Contes chinois (Rémusat)/San-Iu-Leou

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Collectif
Texte établi par Jean-Pierre Abel-RémusatMoutardier (Tome troisièmep. 7-96).


SAN-IU-LEOU,
OU
LES TROIS ÉTAGES CONSACRÉS.


CHAPITRE I.


Łe jardin et le pavillon sont vendus avant d’être achevés. Les acheteurs avides désirent posséder la propriété entière.
Ma maison ayant changé de propriétaire, appartient maintenant à un homme riche.
Je vais donc, prenant sous mon bras mon Kin[1] et mes livres me retirer dans un autre village.
Je me suis défait des appartemens superbes que j’avais bâtis pour moi-même,
« Parce que je n’ai point voulu ruiner ma postérité, en lui léguant un aussi vaste édifice.
« Dans une période de cent ans, n’aurait-il pas fallu que cette maison changeât de maître ?
Ne vaut-il pas mieux la vendre tandis qu’elle est veuve que lorsqu’elle sera vieille ?
« Les pins, les bamboux et les fleurs de eï[2] sont compris dans le même marché.
« Mais mon Kin, mes livres, mes chiens et mes poulets m’accompagneront.
« L’acquéreur fixera le prix qu’il voudra pour les lambeaux de vieux poèmes[3] accrochés aux murailles.
« Je ne lui demanderai rien pour les haillons humides qui pendent à l’extérieur[4].
« Si quelque jour, dans un moment de loisir, je viens lui faire une visite,
« L’ancien propriétaire sera honoré du titre d’hôte. »


Les vers qui viennent d’être cités, ainsi que la stance régulière dont ils sont suivis furent composés par un personnage éminent qui, sous la dynastie des Ming, vendit sa maison et en bâtit une autre. Vendre sa maison, cependant, n’est pas une affaire peu embarrassante, et on ne saurait s’y décider sans regrets. Quel plaisir a donc pu trouver à cela l’homme qui a composé sur ce sujet des vers sur toutes les mesures ?

Si vous désirez de connaître la nature de la propriété en ce monde, elle n’est hélas ! que transitoire. Il n’est point de montagne et de rivière qui ne subisse quelque changement dans l’espace de mille années ; quant à une maison, il ne se passe jamais cent ans sans qu’elle soit vendue. Si vous la laissez à vos fils et à vos petits-fils, ils la livreront à d’autres avec une valeur détériorée. Il vaut mieux chercher soi-même un acheteur avant qu’elle dépérisse, car ne la vendriez-vous pas même tout ce qu’elle vaut, vous laisserez encore après vous une réputation de libéralité. On dira : « Il savait combien une maison est coûteuse, et il préféra de s’en défaire même à bas prix ; il conféra une faveur, mais il ne fut pas pris pour dupe. » Si c’est au contraire par vos enfans ou vos petits-enfans qu’elle est vendue à bon marché, mille propos sont tenus sur votre compte ; on s’écrie : « Il a gaspillé le patrimoine de ses pères ; c’est un homme sans mœurs ; il a démembré ce que ses pères aimaient, c’est un méchant : il ne sait point avec quelle difficulté on établit une fortune, c’est un insensé ! Ces trois mauvaises qualités sont ce que lui ont légué principalement ses ancêtres, fondateurs de leur famille et de leur opulence ! Ah ! ne vaut-il pas mieux n’avoir pas hérité seulement d’une brique ! Quoique l’homme qui n’a pas assez de terre pour y piquer une alêne soit cause que ses enfans se mettront à la poursuite de la fortune avec des mains avides, ceux-ci du moins auront la gloire de n’avoir pas hérité d’un pouce de terrain où ils pussent mettre le pied lorsqu’ils ont commencé à courir après elle. Il faut donc que les hommes qui ont des enfans et des petits-enfans, en approchant du terme de leurs jours, tournent leur tête en arrière, et jettent un coup-d’œil sur ceux qui viennent après eux. Si leur conduite leur paraît mal ordonnée, ils ne doivent pas hésiter à se défaire sur-le-champ de leurs propriétés ; ils les empêcheront ainsi de devenir les fils prodigues d’un père frugal, et d’attirer sur eux la censure de leurs semblables.

Depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, il n’y a eu que deux hommes qui se soient particulièrement distingués par cette excellence de raison. L’un avait nom Thang-yeou, l’autre s’appelait Iu chin[5]. Voyant qu’ils n’avaient que des fils dégénérés, et qu’après eux leurs propriétés seraient livrées à des étrangers dans un état de délabrement, ils jugèrent qu’il était préférable d’en disposer eux-mêmes. Il existe encore deux vers d’une ancienne ode, qui font allusion à cela :

Donnez des armes splendides pour orner le flanc du soldat.
Donnez du fard et des mouches à la belle fiancée.

S’ils en laissaient, pensèrent-ils, la disposition à leurs enfans, il était très probable que ceux-ci ne trouveraient pas par la suite quelqu’un qui en voulût pour rien. Ils se querelleraient d’abord inévitablement, et ils finiraient ensuite par se battre. Non-seulement il ne resterait à leurs fils et aux femmes de leurs fils aucune demeure assurée, mais leurs propres tombeaux ne seraient pas à l’abri de leurs débats. Si tel peut être le cas pour ceux qui possèdent l’empire, que n’ont pas à craindre les hommes de condition ordinaire ?

Je vais maintenant parler d’un personnage éminent par son bon sens, et d’un autre qui en était dépourvu, afin que l’un et l’autre puissent servir d’exemple au monde. Le patrimoine de ces deux hommes n’équivalait pas à une tuile du palais de Thang-yeou, ou à une brique des murailles de Iu-chin. Mais pourquoi, en parlant de gens d’une condition aussi inférieure, fais-je usage d’une comparaison aussi élevée ? La raison en est que l’un des deux se nommait Thang et l’autre Iu. On prétendait qu’ils descendaient de Thang-yeou et de Iu-chin, et qu’ils en avaient tiré leurs noms comme étant issus d’eux en ligne directe. Ayant à peindre les descendans, je fais donc un emprunt aux ancêtres, pour rendre ce qui est dû à la source originelle.

L’homme de bon sens avait toutes les dispositions de son grand-aïeul ; l’autre ne participait que très-peu du caractère de sa famille. Leurs dispositions étaient aussi divergentes que les cieux le sont de l’abîme. On va voir combien différaient entre elles deux branches sorties du même tronc.

Sous le régne de Kia-tsing[6], de la dynastie des Ming, dans la province de Sse-tchouan, le fou[7] de Tching-tou et le hian de Tching-tou, vivait un homme opulent, et dans un état croissant de prospérité. Son nom de famille était Thang, et son nom propre Yo-tchouan. Il possédait une immense étendue de terre. Chaque fois qu’il lui rentrait de l’argent, il ne se plaisait qu’à acquérir du terrain et à acheter des champs nouveaux ; mais il ne faisait point bâtir et n’achetait même qu’en petit nombre les meubles qui sont de l’usage le plus ordinaire ; quant aux vêtemens et aux mets recherchés, il en faisait peu de cas. Son inclination le portait à amasser de l’argent par tous les moyens. À peine avait-il acquis des propriétés nouvelles, que de nouveaux profits lui arrivaient ; ils s’accroissaient journellement comme la lune, lorsqu’elle marche vers son plein. Les maisons, les meubles, pensait-il, non-seulement ne donnent aucun profit à leur maître, mais encore il doit craindre que le dieu du feu[8] ne les détruise, et qu’ils ne soient ainsi réduits à rien en un moment. Si une famille est pourvue de vêtemens précieux, il survient aussi tôt des importuns pour en emprunter ; si sa table est abondamment servie, une foule de gens cherchent à s’y asseoir sous le prétexte d’avoir des liaisons avec elle ; enfin il n’y a rien de tel que de se contenter de ce qu’il y a de plus grossier en tout genre, car on évite ainsi les emprunteurs et les mendians.

Il se nourrissait de ces idées, et il n’aurait pas employé un condorin ou un cache[9], à acheter autre chose que des immeubles. Cependant ce n’était point assez pour lui que de satisfaire sa lésinerie, il voulait aussi dérober un grand nom. Il disait qu’il était issu de l’empereur Than-yeou, et que ses ancêtres avaient été très-célèbres, qu’ils logeaient dans une maison couverte de chaume, et ayant des escaliers de terre ; qu’ils se nourrissaient de brouet et buvaient du vin de Youan ; qu’ils se servaient de jarres et de vases d’argile, et qu’ils portaient des habits de toile et de peaux de bêtes fauves. Le père étant si économe, le fils ne pouvait que se conformer à ses dispositions. Ses voisins, témoins de sa parcimonie, le critiquaient en arrière de lui. Ils citaient le proverbe qui dit : « Le père avare a un fils prodigue. Certainement, disaient-ils, son successeur renversera tout ce qu’il aura élevé. » Cependant, contre leur attente, le fils imita le père. Dès ses plus jeunes ans, il s’adonna à l’étude, cherchant à s’avancer par tous les moyens, et il devint Sieouthsaï[10] titulaire. Frugal dans son boire et dans son manger, ne portant que les vêtemens les plus simples, il ne cherchait de même que les amusemens les moins coûteux. Dans ses désirs, il ne différait de ceux de son père qu’en ce qui concernait les maisons : sur ce point l’économie ne lui plaisait pas. La maison qu’il habitait ne lui semblait pas égaler la plus obscure dépendance de celle d’un homme riche, et il en était tout-à-fait honteux. Il aurait voulu bâtir, mais il craignait de commencer, de peur que les moyens ne lui manquassent. Il avait entendu dire : « Qu’il vaut mieux acheter une vieille maison que d’en bâtir une nouvelle. » Consultant donc son père, il lui dit : « Si nous pouvons acheter une belle maison qui nous convienne, nous chercherons ensuite à acquérir un jardin. et nous y ferons bâtir une bibliothèque, telle que nous la désirons. » Yo-tchouan, qui aspirait à devenir un Foung-kiun[11], ne voulut pas contrarier son fils, et sans y prendre garde, il dévia de ses principes. Il lui répondit : « Il n’est pas nécessaire de nous presser ; il y a dans cette rue même une maison et un jardin qui nous conviendront. Elle n’est pas encore complètement bâtie ; mais le jour où elle sera achevée sera inévitablement celui où elle sera vendue ; ainsi donc, vous et moi devons attendre encore un peu. » Le fils répliqua : « Quand les gens veulent vendre leurs maisons, ils n’en bâtissent point ; ceux qui les bâtissent n’ont pas intention de les vendre. Est-il probable qu’aussitôt que leur maison sera terminée, ils voudront s’en défaire ? Yo-tchouan dit : Où avez-vous pris ce raisonnement ? Sans doute l’homme qui possède dix mille pièces d’or peut faire élever une maison qui ne lui en coûtera que mille ; mais celui qui bâtit une maison dont la valeur est égale à celle des terres qu’il possède, peut être considéré comme un grand arbre sans racines que le premier vent doit inévitablement renverser. Combien mieux encore peut être appelé « arbre sans racines », cet homme-ci, qui, sans posséder cent arpens de terre, se met tout-à-coup à faire construire une maison qui a mille appartemens ? Certainement il n’attendra pas que le vent souffle, et il tombera de lui-même. Il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. »

