’attention publique, elles se traînent obscurément dans quelque livre où peu de personnes les remarquent et où elles demeurent enfouies jusqu’à ce que leur jour soit venu. À l’époque où toute conscience de la dualité nationale avait péri, et où l’on suivait naïvement jusqu’à la prise de Troye l’origine et les migrations d’un peuple français, à la fin du XIIe siècle, l’auteur d’une chronographie anonyme reconnut la distinction de races et crut en voir des suites manifestes dans l’état social de son temps[55]. Après avoir raconté, de la manière la plus fabuleuse, les aventures des Francs ou Français, et comment l’empereur Valentinien leur fit remise de tout tribut, parce qu’ils l’avaient aidé à exterminer les Alains, le chroniqueur ajoute : « Ainsi délivrés d’impôts, ils n’en voulurent plus payer dans la suite, et nul ne put jamais les y contraindre ; de là vient qu’aujourd’hui cette nation appelle Francs dans sa langue ceux qui jouissent d’une pleine liberté, et quant à ceux qui, parmi elle, vivent dans la condition de tributaires, il est clair qu’ils ne sont pas Francs d’origine, mais que ce sont les fils des Gaulois, assujettis aux Francs par droit de conquête[56]. » Ces paroles n’eurent alors aucun retentissement, et la puissance seigneuriale n’alla pas y chercher des titres historiques dont elle ne sentait aucun besoin. Les Gaulois et leur postérité restèrent dans un complet oubli, et ce ne fut que trois siècles après, au réveil de l’érudition, que des raisonneurs exercés, appliquant la logique à l’histoire, commencèrent à s’occuper d’eux. Le système de la délivrance par les Germains et celui de la descendance commune tranchèrent les principales difficultés de la question, et les esprits spéculatifs n’allèrent pas plus loin ; un seul entre tous, Charles Loyseau, jurisconsulte et publiciste, hasarda les thèses suivantes qui, plus tard, devaient enfanter un système.

« La noblesse de France prit son origine de l’ancien mélange des deux peuples qui s’accommodèrent ensemble en ce royaume, à savoir des Gaulois et des Francs qui les vainquirent et assujétirent à eux, sans toutefois les vouloir chasser et exterminer ; mais ils retinrent cette prérogative sur eux, qu’ils voulurent avoir seuls les charges publiques, le maniement des armes et la jouissance des fiefs sans être tenus de contribuer aucuns deniers, soit aux seigneurs particuliers des lieux, soit aux souverains pour les nécessités de l’état : au lieu de quoi, ils demeurèrent seulement tenus de se trouver aux guerres. Quant au peuple vaincu, il fut réduit pour la plupart en une condition de demi-servitude[57]. — Pour le regard de nos Français, quand ils conquestèrent les Gaules, c’est chose certaine qu’ils se firent seigneurs des personnes et des biens icelles, j’entends seigneurs parfaits, tant en la seigneurie publique qu’en la propriété ou seigneurie privée. — Quant aux personnes, ils firent les naturels du pays serfs, non pas toutefois d’entière servitude, mais tels à peu près que ceux que les Romains appelaient ou censitos, seu adscriptitios, ou colonos, seu glebæ addictos, qui étaient deux diverses espèces de demi-serfs, s’il faut ainsi parler, dont les premiers sont appelés en nos coutumes gens de mainmorte, ou gens de poste, et les derniers, gens de suitte ou serfs de suitte… Mais quant au peuple vainqueur, il demeura franc de ces espèces de servitude et exempt de toute seigneurie privée. D’où est venu que les Français libres étant meslés avec les Gaulois qui étaient serfs, le mot de Franc qui était le nom propre de la nation a signifié cette liberté[58]. » Ces propositions, jetées çà et là dans des écrits d’ailleurs très hostiles aux priviléges de la noblesse, y demeurèrent presque inaperçues ; elles ne causèrent aucune rumeur, ni dans le monde de la science, ni dans celui des partis politiques, et la question dormit de nouveau jusqu’à la fin du dix-septième siècle.

Les circonstances étaient alors singulièrement favorables à la production d’une théorie de l’histoire de France, plus savante et plus complète que celle de François Hotman. D’immenses travaux d’érudition, dont la gloire égale presque celle des œuvres littéraires du siècle de Louis XIV, avaient mis à la portée des hommes studieux la plupart des documens historiques du moyen-âge, surtout les monumens législatifs, les actes publics et ceux du droit privé, inconnus au siècle précédent. Ces documens rassemblés dans de vastes recueils étaient éclaircis et commentés par la science des Duchêne, des Pithon, des Dupuy, des Sainte-Marthe, des Labbe, des Sirmon, des Ducange, des Mabillon, des Baluze. D’un autre côté, le déclin de ce long règne, jusque-là si glorieux et si populaire, avait ramené l’agitation dans les idées et fait renaître, en sens divers, les passions politiques. La majestueuse unité d’obéissance et d’enthousiasme qui, pendant quarante ans, avait rallié au pied du trône toutes les forces divergentes, tous les instincts de la nation, venait de se rompre par les malheurs publics et le désenchantement des esprits. La France, épuisée de ressources dans la guerre désastreuse de la succession d’Espagne, se lassait de servir en aveugle à l’accomplissement de desseins politiques dont toute la valeur n’a été connue que de nos jours[59]. L’opposition, quoique sourde et contenue, se réveillait de toutes parts ; les différens ordres, les classes de la nation, se détachant du présent, retournaient à leurs vieilles traditions ou cherchaient, dans des projets de réforme, l’espoir d’un avenir meilleur. Cette royauté de Louis XIV, si admirée naguère, objet d’une sorte d’idolâtrie nationale, trouvait de la froideur dans une grande partie de la noblesse, dans les parlemens, un retour d’indépendance, dans la masse du peuple, la désaffection et le mépris[60]. Des voix de blâme, des conseils sévères parvenaient au vieux monarque du sein de sa propre famille. Son petit-fils, l’héritier du trône, était sous la tutelle morale d’un homme qui lui apprenait que tout despotisme est un mauvais gouvernement, qu’il y a pour l’état des règles supérieures au bon plaisir du roi, et que le corps de la nation doit avoir part aux affaires publiques[61].

Fénelon (car c’est à lui qu’appartiennent ces maximes), nommé, en 1689, précepteur du duc de Bourgogne, avait accepté cette charge comme une haute mission politique. Il s’était proposé pour tâche de faire succéder à la monarchie absolue, qu’il voyait pencher vers sa ruine, un gouvernement de conseils et d’assemblées qui ne fît rien sans règle et sans contrôle, qui ne se crût pas libre de hasarder, comme lui-même le dit énergiquement, la nation sans la consulter[62]. Tel était le but des enseignemens qu’il donnait à son élève et qu’il développait dans des mémoires animés par un sentiment tendre et profond des misères publiques. Il parlait de rendre à la nation ses libertés méconnues et de se rapprocher ainsi de l’ordre, de la justice et de la véritable grandeur ; il présentait les états-généraux comme le moyen de salut, comme une institution qu’il serait capital de rétablir, et en attendant, il proposait une convocation de notables[63]. Ce grand homme croyait également aux droits naturels des peuples et à la puissance de l’histoire. Dans le plan d’une vaste enquête sur l’état de la France, conçu par lui pour l’instruction du duc de Bourgogne, il eut soin de faire entrer le passé comme le présent, les vieilles mœurs, les vieilles institutions, comme les progrès nouveaux de l’industrie et de la richesse nationale. Il demanda, au nom du jeune prince, à tous les intendans du royaume, des informations détaillées sur les antiquités de chaque province, sur les anciens usages et les anciennes formes de gouvernement des pays réunis à la couronne[64]. De pareilles demandes semblaient provoquer un travail d’historien publiciste sur les origines et les révolutions de la société et du pouvoir en France. Quelqu’un répondit à cette sorte d’appel, mais ce ne fut pas l’un des grands érudits de l’époque ; ceux-là, membres, pour la plupart, de congrégations religieuses, étaient étrangers aux intérêts politiques, aux idées générales, et, pour ainsi dire, cantonnés chacun dans un coin de la science. Ce ne fut pas non plus un patriote désintéressé, ce fut un homme d’un savoir médiocre et préoccupé de regrets et de prétentions aristocratiques, le comte de Boulainvillers[65].

