Constance Verrier/17

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Michel Lévy frères (p. 225-248).



XVII


Cécile Verrier n’avait pas pleuré une seule fois lorsque Constance était au plus mal. Elle était encore tendue, active, excitée, cherchant tous les moyens de la distraire ; mais, en écoutant le récit de cette funeste soirée, et en sentant passer en elle toutes les douleurs de celle qu’elle regardait et chérissait comme sa fille, elle fondit en larmes.

— Ah ! oui, tu disais bien ! s’écria-t-elle : ils t’ont assassinée ; ils se sont mis trois contre toi ; ils t’ont mis trois poignards empoisonnés dans le cœur ; et, à présent, tu es perdue, Constance, je le vois bien ! tu n’en reviendras pas ! Mais je te suivrai, et j’irai, avec toi, dire à ton père : Nous voilà, tu nous avais confiées à un ami, c’est lui qui nous a fait mourir !

— Tais-toi ! tais-toi, tante ! répondit Constance en embrassant avec tendresse sa vieille amie ; nous ne mourrons pas, Dieu ne le veut pas, et mon père nous commande d’aller jusqu’au bout. Ils veulent que nous pardonnions, et moi, je le leur ai juré, je pardonnerai ! Il faudra bien que tu fasses comme moi, puisque nous n’avons jamais eu qu’une volonté à nous deux, toi et moi.

— Pardonner ! dit mademoiselle Verrier exaspérée ; non ! nous allons partir demain. Je ne veux pas que tu revoies ce malheureux, c’est lui qui continue à te tuer. Quand tu ne le verras plus, tu l’oublieras. Ah ! si j’avais su plus tôt ce que tu m’apprends ! Il m’avait bien fait entrevoir des fautes, quelques petits caprices ; j’étais bien en colère, mais je n’avais pas compris : je croyais que ça s’était passé en paroles, en bouquets, en singeries, que sais-je ? et je ne savais pas au juste avec qui ! C’est affreux de penser que tu as pardonné à ces dévergondées, que tu les embrassais, que tu as parlé de les revoir !

— Elles ne sont pas coupables envers moi, dit Constance avec douceur ; elles ne savaient pas que leur Raoul était mon Abel. Quand j’ai parlé de les revoir, j’espérais être morte auparavant. Je croyais aussi que je ne pourrais jamais me décider à revoir Abel. Et puis j’ai pensé que je devais rester son amie et sa sœur. Il n’a péché que contre l’amante, et je voulais, dès le premier jour, lui dire, devant toi, qu’il ne fallait plus songer au mariage. Mais je l’ai revu, et il avait tant souffert ! et il a l’air de m’aimer encore tant, que je ne me suis pas senti le courage de l’humilier et de l’affliger. Comment allons-nous faire, ma tante ? Je ne l’aime plus et je l’aime toujours. Comment arranger ça ?

— Tu l’aimes comme un ami d’enfance, comme tu l’aimais avant de savoir les projets de ton père, voilà tout ! Mais ce n’est pas une raison pour épouser un homme que l’on n’aime qu’à moitié.

— Ah ! chère tante, je l’ai tant aimé depuis quatre ans ! Comment faire pour oublier quatre ans de confiance et d’adoration ! C’était une religion ! Dieu, mon père, Abel et toi, c’était toute ma vie.

— Eh bien, Dieu te reste, et moi aussi. Quant à lui, il faut qu’il s’en aille. Tu l’épouserais par générosité, et tu t’en repentirais. Vous seriez malheureux tous les deux pour toute la vie. Il faut rompre. Constance était brisée de cet entretien. Elle supplia Cécile de la laisser à ses réflexions, sans rien conclure pendant quelques jours encore.

Mais Cécile Verrier ne pouvait se calmer. Héroïque et stoïque en face de la maladie et de la mort, elle flottait inquiète et comme éperdue dans les écueils de la vie. La sienne avait été si calme, si soutenue et si réglée ; sa vieillesse, grâce à son frère, à Constance et à Raoul lui-même, avait été si douce, qu’elle ne se reconnaissait plus elle-même dans le trouble et dans l’imprévu.

Elle avait promis à Constance de ne rien dire à Raoul ; elle n’y put tenir et lui révéla tout, l’accablant de reproches et tout aussitôt faiblissant, prête à pardonner, pourvu que Constance fût consolée.