Le fils reconnut la vérité de ces paroles, et de nouveau tomba d’accord sur ce que disait son père. Il se mit à la recherche des terres à vendre, et ne s’enquit plus des maisons. Seulement il désirait que le voisin eût bientôt fini la sienne, afin de l’acquérir et d’y mettre la dernière main, selon sa fantaisie. Les plans de l’homme riche réussirent ; le résultat justifia ses discours. Il y a deux vers du Chi-king, qui sont applicables à ce cas :

A peine l’oiseau soigneux a-t-il achevé son nid,
Qu’un autre survient et s’en empare.

L’homme qui faisait bâtir descendait de Chun-hoa. Son nom de famille était Iu, son nom propre Hao, et son sur nom Sou-chin. Il se plaisait à lire des ouvrages de poésie, mais il n’aspirait point à devenir lui-même un littérateur distingué. Par indolence de caractère, il avait de l’aversion pour tout emploi, et il n’était pas taillé pour être mandarin. Il n’avait donc jamais désiré d’acquérir de la renommée, et il se contentait de chanter et de boire. De tels goûts ne pouvaient le conduire qu’à la pauvreté.

Durant tout le cours de sa vie, il n’avait fait consister ses délices qu’à dessiner des jardins et qu’à bâtir des maisons de plaisance. Depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin, il ne se passait pas un jour sans qu’il ajoutât quelque chose à son ouvrage. Il souhaitait surtout que la maison qu’il élevait actuellement fût au-dessus du genre ordinaire, et que rien ne manquât à sa perfection. Il se disait : « Que d’autres possèdent de vastes champs et un grand nombre d’arpens de terre ; les plaisirs et les richesses qui les occupent n’auraient aucune influence sur moi ! » Il n’y avait que trois choses auxquelles il s’intéressât réellement, et qu’il était décidé à se procurer de la meilleure qualité : c’étaient la maison qu’il habitait, le lit dans lequel il se couchait et le cercueil où il devait reposer après sa mort. Entretenant ces idées dans son sein[12], il se livrait à son ou vrage de terre et de bois[13] avec une constance infatigable.

Le fils de Thang-yo-tchouan ayant attendu quelques années que cette bâtisse fût finie, vexé et furieux dans son cœur de ce qu’elle ne s’achevait pas, dit à son père : « Qu’a produit notre longue attente ? La maison de cet homme n’est pas achevée, et son argent n’est pas épuisé ; il paraît d’après cela que c’est un homme qui a des moyens et des ressources ; il me semble donc plus incertain que jamais qu’il se décide à vendre sa maison. » Yo-tchouan lui répliqua : « Plus la chose tarde, plus elle est certaine, et chaque jour la rend plus avantageuse pour nous. Ne vous impatientez pas ; la véritable raison qui fait que cette maison ne se termine pas, c’est que l’homme qui la bâtit change toutes les minutes de plans, d’après de nouveaux caprices ; il détruit son ouvrage pour le recommencer sans cesse. Lorsqu’il approche de la perfection, il aspire à plus d’excellence encore ; de sorte que les altérations et les embellissemens qu’il fait chaque jour ne tournent qu’à notre seul avantage. Voulez-vous savoir pourquoi son argent n’est point entièrement épuisé ? C’est parce que les entrepreneurs et les usuriers, voyant qu’il bâtit à grands frais, lui prêtent leur crédit pour mieux s’emparer de sa fortune. Les journaliers eux-mêmes ne le pressent pas d’acquitter leurs salaires, parce qu’ils pensent que chaque jour de travail leur vaut un jour de plus de gages, et que s’ils le tourmentaient trop pour être payés, il suspendrait certainement leurs travaux pendant quelque temps, et qu’alors ils demeureraient sans ouvrage. Voilà pourquoi il lui reste encore de l’argent ; c’est ce qui s’appelle « prendre de la chair pour nourrir un ulcère. » Non, ce n’est point un homme qui ait des moyens et des ressources. Lorsqu’il arrivera à l’époque où le crédit lui manquera, les personnes qui ont son nom inscrit dans leurs livres le presseront inévitablement toutes à la fois, et commenceront à le maudire. D’abord il vendra ce qu’il possède de terre pour les satisfaire, et, comme cela ne suffira pas, il en viendra à penser à sa maison elle-même. Tant que ses dettes ne surpasseront pas le montant de ce qu’il aura réalisé, il demandera un prix élevé pour sa maison, et il ne se décidera pas à la vendre à bon marché. Il faut donc attendre un peu plus tard, c’est-à-dire l’instant où ses dettes se seront accrues au point où, forcé de vendre sans différer, il se verra contraint d’accepter nos propres termes. Telle est la conduite qu’il nous faut tenir ; ainsi, allez, et ne vous inquiétez pas davantage à cet égard. »

Le fils applaudit et acquiesça au discours de son père. Les dettes de Iu-sou-chin s’accrurent en effet d’année en année, et ses créanciers en vinrent à se rassembler chaque jour devant sa porte pour réclamer ce qui leur était dû ; il en était même parmi eux qui ne voulaient plus se retirer. La maison qu’il bâtissait ne put pas être achevée, et à la fin il fut obligé de chercher un acheteur.

Ceux qui veulent vendre des maisons se trouvent dans une position différente de celle des vendeurs de terres. Il faut nécessairement qu’ils cherchent un acheteur dans leur voisinage, parmi ceux qui ont des fondations contiguës ou des croisées opposées aux leurs. Si quelque acheteur éloigné se présente, il prendra nécessairement des renseignemens chez les voisins. Si ceux-ci lui disent un mot au désavantage de l’acquisition qu’il veut faire, il s’en dégoûte à l’instant. Il n’en est pas ainsi des champs, des côteaux, des viviers, situés au milieu même d’un désert ; le premier venu peut en tirer parti ; il est donc désirable de vendre sa maison à un voisin plutôt qu’à un autre.

Thang-yo-tchouan était un homme à argent ; on ne pouvait agir à son égard avec légèreté. Le propriétaire de la maison vint le trouver ; le père et le fils, quoique brûlant du désir d’être en possession de ce qu’il leur offrait, répondirent froidement « qu’ils n’en avaient pas besoin. » Ils eurent l’air ensuite de céder à ses supplications, et sortirent avec lui, mais ils ne jetèrent sur sa maison qu’un regard indifférent, et comme si elle leur déplaisait, ils dirent « qu’elle était mal bâtie ; que les appartemens ne convenaient pas à des gens comme il faut, et que ses avenues contournées n’étaient bonnes qu’à faire perdre du temps. Les portes sculptées avec soin n’étaient pas assez fortes pour résister aux voleurs ; les chambres se ressemblaient toutes ; la situation était humide et l’air épais ; il était peu surprenant qu’il ne trouvât pas à s’en défaire ; les fleurs et les bambous ressemblaient à des plantations de mûriers[14] et de chanvre ; il faudrait constamment servir du vin et des collations à tous les oisifs qui en feraient leur lieu de rendez-vous ; une telle maison n’était propre qu’à être convertie en un couvent de femmes ou de bonzes[15] ; et si le nouveau propriétaire voulait faire construire dans l’intérieur des appartemens pour ses enfans, il ne saurait où en trouver la place.

Iu-sou-chin avait, dès l’aurore de sa vie, mis à son ouvrage tout le sang de son cœur, et voyant maintenant que, loin d’obtenir l’approbation des autres, il n’en recevait que dédain et mépris, il en gémit au fond de l’ame. Cependant, comme il ne pouvait pas vendre sa maison à d’autres, il jugea qu’il valait mieux ne pas se quereller avec eux.

Tous ceux qui étaient présens conseillèrent à Yo-tchouan de ne pas être si difficile. Le prix qu’on lui demandait n’était pas trop élevé, et dût-il même mettre la maison en pièces pour la rebâtir après, il y trouverait encore son compte. Yo-tchouan et son fils se mirent donc à louer et à blâmer tour-à-tour, jusqu’à ce qu’ils eussent enfin obtenu une réduction excessive ; de manière qu’ils payèrent tout au plus le cinquième de la valeur de leur acquisition.