Cet écrivain, dont le nom est plus connu que les œuvres, issu d’une ancienne famille et épris de la noblesse de sa maison, s’était livré aux études historiques pour en rechercher les titres, les alliances, les souvenirs de toute espèce. Il lut beaucoup avec cette pensée, et, ayant éclairci à son gré ses antiquités domestiques, il s’occupa de celles du pays. Les documens législatifs des deux premières races, imprimés dans la collection de Baluze, furent pour lui l’objet d’une observation attentive et, sur certains points, intelligente. Il avait compris la liberté des mœurs germaniques et s’était passionné pour elle ; il la regardait comme l’ancien droit de la noblesse de France et comme son privilége héréditaire. Tout ce que les siècles modernes avaient successivement abandonné en fait d’indépendance personnelle, le droit de se faire justice soi-même, la guerre privée, le droit de guerre contre le roi, plaisaient à son imagination, et il voulait, sinon les faire revivre, au moins leur donner une plus grande place dans l’histoire. « Misère extrême de nos jours ! s’écrie-t-il avec une fierté dédaigneuse dans l’un de ses ouvrages inédits, misère extrême de nos jours qui, loin de se contenter de la sujétion où nous vivons, aspire à porter l’esclavage dans le temps où l’on n’en avait pas l’idée[66] ! » À ces élans de liberté à l’égard du pouvoir royal, il joignait une froideur imperturbable en considérant la servitude du peuple au moyen-âge. Enfin il avait, pour le présent comme pour le passé, la conviction d’une égalité native entre tous les gentilshommes, et d’une immense inégalité entre eux et la plus haute classe du tiers-état. Telles furent les idées sous l’influence desquelles se forma son système historique, système dont voici les points essentiels, formulés autant que possible avec le langage même de l’auteur.

« La conquête des Gaules est le fondement de l’état français dans lequel nous vivons, c’est à elle qu’il faut rapporter l’ordre politique suivi depuis par la nation ; c’est de là que nous avons tous reçu notre droit primordial. — Les Français conquérans des Gaules y établirent leur gouvernement tout-à-fait à part de la nation subjuguée, qui, réduite à un état moyen entre la servitude romaine et une sorte de liberté privée de tout droit politique et en grande partie du droit de propriété, fut destinée par les conquérans au travail et à la culture de la terre. — Les Gaulois devinrent sujets, les Français furent maîtres et seigneurs. Depuis la conquête, les Français originaires ont été les véritables nobles et les seuls capables de l’être. — Tous les Français étaient libres, ils étaient tous égaux et compagnons ; Clovis n’était que le général d’une armée libre qui l’avait choisi pour la conduire dans des entreprises dont le profit devait être commun. — Les Français d’origine, seuls nobles reconnus dans le royaume, jouissaient à ce titre d’avantages réels qui étaient l’exemption de toutes charges pécuniaires, la jouissance des biens réservés au domaine public, l’exercice de la justice entre leurs pareils et sur les Gaulois habitans de leurs terres, la liberté et d’attaquer ou de se défendre à main armée, enfin le droit de voter les lois et de délibérer, sur toute espèce de matière, dans l’assemblée générale de la nation[67].

« Le pouvoir souverain des assemblées nationales ne dura pas d’une manière uniforme ni dans son intégrité ; Charles Martel les abolit pendant les vingt-deux ans de sa domination ; Charlemagne les remit en vigueur et restitua ainsi à la nation française un de ses droits naturels et incontestables. — Pendant et depuis son règne, les assemblées communes de la nation firent les lois ; elles réglèrent le gouvernement et la distribution des emplois civils ou militaires ; elles décidèrent de la paix et de la guerre, et elles jugèrent souverainement les causes majeures, attentats, conjurations, révoltes, et cela à l’égard de toutes les conditions, sans en excepter la royale ni l’impériale. — À la fin du règne de la seconde race, toutes les parties du royaume étant désunies, on ne trouve plus d’assemblées communes, de véritables parlemens. Loin que ce fût un parlement général qui déféra la couronne à Hugues Capet, à l’exclusion de la race de Charlemagne, on peut dire qu’il n’eût pas été possible de transférer la royauté dans une famille qui n’y avait aucun droit, si l’usage des parlemens nationaux avait subsisté[68].

« La police des fiefs établie par Charlemagne fut la seule qui, s’étant insensiblement affermie dans le déclin de sa postérité, se trouva dominante après l’usurpation de Hugues Capet. — À cette époque, les nobles, encore égaux entre eux, étaient de fait et de droit les seuls grands de l’état ; eux seuls en possédaient les charges et les honneurs ; eux seuls étaient les conseillers du prince ; eux seuls maniaient les finances et commandaient les armées, ou plutôt eux seuls les composaient. — On ignorait les distinctions des titres aujourd’hui en usage ; les Français ne connaissaient point de princes parmi eux, la parenté des rois ne donnait aucun rang. — Deux grands évènemens arrivés dans la monarchie ont amené la ruine graduelle de cet ordre de choses. — Le premier fut l’affranchissement des serfs ou gens de main-morte, dont toute la France était peuplée, tant dans les villes que dans les campagnes, et qui étaient, ou les Gaulois d’origine assujettis par la conquête, ou les malheureux que différens accidens avaient réduits en servitude. — Le second fut le progrès par lequel ces serfs s’élevèrent, contre tout droit, à la condition de leurs anciens maîtres. Depuis six cents ans, les roturiers esclaves, d’abord affranchis, puis anoblis par les rois, ont usurpé les emplois et les dignités de l’état, tandis que la noblesse, l’héritière des priviléges de la conquête, les perdait un à un et allait se dégradant de siècle en siècle[69].

« Tous les rois de la troisième race ont voulu son abaissement et travaillé, comme sur un plan formé d’avance, à la ruine des lois primitives et de l’ancienne constitution de l’état ; ce fut pour eux une idée commune d’anéantir les grands seigneurs, de subjuguer la nation, de rendre leur autorité absolue et le gouvernement despotique. — Philippe-Auguste commença la destruction de la police des fiefs et des droits originels du baronnage ; Philippe-le-Bel poursuivit ce projet par la ruse et par la violence ; Louis XI l’avança près de son terme. — Leur postérité est parvenue au but qu’ils s’étaient proposé, mais, pour l’atteindre pleinement, l’administration du cardinal de Richelieu et le règne de Louis XIV ont plus fait, en un demi-siècle, que toutes les entreprises des rois antérieurs n’avaient pu faire en douze cents ans[70]. »

Ce système à deux faces, l’une toute démocratique tournée vers la royauté, l’autre toute aristocratique tournée vers le peuple, contenait de trop grandes hardiesses pour qu’il fût possible de lui donner une entière publicité. Les deux écrits du comte de Boulainvillers qui l’exposent et le développent, l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France et les Lettres sur les Parlemens, circulèrent en copies du vivant de l’auteur, et ne furent imprimés que cinq ans après sa mort, en 1727. Il y avait là de quoi exciter l’attention générale et remuer vivement les esprits. L’instinct de la liberté politique reparaissait dans cette nouvelle théorie de l’histoire de France, et en outre elle touchait à des passions rivales qu’elle flattait d’un côté et que de l’autre elle irritait en les blessant. Comparée à la théorie, si naïvement simple, de François Hotman, elle marquait un véritable progrès pour le talent d’analyse, la pénétration, la faculté de discerner les problèmes fondamentaux et les points délicats de notre histoire. De grandes questions y étaient entrevues et d’importantes distinctions établies ; ce mot jusque-là sans retentissement : « Il y a deux races d’hommes dans le pays, » était prononcé de manière à frapper toutes les oreilles. Le vice capital du système de Boulainvillers, pour ce qui regarde les temps antérieurs au XIIe siècle, consistait dans l’omission d’une série entière de faits, celle qui prouve la persistance de la société gallo-romaine sous la domination des Barbares, et dans une fausse idée de la nature et des conséquences de l’établissement germanique en Gaule, idée fournie par la logique, par un raisonnement superficiel, non par l’observation et l’intime connaissance des faits. Pour ce qui suit le XIIe siècle, le gentilhomme publiciste a mieux vu, sans avoir mieux jugé ; il a aperçu le grand mouvement de transformation de la société française et le rôle de la royauté dans ces révolutions successives. Ses conclusions, quoique partiales, ses interprétations, quoique erronées, frayèrent le chemin qui devait conduire au vrai. C’était une révolte contre le cours des choses, une protestation impuissante contre les tendances sociales de la civilisation moderne ; mais ces tendances étaient là, pour la première fois, nettement reconnues et signalées.

