Contes de l’Ille-et-Vilaine/Mon Dieu, mon Dieu, quand j’irons-ti dans le Paradis
Une vieille bigote de la paroisse de Bruz s’en allait tous les soirs à l’église, se prosternant la face contre terre, et terminait chaque fois sa prière en répétant à haute voix :
« Mon Dieu, Mon Dieu, quand j’irons-ti dans le paradis ? »
Le bedeau chargé de fermer les portes du Saint-Lieu fut obligé à plusieurs reprises d’inviter la fille à s’en aller ; mais elle y mettait tant de mauvaise volonté que le pauvre homme trouvait souvent sa soupe froide en rentrant au logis.
Pour se venger, il résolut de jouer un tour à la vieille, et pour cela il se concerta avec le sonneur de cloches.
Un soir que la bonne femme répétait en-encore : « Mon Dieu, Mon Dieu, quand j’irons-ti dans le paradis ? » les hommes qui étaient montés dans le clocher répondirent : « Demain, ma fille ».
La vieille se leva, rayonnante de joie, et courut bien vite dans le village annoncer la bonne nouvelle à ses voisines.
— Venez demain matin chez moi, leur dit-elle, pour vous partager tout mon mobilier.
Le lendemain soir, elle se rendit à l’église où le bedeau et les sonneurs avaient attaché à l’extrémité d’une corde traversant la nef, un callebasson sorte de grand panier profond dans lequel on l’invita à monter.
— Faut-il garder mes sabots ? cria-t-elle.
— Oui, gardez tout, répondit le bon Dieu. Elle s’installa commodément dans son panier et cria : « Tirez à vous ! »
L’ascension s’opéra aussitôt ; mais une fois que la vieille fut arrivée à la nef ils lâchèrent la corde et la fille descendit plus vite qu’elle n’était montée.
Furieuse elle sortit de son panier en disant : « Je ne l’aurais jamais cru, mais il y a des mauvaises gens dans le ciel comme sur la terre. » Et elle s’en retourna dans son village réclamer tout ce qu’elle avait donné le matin à ses voisines. Celles-ci lui répondirent : « Ma fille, fallait rester dans le paradis ; ce que tu nous as donné est bien à nous. »