— Raoul préféra la nécessité, ou plutôt la liberté de s’expliquer, à tout ce qu’il avait souffert du silence effrayant de sa fiancée. Il courut pour se jeter à ses genoux, mais elle demanda grâce se disant plus souffrante ce jour-là, et le médecin, qui arriva sur ces entrefaites, lui trouva de la fièvre et ordonna encore une fois le calme, qu’il était si difficile de voir renaître dans une pareille situation. Raoul attendit encore des heures, des jours, deux mortelles semaines. Cécile était redevenue muette ; mais Constance reprenait des forces, et sa santé refleurissait à vue d’œil quand on la laissait à ses propres méditations. Il devenait évident que personne ne pouvait la consoler, et qu’elle craignait qu’on ne l’essayât sans autre effet que de la faire souffrir encore plus. L’initiative ne pouvait plus venir que d’elle seule. Elle le disait à sa tante, elle le faisait entendre à Raoul. Elle avait un grand parti à prendre. Il lui fallait pour cela toute sa santé morale et physique. — Attendez-moi, disait-elle. Bientôt, le plus tôt possible, je saurai ce que je peux obtenir de moi-même ; je me raisonne et je prie ! Ah ! je ne perds pas mon temps, allez ! je ne me ménage pas !

Raoul était douloureusement humilié du rôle passif qui lui était imposé, à lui, homme d’action et de volonté. Quand il ouvrait la bouche pour dire un mot, la tante attachait sur lui des yeux inquiets, ou invoquait les recommandations du médecin, ou encore brisait la conversation à la moindre apparence d’entraînement ; et s’il s’en plaignait à elle dans le tête-à-tête, elle lui répondait avec amertume :

— Tu ne la trouves pas assez morte, tu veux l’achever, n’est-ce pas ?

Cette situation était intolérable pour lui. Il avait compté jusqu’au bout sur ses forces, sur sa parole nette, sincère et persuasive, sur son infatigable dévouement, sur l’assiduité de ses soins délicats et sur sa propre foi en lui-même. Il avait cru pouvoir réparer ou effacer tout, il se voyait paralysé. Cécile était là comme un gardien jaloux de sa nièce, ne permettant pas même qu’un verre d’eau lui fût présenté par d’autres mains que les siennes, et ne laissant pas une parole arriver librement à ses oreilles. Raoul eût bien su déjouer ce zèle, qui lui semblait mal entendu ; mais Constance paraissait être complice de sa propre captivité morale, et le parti pris de ne pas le laisser se disculper faisait quelquefois au malheureux jeune homme l’effet d’un outrage. Avoir été un idéal, un dieu, dans la pensée d’une femme aimée, et n’être plus devant elle qu’un coupable réduit au silence, ou un assassin à qui l’on demande de ne pas porter le dernier coup, c’est une déchéance à laquelle le juste orgueil de Raoul ne pouvait se soumettre. Il tombait malade lui-même, la fièvre le minait, et sa fierté se refusait à la plainte. Il se disait bien portant ; mais l’altération de ses traits fut bientôt remarquée, et Constance s’en émut.

— Il en mourra aussi, dit-elle à sa tante, et ce sera ma faute ! Dieu sait pourtant que je fais de grands efforts pour oublier ! Mais apparemment il faut faire plus que cela ; il faut accepter. Hélas ! je n’aurais pas voulu mentir, moi ! J’espérais que, la santé revenue, je pourrais lui dire, en toute sincérité : « Je t’aime autant que s’il ne s’était rien passé. » Je sens que ce n’est pas encore vrai ! mais il souffre, vois-tu, il dépérit à son tour, pendant que je renais. Ce qui me sauve le tue. Il ne sait plus attendre, prier et compter sur l’aide de Dieu. Les femmes qu’il a aimées lui ont désappris tout cela. Il faut le tromper, ma tante ; il faut que je fasse pour lui ce qu’il a consenti à faire pour moi : un mensonge !

— Il faut, répondit la tante, faire comme tu crois que Dieu te conseille. Il n’y a que lui qui puisse nous éclairer dans la nuit où nous sommes tombées. Moi, j’ai beau prier, je n’ai pas ton esprit, je n’y vois plus. Prie et ensuite décide ! Ce que tu voudras, je le voudrai.

Constance pria avec ferveur et la foi lui fut rendue. Elle appela Raoul, elle lui demanda de parler, elle l’écouta sans le troubler ni le décourager par un geste de souffrance ou un regard de doute. Il parla avec une grande logique et une ardente conviction, ne s’excusant pas, s’abandonnant à la mansuétude de son juge, mais disant et prouvant que l’avenir serait sans nuage et sans tache. Cette preuve, il la montrait dans sa souffrance, dans ce qu’il avait enduré de honte, de remords et d’épouvante depuis deux mois. À moins d’être stupide ou insensé, il ne pouvait plus avoir qu’une volonté, un but, un besoin dans l’âme, c’était le bonheur de Constance, bonheur sans lequel sa propre vie devenait maudite et impossible. Constance fut vivement attendrie et se jeta dans ses bras, pleurant avec lui, et forçant Cécile à l’embrasser et à le bénir aussi. Elle sentit bien qu’elle l’aimait plus que tout au monde et qu’elle n’en pourrait jamais guérir.

Mais quand elle se retrouva vis-à-vis d’elle-même, la fascination s’envola et il lui sembla qu’elle ne l’aimait pas.