On trouve dans le second écrit du comte de Boulainvillers une portion moins étroitement systématique, plus complète, plus étudiée que le reste, l’histoire des états-généraux du XIVe et du XVe siècle. Ce travail, entièrement neuf pour l’époque, a depuis servi de base ou de thème à beaucoup d’essais du même genre ; il n’a jamais été refait sur les sources avec un pareil développement. L’immense intérêt du sujet semble ici entraîner l’auteur hors de ses préoccupations ordinaires et le lancer dans une voie plus large et plus sûre. Au lieu de l’éternel paradoxe de la souveraineté de la noblesse, il présente un tableau animé du concours des grandes classes de la nation au gouvernement de l’état, véritable étude d’historien politique d’où ressort le double contraste de la monarchie des états-généraux avec la monarchie absolue, et de l’imposant contrôle des assemblées représentatives avec le contrôle mesquin des parlemens. Boulainvillers fut l’homme des états-généraux, non-seulement comme écrivain, mais comme citoyen ; il en proposa la convocation après la mort de Louis XIV, dans des mémoires présentés au régent. C’est par là que sa renommée de publiciste s’établit à part de son système, et que ses idées politiques eurent de la portée hors de la classe à laquelle, dans ses rêves de liberté exclusive, il voulait borner la nation.

Peu d’hommes de cette classe retrempèrent dans le nouveau système historique leurs vieilles traditions d’indépendance amorties depuis un siècle ; mais tous, ou presque tous, crurent volontiers que leurs familles remontaient jusqu’aux Franks et qu’ils étaient nobles en vertu de la conquête. Un surcroît d’orgueil dont on retrouve la trace dans quelques écrits du temps paraît s’être insinué au cœur des gentilshommes, qui, sur la foi de Boulainvillers, ne virent plus autour d’eux dans la magistrature, les ennoblis, tout le tiers-état, que des fils d’esclaves, esclaves de droit, affranchis par grâce, par surprise ou par rébellion. Ceux dont l’humeur ou les intérêts ne s’accommodaient pas de la portion républicaine du système la rejetèrent et ne prirent que l’autre. C’est ce que fit le duc de Saint-Simon qui a consigné dans quelques pages de ses curieux mémoires l’espèce de version rectifiée qu’il adopta pour son usage. Il y pose, comme fait primitif, non la souveraineté collective et l’égalité de tous les Franks, mais un roi, seul conquérant de la Gaule, distribuant à ses guerriers les terres conquises, selon le grade, les services et la fidélité de chacun. « De là, dit-il, est venue la noblesse, corps unique de l’état, dont les membres reçurent d’abord le nom d’hommes de guerre, puis celui de nobles, à la différence des vaincus, qui, de leur entière servitude, furent appelés serfs[71]. » Il poursuit le développement de cette thèse et disserte sur l’origine des propriétés roturières et la formation du tiers-état, dans un style fort différent de celui de ses peintures de mœurs contemporaines, et dont l’allure embarrassée trahit une grande inexpérience de ces sortes de matières.

Quand bien même l’opinion mise en vogue par le comte de Boulainvillers eût été, ce qu’elle n’était pas, inattaquable du côté de la science, elle aurait inspiré de vives répugnances et trouvé d’ardens contradicteurs. Le tiers-état, qui avait grandi de siècle en siècle sans trop s’inquiéter de ses origines, qui était sorti du règne de Louis XIV, comme de tous les règnes précédens, plus fort, plus riche, plus illustré par les hautes fonctions publiques, ne pouvait accepter patiemment, fût-ce au nom de l’histoire elle-même, une pareille place dans le passé. Aussi les réfutations plébéiennes, mêlées de colère et de raisonnement, ne se firent pas attendre ; un pamphlet remarquable, dont le titre était : Lettre d’un Conseiller du parlement de Rouen, courut quelque temps manuscrit et fut publié en 1730. L’auteur anonyme déclare qu’indigné de voir avilir la majorité de la nation pour rehausser l’état et la gloire de trois ou quatre mille personnes, il veut remettre (c’est lui qui parle) les nobles de niveau avec les citoyens de nos villes et leur donner des frères au lieu d’esclaves[72]. Celui qui se présentait si fièrement contre le champion de la noblesse n’apportait pas dans la controverse une érudition supérieure ; mais il avait une foi complète et presque naïve aux traditions et aux idées de la bourgeoisie. Grace à cette disposition d’esprit, sa polémique fut comme un miroir où vinrent se refléter fidèlement les croyances des hautes classes roturières, leurs désirs, toutes leurs passions, tous leurs instincts bons ou mauvais. On y trouve à la fois le sentiment de l’égalité civile et l’admiration de la richesse, une aversion décidée pour les priviléges de la naissance, et un aveu sans réserve des priviléges de l’argent[73].

Voilà pour les doctrines politiques ; et, quant à l’histoire, le principal argument de l’auteur de la lettre se fonde sur les preuves de la liberté immémoriale des villes de France. Il établit l’existence non interrompue du régime municipal dans un grand nombre de cités, soit du midi, soit du nord de la Gaule, et montre qu’à l’égard de ce droit les souvenirs n’ont jamais péri. Il prouve que les habitans des grandes villes n’eurent jamais besoin d’être exemptés de la servitude personnelle, mais seulement de quelques servitudes réelles et de la justice seigneuriale ; que ce fut là toute la portée de leurs chartes d’affranchissement. Enfin il revendique pour les bourgeois du moyen-âge, avec la liberté civile et politique, l’honneur d’avoir été riches, courtois, généreux et même prodigues à l’égal des gentilshommes[74]. Cet ordre d’idées et de faits le conduit, par une pente naturelle, à s’attacher exclusivement aux restes de la civilisation romaine, comme à la seule base de notre histoire nationale ; il est impossible de faire une abstraction plus complète et plus dédaigneuse de ce qu’il y eut de germanique dans les vieilles institutions et les vieilles mœurs de la France. Les prétentions de la noblesse à l’héritage des Francs sont, de sa part, l’objet de plaisanteries, souvent plus aigres que fines, sur le camp de Mérovée d’où les gentilshommes de nom et d’armes s’imaginent être sortis. Parfois même, quelque chose de triste vient se mêler, d’une façon étrange, au burlesque de l’expression, et, dans les invectives du pamphlétaire du XVIIIe siècle, on croit entendre la voix et les regrets d’un descendant des Syagrius et des Apollinaires : « Je passe avec douleur, dit-il, à ce déluge de barbares français qui inonda la malheureuse Gaule, qui renversa les lois romaines, lesquelles gouvernaient les habitans selon les principes de l’humanité et de la justice, qui y établit en leur place l’ignorance, l’avarice et la cruauté barbaresque. Quelle désolation pour les campagnes et les bourgades de ce pays d’y voir exercer la justice par un caporal barbare, à la place d’un décurion romain !…[75]. »

Mais ces ressentimens de la bourgeoisie qui s’échappaient ainsi en saillies plus ou moins vives, plus ou moins piquantes, couvaient silencieusement dans l’ame d’un homme d’un talent mûr, d’un esprit subtil et réfléchi. Jean-Baptiste Dubos, secrétaire perpétuel de l’Académie française, célèbre alors comme littérateur et comme publiciste, entreprit non-seulement d’abattre le système historique de Boulainvillers, mais encore d’extirper la racine de tout système fondé pareillement sur la distinction des vainqueurs et des vaincus de la Gaule. C’est dans ce but qu’il composa le plus grand ouvrage qui, jusqu’alors, eût été fait sur les origines de l’histoire de France, un livre encore lu de nos jours avec profit et intérêt, l’Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules[76]. L’esprit de ce livre, où un immense appareil d’érudition sert d’échafaudage à un argument logique, peut se formuler en très peu de mots et se réduire aux assertions suivantes : « La conquête de la Gaule par les Francs est une illusion historique. Les Francs sont venus en Gaule comme alliés, non comme ennemis des Romains. — Leurs rois ont reçu des empereurs les dignités qui conféraient le gouvernement de cette province, et par un traité formel ils ont succédé aux droits de l’empire. — L’administration du pays, l’état des personnes, l’ordre civil et politique sont restés avec eux exactement les mêmes qu’auparavant. — Il n’y a donc eu, aux Ve et VIe siècles, ni intrusion d’un peuple ennemi, ni domination d’une race sur l’autre, ni asservissement des Gaulois. — C’est quatre siècles plus tard que le démembrement de la souveraineté et le changement des offices en seigneurie produisirent des effets tout semblables à ceux de l’invasion étrangère, élevèrent entre les rois et le peuple une caste dominatrice et firent de la Gaule un véritable pays de conquête[77]. » Ainsi le fait de la conquête était retranché du Ve siècle pour être reporté au Xe avec toutes ses conséquences, et, par cette opération de chimie historique, la loi fondamentale de Boulainvillers, le droit de victoire, s’évanouissait, sans qu’il fût besoin d’en discuter la valeur ou l’étendue. En outre, tout ce dont l’établissement des Franks se trouvait déchargé en violences, en tyrannies, en barbarie, tombait à la charge de l’établissement féodal, berceau de la noblesse et de la noblesse seule, la royauté demeurant, comme la bourgeoisie, une pure émanation de la vieille société romaine.