Iu-sou-chin fut forcé d’en passer par où ils voulurent, et comme vendeur obligé, il fallut qu’il se soumît à tout. Les appartemens de réception, les pavillons, les viviers, tout fut compris dans l’acte de vente. Il y avait cependant quelques chambres dont il s’était occupé toute sa vie, et qu’il avait plus particulièrement fait arranger selon son goût ; quant à celles-là, il se refusa à les vendre ; il dit qu’il bâtirait un mur de séparation, qu’il ferait ouvrir une autre entrée, et qu’il prétendait les habiter jusqu’à sa mort.

Le fils voulait décidément le forcer à tout vendre, afin d’avoir la maison entière ; mais Yo-tchouan fit semblant d’entrer dans les sentimens des autres. Il dit en pinçant les lèvres, « Il est maître de vendre et de ne pas vendre ; à quoi bon user de contrainte ? Il désire sans doute de conserver ce petit recoin[16], afin de recouvrer par la suite sa propriété, lorsque sa fortune se sera améliorée. Elle retournera alors comme par le passé à son premier maître, et ce sera une bonne chose. » Ceux qui l’entendirent parler ainsi déclarèrent tous « que c’était là le discours d’un homme bienveillant ; » pouvaient-ils deviner que c’était le mépris seul qui lui faisait au contraire tenir ce langage ? Il avait en secret la certitude que jamais le vendeur n’aurait les moyens de rentrer dans sa propriété, et il lui en laissait la petite portion qu’il voulait conserver ; elle lui était inutile, et inévitablement le tout ne ferait un jour qu’une seule maison ; il n’y avait de différence que dans le plus tôt ou le plus tard. Ayant donc accédé aux désirs du vendeur, ils tombèrent d’accord en apparence. La maison fut séparée en deux parties, le nouveau propriétaire en eut les neuf dixièmes, et le reste demeura à l’ancien.

Il paraît que la portion qu’il conserva était dans le style des pagodes, et consistait en trois étages. A chaque étage était une tablette portant des inscriptions tracées par divers personnages éminens, qu’il pouvait tous nommer. Dans la pièce du rez-de-chaussée étaient des lambris sculptés, des treillages, des siéges de bambou et des vases de fleurs ; c’était son appartement. Sur le front de la tablette se lisaient quatre caractères, dont la signification était :

CONSACRÉ AUX HOMMES.

La chambre du milieu avait des tables polies et des croisées transparentes ; on y voyait des curedens et quelques tableaux. C’était là qu’il avait coutume de lire et d’écrire. Les quatre caractères écrits sur la tablette signifiaient :

CONSACRÉ AUX ANCIENS.

L’étage supérieur était vide et d’une construction légère. On n’y voyait qu’une cassolette pour brûler de l’encens, et un livre de morale religieuse. Ici il s’éloignait du bruit, il se retirait de la foule ; il se séparait des hommes, et fermait la porte à leurs exemples. La tablette portait de même quatre caractères qui voulaient dire :

CONSACRÉ AU CIEL.

Ayant divisé l’édifice en trois compartimens pour ces différens usages, il dressa une quatrième tablette pour leur donner un nom général, et il les appela :

LES TROIS ÉTAGES CONSACRÉS.

Avant qu’il se fût défait du reste de sa propriété, ces trois titres, quoique bien choisis, étaient encore vainement appliqués. Il ne s’était point réellement servi de ces appartemens, excepté ce pendant de celui du rez-de-chaussée ; car, comme il aimait beaucoup à recevoir du monde, si quelqu’un venait d’un lieu un peu éloigné pour le visiter, il y faisait aussitôt dresser un lit, et dans ce cas, le titre de Consacré aux hommes était certainement justifié ; quant aux deux pièces supérieures, il ne s’y était jamais établi. Maintenant qu’il ne lui restait plus ni pavillons ni jardins, l’appartement consacré aux anciens était le seul où il pût lire et écrire, comme celui qui était « consacré au ciel » était l’unique abri qui lui restât contre la foule et le bruit. Il y passait toutes ses journées, et il y comprit enfin qu’on pouvait faire beaucoup de choses dans une petite maison, et qu’il était peu sage de mépriser le nom et de prendre la qualité. Les quatre vers populaires que nous allons citer reviennent à ceci :

Seigneur opulent de dix mille arpens,
Quelques bouchées suffisent pour rassasier ton appétit ;
Mille plafonds sollicitent tes soins,
Et cependant six pieds d’espace te suffisent chaque jour.

La petite force qu’il avait possédée jusqu’ici avait été dissipée en vain ; dès ce moment il appliqua collectivement sur un seul point toute l’étendue et l’activité de son génie, et il fit décorer ces trois appartemens d’une manière extraordinaire. En les habitant exclusivement, Iu-sou-chin non-seulement ne sentit point le malheur d’avoir été forcé de se défaire de son jardin, car c’était un embarras de moins, mais il ne souffrit pas non plus de la violence de son voisin. Nous verrons dans le chapitre suivant quelle était la sécurité dont il pouvait jouir dans son habitation.


CHAPITRE II.


N’étant ni un voleur, ni un receleur de vols, il arrive tout-à-coup à la possession d’un trésor considérable. La maison et ceux qui l’habitent retournent à leur premier maitre.


Après que Yo-tchouan et son fils eurent acquis cette maison et ces jardins, le goût de l’homme riche se montra, comme on peut le penser, différent de celui de l’ancien propriétaire, et il voulut à son tour y faire des changemens. Il n’était pas question cependant de transposer les poutres, de déplacer les colonnes, et d’opérer une transformation entière. C’était comme un superbe paysage, où il ne faut que retirer un arbre ou ajouter un brin d’herbe. L’apparence pittoresque n’était pas entièrement conforme à son idée. Lorsqu’il y eut travaillé quelque temps, il s’aperçut cependant qu’il avait manqué son but originel, qui était de transformer le fer en or, et que, contrairement à son attente, il changeait l’or en fer.

Les personnes qui venaient les voir disaient toutes, « que ces jardins étaient grands et incommodes ; qu’après tout on ne pouvait les comparer avec les trois étages, quoique, s’ils y étaient réunis, la chose serait assez bien ; qu’il n’était pas étonnant que l’autre homme eût voulu conserver la petite partie, et eût méprisé la plus grande, ou qu’il tînt si fortement à ce qu’il avait conservé, et qu’il ne voulût pas le vendre ; que le partage qui avait eu lieu avait mis d’un côté un pouce d’or, et de l’autre dix coudées de fer. »

Yo-tchouan et son fils, entendant ces propos, commencèrent, sans s’en apercevoir, à être fâchés et à se repentir de leur marché ; ils apprirent alors qu’on peut être riche sans être satisfait. Ils recoururent aux courtiers qui allèrent trouver le vendeur, pour l’engager à se dessaisir de ce qu’il avait conservé, et à le comprendre dans la vente. Iu-sou-chin, depuis qu’il s’était défait de sa maison et de ses jardins, n’avait plus employé d’ouvriers, et n’avait fait aucune extravagance. Ainsi, comme il n’avait plus de dettes, et qu’il lui restait de quoi vivre, il n’avait pas de motifs pour vendre ce qu’il s’était réservé. Il leur répondit donc : « Si je n’avais plus cette habitation, dites-moi où je pourrais me reposer ? Quand même vous me réduiriez à être privé de vêtemens et à avoir à peine de quoi me nourrir, je tiendrais encore bon contre votre envie. » Pouvait-il en effet se déterminer à les satisfaire, lorsque sa fortune s’était réellement améliorée ?

Les courtiers revinrent et firent connaître sa réponse au fils de Yo-tchouan, qui ne put s’empêcher de prendre son père à partie, et de lui dire : « Vous avez toute votre vie étudié les hommes, mais en cette occasion votre jugement a erré sur tous les points. » Yo-tchouan répliqua : « Cet homme peut être un entêté pendant sa vie, mais il ne saurait l’être après sa mort. Il est maintenant d’un âge mûr, et il n’a point d’héritiers. Lorsque son dernier souffle se sera exhalé, ses femmes, ses maîtresses, ses domestiques passeront inévitablement à d’autres, et à plus forte raison, les chambres qu’il habite encore. Sa famille entière et tout ce qu’elle porte avec elle tomberont en notre pouvoir ; n’ayez pas peur que tout cela s’envole, » Le fils, entendant son père raisonner ainsi, lui dit : « Que, quoique ses paroles fussent vraies, cependant la vie de cet homme lui paraissait interminable ; qu’il n’y avait pas à attendre sa fin, et que le plus tôt qu’on le déposséderait serait le mieux. »

Depuis ce moment, ils firent de Iu-sou-chin le principal sujet de toutes leurs pensées[17], et si leurs malédictions n’allaient point jusqu’à souhaiter qu’il mourût promptement, c’est qu’ils espéraient de le voir bientôt pauvre, et qu’arrivé au moment où il serait dépourvu de tout, il faudrait bien qu’il se soumît à ce qu’ils voulaient de lui.

Qui se serait imaginé que le ciel pût se refuser à exaucer des vœux si pleins de vertu ? Leurs malédictions cependant ne firent point mourir Iu-sou-chin, il ne devint pas pauvre au gré de leurs espérances, et en vieillissant il acquérait au contraire plus de vigueur. Il ne manquait ni de vêtemens ni de vivres ; il n’avait aucun besoin de vendre ses appartemens.