Puis elle chassa cette idée comme une suggestion de l’orgueil, et pria Dieu de l’en délivrer. Elle regarda comme un devoir de ne jamais la laisser rentrer dans son esprit. Elle s’imposa d’écouter Raoul comme l’oracle de sa vie, de lui tenir compte de tout ce qu’il avait fait et voulait faire pour la guérir à jamais du doute. Elle pria sa tante, si elle-même doutait encore, de ne pas le lui dire. Elle fut adorable de tendresse, de soumission intellectuelle, de délicat enjouement avec son fiancé. Elle consentit à fixer le jour de leur mariage, se disant que quand elle aurait fait le serment d’aimer de toute son âme et de toutes ses forces, son âme trouverait de plus grandes forces pour aimer.

Raoul hâta le jour du mariage, non sans éprouver lui-même de secrètes angoisses. Il sentait encore de l’hésitation intérieure dans l’abandon qu’il implorait. Il eût voulu serrer dans ses bras une amante ivre de bonheur, et, si Constance l’eût exigé, il fût resté absorbé et enchaîné à ses pieds durant de nouvelles années d’épreuve. Mais la réputation de Constance exigeait que leur intimité atteignît son but et sa sanction religieuse. Il ne voulait plus la quitter d’un jour, afin qu’elle ne pût le soupçonner, et il ne pouvait pourtant pas continuer à la voir tous les jours sans la compromettre.

Docile et bonne, elle eût consenti à se marier à Nice ; mais Raoul et sa tante avaient pris ce lieu en horreur, et cette maison de la Mozzelli, à laquelle Constance semblait s’attacher d’une manière étrange, leur apparaissait remplie d’amertumes et de visions sinistres. Constance consentit à retourner à Paris. On reçut les adieux du petit nombre de personnes que l’on voyait, et on leur annonça le prochain mariage.

Au moment du départ, Constance, profitant d’un moment de solitude, se glissa sous le berceau de rosiers et s’assit sur le banc. Elle y resta pensive quelques instants, regardant la mer. Elle se sentait guérie, et elle se disait, comme autrefois la Sofia sur le lac de Garde : La vie est bonne et la tombe est morne. Mais, en repassant dans sa mémoire les circonstances de la nuit du meurtre, elle sentit au cœur une violente douleur physique, comme si elle recevait un coup de rasoir.

— Ce que c’est que l’imagination ! pensa-t-elle ; c’est une magie, mais souvent une magie noire, et il faudra s’en méfier.

Elle s’y abandonna pourtant comme à une jouissance cruelle qu’il lui plaisait de savourer pour la dernière fois ; elle se retraça très-vivement l’instant qu’elle avait raconté à sa tante, et où, prête à tomber anéantie, elle avait éprouvé une rapide sensation de bien-être extraordinaire, et elle pensa malgré elle : Eh bien, si la vie est bonne, la mort est bonne aussi… meilleure peut-être ! — Mais il ne faut pas penser à ça.

Elle se leva et cueillit, auprès du banc, un bouquet de sauge fleurie qu’elle arrangea en couronne et alla poser sur la tête de la Polymnie du salon. C’était comme un adieu et un souvenir laissé à la Mozzelli.

— Pauvre Sofia ! se disait-elle, elle est peut-être encore plus malheureuse que moi ! Elle ne peut pas pardonner.

Raoul vint lui dire que les chevaux étaient prêts et qu’on n’attendait qu’elle. La tante accourait, impatiente de quitter la maison et le pays. Constance se hâta d’en sortir pour leur complaire, mais il lui sembla qu’elle eût été plus contente d’y rester seule à jamais.

Le mouvement du voyage dissipa vite ces impressions d’une volupté sinistre. Raoul était admirable de soins et de dévouement. Et puis, il n’avait pas le bonheur insolent d’un triomphateur : il était mélancolique, le plus souvent, comme on l’est dans les joies sérieuses, et c’était Constance qui s’efforçait de le rendre gai, quand elle croyait voir sa rêverie tourner à l’inquiétude et à la tristesse. La première réinstallation à Paris fut encore un sujet de distraction et de mouvement pour Constance. Ses amies vinrent la féliciter de sa guérison et de son mariage. Tous aimaient et estimaient Raoul dans le passé et l’admiraient dans le présent, pour son intelligence, son courage, sa fidélité. Il avait fait fortune sans oublier l’amour : c’est rare.

— Vous serez la plus heureuse des femmes, lui disait-on : riche, belle, aimée, que peut-on souhaiter de plus ? Vous méritiez bien d’être comblée par la Providence ; mais convenez qu’elle ne vous épargne pas les fleurs de la couronne !

Constance souriait, remerciait et croyait.

Mais, dès qu’elle était seule, elle éprouvait comme un froid qui lui serrait les dents. — J’ai peur de retomber malade, disait-elle à sa tante. Pourtant je dors, je mange, je ne souffre pas !

La tante consulta le médecin de la famille qui lui dit tout bas : — Il faut la marier. Il y a trop longtemps qu’elle aime un absent.