Dans le projet et la pensée intime de son œuvre, l’abbé Dubos obéit, du moins on peut le croire, à l’influence de traditions domestiques ; car il était fils d’un marchand de Beauvais, ancien bourgeois et échevin de cette ville. Une chose certaine, c’est que le mode d’exécution lui fut en grande partie suggéré par sa science dans le droit public et son intelligence de la diplomatie. Non-seulement il avait étudié à fond la politique extérieure, les intérêts mutuels et les diverses relations des états, mais encore il avait rempli avec succès plusieurs missions délicates auprès des cours étrangères. De ses travaux et de ses emplois, il avait rapporté une merveilleuse souplesse d’esprit et la tendance à considérer l’histoire principalement du point de vue des alliances offensives ou défensives, des négociations et des traités. C’est sur la théorie de ces transactions politiques qu’il fonda son nouveau système ; il chercha une raison d’alliance entre les Romains et les Franks, et, dès qu’il l’eut trouvée, il en induisit audacieusement l’existence et la durée non interrompue de leur alliance fondée sur le voisinage et un intérêt commun. Il profita, ou plutôt il abusa des moindres indications favorables à sa thèse, des moindres traits épars chez les historiens, les géographes, les poètes et les panégyristes, torturant les textes, traduisant faux, interprétant à sa guise, et conservant, dans ses plus grands écarts, quelque chose de contenu, de patient, de finement persuasif qui tenait, en lui, du caractère et des habitudes diplomatiques. Il parvint ainsi à former une démonstration invincible en apparence, à enlacer le lecteur dans un réseau de preuves, toutes fort légères, mais dont la multiplicité étonne l’esprit et ne lui permet plus de se reconnaître. Raisonnant comme si les relations de l’empire romain avec un peuple barbare avaient dû ressembler à celles qu’entretiennent les puissances de l’Europe moderne, il fait planer au-dessus de l’histoire réelle du Ve et du VIe siècle, une histoire imaginaire toute remplie de traités et de négociations entre les Franks, l’empire et une prétendue république des provinces armoricaines. Voici quelle série de faits, pour la plupart donnés par l’hypothèse ou par la conjecture, occupe, dans son livre, l’espace de temps compris entre la fin du IIIe siècle et le règne de l’empereur Justinien.

« L’époque de l’établissement des Francs sur les bords du Rhin est celle du premier et du principal traité d’alliance entre ce peuple et les Romains. Dès-lors les deux nations furent unies par une amitié constante, à peu près de la même manière que la France et la Suisse, depuis le règne de Louis XI. — Les Romains ne déclarèrent jamais la guerre à toute la nation des Francs, et la masse de celle-ci prit souvent les armes en faveur de l’empire contre celle de ses propres tribus qui violait la paix jurée. — Il était de l’intérêt des Romains d’être constamment alliés des Francs, parce que ces derniers mettaient la frontière de l’empire à couvert de l’invasion des autres Barbares ; c’est pour cela qu’à Rome on comblait d’honneurs et de dignités les chefs de la nation franque. — Les anciens traités d’alliance furent renouvelés au commencement du Ve siècle par Stilicon au nom de l’empereur Honorius, vers 450, par Aétius, au nom de Valentinien III, et vers 460, par Aegidius, pour les Gallo-Romains, alors séparés de l’Italie, à cause de leur aversion contre la tyrannie de Ricimer. — Childéric, roi des Francs, reçut de l’empereur Anthémius le titre et l’autorité de maître de la milice des Gaules ; son fils Clovis obtint la même faveur après son avènement, et il cumula cette dignité romaine avec le titre de roi de sa nation. — En l’année 509, il fut fait consul par l’empereur Anastase, et cette nouvelle dignité lui donna dans les affaires civiles le même pouvoir qu’il avait déjà dans les affaires de la guerre ; il devint empereur de fait pour les Gaulois, protecteur et chef de tous les citoyens romains établis dans la Gaule, lieutenant et soldat de l’empire contre les Goths et les Burgondes. — Vers l’année 540, ses deux fils Childebert et Clotaire, et Théodebert, son petit-fils, obtinrent, par une cession authentique de l’empereur Justinien, la pleine souveraineté de toutes les Gaules[78]. »

Cette fameuse cession qui, en réalité, ne s’étendit qu’au territoire méridional déjà cédé par les Ostrogoths, forme le couronnement de l’édifice fantastique élevé par l’abbé Dubos. Arrivé là, l’auteur met fin au récit, et ne s’occupe plus que des conclusions qui sont l’objet de son dernier livre, le plus curieux, parce qu’il donne le sens, et, pour ainsi dire, le mot de tout l’ouvrage. Dans ce dernier livre, qui est un tableau général de l’état des Gaules durant le VIe siècle et les trois siècles suivans, se trouvent mises en lumière, avec assez d’art, les questions résolues ou tranchées par le nouveau système. C’est là que sont réunies et groupées, de manière à se fortifier mutuellement, toutes les propositions ayant une portée politique, et entre autres celles-ci : « Que le gouvernement des rois de la première et de la seconde race, continuation de celui des empereurs, fut une monarchie pure et non une aristocratie ; que, sous ce gouvernement, les Gaulois conservèrent le droit romain et la pleine possession de leur ancien état social ; que chaque cité des Gaules conserva son sénat municipal, sa milice et le droit d’administration dans ses propres affaires ; que les Francs et les Gallo-Romains vivaient, avec des lois différentes, sur un pied d’égalité ; qu’ils étaient également admis à tous les emplois publics et soumis à tous les impôts[79]. »

Le temps et le progrès des idées historiques ont opéré le partage de ce qu’il y a d’excessif ou de légitime, d’absurde ou de probable dans les inductions et les conjectures de l’antagoniste du comte de Boulainvillers. La fable d’un envahissement sans conquête et l’hypothèse d’une royauté gallo-franke, parfaitement ressemblante, d’un côté au pouvoir impérial des Césars, et de l’autre à la royauté des temps modernes, tout cela a péri ; mais le travail fait par l’écrivain, pour trouver des preuves à l’appui de ses vues systématiques, a frayé de nouvelles voies à la science. Dans ce genre d’ouvrage, la passion politique peut devenir un aiguillon puissant pour l’esprit de recherche et de découverte ; si elle ferme sur certains points l’intelligence, elle l’ouvre et l’excite sur d’autres ; elle suggère des aperçus, des divinations, parfois même des élans de génie auxquels l’étude désintéressée et le pur zèle de la vérité n’auraient pas conduit. Quoi qu’il en soit pour Dubos, nous lui devons le premier exemple d’une attention vive et patiente dirigée vers la partie romaine de nos origines nationales. C’est lui qui a retiré du domaine de la simple tradition le grand fait de la persistance de l’ancienne société civile sous la domination des Barbares, et qui, pour la première fois, l’a fait entrer dans la science. On peut, sans exagération, dire que la belle doctrine de Savigny, sur la perpétuité du droit romain, se trouve en germe dans l’Histoire critique de l’établissement de la monarchie française[80].