Yo-tchouan et son fils, vexés et enragés au-delà de toute mesure, concertèrent un nouveau plan. Ils s’adressèrent encore aux courtiers, et les chargèrent d’insister pour qu’il reprît tout ce qu’il leur avait vendu. « Deux familles, disaient-ils, ne peuvent demeurer séparément dans un même jardin. Du haut de ses étages consacrés, ses regards plongent dans notre pavillon. Il peut voir l’intérieur de nos appartemens les plus secrets, tandis que nous ne pouvons apercevoir ceux de ses femmes. Il y a trop d’inégalité dans cette affaire. »

Iu-sou-chin écouta ce message, mais il devina qu’il n’y avait que de la feinte dans ce désir de rompre le marché, et que la vérité était qu’ils mouraient d’envie d’avoir le tout. Il répéta donc ce qu’il avait dit auparavant, et sa réponse fut tranchante et décisive.

Yo-tchouan et son fils en furent excessivement courroucés, et il ne leur resta plus qu’à chercher à l’opprimer, en se servant du pouvoir du mandarin. Ils dressèrent une requête pour faire connaître publiquement leur désir de rompre le marché ; ils se flattaient qu’avec quelques présens, ils pourraient acheter le mandarin et se le rendre favorable, et qu’avec son appui ils viendraient à bout de leurs desseins.

Ils se doutaient peu que cet officier était incorruptible ; qu’il n’avait été jadis qu’un pauvre lettré, qui s’était vu tromper et insulter par un homme opulent ; il leur dit : « Celui dont vous me parlez est un indigent, comment voulez-vous qu’il rachète ce qu’il a été obligé de vendre ? Il est évident que vous avez comploté de le ruiner et de le dévorer. Vous possédez de grands biens, et vous voulez être riches sans être vertueux ; moi qui suis un magistrat, je désire être vertueux sans être riche. » Alors il les réprimanda en pleine salle, et, après avoir déchiré leur requête, il les fit mettre à la porte.

Iu-sou-chin avait un ami qui lui était attaché par les premiers principes de l’honneur. Il habitait une partie éloignée du pays, et il possédait une grande fortune. Son plaisir était d’employer ses richesses à accomplir des actes de bienfaisance. Il vint un jour faire une visite à Iu-sou-chin, et il poussa un profond soupir en apprenant qu’il avait vendu sa maison et son jardin. Lorsqu’il fut aussi informé qu’il y avait des gens qui complotaient contre son ami ; qu’il ne pouvait pas vivre en sûreté même dans son petit nid, et qu’il serait vraisemblablement obligé de l’abandonner entièrement, il chercha aussitôt les moyens de lui fournir de l’argent pour racheter sa propriété.

Mais Iu-sou-chin n’avait point d’égal pour l’indépendance de son esprit, et pour ne rien dire de la répugnance qu’il avait à mettre un autre dans l’embarras pour de fortes sommes, il est certain que, si un homme était venu lui présenter un taël ou cinq mas, sans lui démontrer qu’il y avait tous les droits possibles, il aurait refusé de les accepter. Ayant donc entendu les offres de son ami, il lui répondit : « Que c’était vainement qu’il cédait en cette occasion à la chaleur de son cœur ; qu’il était tout-à-fait dans l’erreur à ce sujet ; que de toutes les propriétés de ce monde, il n’y en avait aucune qui ne fût vendue à son tour ; qu’il était vrai qu’on pouvait prendre le soin de conserver la sienne tandis qu’on était en vie ; mais qu’on ne pouvait la garder après qu’on était mort. « Quoique en ce moment, ajouta-t-il, vous vous intéressiez à moi, et que vous soyez prêt à avancer des sommes considérables pour me racheter une petite portion de ce qui m’a appartenu, je ne saurais vivre que peu d’années encore, et l’un de ces jours, lorsque je mourrai sans laisser d’héritiers, chaque brique et chaque tuile de ma maison passera à d’autres personnes. Quoique votre générosité vous porte aujourd’hui à vous défaire de votre argent pour moi, vous ne sauriez m’assister deux fois. Hélas ! vous me rendrez ma propriété en ce moment, mais dans quelque temps d’ici pourriez-vous l’assurer à mon ombre ? » Son ami, voyant que sa résolution à cet égard était fixée, cessa de le presser davantage.

Il logea pendant plusieurs jours chez Iu-sou-chin, et lorsqu’il prit congé de celui-ci pour s’en retourner chez lui, il lui adressa ces dernières paroles avant de se mettre en route : « Une nuit, tandis que j’étais couché dans l’appartement du rez-de-chaussée, j’ai aperçu un rat blanc qui, après avoir rodé çà et là, s’est tout-à-coup glissé dans une fente du plancher. Je ne doute point que quelque trésor n’y soit caché. Ne vendez cette maison à personne pour aucun motif. Dans quelque temps peut-être vous y trouverez de quoi rétablir votre fortune ; je ne puis cependant vous en donner l’assurance positive. » Iu-sou-chin sourit froidement en écoutant son ami, et se contenta de lui répondre : « Je vous remercie. » Après cela ils se séparèrent.

Le vieux proverbe dit très-bien, qu’aucune fortune n’est jamais arrivée, même par hasard, à celui dont la destinée est d’être pauvre. Il n’y a que les riches acheteurs de maisons qui y découvrent en fouillant des trésors cachés. On n’a jamais vu un homme vendre sa propriété, lorsqu’il a trouvé dans son propre terrain la moitié de la plus vile pièce de monnaie. Iu-sou-chin était un homme de bon sens, comment aurait-il pu se livrer à des idées aussi chimériques ? Il se borna donc à sourire en écoutant son ami, et il ne se mit pas aussitôt à faire enlever des briques et à fouiller la terre.

Yo-tchouan et son fils, depuis qu’ils avaient été rebutés par le mandarin, avaient laissé la honte succéder à leur ressentiment. Cependant ils complotaient toujours, et ils espéraient que Iu-sou-chin mourrait bientôt, et qu’avant peu il ne resterait de lui que son ombre solitaire. Alors ils pensaient qu’ils pourraient entrer dans sa maison la tête levée.

Qui se serait imaginé que, lorsqu’un homme riche avait deviné juste dans toutes ses conjectures, il y aurait seulement deux circonstances de vie et de mort, qui ne voudraient pas s’accorder avec ses calculs ? Non-seulement Iu-sou-chin ne mourut pas, mais encore ayant passé l’âge de soixante ans, il devint tout-à-coup fringant, et il eut un fils. Un grand nombre de convives vinrent aussitôt le féliciter, et se rassemblèrent dans les trois étages consacrés ; tous ils disaient « que c’était maintenant le cas de racheter la maison entière. »

Lorsque Yo-tchouan et son fils furent informés de cet événement, ils en furent fort troublés. Auparavant ils ne craignaient que de ne pouvoir acquérir la portion qui leur manquait ; maintenant ils avaient l’appréhension de perdre le tout ; leur inquiétude était extrême.

Un mois s’était écoulé quand ils virent tout-à-coup paraître différens courtiers qui leur dirent que Iu-sou-chin, après la naissance de son fils, avait été réduit à la pauvreté par ses hôtes nombreux ; qu’ils avaient mangé tout son sel et tari son vinaigre ; qu’il ne lui restait aucun moyen d’existence, hors la vente de sa maison ; que déjà il en avait fait circuler l’avis, et l’avait fait afficher sur toutes les portes ; qu’ils ne devaient pas laisser échapper cette occasion, mais la saisir le plus promptement possible.

Quand Yo-tchouan et son fils apprirent ceci, ils en devinrent fous de joie. Leur seule crainte était qu’il ne se souvînt de tout ce qui s’était passé, et ne leur gardât de la haine ; qu’il ne préférât de vendre à une autre personne, plutôt que d’avoir rien à faire avec eux.

Ils se doutaient peu que la façon de penser de Iu-sou-chin était tout-à-fait différente de la leur. Il dit : « Les descendans des deux familles de Thang et de Iu ne sont pas semblables à ceux des autres. Son ancêtre Ti-yao conféra l’empire à mon aïeul, qui n’avait rien à lui donner en retour. Cette obligation étant descendue à sa postérité, ce ne serait donc pas faire une chose impropre, que de donner pour rien cette petite propriété ; et si tel est le cas, combien dois-je m’estimer heureux de pouvoir en retirer quelque chose ? Il ne me siérait point, pour un mince ressentiment du présent, de perdre tout-à-fait de vue les grandes faveurs conférées dans le passé. Dites-lui donc de n’avoir aucune inquiétude ; qu’il ait la confiance de m’offrir une petite somme, et je lui céderai tout-à-fait ma maison. »

Yo-tchouan et son fils furent au comble du bonheur en apprenant ce qui se passait. Le père dit : « Je me suis toujours plu à m’appuyer sur mes ancêtres, et j’ai toujours éprouvé leur influence favorable. C’est à leur ancienne générosité que je dois cette magnifique habitation. C’est ainsi que les hommes peuvent se réjouir d’avoir eu des ancêtres vertueux. » Il alla alors trouver les courtiers, et conclut le marché. Jusqu’à ce moment il n’avait cherché que son avantage, mais maintenant qu’on rappelait les choses des anciens temps, il voulait aussi continuer à obliger. Iu-sou-chin, de son côté, n’était pas en disposition de marchander, et il imita le grand aïeul de Yo-tchouan, qui avait cédé son trône et son royaume. Il chercha ensuite une chaumière où il pût résider, sans plus songer à ce dont il s’était dépouillé.