Dès lors Cécile se mit en cent pour hâter le mariage, acheter la dispense des premiers bans, inviter la famille et préparer la fête.

Quand on apporta à Constance sa robe de noces pour l’essayer, elle eut peur sans savoir de quoi.

On sonna, et elle tressaillit.

— Mon Dieu, est-ce que tu viens d’avoir ton hoquet nerveux ? lui dit prosaïquement et maternellement la tante.

— Je ne crois pas, dit Constance. C’est cette sonnette qui m’a surprise. Depuis un certain coup de cloche à la grille de là-bas, tu sais ! je ne me suis pas réhabituée à entendre sonner.

Un domestique entra pour dire que madame d’Évereux était au salon avec sa fille.

Constance pâlit et fut forcée de s’asseoir.

— Ah ! cette femme est effrontée ! s’écria la tante ; je ne veux pas que tu la voies ; je vais la renvoyer !

— Non ! dit Constance, pas devant sa fille ! Pauvre, petite Julie, si douce et si aimante !

Elle alla embrasser mademoiselle d’Évereux et recevoir les félicitations de sa mère, qui resta cinq minutes, causant avec son aisance et son charme accoutumés, et qui se retira en invitant Constance à venir chez elle après son mariage.

— Il le faudra bien, dit Constance à Cécile quand la duchesse fut partie. Je ne veux pas qu’elle croie que je me souviens !

Enfin, le jour du mariage arriva, et jamais Constance ne parut plus belle et plus heureuse. Elle avait oublié. Raoul était ivre de joie intérieure. Il s’était senti religieux devant l’autel ; il avait juré avec son âme comme avec ses lèvres de justifier la confiance de sa femme trois fois sainte par l’amour, la douleur et le pardon.

Au moment d’entrer dans la chambre nuptiale, Constance embrassa sa tante et resta longtemps suspendue à son cou.

— Qu’est-ce que tu as donc ? lui dit Cécile. Comme tu as froid ! tu me fais peur !

Constance suivit Raoul dans l’appartement qu’ils devaient désormais occuper. C’était celui que le père et la mère de Constance avaient habité pendant, douze ans d’une paisible et religieuse union. Constance avait décidé, en perdant son père, qu’elle n’aurait pas d’autre chambre quand elle serait mariée, et, en attendant, elle l’avait entretenue avec soin sans y vouloir rien changer. Elle n’y entrait jamais qu’avec un sentiment profond de respect pour son passé et pour son avenir.

C’était une vaste pièce, assombrie comme toutes les autres, non-seulement dans le jour par les grands tilleuls du jardin, mais encore le soir, malgré les flambeaux, par la tenture en vieux cordoue sobrement lamée d’argent. M. Verrier avait eu le goût des choses anciennes et solidement belles. Les dressoirs en chêne et le lit renaissance à colonnes sculptées garni de rideaux de damas gros vert, le meuble en tapisserie du temps de Louis XIV et les armoires de Boule, tout était riche, austère et confortable, sans viser à un ensemble d’époque, que nous confessons ne pas aimer non plus, attendu qu’il nous fait trop vivre dans la sensation d’un passé déterminé.

Raoul et Constance furent impressionnés par l’aspect de cette chambre et par les souvenirs qu’elle leur retraçait : Constance, très-émue, s’assit sans rien dire auprès de la cheminée, où flambait un feu clair. On était aux premiers froids. Raoul s’agenouilla près d’elle et se releva aussitôt, effrayé de sa pâleur et de la fixité de ses yeux attachés sur le fond de l’appartement.

— Tu souffres ? s’écria-t-il.

— Non, répondit-elle, ne bouge pas, regarde !

— Regarder quoi ?

— Mon père qui est là ! Tu ne le vois donc pas ?… Non ! Je rêve ! mais je le vois, il chasse deux femmes qui veulent entrer ici… Ah ! ces deux femmes !

Constance se leva, cherchant à se ravoir et à secouer cette hallucination. — C’est passé, dit-elle en souriant. Mais elle retomba sur le fauteuil et renversa brusquement la tête en arrière avec un profond soupir. Raoul la crut morte.

Aux cris de Raoul, Cécile Verrier accourut ; elle aussi crut à une catastrophe. — Cette fois, s’écria-t-elle, c’est bien fini. Elle a mieux aimé mourir que d’être à toi ! elle se sera empoisonnée !

La pauvre fille devenait folle ; mais déjà Raoul avait la certitude que Constance vivait et qu’elle n’était qu’évanouie. Elle revint à elle pour rassurer Cécile et lui jurer que, fût-elle la plus malheureuse des créatures vivantes, elle voulait vivre et vivrait pour elle.