Ce livre eut à la fois un grand succès de parti et un grand succès littéraire ; il fut classé dans l’opinion comme le meilleur antidote contre le venin des systèmes aristocratiques. Il produisit une forte impression sur les bénédictins eux-mêmes, ces apôtres de la science calme et impartiale, et ses nouveautés les plus aventureuses trouvèrent crédit auprès de dom Bouquet, le premier auteur du vaste recueil des historiens de la France et des Gaules[81]. Lorsque Montesquieu, terminant son immortel ouvrage de l’Esprit des Lois, voulut jeter un regard sur les problèmes fondamentaux de notre histoire, il se vit en présence de deux systèmes rivaux qui ralliaient, dans des sphères différentes, les convictions et les passions contemporaines. Dubos venait de mourir, et Boulainvillers était mort depuis plus de vingt ans[82] ; mais ces deux hommes, personnifications de deux grandes théories d’histoire et de politique, semblaient encore des figures vivantes assises sur les débris du passé dont elles expliquaient, chacune en sens contraire, la loi et les rapports avec le présent ; leur puissance sur les esprits qu’ils divisaient, l’obligea de s’occuper d’eux, et de donner sur eux son jugement. « M. le comte de Boulainvillers, dit-il, et M. l’abbé Dubos, ont fait chacun un système, dont l’un semble être une conjuration contre le tiers-état, et l’autre une conjuration contre la noblesse. Lorsque le soleil donna à Phaéton son char à conduire, il lui dit : « Si vous montez trop haut, vous brûlerez la demeure céleste ; si vous descendez trop bas, vous réduirez en cendres la terre. N’allez point trop à droite, vous tomberiez dans la constellation du serpent ; n’allez point trop à gauche, vous iriez dans celle de l’autel : tenez-vous entre les deux[83]. »

Ces traits légers d’une critique pleine de grace et de sens ne suffisaient pas à la gravité du sujet ; l’auteur de l’Esprit des Lois voulut s’expliquer plus nettement et faire aux deux systèmes opposés la part exacte du mérite et du blâme ; il ne tint pas la balance d’une main assez ferme, et son impartialité fléchit. Boulainvillers obtint plus de faveur et d’indulgence que son adversaire ; il avait traité des droits politiques de la nation, des assemblées délibérantes, du pouvoir législatif, d’une foule de points dont l’abbé Dubos, exclusivement cantonné dans la tradition romaine, faisait une entière abstraction. De plus, sa hardiesse de pensée, sa fierté d’homme libre et de gentilhomme, plaisaient à l’imagination de Montesquieu, et peut-être aussi l’homme de génie lui savait-il quelque gré de ses préjugés nobiliaires dont lui-même n’était pas exempt. De là vinrent ces mots empreints d’une bienveillance protectrice : « Comme son ouvrage est écrit sans aucun art et qu’il y parle avec cette simplicité, cette franchise et cette ingénuité de l’ancienne noblesse dont il était sorti, tout le monde est capable de juger et des belles choses qu’il dit, et des erreurs dans lesquelles il tombe. Ainsi je ne l’examinerai point, je dirai seulement qu’il avait plus d’esprit que de lumières, plus de lumières que de savoir ; mais ce savoir n’était point méprisable, parce que, de notre histoire et de nos lois, il savait très bien les grandes choses[84]. »

Quant au publiciste plébéien, pour lui la sévérité de l’illustre critique fut entière et sa clairvoyance impitoyable. Montesquieu aperçut, d’un coup d’œil, tout ce qu’il y avait chez l’abbé Dubos de choses hasardées, fausses, mal comprises, de conjectures sans fondement, d’inductions légères, de conclusions erronées, et il dit ce qu’il voyait dans un admirable morceau qui a toute la véhémence de la polémique personnelle. J’en citerai la plus grande partie. Dans cette longue étude sur un sujet aride, où il faut poursuivre des idées, et souvent des fantômes d’idées, à travers des volumes médiocres ou mauvais de style, c’est un charme que de rencontrer enfin quelque chose qui ait la double vie de la pensée et de l’expression.

« Cet ouvrage (le livre de l’Établissement de la monarchie française) a séduit beaucoup de gens, parce qu’il est écrit avec beaucoup d’art, parce qu’on y suppose éternellement ce qui est en question, parce que, plus on y manque de preuves, plus on y multiplie les probabilités, parce qu’une infinité de conjectures sont mises en principe, et qu’on en tire, comme conséquences, d’autres conjectures. Le lecteur oublie qu’il a douté pour commencer à croire. Et comme une érudition sans fin est placée, non pas dans le système, mais à côté du système, l’esprit est distrait par des accessoires et ne s’occupe plus du principal… Si le système de M. l’abbé Dubos avait eu de bons fondemens, il n’aurait pas été obligé de faire trois mortels volumes pour le prouver ; il aurait tout trouvé dans son sujet ; et, sans aller chercher de toutes parts ce qui en était très loin, la raison elle-même se serait chargée de placer cette vérité dans la chaîne des autres vérités. L’histoire et nos lois lui auraient dit : Ne prenez pas tant de peine, nous rendrons témoignage de vous[85]. »

« M. l’abbé Dubos veut ôter toute espèce d’idée que les Francs soient entrés dans les Gaules en conquérans : selon lui, nos rois, appelés par les peuples, n’ont fait que se mettre à la place et succéder aux droits des empereurs romains. Cette prétention ne peut pas s’appliquer au temps où Clovis, entrant dans les Gaules, saccagea et prit les villes ; elle ne peut pas s’appliquer non plus au temps où il défit Syagrius, officier romain, et conquit le pays qu’il tenait : elle ne peut donc se rapporter qu’à celui où Clovis, devenu maître d’une grande partie des Gaules par la violence, aurait été appelé, par le choix et l’amour des peuples, à la domination du reste du pays. Et il ne suffit pas que Clovis ait été reçu, il faut qu’il ait été appelé ; il faut que M. l’abbé Dubos prouve que les peuples ont mieux aimé vivre sous la domination de Clovis, que de vivre sous la domination des Romains ou sous leurs propres lois. Or, les Romains de cette partie des Gaules qui n’avait point encore été envahie par les Barbares étaient, selon M. l’abbé Dubos, de deux sortes : les uns étaient de la confédération armorique, et avaient chassé les officiers de l’empereur pour se défendre eux-mêmes contre les Barbares et se gouverner par leurs propres lois ; les autres obéissaient aux officiers romains. Or, M. l’abbé Dubos prouve-t-il que les Romains, qui étaient encore soumis à l’empire, aient appelé Clovis ? Point du tout. Prouve-t-il que la république des Armoriques ait appelé Clovis et fait même quelque traité avec lui ? Point du tout encore. Bien loin qu’il puisse nous dire quelle fut la destinée de cette république, il n’en saurait pas même montrer l’existence, et quoiqu’il la suive depuis le temps d’Honorius jusqu’à la conquête de Clovis, quoiqu’il y rapporte avec un art admirable tous les évènemens de ces temps-là, elle est restée invisible dans les auteurs[86]… »

« Les Francs étaient donc les meilleurs amis des Romains, eux qui leur firent, eux qui en reçurent des maux effroyables ? Les Francs étaient amis des Romains, eux qui, après les avoir assujettis par leurs armes, les opprimèrent de sang-froid par leurs lois ? Ils étaient amis des Romains, comme les Tartares qui conquirent la Chine étaient amis des Chinois. Si quelques évêques catholiques ont voulu se servir des Francs pour détruire des rois ariens, s’ensuit-il qu’ils aient désiré de vivre sous des peuples barbares ? En peut-on conclure que les Francs eussent des égards particuliers pour les Romains[87] ?… Les Francs n’ont point voulu et n’ont pas même pu tout changer, et même peu de vainqueurs ont eu cette manie. Mais pour que toutes les conséquences de M. l’abbé Dubos fussent vraies, il aurait fallu que non-seulement ils n’eussent rien changé chez les Romains, mais encore qu’ils se fussent changés eux-mêmes[88]… »

Quelle vivacité de style, quelle verve de raison et quelle fermeté de vue ! Le fait de la conquête a repris sa place, il est là, donné dans sa vraie mesure, avec sa véritable couleur, avec ses conséquences politiques. En le posant comme un point inébranlable, le grand publiciste a élevé une barrière contre la confusion introduite par le système de Dubos entre tous les élémens de notre histoire ; mais lui-même ébranle son œuvre, et, dans un moment d’inadvertance, il fait une brèche par laquelle cette confusion devait rentrer sous d’autres formes. Pour cela, il lui suffit de quelques lignes dans lesquelles il admet, comme un fait historique, le choix libre des lois personnelles sous la première et la seconde race, et donne à cette grave erreur l’immense autorité de son nom :