Iu-sou-chin avait quelques honnêtes amis qui désapprouvaient sa conduite ; ils lui dirent : « Lorsque vous possédiez encore votre maison, y avait-il impossibilité de trouver un autre acheteur que celui dont vous excitiez l’envie, et qui n’a cessé de comploter contre vous ? Il est maintenant parvenu à ses fins, et le père et le fils vont partout babillant et se félicitant. Avant que vous fussiez père, votre ressentiment ne s’était point affaibli, et maintenant que vous avez un fils, sa naissance eût pu servir de fondement au recouvrement de toute votre propriété. Ne fussiez-vous pas même rentré dans la possession du reste de votre maison, ce que vous en aviez conservé aurait pu vous suffire encore ; pourquoi donc vous en défaire pour le donner à Yo-tchouan ? »

Iu-sou-chin, les ayant écoutés, leur répondit en souriant : « Vos intentions sont très-bonnes, mais sans songer à l’avenir, vous ne considérez que ce qui est devant vos yeux. Quant à moi, je juge que les plans de Yo-tchouan tourneront à mon avantage. Si j’avais voulu rentrer dans ma propriété entière, il m’aurait fallu attendre que mon fils eût atteint un âge plus avancé. Peut-être que lorsqu’il serait parvenu à sa virilité, il m’aurait été en effet possible de recouvrer ma maison ; cependant je suis vieux, et il me semble que je ne devais pas me flatter de vivre jusqu’à cette époque. Hé, qui pourrait m’assurer qu’après ma mort, mon fils lui-même n’aurait pas vendu ma maison à Yo-tchouan ? Celui-ci, ayant attendu jusqu’à cette époque, se serait moqué de mon fils, et aurait insulté à ma mémoire. Ne vaut-il pas mieux qu’un père vende ses propriétés ? Alors du moins ceux qui lui survivent plaignent son fils.

« Ce n’est pas tout encore ; il y a dix mille à parier contre un que bientôt je ne vivrai plus, et mon fils ne sera point encore arrivé à l’âge d’homme. Si je ne m’étais pas défait moi-même du reste de ma maison, ma femme aurait mieux aimé lutter contre la faim que de la vendre à Yo-tchouan, Alors celui-ci voyant qu’il ne pouvait point obtenir ce qui lui manquait, et craignant de voir échapper de ses mains ce qu’il avait précédemment acquis, aurait inévitablement comploté la perte de mon fils. Ainsi, non-seulement ma propriété n’aurait point été recouvrée, mais mon fils lui-même aurait été sacrifié. Voilà ce qu’on eût pu appeler une perte ! Au lieu qu’en faisant maintenant un marché désavantageux, je fais contracter à mon acquéreur une dette envers mon enfant, que peut-être il lui paiera un jour. S’il ne la paie pas lui-même, d’autres l’acquitteront pour lui. Le vieux proverbe dit : La prudence commande d’endurer les injures. »

Ceux auxquels il s’adressait, quoique un peu ébranlés par ses raisonnemens, dirent pourtant que sa tête n’était pas trop saine. Enfin Iu-sou-chin mourut subitement au bout de quelques années, et laissa son fils, encore dans l’enfance, sous la garde de sa veuve, qui ne possédait à peu près rien. La mère et l’enfant n’avaient pour subsister que le modique intérêt que leur produisait la somme peu considérable pour laquelle le reste de leur maison avait été vendu. Yo-tchouan, au contraire, s’enrichissait de jour en jour. Il savait comment on gagne de l’argent, et son fils savait à son tour comment on le conserve. Tout entrait chez eux, et rien n’en sortait ; la maison qu’ils avaient achetée était si solide, qu’elle aurait pu durer mille ans. Tous ceux qui les connaissaient accusaient la sagesse du ciel, et s’écriaient : « Voyez ! les descendans de ces hommes qui furent libéraux et justes ne possèdent rien ou presque rien, tandis que les enfans de ceux qui ont enrichi leur famille par d’indignes moyens nagent dans l’opulence. » Cependant les anciens ont dit avec vérité, « que lorsque la vertu ou le vice ont atteint leur plus haut degré, ils reçoivent à la fin le prix qui leur est dû, et que toute la différence consiste dans le plus ou le moins de retard. » Ces paroles sont dans la bouche de tous les hommes, mais elles ne font que peu d’impression sur leurs cours. Si la récompense arrive tard, elle n’en est pas moins une récompense, tout comme si elle était venue de bonne heure, et c’est notre impatience seule qui en atténue la valeur.

Si vous désirez de bien comprendre la théorie des récompenses plus ou moins tardives, je vous dirai qu’elles ressemblent beaucoup à l’acte de prêter son argent pour en retirer un intérêt. Si vous exigez le capital un jour plus tôt, vous toucherez un jour d’intérêt de moins ; si vous le laissez au contraire une année de plus dans les mains de celui auquel vous l’avez prêté, votre intérêt se sera accru d’autant. Si vous attendez avec anxiété la récompense que vous croyez vous être due ; le ciel ne réglera pas ses comptes avec vous, et vous ne recevrez rien ; il attendra que vous ayez perdu toute espérance, que vous ayez cessé de vous en occuper, et alors il vous la décernera tout à-coup. Il en est de même d’une ancienne dette qui, lorsque le créancier l’a entièrement oubliée, arrive subitement à sa porte avec une grande accumulation d’intérêts. N’est-ce donc pas plus avantageux que de prêter pour se faire rendre aussitôt ?

Lorsque le fils de Iu-sou-chin fut parvenu à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, il obtint à l’improviste un titre littéraire. Son nom était Iu-tseu-chin, et son surnom Ke-wou. Il fut créé Tchi-hian, et ayant été choisi pour aller à Péking, il fut élevé à l’office de Tchang-ko. Il avait de la vertu et de la franchise, et il devint le favori de l’empereur régnant.

Lorsque sa mère eut atteint un âge avancé, il demanda la permission de se retirer de la cour pour aller la soigner dans sa vieillesse. Comme il approchait du terme de son voyage, il aperçut une femme qui, tenant un mémoire à la main, s’agenouillait sur les bords du canal, et s’écriait : « Je supplie le seigneur Iu de recevoir et d’examiner ceci. » Ke-wou lui fit dire d’entrer dans son bateau[18], et prenant le papier, il le parcourut. C’était une pétition dressée au nom de l’époux de cette femme, par laquelle il le suppliait de le recevoir lui et sa famille sous sa protection, et de les accepter pour esclaves. Ke-wou lui dit : « Vous me paraissez être d’une bonne famille ; qui peut vous porter à rechercher ainsi ma protection ? Pourquoi votre mari ne se montre-t-il pas lui-même, et vous expose-t-il, vous qui êtes une femme, à courir les chemins, et à les faire retentir de vos cris ? »

La femme répondit : « Il est vrai, je descends d’une famille ancienne. Mon beau-père durant sa vie était possédé de la manie d’acheter des terres, et s’efforçait constamment d’ajouter à ses propriétés toutes celles qui en étaient voisines. Ceux qui les lui vendaient ne s’en défaisaient point volontiers, et le détestaient au fond de leurs cœurs. Les temps lui furent favorables presque jusqu’à la fin, et il n’eut aucun sacrifice important à faire pour conserver sa fortune. Il était d’ailleurs homme de rang, et lorsqu’un mandarin lui en voulait pour quelque chose, il savait l’apaiser au moyen d’un peu d’argent. Mais cette prospérité commença à s’altérer, et mon beau-père mourut. Son fils, mon mari, était jeune et ne possédait aucun titre. Les persécuteurs de l’orphelin et de la veuve l’assaillirent en masse, et tous l’accusèrent auprès du Tchi-hian ; dans le cours d’une seule année, il eut à soutenir un grand nombre de procès qui lui enlevèrent la meilleure moitié de sa fortune. Maintenant il gémit sous le poids d’un malheur plus grand encore. Il est en prison, et ce n’est pas l’argent qui peut l’en tirer ; un personnage puissant peut seul opérer sa délivrance. Si un tel protecteur daigne se charger de son affaire et la traiter comme si elle le concernait lui-même, il pourra alors recouvrer sa liberté. Votre seigneurie peut donc seule nous secourir aujourd’hui, d’autant plus que cette affaire la regarde elle-même. Elle appartient à votre seigneurie autant qu’à mon époux. Voilà pourquoi il s’est décidé à vous écrire et à me commander de venir au-devant de vous pour mettre sous votre protection nos personnes et nos propriétés. Il ne nous reste qu’à supplier votre seigneurie de ne pas les rejeter comme indignes d’elle, et de les accepter le plus tôt possible. »

Ke-wou ne put, en l’écoutant, dissimuler sa surprise. « Dans quelle affaire, dit-il, puis-je être mêlé avec vous ! Sans doute que, pendant mon absence, mes esclaves, complotant avec vous et avec votre mari, ont par quelque machination secrète tenté de m’envelopper dans ce malheur. Voilà ce qui vous oblige maintenant à recourir à ma protection. Dois-je recevoir des étrangers chez moi, les reconnaître comme membres de ma famille, et en les protégeant, me rendre coupable moi-même d’une extension injuste de pouvoir ? »

La femme répliqua : « Vous ignorez ce dont il s’agit. Au milieu de l’emplacement de notre propriété est un bâtiment élevé, connu sous le nom des trois étages consacrés. Il vous appartenait autrefois, et il nous a été vendu postérieurement. Nous en avons joui durant plusieurs années de suite sans inquiétude ; mais dernièrement un ennemi qui nous est inconnu adressa tout-à-coup à l’autorité une dénonciation, portant que mon mari appartenait à une troupe de voleurs, et que depuis trois générations notre famille n’avait grandi que par le brigandage ; qu’il y avait un trésor considérable divisé en vingt portions, et caché sous les trois étages consacrés, et que, lorsqu’il aurait été déterré, on en apprendrait les particularités. Le mandarin, après avoir lu ce mémoire, s’empressa d’envoyer chez nous une troupe d’archers pour opérer cette recherche, et à la grande surprise de tout le monde, ils trouvèrent en effet sous le plancher un trésor tel qu’il avait été indiqué. Mon mari fut aussitôt arrêté et conduit par devant le tribunal du mandarin. On le traita comme receleur, on le battit et on lui donna la torture pour lui faire découvrir ses complices et le reste de ce qu’ils pouvaient avoir volé.

