Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/Les Filles de ’Maska

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LES FILLES DE ’MASKA




C’ÉTAIT AU cours d’une élection fédérale ; Victor Gladu, l’un des plus formidables tribuns populaires du pays, demandait aux électeurs d’Yamaska de lui renouveler son mandat.

Le parti conservateur avait lancé à ses trousses Charles Thibault qui le rencontrait dans un des bourgs-pourris bleus du comté.

Après la grand’messe, mon Thibault monte sur le husting et se lance dans une harangue formidable contre Gladu. Après avoir épuisé tout un répertoire d’accusations aussi idiotes qu’injustes, il termina ainsi :

« Voyez, Messieurs les électeurs, ce document que je tiens ici dans ma main, et que j’étalerai devant vous lorsque je vous aurai expliqué la nature de ce papier. On a accusé M. Gladu d’être franc-maçon. Il l’a nié, c’est vrai, mais il n’a pas prouvé cette négation qui n’est pas justifiée par les faits. M. Gladu s’est imaginé qu’il était impossible de trouver des preuves de son affiliation à cette société si fortement défendue par notre Sainte Mère l’Église. Dieu merci, Messieurs, je suis catholique et catholique fervent, je n’ai pas honte de l’affirmer, et c’est pour cette raison que j’ai fouillé à la bonne source pour découvrir tout ce qu’il fallait pour confondre votre représentant qui a l’audace de venir de nouveau devant vous sans rougir de honte avec un pedigree comme le sien. M. Gladu est non-seulement maçon, mais en outre, il est orangiste.

« Ce document que je détiens est son certificat d’admission dans la grande loge d’Ontario. Je vous ai promis de vous le montrer, eh bien ! je tiens ma parole. Je déroule devant vous ce papier infâme. Voyez-vous en tête le No d’ordre et le montant qu’il a payé pour être admis. Regardez au centre tout en haut. C’est le portrait de la bâtisse où s’abritent ces mécréants pour découvrir des moyens de vous détruire, vous, les Catholiques de la Province de Québec. Ici, c’est grave. Examinez dans le coin gauche ce grand sceau en rouge. Eh bien ! ce sceau a été imprimé avec le sang des Catholiques. Votez pour lui maintenant, si vous l’osez ! »

C’était une police d’assurance qu’il exhibait. Gladu rageait, mais Thibault était déjà loin.

Dans l’après-vêpres, mon Charles était rendu à Yamaska, le château-fort des rouges dans le comté. Il n’avait pas autant de chance de se faire écouter, mais comme il avait toutes les audaces, il ne s’occupait guère de cela.

En réponse au discours du représentant de M. Gladu, il commença ainsi le sien, croyant que ça pourrait passer. Il comptait sans son hôte, car les gars de Yamaska n’ont pas froid aux yeux.

« Messieurs les électeurs, si vous voulez me le permettre, je vais commencer mon discours par une citation de l’Ancien Testament qui s’adapte bien à la circonstance : « Soror mea pulchra est, sed ubera non habet. »…

Alors la foule : Parle français, vlimeux, on comprend pas l’anglais, nous autres.

« Oui, Messieurs, je vais vous parler français, car je n’ai jamais eu honte d’exprimer ma pensée. Cette citation veut dire ceci en français ; « Les filles de ’Mask n’en ont pas, mais elles s’en mettent ! »…

Ce fut sa dernière parole et il se considéra heureux de se tirer de là avec sa peau.


Authentique :

Un ouvrier tombe du haut d’un clocher, à cent cinquante pieds dans l’air. En passant il voit ses camarades, et un cri du cœur lui échappe :

— Prenez soin de mon coffre d’outils !