Cependant elle souffrait d’une oppression que les tendres soins de sa tante et de son mari ne venaient pas à bout de dissiper. Elle ne se l’expliquait pas à elle-même ; elle était sous le coup d’une terreur étrange, frissonnant au moindre bruit, regardant avec surprise autour d’elle, et parfois s’attachant aux bras de sa tante comme pour la supplier de ne pas la laisser seule avec Raoul.

Raoul, qui l’observait douloureusement, comprit l’étendue de leur malheur à tous deux. Il parla d’aller chercher le médecin.

— Non ! non ! ce serait ridicule, lui dit Constance. Je ne suis pas assez malade pour cela. Et elle revint à la prière détournée qu’elle avait si souvent faite à Nice : « J’aurais seulement besoin de repos. »

Raoul lui baisa respectueusement les mains, et, désespéré, mais sans montrer ni effroi ni dépit, il la laissa seule avec sa tante. L’infortuné roula toute la nuit dans sa tête les idées et les projets les plus sombres. Si Constance avait horreur de lui, pourquoi lui avait-elle laissé croire qu’elle avait tout pardonné et qu’elle l’épousait avec joie ? Était-ce par respect pour l’opinion, à cause d’elle-même, ou par dévouement envers lui qu’une rupture venant de la part d’une telle fiancée eût à coup sûr compromis gravement dans la pensée de leur entourage ?

Il y avait de cela sans doute, Raoul ne se trompait pas ; mais il y avait eu autre chose de plus déterminant pour Constance ; elle l’aimait, et Raoul le sentait bien : mais de quel amour pénible et navré ! Elle avait voulu le rendre heureux, sans tenir compte d’elle-même, et la force physique ne secondait plus la force morale. Elle retombait dans les bras de la mort au moment de vouloir donner la vie à son amour.

Dès que le jour parut, Raoul courut chez le médecin. C’était un homme grave et religieux, l’ami de la famille. Il lui confia tout.

— Alors, je m’étais bien trompé, dit le vieillard : j’ai eu tort de hâter ce mariage. La cause du trouble physique est toute morale. C’est un combat intérieur d’une terrible énergie, et la pauvre nature humaine y succombe. Il faudrait être son frère pendant plus ou moins longtemps ; mais vous n’aurez pas ce courage.

— Je l’aurai, répondit Raoul ; et il retourna auprès de sa femme, qu’il trouva endormie et paisible.

— Laissez-moi seul avec elle, dit-il à la tante, qui avait dormi sur le sofa ; allez vous reposer.

— Non, répondit Cécile, non, je ne la laisserai pas seule avec toi ! Tue-moi, si tu veux, je ne sors pas d’ici.

— Eh bien ! restez, reprit Raoul. Quand elle s’éveillera, je lui parlerai devant vous : cela vaudra mieux.

— Parle-moi tout de suite, dit Constance, qui avait entendu ; je suis forte à présent, je suis calme. Mais attends… ce que tu veux me dire, je le sais ! Écoute-moi, d’abord. Écoute-moi aussi, tante chérie. J’ai à me confesser !

« Je me suis crue une femme forte. J’ai pris mes bonnes croyances et mes sincères aspirations pour des facultés qui étaient en moi. Je vois que je ne suis qu’une pauvre fille nerveuse et impressionnable en qui l’esprit parle, veut et ne triomphe pas. Abel ! je t’aime pourtant de toute mon âme ! voilà qui est aussi vrai que le serment de fidélité que je t’ai fait hier devant Dieu et devant les hommes… mais… »

— Mais ce serment sincère t’a abusé toi-même, dit Raoul en l’interrompant. Tu as cru m’aimer de toute ton âme, tu le crois encore, puisque tu le dis ; mais cela n’est pas, quelque chose de plus fort que toi s’y oppose : c’est le souvenir, qui te revient plus terrible, au moment où tu crois l’avoir chassé !

— Eh bien, oui, c’est cela, dit Constance en se jetant dans ses bras et en fondant en larmes. Frère ! pardonne-moi ; je ne doute pas de l’avenir, je t’estime, je suis, sûre de toi ! Mon cœur n’est pour rien dans cette peur que j’ai maintenant de tes caresses ; il t’appartient, rien ne le blesse ni ne le décourage quand il s’agit de toi ; et il est encore à toi si entier et si soumis, que je n’ai pas d’autre volonté que la tienne. Mais que veux-tu ! j’étais venue avec toi dans cette chambre, et je me suis sentie mourir ; non, quelque chose de pis ! je crois que j’ai eu des visions, le délire, et j’ai peur, à présent, si je ne m’accorde pas un peu de répit et de pitié à moi-même, de devenir folle. Aie pitié aussi, toi ! tu vois bien que tu m’es cent fois plus cher que ma vie ; mais combien la tienne serait malheureuse si je perdais la raison ! Ah ! je suis humiliée d’avouer la faiblesse de mes facultés. Pendant quatre ans, j’ai si orgueilleusement compté sur elles ! Je supportais l’absence, il n’y avait pas en moi accès au moindre doute, et j’avais fait de la douleur d’attendre, une espèce de joie divine qui me soutenait. J’aspirais à tes embrassements comme on aspire au ciel. Oui, je suis là pour ne rien cacher, et le mariage me donne le droit de tout dire. J’ai vécu si purement, j’ai lu tant de choses sérieuses, j’ai été si peu curieuse de celles qui ne le sont pas, j’ai voulu avec tant d’austérité savoir les mystères de la création et les desseins de Dieu sur nous, que j’ai appris, de vingt à vingt-cinq ans, ce que les filles sont censées ignorer. Eh bien, cette connaissance théorique n’avait mis aucun trouble dans ma vie. Je veux, me disais-je, que celui que j’aime trouve ma pensée aussi pure que mon cœur, et je ne rêvais que d’un baiser aussi fervent qu’une prière, d’une étreinte où nos âmes se confondraient : et cela, je me disais : nul autre homme au monde ne pourrait m’en faire savourer les délices. Je n’aurais pas pu aimer un autre homme que lui. Le baiser d’un autre homme ne m’effleurerait seulement pas. Si j’étais condamnée à le subir, je mourrais d’horreur et de dégoût auparavant.