« C’est en vain que mon époux essaya d’arranger cette affaire, il ne put ni l’expliquer ni se justifier. Cet argent, il est vrai, ne lui appartenait pas, mais il ne pouvait dire d’où il était venu. Les circonstances ne lui étant pas connues, comment pouvait-il en expliquer la cause ? La seule consolation que nous eussions, c’est qu’il ne se présentait personne pour le réclamer. Cependant le mandarin fit emprisonner mon mari, et il n’a point encore prononcé sur son sort. Après de mûres réflexions, mon mari a pensé que cette maison appartenant autrefois à votre famille, il était possible que votre grand-père y eût enfoui ce trésor, et que votre père, ignorant son existence, n’eût point cherché à le retirer de la terre. Ainsi, ce qui devait profiter à quelqu’un est devenu pour nous une source de malheurs.

« Nous ne discutons point en ce moment la vérité ou la fausseté de cette conjecture ; nous supplions seulement votre seigneurie de réclamer ce trésor et d’en disposer. Par là elle peut rendre mon mari à la vie, en l’arrachant des bras de la mort. Après que nous aurons été sauvés par votre seigneurie, il sera tout simple que nous lui fassions hommage de notre propriété. Nos jardins, notre maison furent l’ouvrage de son père, il est juste qu’ils reviennent à la famille de leur auteur. Nous y renoncerons sans aucune peine, et nous nous croirons heureux, au contraire, si votre seigneurie veut bien ne pas dédaigner nos offres. »

Ke-wou, en écoutant ces paroles, sentit naître en lui quelques soupçons ; il répondit donc : « Ma famille a de tout temps observé comme règle de conduite, de ne point contracter d’obligations envers les personnes d’un rang inférieur. Je n’ai rien à vous dire pour le moment sur l’offre que vous me faites de vous donner à moi. Il est vrai que le jardin et la maison que vous possédez appartenaient autrefois à ma famille ; mais elle en a disposé avec toutes les formes légales, et vos parens ne les ont point dérobés. Si donc je veux les recouvrer, il faut que je vous restitue le prix de l’acquisition que vous en avez faite. C’est la seule manière de procéder, et il n’existe aucune raison pour que vous me les rendiez pour rien. Quant au trésor, je reconnais n’y avoir aucun droit, et il ne me convient pas de le réclamer. Retirez-vous maintenant, et attendez chez vous que j’aie eu une entrevue avec le Tchi-hian. Je l’inviterai à examiner soigneusement cette affaire, afin de pouvoir prononcer un jugement équitable. Si l’accusation n’est point fondée, votre mari recouvrera sa liberté, et sans doute on ne le mettra pas à mort injustement. »

À ces mots la femme se réjouit extrêmement, et après lui avoir fait mille remercîmens, elle partit.

Le lecteur ignore encore d’où le mal était provenu, et si la vérité fut ensuite connue. Il saura tout cela dans le chapitre suivant, s’il veut se donner la peine de le lire.


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CHAPITRE III.


Iu-ke-wou, après avoir congédié cette femme, continua sa route. Il se mit, par la pensée, à la place du magistrat chargé de juger cette affaire, et il la considéra sous tous ses aspects. Ce trésor sans doute, se dit-il, n’a jamais appartenu à mes ancêtres ; car, si l’on supposait qu’ils en furent les propriétaires, comment expliquerait-on l’ignorance où leur fils est resté à cet égard, et le peu d’empressement de mes parens à le réclamer ? La personne qui en connaissait l’existence et qui l’a révélée dans sa pétition, est étrangère à ma famille, et comme d’ailleurs sa pétition est anonyme, il est évident qu’elle a agi par des motifs d’inimitié ; je ne puis élever aucun doute sur ce point. Mais en reconnaissant qu’il est probable que ce personnage inconnu a été guidé par quelque motif de mécontentement, on ne peut néanmoins que le blâmer d’avoir impliqué celui dont il avait à se plaindre dans une affaire aussi vile, et de l’avoir signalé comme un receleur de vols. Il est vrai cependant que, lorsque le trésor a été déterré, on l’a trouvé tel que le dénonciateur l’avait spécifié, et qu’il n’y avait rien de plus ni de moins. Il est difficile de concevoir que celui qui a fait cette dénonciation pour satisfaire à une haine secrète, ait poussé l’esprit insensé de vengeance jusqu’à sacrifier une aussi forte somme, et à aller l’enterrer sous la maison d’un autre, risque de la perdre pour toujours. »

Telles étaient ses réflexions. Pendant plusieurs jours il y revint sans cesse ; mais il ne se présenta à son esprit aucune explication satisfaisante de l’affaire qui l’occupait. Il ne pouvait s’empêcher d’y penser à chaque instant, et pendant son sommeil et dans ses rêves, il poussait des cris et prononçait des mots entrecoupés. Sa mère, l’ayant entendu, lui demanda ce qu’il avait. Il lui répéta alors avec exactitude et sans rien oublier ce que lui avait dit la femme qui était venue à lui. Sa mère partagea d’abord ses doutes et sa défiance ; mais après avoir réfléchi quelque temps, elle s’écria : « C’est cela ! c’est cela ! Ce trésor en vérité appartient à notre famille ! Les conjectures de cet homme se sont vérifiées ! Apprenez, mon fils, que, tandis que votre père était encore en vie, un de ses amis vint de fort loin pour lui faire une visite. Il coucha plusieurs nuits dans la chambre du rez-e-chaussée de notre maison, et vit un rat blanc qui, après avoir couru de tous les côtés, se glissa tout-à-coup dans une fente du plancher. Au moment de son départ, il raconta à votre père ce qu’il avait vu, et il l’invita à ne jamais se défaire de sa maison dans aucun cas, parce qu’il pourrait par la suite y découvrir quelque trésor. Il est probable que ce trésor ’vient d’être maintenant découvert. Votre père, en ne le retirant pas de la place où il était, a été la cause du malheur d’autrui. Allez donc le réclamer, et sauver ainsi la vie d’un homme. »

Ke-wou lui répondit : « Il y a quelque chose de plus à dire à cet égard. Une histoire aussi futile serait déplacée dans la bouche d’un personnage respectable, et lorsque j’irai entretenir le Tchi-hian d’un rat blanc, n’est-il pas probable qu’il imaginera que je veux m’approprier injustement ce trésor, et que je n’ai inventé cette histoire que pour tromper les esprits crédules ? D’ailleurs, ce rat blanc n’a point été vu par mon père, et ce n’est pas de sa bouche qu’est sorti ce conte absurde. Plus j’y réfléchis, moins je puis y ajouter foi ; c’est, à proprement parler, le rêve d’un insensé. Si ce trésor eût appartenu à ma famille, mon père l’aurait connu, et j’en aurais su quelque chose moi-même ; comment se fait-il qu’un étranger ait eu plus de notions sur ce point ? Toute cette histoire est fausse ; il n’y a aucune raison qui puisse me porter à la croire. Cependant il est convenable de consulter le Tchi-hian, et de tâcher d’éclaircir cette affaire pour sauver un homme innocent. J’agirai ainsi en magistrat vertueux. »

Il finissait de parler, quand un domestique entra pour lui annoncer que le Tchi-hian venait lui rendre ses devoirs. Ke-wou dit : « Je comptais aller à l’instant le voir moi-même ; hâtez-vous, et priez-le d’entrer. » Après que le Tchi-hian l’eut salué et qu’il eut causé quelques instans d’une manière générale, il n’attendit pas que Ke-wou lui parlât de l’affaire qui l’occupait, et il entama ce sujet de lui-même, en le priant de l’éclairer de ses conseils. « Thang, un tel[19], lui dit-il, le possesseur du trésor a été souvent questionné sans qu’on ait pu tirer de lui aucun éclaircissement. Dans sa déposition d’hier, il a déclaré que sa maison appartenait autrefois à votre famille, et que, par conséquent, le trésor qu’on a trouvé y avait sans doute été déposé par vos ancêtres. Je suis venu vers vous, d’abord pour vous rendre mes hommages, et ensuite pour vous supplier de m’informer de ce que vous savez à cet égard.

Ke-wou répondit : « Ma famille a été pauvre pendant plusieurs générations, et aucun de mes aïeux les plus proches n’a jamais rien accumulé. En conséquence, si je me hâtais témérairement de réclamer ce trésor, je me donnerais une mauvaise réputation. Mais de ce que je ne pense pas que ce trésor ait appartenu à mes ancêtres, il ne s’ensuit point nécessairement qu’il ait été caché par des voleurs dans la maison autrefois vendue par mon père. Je vous conjure donc de continuer vos recherches, afin d’arriver à la vérité, et si vous pouvez convaincre le prisonnier Thang de culpabilité, alors il méritera d’être puni.

Le Tchi-hian dit : « À l’époque où votre père quitta cette vie, vous étiez encore enfant, et il est probable que vous n’avez pu être entièrement informé de ce qui a précédé ou suivi de près votre naissance. Nous pourrions, il me semble, demander à votre mère si, avant la vente de votre maison, elle n’avait rien vu ou entendu dire de particulier. »

Ke-wou lui répliqua : « J’ai déjà questionné ma mère à ce sujet, mais elle en parle un peu au hasard, et ce qu’elle dit, elle ne le tient pas de mon père. Comme je suis maintenant interrogé par une personne respectable, je ne dois rien dire inconsidérément ; c’est pourquoi trouvez bon que je ne m’explique pas davantage. » Le Tchi-hian, en entendant ceci, insista aussitôt pour qu’il lui dît tout ce qu’il paraissait savoir,mais Ke-wou ne voulut rien ajouter de plus.