« Les enfans, dit-il, suivaient la loi de leur père, les femmes celle de leur mari, les veuves revenaient à leur loi, les affranchis avaient celle de leur patron. Ce n’est pas tout, chacun pouvait prendre la loi qu’il voulait ; la constitution de Lothaire exigea que ce choix fût rendu public[89]… Mais pourquoi les lois saliques acquirent-elles une autorité presque générale dans le pays des Francs ? Et pourquoi le droit romain s’y perdit-il peu à peu, pendant que, dans le domaine des Visigoths, le droit romain s’étendit et eut une autorité générale ? Je dis que le droit romain perdit son usage chez les Francs à cause des grands avantages qu’il y avait à être Franc, Barbare, ou homme vivant sous la loi salique ; tout le monde fut porté à quitter le droit romain pour vivre sous la loi salique ; il fut seulement retenu par les ecclésiastiques, parce qu’ils n’eurent point d’intérêt à changer[90]

Singulier et triste exemple de la faiblesse de l’attention humaine dans ceux même qui sont doués de génie. Montesquieu ne s’aperçoit pas que cette conquête des Barbares, qu’il vient de caractériser si énergiquement, s’anéantit sous sa plume, qu’elle ne fait que paraître et disparaître comme une vaine fantasmagorie ; que, si chacun pouvait à son gré devenir membre de la nation conquérante, il n’y a plus sérieusement ni vainqueurs, ni vaincus, ni Franks, ni Romains ; que ce sont des distinctions sans valeur dans l’histoire de nos origines. Avec cette faculté laissée aux vaincus de prendre la loi, c’est-à-dire les priviléges de la race victorieuse, que devient l’orgueil des Franks, leur mépris pour les Romains, l’oppression légale que, selon Montesquieu lui-même, ils firent peser sur eux, en un mot cette cruelle différence (l’expression lui appartient) qui, établie entre les deux races à tous les degrés de la condition sociale, prolongea pour les indigènes les misères de l’invasion[91] ?

Montesquieu fut induit en erreur par deux textes qu’il examina trop légèrement. Le premier est le titre 41 d’une ancienne rédaction de la loi salique, on y lit : « Si quelque homme libre tue un Franc, ou un Barbare, ou un homme vivant sous la loi salique[92]… » ce qui semble dire qu’il y avait des hommes de race non germanique, des Romains qui vivaient sous cette loi. Mais la leçon est fausse, comme on peut le voir, si on la rapproche des variantes qu’offrent les différens manuscrits, et surtout de la rédaction amendée par Charlemagne, la plus correcte et la plus claire de toutes. Il est évident que le monosyllabe ou, en latin aut, s’est redoublé par inadvertance des copistes, que le vrai sens de l’article est celui-ci : Si quelque homme libre tue un Frank ou un Barbare vivant sous la loi salique[93], et qu’il n’y a pas dans cet article la moindre place pour les Gallo-Romains.

Le second texte pris à faux par l’illustre écrivain est la constitution promulguée à Rome, en 824, par Lothaire, fils de Louis-le-Débonnaire, afin de terminer la querelle des Romains avec leur évêque Eugène II. C’est une ordonnance uniquement faite pour les habitans de la ville et de son territoire, et non, comme trop de savans l’ont cru, un capitulaire général applicable aux hommes de race romaine dans toute l’étendue de l’empire frank. « Nous voulons, dit cette constitution, traduite ici littéralement avec ses bizarreries grammaticales, nous voulons que tout le sénat et le peuple romain soit interrogé et qu’il lui soit demandé sous quelle loi il veut vivre, afin que dorénavant il s’y maintienne ; et, en outre, qu’il leur soit déclaré que s’ils viennent à transgresser la loi dont ils auront fait profession, ils seront passibles de toutes les pénalités établies par elle, selon la décision du seigneur pape et la nôtre[94]. » Une autre rédaction du même acte, qui se trouve jointe, on ne sait pourquoi, à tous les recueils des lois lombardes, porte, il est vrai, ces simples mots « Nous voulons que tout le peuple romain[95]… » Le mot sénat y est omis ; mais cette omission ne suffisait nullement pour causer la méprise : car si, dans tous les royaumes fondés par les conquérans germains, les indigènes, les provinciaux de l’empire, furent appelés Romains et distingués ainsi des hommes de l’autre race, jamais aucun acte public, ni en Gaule, ni en Espagne, ni dans l’Italie lombarde, ne leur donna le nom collectif de peuple romain. Ce nom, restreint aux habitans de Rome et du duché de Rome, fut, dans la langue diplomatique du moyen-âge, une appellation spéciale, et comme un dernier titre de noblesse, pour les citoyens de la ville éternelle.

Les trois livres de l’Esprit des Lois où Montesquieu a jeté, avec tant de puissance, mais d’une manière si capricieuse et si désordonnée, ses vues sur l’origine de nos institutions nationales contiennent, parmi beaucoup d’aperçus fins et de solutions vraies, plus d’une erreur de ce genre[96]. Celle-là, introduite dans la science grace à un tel patronage, et placée désormais hors de la sphère du doute, devint la pierre angulaire d’un nouveau système qui, par une sorte de tour d’adresse, fit voir au tiers-état ses ancêtres ou ses représentans, dès le berceau de la monarchie, siégeant dans les grandes assemblées politiques, ayant part à tous les droits de la souveraineté. C’est la théorie historique à laquelle l’abbé de Mably attacha son nom, et qui prit faveur dans la dernière moitié du XVIIIe siècle. Je me hâte d’arriver à ce nom célèbre parmi les historiens dogmatiques de nos origines et de nos lois, et je néglige quelques écrits où ne manquent ni le savoir, ni le talent, mais qui n’influèrent en rien sur ce qu’on pourrait appeler le courant des croyances publiques. Le plus considérable, celui du comte du Buat, intitulé les Origines[97] est un ouvrage confusément mêlé de faux et de vrai, sans méthode, sans chronologie, sans intelligence des textes, et, malgré cela, remarquable par un certain sentiment de l’étendue et de la variété des questions à résoudre, par une grande liberté d’esprit, par les efforts que l’auteur fait, à l’aide d’une érudition puisée Allemagne, pour se détacher des préjugés historiques qu’entretenaient, dans la France d’alors, la puissance des vieilles institutions et la force des habitudes nationales.


Augustin Thierry.

  1. Chroniques de Saint-Denis, dans le Recueil des Historiens de la France et des Gaules, tome III, pag. 155.
  2. Histoire générale des rois de France par Bernard de Girard, seigneur du Haillan, édition de 1576, tome I, pag. 229.
  3. Ibid.
  4. Quia clericorum superstitio, non attendens quod bellis et quorundam sanguine sub Carolo Magno et aliis, regnum Franciæ de errore gentilium ad fidem catholicam sit conversum primò quedam humilitate nos seduxit, quasi vulpes se nobis opponentes ex ipsorum castrorum reliquiis, quæ à nobis habuerant fundamentum : jurisdictionem sæcularium sic absorbent, ut filii servorum secundùm leges suas judicent liberos et filios liberorum ; quamvis secundum leges priorum et leges triumphatorum, deberent à nobis potius judicari… (Mattei Westmonasteriensis flores historiarum, édit. 1601, pag. 333.) — Mattei Parisiensis, Historia Angliæ major, tom. II, pag. 720, édit. London. — Il y a quelques variantes entre les deux textes.
  5. Nos omnes regni majores attento animo percipientes, quod regnum non per jus scriptum, nec per clericorum arrogantiam, sed per sudores bellicos fuerit adquisitum ; præsenti decreto omnium juramento statuimus et sancimus… (Ibid.)
  6. Ut sic jurisdictio nostra ressuscitata respiret, et ipsi hactenùs ex nostrâ depauperatione ditati… Reducantur ad statum ecclesiæ primitivæ et in contemplatione viventes, nobis sicut decet activam vitam ducentibus ostendant miracula, quæ dudùm a seculo recessernnt. (Ibid.)
  7. Post milites et populi tam majores quam minores uno ore consentientes, laudaverunt ter proclamantes : Laudamus, volumus, fiat. (Coronatio Philippi primi, apud rerum Gallic. et Franc. scriptores, tom. XI, pag. 33.) — Ipse autem episcopus affatur populum si tali principi ac rectori se subjicere… velint, tunc ergo à circumstante clero et populo unanimiter dicatur. Fiat, fiat, amen. (Don Martene, Amplissima collectio, tom. II, col. 611, 612.)
  8. Historiæ praedicant, et id à majoribus meis accepi, initio, domini rerum populi suffragio, reges fuisse creatos. (Discours de Philippe Pot, seigneur de La Roche, grand-sénéchal de Bourgogne, Journal des États-Généraux, par Masselin, pag. 146.)
  9. Gent de France, mult estes ébahie,
    Je di à touz ceus qui sont nez des fiez :
    Se m’aït Dex, franc n’estes vos mès mie,
    Mult vous a l’en de franchise esloigniez ;
    Car vous estes par enqueste jugiez,…
    Douce France n’apiaut l’en plus ensi,
    Ainçois ait nom le païs aus sougiez,
    Une terre acuvertie.