« Oui, voilà ce que je me disais : ce que l’on appelle le plaisir sans amour, c’est une souillure pour une âme élevée. Pardonne-moi, Abel, j’étais peut-être exagérée et trop rigide en voulant faire de mon instinct une loi de la conscience applicable à tous ; mais c’est ce beau rêve qui m’a donné quatre ans de foi et de repos intérieur. Que veux-tu ! les instincts entraînent les uns vers les plaisirs des sens, et les autres vers les joies de l’esprit. Si l’on pardonne aux premiers, il faut bien pardonner aussi aux autres. Dépendait-il de moi de ne pas croire à l’amour exclusif ?

« J’y croyais ! et si quelqu’un alors fût venu me dire : Vous êtes folle ; une fille sans expérience peut croire cela pour son compte, et c’est tant mieux pour sa vertu ! mais un homme est un être si différent qu’il ne peut pas subir la même loi et s’imposer la même retenue, un homme est entraîné, forcé par la nature à ne pas vivre sans femme, et l’idéal ne lui suffit pas. Eh bien ! si l’on m’eût dit cela, j’aurais cru qu’on me trompait ! J’aurais répondu : Si les tentations de l’homme sont plus fortes, comme sa force physique est aussi plus grande que la nôtre, et que l’éducation développe davantage son intelligence qui est sa force morale, il peut combattre ses passions avec des chances égales aux nôtres. Et, comme je te savais le plus intelligent et le plus moral des hommes, j’aurais, sans aucun orgueil en ce qui concerne mon propre mérite à tes yeux, répondu de toi comme de moi-même.

« Je m’étais trompée, cher Abel ! Tu avais succombé à des séductions plus puissantes que mon souvenir. J’en ai été accablée et terrassée d’abord. Et puis, je me suis reproché mon orgueil, car c’était de l’orgueil, cette fois, je ne devais m’en prendre de ta faute qu’à moi seule. J’avais eu, sans doute, dans l’âme, quelque langueur qui s’était communiquée à la tienne. Je t’avais peut-être écrit quelque lettre froide ou distraite… Je ne m’en souviens pourtant pas ! »

— C’est que cela n’est pas ! dit Raoul, rien ne m’excuse ! Toutes les lettres que j’ai reçues de toi étaie adorables !

— Eh bien ! il faut, reprit Constance, qu’il y ait eu, par suite de ce voyage imprévu en Angleterre, dont tu n’avais pas eu le temps de m’avertir, quelques lettres égarées. Tu auras pensé, malgré toi, que je te négligeais, que j’étais patiente jusqu’à la tiédeur, que sais-je ! Toi, tu ne m’as pas écrit de Londres ni d’Édimbourg. Tu n’en avais pas le courage, tu ne voulais pas me tromper ! J’aurais dû deviner cela, et me préparer au coup qui m’a frappée. Je n’ai été inquiète que de ta vie et de ta santé. Je ne te croyais pas dans un pays où je pouvais perdre ta trace. Enfin, j’ai péri par où j’ai péché, la confiance !

« Eh bien ! qu’y faire ! Nous avons eu tort de ne pas nous expliquer dans nos lettres, sur la notion que nous avions l’un et l’autre de la fidélité réciproque. Il est bien évident que nous différions là-dessus sans le savoir. »