Il arriva fort heureusement que sa mère était dans ce moment derrière l’écran[20], et qu’elle entendit toute cette conversation. Désirant de faire une bonne action, elle ordonna à son intendant d’aller raconter tout ce qu’elle savait. Après que le Tchi-hian l’eut écouté, il réfléchit en silence pendant quelque temps, puis il dit à l’intendant : « Veuillez prendre la peine d’aller demander à votre maîtresse où demeure l’homme qui vit le rat blanc, et s’il est encore en vie ou non ; si sa famille est riche ou pauvre ; quel était le degré de son intimité avec votre maître, et s’ils avaient coutume de se rendre réciproquement des services ? Je prie votre maîtresse de parler avec précision, parce que les renseignemens qu’elle donnera peuvent jeter du jour sur cette affaire obscure et difficile. »

L’intendant rentra et revint quelques momens après. « Ma maîtresse, dit-il, m’ordonne de vous informer que la personne qui vit le rat blanc habite une contrée lointaine, et qu’elle est du fou de… et du hian de… Il n’est point encore mort, et il possède une grande fortune. C’est un homme éminent par ses vertus, qui attache peu de prix aux richesses, et qui était lié à mon maître par les nœuds de la plus étroite amitié. Voyant que son ami avait vendu ses jardins, et qu’il serait peut-être aussi obligé de se défaire du petit bâtiment qui lui restait, il offrit de lui fournir l’argent nécessaire pour racheter sa propriété ; mais comme mon maître ne voulut pas l’accepter, il ne le pressa pas davantage sur ce point. Ce fut au moment de son départ qu’il dit ce que vous savez. » Le Tchi-hian, ayant réfléchi de nouveau, ordonna à l’intendant de rentrer encore, et d’aller demander à sa maîtresse si cet homme, depuis la mort de son époux, était venu rendre ses hommages au défunt, si elle l’avait revu, et de répéter, dans ce dernier cas, tout ce qu’elle aurait pu lui entendre dire.

L’intendant obéit, et lorsqu’il rentra, il dit : « Il y avait dix ans que mon maître était mort, lorsque son ami en fut informé ; il vint aussitôt pour rendre des honneurs à sa mémoire. Voyant que la maison de mon maître avait été vendue, il parut très-surpris, et demanda si, après son départ, on avait trouvé le trésor dont il avait prédit la découverte ? Ma maîtresse lui répondit que non. Il soupira, et dit : « C’est une belle chose pour ceux qui ont acheté la propriété. Trompeurs dans le fond de leurs cœurs, et machinateurs de complots et d’artifices pour envahir les biens de votre mari, ils ont acquis une fortune qu’ils ne méritaient pas ; mais patience ! ils pourront aussi éprouver quelque malheur auquel ils sont loin de s’attendre. » Quelques jours après son départ, la famille de Thang fut dénoncée, et vous savez ce qui est arrivé. Ma maîtresse a constamment, depuis lors, loué et admiré l’ami de son mari, en disant que c’était un homme qui lisait dans l’avenir. »

Quand il eut cessé de parler, le Tchi-hian se mit à rire de toutes ses forces, et allant vers l’écran, il fit une profonde révérence en disant : « Je rends mille graces à votre seigneurie pour les renseignemens qu’elle m’a donnés ; elle a éclairé ma faible intelligence, et je pénètre maintenant dans cette affaire extraordinaire. Il n’est pas besoin de faire d’autres recherches. Qu’un de vos gens prenne la peine de m’apporter un reçu, et je vais envoyer le trésor chez vous. »

Ke-wou lui demanda ce qu’il voulait dire, et le pria de lui faire connaître sa pensée à ce sujet ; le Tchi-hian lui répondit : « Ce trésor, en vingt portions, n’a été laissé par aucun de vos ancêtres, et n’est point le résultat des vols du prisonnier Thang. Voici le fait : ce vertueux étranger désirait de racheter les propriétés de votre père, mais votre père, étant un homme d’un caractère indépendant, refusa obstinément les offres de son ami, et celui-ci, pour lui donner malgré lui le moyen de racheter sa maison par la suite, y déposa l’argent qu’on y a trouvé. Ne voulant pas le dire ouvertement, il supposa l’intervention d’un esprit, dans l’idée qu’aussitôt après son départ votre père déterrerait le trésor. Quand il vint pour rendre des honneurs à sa mémoire, et qu’il apprit que non-seulement son ami n’avait pas recouvré ses jardins, mais encore qu’il avait vendu le reste de sa propriété, il vit que le trésor était dans des mains étrangères, et il fut extrêmement fâché. À son départ, il dressa une pétition anonyme, pour la faire remettre en temps opportun. Telle est l’explication de cette affaire, et maintenant que la vérité est reconnue, il est juste que vous rentriez dans vos biens. Qu’avez-vous à dire à cela ? »

Ke-wou, quoique applaudissant à cette décision dans le fond de son cœur, avait encore quelques objections à faire, par le désir d’éviter tout soupçon de connivence. Il ne voulait pas se hâter de faire des remercîmens au Tchi-hian, mais, s’inclinant devant lui, il lui dit « que sa conclusion lui paraissait parfaite, et qu’il était doué sans doute d’une sagesse admirable ; que Loung-tou[21] lui-même, reparaissant au monde, n’aurait pu mieux juger ; mais en même temps, ajouta-t-il, quoiqu’il paraisse évident, d’après vos raisonnemens, que ce trésor nous est venu d’un ami généreux, cependant, comme il n’y a personne qui puisse rendre témoignage du fait, il ne me conviendrait pas de me hâter de reprendre cet argent. Je vous supplie donc de le garder par devers vous, pour l’appliquer à soulager les pauvres dans les temps de famine. »

Tandis qu’il parlait ainsi, un de ses serviteurs entra, portant un billet rouge, et s’approchant de son oreille, il lui dit : « L’homme dont vous venez de vous entretenir est à la porte. Il dit qu’il vient d’une distance de plus de mille li[22], pour rendre ses devoirs à ma maîtresse. Je ne puis l’annoncer tandis que le Tchi-hian est présent ; cependant, comme il est instruit de l’affaire qui vous occupe, il ne pouvait arriver plus à propos sans doute, et j’ai cru devoir vous en informer, parce que vous pouvez peut-être désirer de le questionner. » Ke-wou témoigna la joie qu’il éprouvait de son arrivée, et en fit part aussitôt au Tchi-hian. Celui-ci fut près d’en sauter de plaisir, et il demanda qu’on le fît entrer sur-le-champ.

L’étranger leur parut un homme respectable, ayant un visage plein et des cheveux blancs. Il rendit ses devoirs à son ami, mais il fit peu d’attention au Tchi-hian qui lui était inconnu. Après s’être incliné, il s’avança en disant : « L’objet de mon voyage est de venir voir la veuve de mon ancien ami. Je ne me propose point de faire ma cour aux riches et aux grands ; moi, homme de la campagne, je n’ai rien à démêler avec vous et ce n’est donc pas à vous que je prends la liberté de faire une visite. Veuillez seulement me permettre d’entrer dans la maison pour que j’aille en saluer la maîtresse. »

Ke-wou lui dit aussitôt : « Comme mon vénérable ami est venu de très-loin, nous ne devons pas le traiter ainsi qu’un hôte ordinaire. Le Tchi-hian et moi sommes en ce moment à consulter sur une affaire difficile, et comme votre présence peut nous être d’un grand secours, nous vous supplions de ne pas refuser de vous asseoir un moment avec nous. »

Le vieillard à ces mots fit une révérence et s’assit. Le Tchi-hian prit du thé avec lui, et le saluant ensuite, il lui dit : « Il y a environ vingt ans que vous avez accompli un acte d’une grande vertu. Personne n’en était d’abord instruit, et il m’est échu à l’instant en partage de le mettre en lumière. Dites-nous, je vous prie, si ce n’est pas vous qui voulûtes donner un trésor à votre ami, en lui faisant croire qu’il le devait à l’intervention d’un esprit ? »

Quand l’étranger entendit ces paroles, il parut fort surpris, et il ne répondit pas tout de suite ; ayant cependant surmonté son embarras, il dit : « Comment un homme du commun tel que moi aurait-il pu faire quelque chose qui vous paraît si louable ? Je ne sais ce que vous voulez dire.

« On se souvient, lui dit Ke-wou, de vous avoir entendu proférer quelques mots concernant un rat blanc. On était sur le point de traiter un homme honnête comme un receleur de vols. Je n’ai pu supporter cela, et j’ai prié le Tchi-hian de le mettre en liberté. Cependant nous nous sommes entretenus de cette affaire, et par degrés nous croyons être parvenus à la solution ; mais, comme nous n’avons pas de certitude sur la vérité ou la fausseté de l’histoire du rat blanc, nous vous conjurons de vouloir bien résoudre nos doutes à cet égard.

Le vieillard se refusait toujours à donner des explications, lorsqu’il reçut un message de la part de la mère de Ke-wou, pour l’inviter à révéler la vérité et à justifier par là un innocent. Il sourit et laissa échapper enfin le secret enseveli depuis vingt ans dans le fond de son cœur. Ce qu’il dit s’accordait parfaitement avec tout ce que le Tchi-hian avait conjecturé, et l’ordre ayant été donné à quelques hommes d’aller examiner et reconnaître les lettres et les marques empreintes sur le trésor, il ne resta plus aucun doute sur son identité.

