Contes coréens/Ko et Kili-Si

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Traduction par Serge Persky.
Contes coréensLibrairie Delagrave (p. 49-56).
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KO ET KILI-SI


Il y avait une fois, dans une ville, un jeune homme appelé Ko.

Il était pauvre et travaillait comme ouvrier chez un de ses voisins. Ko était laborieux et se montrait affable envers ses camarades ; aussi chacun l’aimait, et comme il était célibataire, tout le monde souhaitait qu’il se mariât.

Un jour, les habitants de la ville se réunirent et, s’étant consultés, ils décidèrent que la femme qui conviendrait le mieux à Ko était une jeune fille nommée Kili-Si, dont la renommée dépassait les limites de la ville. Le père de Kili-Si donna son consentement.

Ce fut ainsi que Ko épousa Kili-Si.

On choisit pour la célébration de leur mariage le jour le plus propice. C’était le troisième jour de la nouvelle lune.

Lorsque, après la noce, les jeunes époux eurent été ramenés chez eux, Kili-Si dit à Ko :

« Jeune et bien doué comme tu l’es, tu peux devenir un grand homme et tu as le temps de le devenir. Tu n’as que dix-huit ans. Je t’aime, mais je veux t’aimer da­vantage encore. Et je ne serai pas ta femme avant que tu n’aies appris à lire, à écrire, et que tu ne sois versé dans toutes les sciences.

— Mais il faut au moins dix ans pour cela ! s’écria Ko.

— Dix ans passent vite quand on travaille. Je t’atten­drai en m’occupant du ménage.

— J’accomplirai ton désir, mais dans un an. Je veux vivre cette année avec toi, car tu es belle et je t’aime.

— Non, dans un an, ce sera trop tard. Si tu m’aimes vraiment, tu feras ce que je te demande et m’écou­teras.

— Bien, dit Ko, je consens, mais à une condition : sois ma femme dix jours seulement ; alors je partirai et je ne reviendrai que dans dix ans, tel que tu désires me voir.

— J’accepte, mais d’abord, établissons un con­trat. »

Elle se fit une petite coupure au troisième doigt de la main droite, et, avec le sang qui coulait, elle traça sur le bord de sa jupe des signes relatant le serment. Puis elle détacha ce fragment d’étoffe, le déchira en deux, en donna une moitié à son mari et cacha l’autre dans son sein.

Dix jours plus tard, à l’aube, Ko était parti, et per­sonne ne sut vers quel pays.

Kili-Si avait donné à son mari quelques livres et un peu d’argent pour le voyage.

Il s’en allait par la grand’route, en se demandant comment il deviendrait un homme instruit. Il arriva ainsi à un village.

Traversant une rue, il entendit, non loin d’une habitation, des voix d’élèves ; il comprit que c’était une école. Il entra donc et s’assit. Le maître lui demanda :

« Qui es-tu ?

— Un élève, répondit Ko.

— Où sont tes livres ?

— Les voici.

— Hé bien ! lis ! dit le maître.

— Je ne sais pas lire !

— Tu n’es pas un écolier, fripon ; tu désires sans doute manger du millet sans payer… Mes élèves savent déjà beaucoup de choses et personne n’a le temps de s’occuper de toi ici… va-t’en ! »

Et Ko, docile, s’en alla.

« Je n’apprendrai jamais rien, murmura-t-il avec tristesse. Ne vaut-il pas mieux que j’aille dans la forêt, afin que les tigres me dévorent ?… »

Il s’enfonça dans la forêt et parvint à un endroit sauvage et sans route. Il voulait mourir, et cependant, au moindre bruit, il s’effrayait, se croyait poursuivi par des tigres, et se cachait de son mieux.

Il ne vit point de tigres, mais des moines, dont le couvent, tout proche, s’élevait dans une clairière de la forêt.

« Ah ! le voilà, le coquin qui a voulu nous voler la nuit passée ! » s’écria l’un des moines.