— Non ! s’écria Raoul, nous ne différions pas ! Je pensais, je pense encore comme toi. Je ne suis pas sophiste et je n’ai jamais eu l’impudence de vouloir te prouver que j’avais d’autres droits que les tiens. Des droits ! peut-on, hélas ! donner le nom de droit à la liberté que l’on a de s’avilir ! Je me suis purement et simplement dégradé à tes yeux et aux miens propres ! Je te l’ai dit en me confessant, Constance, et tu m’as admis à réparer, car tu ne nies pas la réhabilitation, toi, esprit religieux et sûr ! mais je vois bien que si ta raison a admis cette possibilité, ton instinct l’a repoussée. L’amour, nous étions bien d’accord là-dessus, c’est l’idéal de l’égalité, puisque c’est le suprême effort vers l’assimilation des âmes, et quand cette égalité se dérange, la joie des âmes est troublée, l’enthousiasme chancelle ; quelque chose qui alimentait le feu sacré manque tout à coup, et la flamme pâlit de part ou d’autre. Voilà ce qui est arrivé ; je ne suis plus ton égal : formidable leçon pour l’homme qui voudrait s’attribuer les droits de l’impunité ! La plupart du temps, le mariage est l’union d’une fille pure avec un homme cent fois souillé par la débauche ; et, ici, où l’homme est un des plus rigides qui puissent se présenter à toi parmi ceux de son temps et de son âge, il y a encore une si grosse tache qu’il se trouve descendu d’un degré et qu’il n’est plus l’égal de sa compagne !

— Ne dis pas cela ! s’écria Constance. Je ne veux pas que tu le dises !

— Je veux le dire, reprit Raoul avec force. Je dois constater ce qui est et ce qu’aucun préjugé masculin ne pourrait empêcher d’être. Ta générosité n’y peut rien non plus. Quelque effort que tu t’imposes pour ne pas te croire au-dessus de moi, tu as pris cette place et tu ne pourrais la perdre qu’en te dégradant toi-même par une faute. Eh bien ! Constance, réfléchis à ma situation vis-à-vis de toi ! Je me suis dit : Je vais entrer dans le mariage avec une tache que ma femme voit et accepte. Me voilà son inférieur, à ses yeux comme aux miens. Si je n’eusse fait ma fortune moi-même, elle pourrait m’accuser d’une honteuse spéculation. Peut-être, au lieu d’oublier, se souviendra-t-elle chaque jour davantage. Peut-être arrivera-t-elle à me mépriser pour avoir accepté le rôle que je joue, et à s’entendre dire qu’elle est autorisée à me tromper pour me punir de l’avoir trompée le premier.

— Non ! dit Constance offensée, tu ne t’es pas dit tout cela en pensant à moi !

— J’ai voulu me le dire comme tout homme raisonnable se le fût dit à ma place. J’ai voulu supposer le possible jusqu’au delà de ses limites ; ce qu’il en reste d’acceptable est bien assez terrible, car il est certain que, dès le premier jour de notre union, une partie de ce que j’ai prévu et bravé se réalise. Tu ne retrouves pas la passion dans ton cœur. La pitié fait aujourd’hui tout ton amour, et mes caresses t’épouvantent jusqu’au froid de la mort ! Ta sainte pudeur n’eût pas rougi dans les bras d’un homme pur. Elle se révolte, elle t’étouffe, elle t’étrangle la respiration en sentant venir à elle l’homme qui a connu d’autres plaisirs et à qui tu crois n’avoir rien de nouveau à faire éprouver. Ton imagination, amèrement frappée, croit voir autour de nous les spectres de tes rivales, et tu es humiliée de faire le plus grand sacrifice qu’une vierge puisse offrira un homme qui peut-être n’en sentira pas le prix, et qui se rappellera dans tes bras le plaisir que d’autres lui ont donné. Il faut toucher la plaie vive ; c’est cela, n’est-ce pas, Constance ?

— Hélas ! répondit-elle en pleurant ; c’est bien malgré moi, va ! et jusqu’au dernier moment j’ai cru que ces spectres ne reviendraient pas.

— Ils sont revenus, reprit Raoul ; je m’y attendais, je l’avais prévu. Aussi, je ne venais pas à toi avec l’imbécile vanité d’un homme qui croit charmer les démons par sa présence. Je venais, résigné et abattu comme aujourd’hui, pour te dire : Sois ma sœur aussi longtemps que tu voudras. Je n’ai aucun droit sur toi. J’ai risqué le bonheur et la dignité de ma vie entière en t’épousant malgré la lucidité de mon désespoir. Je puis être à jamais ton esclave et ta victime. Que pouvais-je faire de plus ? dis, Constance, que pouvais-je faire de plus, moi en qui tu as reconnu de la fierté et de la dignité ? moi qui crois, et tu le crois aussi, que l’homme doit avoir l’initiative de la volonté dans le mariage et ne le céder qu’à la persuasion ?

« Imagine et invente quelque autre épreuve que celle que je subis en ce moment, je n’en connais pas, moi ! Si tu en trouves, je m’y soumets ! Si tu veux ne m’aimer réellement que dans quatre autres années, après m’avoir vu, tout ce temps-là, sous ton toit, ne vivre que pour toi seule, sans me plaindre ni me révolter, croiras-tu que ma faute est lavée ? Tu vois, je t’ai parlé, à Nice, le langage de la passion. Il t’a émue, tu t’es crue persuadée, et, le lendemain déjà, tu te disais — je l’ai bien senti — : « Ce qu’il m’a dit là, il l’avait dit à d’autres ! » Aujourd’hui, je te parle autrement ; je te parle presque froidement, en homme qui se prépare, non à l’ivresse de la possession, mais à des années d’expiation et de respect absolu. »

— Ah ! tu es un ange ! s’écria Constance, et moi, je suis une ambitieuse ! Je demandais plus que je ne mérite !