Le Tchi-hian et Ke-wou firent éclater leur admiration pour les vertus du vieillard ; le vieillard et Ke-wou se répandirent en éloges sur la pénétration du Tchi-hian, et le Tchi-hian et le vieillard exaltèrent la conduite désintéressée de Ke-wou. « De telles actions, disaient-ils tous ensemble, feront du bruit dans le monde ; il n’est pas besoin d’être devin pour prédire leur célébrité. »

Ils passèrent quelque temps à se louer ainsi l’un l’autre, et tous les domestiques qui étaient présens mettaient la main devant leur bouche pour s’empêcher d’en rire. « Le Tchi-hian, disaient-ils, avait donné des ordres pour découvrir et saisir l’auteur de la pétition anonyme. Il l’a trouvé maintenant, et au lieu de le faire battre, ils sont assis et causent ensemble. C’est là du nouveau ! »

Aussitôt que le Tchi-hian fut de retour à son tribunal, il envoya le trésor chez Ke-wou, et en demanda un reçu ; mais celui-ci ne voulut pas le recevoir, et il écrivit au Tchi-hian pour le prier de remettre cet argent à la famille de Thang, pour racheter d’elle sa propriété. Ainsi j’accomplirai, disait-il, les intentions de mon père, et les désirs de son généreux ami ; enfin je mettrai la famille Thang à même d’acheter une autre maison, et personne ne sera maltraité dans cette affaire.

Chacun donna des éloges aux nobles sentimens de Ke-wou. Le Tchi-hian, pour complaire à ses intentions, mit Thang en liberté, et Ke-wou, remboursant à celui-ci l’argent que son père avait autrefois payé, exigea de lui en retour les actes et les titres en vertu desquels il était propriétaire. Les jardins et les bâtimens rentrèrent en la possession de leur ancien maître.

Le même jour, dans le plus haut des trois étages consacrés, Ke-wou fit une offrande de vin au ciel, en témoignage de sa gratitude. « C’est ainsi, s’écriait-il, que les vertus de mon père ont été récompensées ! C’est ainsi que les artifices de Thang ont rencontré leur punition ! Comment les hommes peuvent-ils renoncer à la vertu pour se complaire dans le vice ! »

Thang et sa femme firent dresser un acte par lequel ils disposaient de leurs personnes et de leurs biens, et le présentèrent à Ke-wou, en suppliant d’agréer leurs services pour le reste de leur vie ; mais celui-ci refusa absolument de l’accepter, et les tranquillisa par des paroles obligeantes. Alors le mari et la femme ayant fait graver une tablette pleine de leurs vœux pour lui, la placèrent dans le lieu le plus honorable de leur maison, pour y faire leurs offrandes. Quoiqu’ils ne pussent pas le persuader de les prendre à son service, ils ne s’en considérèrent pas moins comme ses serviteurs, et non-seulement ils s’efforcèrent de reconnaître ses bienfaits, mais encore ils firent savoir à tout le monde qu’ils appartenaient à la famille de Iu, et dès-lors personne ne songea à leur faire injure.

Pour consacrer la mémoire de ces événemens, on composa une stance qui avait pour objet de conseiller aux hommes riches de ne pas envier la propriété de leurs voisins. Nous la donnons telle qu’elle s’est conservée :

« Contraint par le besoin, il vendit sa maison et ses terres,
« Maintenant la maison, les terres et les acheteurs lui reviennent.
« C’est ainsi que la vertu reçoit enfin sa récompense,
Tandis qu’il ne reste au vice envieux que des infortunes à déplorer. »


MORALITÉ.

La perspicacité du jugement du Tchi-hian, la générosité désintéressée du vieillard et la modération de Ke-wou, méritent toutes trois une renommée éternelle. Les magistrats doivent suivre l’exemple du Tchi-hian, et les citoyens doivent imiter la modération de Ke-wou. Ceux qui ont de la fortune et de la bienveillance auraient tort cependant de se modeler tout-à-fait sur le vieillard, parce qu’on ne saurait le justifier à l’égard de sa pétition anonyme. Les actions de l’amitié généreuse ne sont pas toutes dignes d’être imitées. Ceux dont la vie se recommande principalement par de bonnes actions sont invariablement des hommes intègres. Ainsi, à l’égard des amis, la différence qui existe entre ceux qui sont justes et ceux qui sont seulement généreux, c’est que la conduite des premiers doit servir de modèle, et qu’il faut se garder d’imiter celle des autres.

  1. Instrument de musique à cordes. C’est une espèce de violon, mais dont les cordes se pincent. Les aveugles qui sont à la Chine en beaucoup plus grand nombre en proportion qu’en France, jouent d’ordinaire de cet instrument dans les rues pour gagner leur vie.
  2. La fleur Meï est célèbre dans toutes les compositions chinoises ; c’est celle d’une espèce d’amandier. (Amygdalus nana.)
  3. Il est d’usage, dans les maisons particulières, de suspendre aux murs des bandes de papier sur lesquelles sont écrites des sentences morales ou des vers tirés des anciens livres. Le sens en est ordinairement très-obscur.
  4. Les Chinois, dans les temps pluvieux, font usage d’une espèce de surtout fait avec des feuilles, sur lequel la pluie glisse comme sur un toit couvert de chaume ; c’est à cette sorte de vêtement que le texte fait allusion.
  5. Ce sont les noms de deux empereurs fameux, huitième et neuvième successeurs de Fo-hi, fondateur de la monarchie. Le premier, après avoir régné au-delà de soixante-dix ans, céda le trône au second, ou du moins l’associa a l’empire. Ce dernier fit aussi choix d’un successeur hors de sa famille.
      Les deux empereurs célèbres dans l’histoire chinoise pour s’être choisis des successeurs hors de la ligne que l’ordre de la naissance appelait au trône, sont Yao et Chun.
  6. Kia-tsing n’est point le nom d’un empereur, mais celui du règne de l’empereur Chi-tsoung de la dynastie des Ming. Ce règne a commencé en 1522 et a fini en 1566.
  7. Le fou est une division de la province ou Seng ; et le hian est une subdivision du fou.
  8. Hoei-lo, l’Esprit que les Chinois supposent présider au feu.
  9. Ce sont les noms que les Européens donnent au feu et au li. Le premier est la centième partie du liang ou once d’argent, et le second est la dixième partie du premier, c’est-à-dire la millième partie du liang.
      La valeur du liang, suivant la règle de change établie à Canton, est d’environ dix francs.
  10. C’est le titre littéraire le moins élevé. Au-dessus du Sieou-Thsaï est le Kiu-jin, et au-dessus de celui-ci est le Tsin-sse. Dans l’examen qui est toujours fait par l’empereur lui-même, les trois premiers parmi les Tsin-sse sont appelés Tchouan-youan, Than-hoa et Pang-yan.
      Le titre de Sieou-thsaï correspond chez nous à celui de bachelier, le titre de Kiu-jin à celui de licencié, et le titre de Tsin-sse à celui de docteur.
      Un magistrat du premier ordre, appelé Hio-youan, et dont les fonctions correspondent à celles de nos examinateurs, reçoit de l’empereur une commission dont la durée est de trois ans. Il se transporte dans la province qui lui a été assignée, et passe tour-à-tour dans les villes du premier rang, en faisant annoncer son arrivée un mois : d’avance.
      Les Sieou-thsaï et ceux qui aspirent à ce degré littéraire et qu’on nomme Toung-seng, ou déjà maitres ès-arts, après avoir subi un ou plusieurs examens préliminaires auprès de leurs propres mandarins, se rendent au jour marqué dans la ville de leur ressort qui leur a été assignée par le Hio-youan ; et leur examen dure depuis le point du jour jusqu’à la nuit. Ces examens se renouvellent tous les trois ans, et les Sieou-thsaï ne sont dispensés de cette épreuve qu’après dix examens, c’est-à-dire après trente ans, à moins qu’ils ne soient dans certain cas d’exception.
  11. C’est ainsi qu’on appelle ceux qui ont des fils parvenus à un rang éminent.
  12. M. Davis pense que chez les Chinois le ventre est le siège des idées ; il se trompe. Les Chinois placent le siége des idées dans le cœur et non point dans le ventre ; ils ne font mention à cet égard du dernier que proverbialement.
  13. Les maisons des Chinois sont presque toutes construites en terre ; de-là vient qu’un briquetier s’appelle en chinois ni choui tsiang, c’est-à-dire ouvrier en boue et en eau.
  14. On ne cultive les mûriers à la Chine que pour l’éducation des vers à soie, et on ne les laisse en conséquence croitre qu’à la hauteur d’un arbrisseau ordinaire.
  15. Les noms dans l’original sont An-thang et Sse-youan. Le premier s’applique aux résidences des religieuses, et le second à celles des religieux de la secte de Fo.
  16. Dans l’original, il y a sian, qui veut dire littéralement un fragment. Il existe une loi chinoise qui porte que si un homme, en vendant sa propriété, s’en réserve la moindre partie, il a le droit de pouvoir par la suite annuler le marché, si les circonstances de sa fortune lui permettent de racheter ce qu’il avait vendu. Cette remarque peut servir à expliquer quel est le motif de Iu-sou-chin, en voulant conserver une portion de sa maison.
  17. L’original dit : « Ils placèrent Iu-sou-chin sur le sommet de leurs cœurs. »
      Cette citation littérale confirme la remarque faite dans la note placée au bas de la page 25.
  18. A la Chine, presque tous les voyages se font par eau.
  19. Le Tchi-hian ne connaissait que son sing, c’est-à-dire son nom de famille, lequel chez les Chinois se place toujours avant le Ming ou le Tseu, qui est le surnom ou le titre ; il dit donc : Thang meou, Thang un tel.
  20. Sorte de treillis ou de rideau qu’on suspend dans un appartement, et derrière lequel se placent les femmes pour voir sans être vues.
  21. Magistrat fameux des anciens temps. Le nom de sa place était Loung-tou-ta-hio-sse, et son nom propre Pao-wen-tching. Il est maintenant déifié et on lui a élevé des temples.
  22. Environ cent lieues.