    (Manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal, no 63 B. L., fo 366, col. 2.

  10. Dummodo eos jure tractaret et legibus vivere pateretur quibus civitas continuò usa est à tempore sancte Remigii Francorum apostoli. (Joannis Sarisberiensis epistola ad Joannem Pictavensem episcopum, apud script. rerum Gallic. et Franc., tom. XVI, pag. 368.)
  11. Metz usait jà de droit civile
    Avant qu’en Lohereigne y eut bonne ville ;
    Lohereigne est jeune et Metz ancienne.

    (Chronique en vers des Antiquités de Metz ; Histoire de Lorraine,
    par dom Calmet, tom. II, preuves, col. CXXIV.)

  12. Loyseau, Traité des Seigneuries, édition de 1701, pag. 101. — Dubos, Histoire critique de l’établissement de la monarchie française, tom. IV, pag. 300.
  13. Ibid., pag. 302. — Raynouard, Histoire du Droit municipal, tom. II, pag. 182, 249, 352. — Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge.
  14. Wace, Roman de Rou, édition de Pluquet, tom. II, pag. 303 et suiv.Benoît de Sainte-Maure, édition de M. Francisque Michel, tom. II, pag. 390 et suiv.
  15. Ibid., ibid.
  16. Droit haineux est le droit qui, par le moyen de la coutume du pays, est contraire au droit écrit… Droit commun est, comme les sages disent, un droit qui s’accorde au droit écrit et à coutume du pays, et que les deux sont consonnans ensemble, si que droit écrit soit conforme avec la coutume locale à tout le moins ne lui déroge, au contraire, car lors est ce droit commun et coutume tolérable (Somme rurale ou Grand Coutumier général de pratique civile, par Jean Bouteillier, édition de 1603, pag. 3.) – Crime de sacrilége si est de faire dire ou venir contre l’établissement du roy ou de son prince, car de venir contre, c’est encourir peine capitale de sacrilége. (Ibid., pag. 174.)
  17. Ibid., pag. 646 et 195.
  18. Voilà l’opinion de nos Français sur l’étymologie de leur nom, laquelle, si quelqu’un voulait leur ôter, il commettrait (selon leur jugement) un grand crime ou pour le moins il serait en danger de perdre temps. (Du Haillan, Histoire générale des rois de France, discours préliminaire.)
  19. Cette dernière opinion fut soutenue par Jean Bodin, dans le livre intitulé Methodus ad facilem historiarum cognitionem (1566), et par Étienne Forcadel, dans son traité de Gallorum imperio et philosophiâ (1569).
  20. Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge, préface, pag. 25.
  21. Vie de François Hotman, en tête de ses Œuvres, pag. 4.
  22. Mémoires de l’état de France sous Charles IX, tom. II, passim.
  23. Cujus rei meum pectus memoria exulcerat, cùm cogito miseram et infortunatam patriam, duodecim jam ferè annorum spatio, incendiis civilibus exarsisse… Ita spero neminem amantem patriæ communis meam hanc, in quærendis remediis, operam aspernaturum. (Fr. Hotomani, Præfatio epistolaris ad Fridericum, Bavariæ ducem.)
  24. Superioribus quidem mensibus, in tantarum calamitatum cogitatione defixus, veteres Franco-Galliæ nostrae historicos omnes et Gallos et Germanos evolvi, summamque ex eorum scriptis confeci ejus status, quem, annos ampliùs mille, in republicâ nostrâ viguisse testantur. Ex quà incredibile dictu est quantam majorum nostrorum in constituendâ republicâ nostrâ sapientiam cognoscere liceat… Rempublicam nostram tum denique sanatum ici confidimus, cùm in suum antiquum et tanquam naturalem statum, divino aliquo beneficio, restituetur. (Ibid.)
  25. Franco-Gallia sive tractatus isagogicus de regimine regum Galliæ et de jure successionis : libellus, statum veteris reipublicæ Galliæ tum deinde à Francis occupatæ, describens. — La traduction se trouve dans le tome ii du recueil intitulé Mémoires de l’état de France sous Charles IX.
  26. Cur vel Massonus vel Matharellus Franco-Galliæ scriptori et simplici historiarum narratori ita terribiliter irascitur ?… Quomodo potest aliquis ei succensere qui est tantum relator et narrator facti ? Franco-Gallista enim tantum narrationi simplici vacat ; quod si aliena dicta delerentur, charta remaneret alba. (Réponse de l’auteur aux pamphlets de ses adversaires. Bayle, Dictionnaire historique, article Hotman.)
  27. Franco-Gallia, édit. 1574, pag. 20, 21, 31, 32.
  28. Franco Gallia pag. 38, 40.
  29. Ibid., pag. 41, 67, 69, 71, 73, 76, 80, 82, 88, 109, 111.
  30. Ibid., pag. 112, 118, 120, 121, 122, 123, 124, 126,
  31. Ut facile intelligatur, rempublicam nostram, libertate fundatam et stabilitam, annos amplius centum et mille statum illum suum liberum et sacrosanctum, etiam vi et armis, adversus tyrannorum potentiam retinuisse. (Franco-Gallia, pag. 128.)
  32. Voyez Bayle, Dictionnaire historique, article Hotman.
  33. Franco-Gallia, pag. 26 et 61.
  34. De sacro sanctâ publici concilii auctoritate. (Franco-Gallia, cap. ii et passim.)
  35. Voyez Bayle, Dictionnaire historique.
  36. Adriani Valesii, Gesta veterum Francorum, sive rerum francicarum usque ad Chlotarii senioris mortem, libri VIII. — Rerum Francicarum a Chlotarii senioris morte ad Chlotarii junioris monarchiam, tomus II. — Rerum Francicarum a Chlotarii minoris monarchiâ ad Childerici destitutionem, tomus III.
  37. Nullus tam inculta ut tu detulit arma : nam neque tibi hasta, neque gladius neque securis est utilis. (Gregorii Turonensis, Historia Francorum eccles., lib. II, cap. XXVII.)
  38. Cùm exercitum recenseret, singulosque circuiret ac recognosceret, ad supradictum militem accessit, ejus arma diu multumque inter manus versans, negavit tersa, acuta, et ad pugnam habilia esse. (Adriani Valesii, Rerum Francicarum, tom. I, pag. 241.)
  39. Valdè molestè fero, quòd hi ariani partem teneant Galliarum. Eamus cum dei adjutorio, et, superatis, redigamus terram in ditionem nostram. (Gregorii Turonensis, Historia Franc. eccles., lib. II, cap. XXXVII.)
  40. Hortatur, ut Alaricum, à quo injuriam receperit, se duce aggrediantur, Visigothosque deo propitio vincant, ac eorum regionem armis occupent ; neque enim catholicis ferendum esse ab Arianis partem optimam Galliarum obtineri. (Adriani Valesii, Rerum Francicarum, tom. i, pag. 294.)
  41. Et quoniam Gregorius Florentius, Turonicus episcopus, nostræ historiæ velut fundus est. (Præfatio ad tomum II Rerum Francicarum.)
  42. Voyez Mézeray, Abrégé chronologique de l’histoire de France, tome I, page 293.
  43. Chantereau-le-Fève, mort en 1658, son livre fut publié en 1662.
  44. Traité des Fiefs et de leur origine, pag. 43.
  45. De l’Origine des Français et de leur empire, par Audigier, tom. I, préface.
  46. Journal des Savans du 29 mars 1677.
  47. De non sperandâ novâ monarchiâ dialogus, Ratisbonne, 1681. Voy. Meusel, Bibliothèque historique, tom. VII, pag. 212.
  48. Historia coloniarum tum à Gallis in exteras nationes missarum, cùm exterarum nationum in Gallias deductarum, auctore Ægidio Lacarry (1677).
  49. Hæc optantis sunt non ratiocinantis. (Leibnitii Opera, tom. IV, pars II, pag. 150.)
  50. Ibid., pag. 173.