Alors, tous les bonzes se mirent à le frapper.

Ils le ligotèrent et l’emmenèrent en prison.

Pendant trois jours, Ko garda le silence, tant il avait peur.

Mais lorsque le supérieur du couvent eut examiné et interrogé Ko avec douceur, le malheureux retrouva ses esprits et raconta tout au long sa mésaventure.

« Si tu veux réellement acquérir la science, dit le supérieur, viens chez moi ; tu nous rendras des services en portant le bois et je te donnerai des leçons. »

Ko accepta avec joie.

ii

Le supérieur le garda cinq ans, et le jugeant assez instruit, il l’engagea à se rendre à Séoul[1] pour subir les examens qui donnent accès aux hautes fonctions.

À cette époque-là, on ne vendait pas encore les charges.

Bien que le terme de dix ans fixé par sa femme ne fût pas encore atteint, Ko se rendit à Séoul.

Le roi lui-même posa à tous les candidats la question suivante :

Ko apprend la science.

« Qu’est-ce que Soïp-okhy-ouiou-si-dzioun, ce qui signifie littéralement : « belle humeur, femme, commerce de vin, centre ».

De tous les candidats, Ko seul sut lire et interpréter la pensée du roi.

Voici ce que le roi avait voulu dire :

« Il y a au centre de la ville un débit de vins où se trouve une jeune femme, qui par son charme et sa belle humeur attire toute la jeunesse. »

On donna à Ko la charge suprême de Pon-es, ce qui signifie : reviseur de toutes les provinces.

Trois années s’écoulèrent encore et quoique le temps convenu ne fût pas encore accompli, Ko résolut d’aller revoir sa patrie.

Mais lorsqu’il y fut revenu, il s’arrêta dans une ferme où personne ne le connaissait.

« Y a-t-il dans cette maison un homme qui s’appelle Ko ? demanda-t-il. Que savez-vous de lui ?

— Il y a huit ans, il y avait ici un homme qui portait ce nom, lui répondit-on. Mais il est parti après son mariage et personne ne l’a jamais revu.

— Où est-il allé ?

— Nous l’ignorons, sa femme est restée seule ici.

— Quelle sorte de femme est-ce ?

— C’est une femme très vertueuse. Elle s’est construit une maison recouverte de tuiles et elle y habite avec son fils qui a sept ans. Elle a ouvert une école où nos enfants vont s’instruire gratuitement.

— Je suis le reviseur chargé d’inspecter cette école, dit Ko.

— Allez-y, vous y serez très bien reçu ; mais ne pensez pas à voir la maîtresse de la maison ; depuis le départ de son mari, elle ne se montre à aucun homme. »

Quand Ko arriva à l’école, les élèves l’attendaient. À tous il demanda leur nom de famille.

L’un d’eux répondit :

« Je m’appelle Ko ! »

C’était son fils, né en son absence.

Le père ne se trahit pas et, l’examen fini, il s’en alla.

Deux ans passèrent.

Le délai de dix ans avait pris fin et Ko rentra dans sa patrie.

Il alla de nouveau visiter l’école et dit à son fils :

« Je veux voir ta mère.

— On ne peut pas la voir.

— Présente-lui ceci. »

C’était la moitié du fragment d’étoffe où elle avait tracé des lettres avec son sang dix ans auparavant.

Sans mot dire, le fils s’en alla vers sa mère.

« Il y a là un étranger qui désire te voir. Il m’a prié de te remettre ce morceau d’étoffe. »

Dès qu’elle vit le fragment, Kili-Si s’écria :

« Oh ! mon fils, fais-le entrer vite !

— Que signifie cela, mère ? Serait-ce mon père ?

— Oui, c’est mon mari et ton père. »

C’est ainsi que Ko revint chez lui, après avoir tenu sa parole ; et il vécut dès lors heureux avec sa vertueuse et intelligente femme.


  1. Séoul, capitale de la Corée, sur le fleuve Han-Kiang.