— Non ! répondit Raoul, je ne veux pas que tu demandes moins et que ton ambition se contente d’un amour que tu ne sentirais pas à la hauteur du tien ; je ne veux pas d’une affection résignée et mélancolique. Je veux ce que tu as de plus ardent et de plus suave dans le cœur. Je sens que je le mérite déjà (car j’ai déjà souffert le martyre), mais que tu ne pourrais pas me donner encore la félicité que je rêve. J’attendrai, Constance, j’attendrai ! Laisse-moi dire seulement que je ne veux pas désespérer, parce qu’il est impossible de désespérer, quand on est un homme de cœur et qu’on se sent plus fort que la fatalité. Ce n’est pas parce qu’on a faibli une fois qu’il est inévitable de faiblir encore ; cela est bon pour ceux qui chérissent leurs faiblesses ; mais quand on les déteste fortement, on les écrase si bien qu’on les efface. Ne vois-tu pas que j’ai résisté à tout, depuis notre malheur ? Et moi, n’ai-je pas senti cent fois qu’un orgueilleux vulgaire eût devancé ton arrêt et se fût enfui pour se dérober à tes reproches, à ton indifférence, à sa propre honte ? J’ai pourtant de l’orgueil, tu le sais ; eh bien, j’ai bu la honte jusqu’à la lie. J’ai enduré la mortelle contrainte d’assister à tes efforts impuissants pour revenir à moi. Et puis… quelque chose de plus horrible encore, je t’ai vue souffrir, et je sais que tu souffres toujours, et que c’est moi qui en suis la cause ! Je sais qu’il y a en moi un homme que tu plains, que tu aimes, que tu consoles, et un autre homme qui ne te semble plus à toi et qui te fait peur, comme un étranger qui voudrait s’introduire par force ou par ruse dans ton intimité. Et pourtant, je suis là, moi, assistant à ma propre dégradation et ne voulant pas que ta pitié me trompe pour m’en épargner l’horreur. Est-ce là un faible amour, celui qui appelle le châtiment au lieu de s’y soustraire, et qui, au lieu de dire : Je serai avili par le pardon, demande l’épreuve et endure sans aigreur la méfiance qui l’impose ?

— Eh bien ! tu as raison, dit Constance avec résolution, et j’accepte ce que tu dis là. Non ! je ne veux pas te pardonner, parce qu’en effet le pardon est une chose humiliante quand il n’est pas la réconciliation de tout l’être qui l’accorde. Je te donnerai le temps que tu demandes, et nous serons deux tendres amis jusqu’au jour où tu seras bien sûr que mon amour n’est pas de la pitié, mais de l’enthousiasme et du respect, comme autrefois. Ce jour viendra bientôt, je le sens ! Moi aussi, je t’ai mis en méfiance de mon amour, car, sans le vouloir, je me suis cruellement vengée ! Nous avons donc à faire justice de nos torts mutuels ! Demandons à Dieu qu’il nous les pardonne à tous deux, et qu’il nous rende l’idéal sans lequel, pas plus que moi, tu ne peux vivre !

Raoul emmena sa femme à la campagne, où elle désirait passer l’hiver dans ses terres, et où il sentait bien qu’elle avait besoin de se retrancher contre les prévenances de la duchesse et le retour possible de la Mozzelli. Ils ne reparurent à Paris qu’au bout de deux ans. Constance était alors éblouissante de fraîcheur et de beauté, et la bonne Cécile berçait une petite fille toute rose qu’elle s’imaginait avoir mise au monde.

Constance, alors, écrivit à la Mozzelli :

« Soyez heureuse, chère amie, car je le suis, et je vous aime. »

Elle ne la revit pourtant pas, et s’éloigna doucement de la duchesse, qui n’insista qu’autant qu’il le fallait pour sauver les apparences.

Constance est heureuse en effet ; son mari a souffert plus longtemps qu’elle. Pendant longtemps, au milieu des plus ardents transports de sa reconnaissance pour elle, il a senti l’aiguillon du remords, et cette comparaison qu’elle avait tant redoutée s’établissait tellement à son avantage dans la pensée de Raoul, qu’elle eût béni la faute de celui-ci, si elle n’eût été jalouse que par vanité. Mais ce n’est point là la jalousie des belles âmes ; elles sont humbles et un peu craintives. Il est dangereux de les froisser, et Raoul avait été bien près de voir celle de Constance se briser sans retour dans la nuit du meurtre.



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