  51. Journal de Trévoux du mois de janvier 1716. — Dissertation sur l’origine des Français, où l’on examine s’ils descendent des Tectosages ou anciens Gaulois établis dans la Germanie. Voyez la Bibliothèque historique de la France, par le père Lelong et Feyret de Fontette, tom. II, pag. 19.
  52. Manuscrit original de Fréret, qui doit faire partie de l’édition complète de ses Œuvres, publiée par M. Champollion-Figeac. — Je suis redevable de cette communication à l’obligeance du savant éditeur.
  53. Œuvres de Fréret, édition de 1798, tome V, pag. 164, 203 et suiv.
  54. Manuscrit original de Fréret, communiqué par M. Champollion-Figeac.
  55. Cette chronographie, citée par Adrien de Valois, qui l’avait lue manuscrite, doit faire partie de quelqu’un des fonds de la Bibliothèque royale ; mais le défaut, pour les manuscrits anonymes, d’un catalogue rigoureusement spécial, m’a empêché de la retrouver. Adrien de Valois dit qu’elle s’arrêtait à l’année 1199, à la mort de Richard-Cœur-de-Lion. Selon toute apparence, elle fut écrite dans quelqu’une des provinces de la domination anglaise. Voy. Adriani Valesii, Notit. Galliar., pag. 209.
  56. Sic à tributo soluti nullum vectigal ulterius solvere voluerunt, nec quisquam jure belli posteà potuit eos redigere sub jugo tributi. Undè gens illa quos liberos esse constat Francos etiam num proprià linguâ vocat : et quos apud ipsos hujus modi vincula constringunt non Francos liquet esse sed Gallos, quos Franci sibi jure gentium subjecerunt (Anonymi chronographia apud Adriani Valesii, Notit. Galliar., pag. 209.) — Ce passage fit une grande impression sur le savant auteur de la Notice des Gaules, qui, après l’avoir cité, ajoute : « Ea verba memoratu dignissima, qualia nusquam alibi reperire memini, disertè apertèque docent, ætate scriptoris nimirum circà annum MCC, Francos qui in Gallia dominabantur, adhuc immunes tributorum extitisse, solos Galles inter ipsos tributa pependisse. »
  57. Œuvres de maître Charles Loyseau (édit. de 1701), Traité des Ordres de la noblesse, pag. 24.
  58. Œuvres de maître Charles Loyseau, Traité des Seigneuries, pag. 5.
  59. Voyez le morceau remarquable placé par M. Mignet en tête du recueil d’actes diplomatiques, intitulé Négociations relatives à la succession d’Espagne sous Louis XIV, 1835.
  60. Voyez la lettre de Fénelon à Louis XIV, dans ses Œuvres, tom. II, pag. 411.
  61. Voyez les Œuvres de Fénelon et la belle Notice de M. Villemain en tête de l’édition de 1825.
  62. Lettre au duc de Chevreuse, Œuvres complètes de Fénelon, tom. i, pag. 391.
  63. Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse, pour être proposés au duc de Bourgogne, (Ibid., tom. III, pag. 446. Panthéon littéraire.)
  64. Cette demande fut adressée vers l’année 1695. Les mémoires envoyés par les intendans des généralités se trouvent au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque royale ; ils forment de 15 à 20 volumes in-folio.
  65. Voyez l’Histoire de l’ancien gouvernement de la France, par le comte de Boulainvillers, préface.
  66. Préface du Journal de saint Louis, manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal. B.L.F., no 131.
  67. Histoire de l’ancien gouvernement de la France, avec quatorze lettres historiques sur les parlemens ou états-généraux, tom. I, pag. 21, 24, 29, 33, 35, 38, 40, 57, 59, 61, 245, 322.
  68. Ibid. tom. i, pag. 210, 214, 215, 217, 221, 224, 286, 291.
  69. Histoire de l’ancien gouvernement de la France, avec quatorze lettres historiques sur les parlemens ou états-généraux, tom. I, pag. 291, 309, 310, 316, 322 ; tom. II, pag. 1.
  70. Ibid., tom. I, pag. 191, 240, 291, 352 ; tom. III, pag. 135,152.
  71. Mémoires du duc de Saint-Simon, tom. XI, pag. 367.
  72. Lettre d’un Conseiller du parlement de Rouen au sujet d’un écrit du comte de Boulainvillers, Mémoires de littérature du père Desmolets, tom. IX, pag. 115, 188.
  73. Ibid., pag. 125 et suiv.
  74. Lettre d’un Conseiller du parlement de Rouen au sujet d’un écrit du comte de Boulainvillers, tom. IX, pag. 203, 220, 221, 224, 229, 231,235, 236, 248, 249, 251.
  75. Ibid., pag. 253.
  76. La première édition parut en 1734, la seconde en 1742.
  77. Voy. Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules (édition de 1742). Discours préliminaire, pag. 2, 22, 59, 60, et tom. IV, pag. 44, 289, 378, 416, 417, 418, 419, 420.
  78. Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules liv. ii, III, IV et V.
  79. Ibid., liv. VI, chap. i, II, VIII, IX, X, XI, XIV et XVI.
  80. Voy. l’Histoire du Droit romain au moyen-âge, par F. C. de Savigny traduite de l’allemand par M. Charles Guenoux, 1830.
  81. Dans un grand nombre de notes, au bas des pages des deux premiers volumes, l’auteur de l’Histoire critique de l’établissement de la monarchie française est cité quelquefois d’une manière assez gratuite, mais toujours avec cette qualification : doctissimus abbas Dubos.
  82. Le dernier mourut en 1722, le premier en 1742 ; c’est en 1748 que fut publié l’Esprit des Lois.
  83. Esprit des Lois, liv. XXX, chap. x.
  84. Ibid., ibid.
  85. Esprit des Lois, liv. XXX, chap. XXIII.
  86. Esprit des Lois, liv. XXX, chap. XXIV.
  87. Ibid., liv. XXVIII, chap. III.
  88. Ibid., liv. XXX, chap. XXIV.
  89. Ibid. liv. XXVIII, chap. II.
  90. Ibid., liv. XXVIII, chap. IV.
  91. Ibid., liv. XXVIII, chap. III.
  92. Si quis ingenuus Franco aut barbarum aut hominem qui salica lege vivit occiderit… (Pactus legis salicæ, tit. XLIV, § I, apud script. rerum Gallicarum et Francicarum, tom. IV, pag. 147.)
  93. Si quis ingenuus hominem Francum aut barbarum occiderit qui lege salica vivit… (Lex salica a Carolo M. emendata, tit. XLIII, § I, apud script. rerum Gallic. et Francic., tom. IV, pag. 220) — Voy. Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge, tom. i, pag. 88.
  94. Volumus etiam ut omnis senatus et populus romanus interrogetur quali vult lege vivere, ut sub ea vivat ; eisque denuntietur quod procul dubio, si offenderent contra eandem, eidem legi quam profitebantur, dispositioni domni pontificis et nostra omni modis subjacebunt. (Script. rerum Franc., tom. VI, pag. 410.)
  95. Volumus ut cunctus populus romanus interrogetur quali lege vult vivere… (Leges langobardicæ, apud Canciani Antiq. leges barbarorum, tom. I.) — Voy. Savigny, Histoire du Droit romain au moyen-âge, tom. I, pag. 120.
  96. Voyez Esprit des Lois, livres XXVIII, XXX et XXXI.
  97. Les origines de l’ancien gouvernement de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, 1757. On peut joindre à ce livre les deux suivans, dont le second est de beaucoup le meilleur : Traité de l’origine du gouvernement français, par l’abbé Garnier, 1765 ; Quel fut l’état des personnes en France sous la première et la deuxième race de nos rois ? par l’abbé de Gourcy (Mémoire couronné par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres) 1768.