Contes de terre et de mer/Le Capitaine Pierre

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Contes de terre et de merG. Charpentier (p. 184-198).


Aussitôt alors il vit sur la mer un vaisseau. (Page 197.)


LE CAPITAINE PIERRE


Il y avait une fois un capitaine au long cours qui s’appelait Pierre. Il fut longtemps sans avoir un navire à commander, et comme il s’ennuyait de rester à terre, il quitta Saint-Malo, et partit pour aller voir si dans les autres ports de France il serait plus heureux. Il fit plusieurs démarches inutiles, mais il ne se découragea pas pour cela, pensant qu’on finirait par lui confier un navire.

Un jour qu’il passait auprès d’une montagne, il vit un homme qui appuyait les mains dessus comme s’il : voulait l’empêcher de tomber :

— Que fais-tu là, l’ami ? demanda le capitaine.

— Je soutiens cette montagne et il y a cent ans que je suis occupé à cette besogne.

— Tu es fort, dit le capitaine ; veux-tu venir avec moi et voyager sur mer ? Tu n’auras pas à t’en repentir.

— Volontiers, répondit l’homme qui se nommait Pierre-Joseph. Il cessa d’appuyer la montagne et fit route avec le capitaine.

Comme ils traversaient une forêt, ils virent un homme qui ramassait du bois ; mais au lieu de casser les branches, il arrachait les plus gros chênes, et, pour lier ses fagots de haute futaie, tordait des arbres gros comme la cuisse.

— Tu es fort, mon garçon, dit le capitaine, veux-tu venir avec moi sur mer ?

— Cela n’est pas de refus, répondit l’homme aux fagots qui se nommait Pierre-Marie.

Les trois voyageurs continuèrent à marcher, et quand ils furent arrivés à Marseille, le capitaine trouva enfin un navire à commander. C’était un vaisseau de trois mille tonneaux, et il mit à la voile, n’ayant pour équipage que le capitaine Pierre et les deux hommes qu’il avait rencontrés sur sa route, mais ils étaient si forts qu’ils suffisaient à la manœuvre.

Le commencement du voyage se fit avec bon vent et mer belle ; mais le beau temps ne dura pas toujours et il s’éleva une tempête si violente que le capitaine n’en avait jamais vu de pareille ; le navire fut balloté pendant trois jours, puis il fut poussé à la côte et vint échouer sur le sable à peu de distance du rivage. Les hommes qui le montaient se sauvèrent tous les trois, et, comme le pays était désert, avec les débris du navire, ils construisirent une petite maison auprès d’un gros rocher, et ils recueillaient avec soin les caisses de biscuit et de lard que la mer jetait sur le rivage. Quand le temps était beau, ils retournaient au navire et amenaient à terre tout ce qu’ils pouvaient emporter.

Ils ne tardèrent pas à s’ennuyer de toujours manger de la viande salée. Le capitaine dit à ses compagnons :

— Nous allons chasser dans la forêt pour avoir de la viande fraîche, et celui qui restera à la maison pour faire la cuisine sonnera la cloche à midi pour avertir les autres.

Ils avaient apporté à terre la cloche du bord et l’avaient installée à la porte de leur cabane.

Ce fut Pierre-Joseph, celui qui soutenait les montagnes, qui resta à faire la cuisine. Comme il était en train de préparer les écuelles et de tailler le biscuit pour la soupe, la porte s’ouvrit, et il vit entrer un petit bonhomme qui n’avait pas plus de trois pouces de haut. Il claquait des dents, et disait d’une voix grêle :

— Hou hou hou ! que j’ai froid !

— Passe dans le foyer, petit homme, et chauffe-toi, répondit Pierre-Joseph.

Pendant que le marin était occupé à tailler le biscuit avant de tremper la soupe, le nain souleva le couvercle de la marmite et se mit à jeter des poignées de cendres dans le pot-au-feu :

— Que fais-tu là, vilain petit ver de terre, toi qui ne pèserais pas plus entre mes mains qu’un grain de poussière ! cria Pierre-Joseph. Attends, je vais te corriger.

Mais ce fut le nain qui le frappa, et après l’avoir battu comme plâtre, il le fourra sous l’escalier de la cabane, et s’en alla.

Pendant ce temps les deux chasseurs faisaient lever beaucoup de gibier, et à chaque coup de fusil le capitaine abattait une pièce, tandis que son compagnon ne tuait rien. À midi ils n’entendirent pas sonner la cloche, mais pensant qu’il était arrivé quelque chose en leur absence, ils retournèrent à la maison. Ils trouvèrent Pierre-Joseph étendu sous l’escalier et tout pâle, et comme après l’avoir relevé ils lui demandaient comment il était tombé, il répondit qu’en allant chercher du sel, il avait été pris par une crampe. On trempa la soupe, et en la mangeant le capitaine et son compagnon faisaient la grimace, et traitaient Pierre-Joseph de mauvais cuisinier, parce que le bouillon était plein de cendres :

— Je ne sais, répondait-il, comment cela s’est fait.

Le lendemain ce fut au tour de Pierre-Marie, l’homme qui arrachait les chênes, de rester à la maison, et en allant à la chasse avec le capitaine, Pierre-Joseph pensait que son camarade serait attrapé tout comme lui.

Pierre-Marie faisait cuire un ragoût ; il vit aussi la porte s’ouvrir et le petit homme haut de trois pouces entrer en grelottant et en criant :

— Hou hou hou ! que j’ai froid.

— Chauffe-toi dans le foyer, petit bout d’homme, répondit-il.




Pendant que le marin avait le dos tourné, le nain prit un morceau de bois, avec lequel il mêlait le ragoût en y jetant des poignées de cendres, et la casserole ne tarda pas à déborder.

À cette vue Pierre-Marie s’approcha tout en colère, mais au moment où il levait la main sur le nain, celui-ci se mit à le battre, et après l’avoir tout meurtri, il le fourra derrière la porte.

Cependant le capitaine avait comme la veille fait bonne chasse, et son matelot manquait toujours le gibier. À midi, il regarda à sa montre et dit :

— Tiens, l’heure est passée et on n’entend pas la cloche. Voilà qui est singulier.

Le matelot se garda bien de répondre qu’il se doutait de ce qui était arrivé, et il suivit son capitaine sans mot dire. En rentrant à la maison, ils trouvèrent Pierre-Marie affaissé derrière la porte ; et il leur raconta qu’au moment où il allait prendre, le balai, il était tombé en faiblesse et n’avait pas eu la force de se relever.

Le lendemain le capitaine dit qu’il garderait à son tour la maison ; en allant à la chasse, les deux matelots se donnaient l’un à l’autre de grands coups de coude, et riaient en disant :

— C’est le capitaine qui va lui aussi être joliment attrapé !

Ils virent du gibier en abondance et tirèrent dessus, mais sans tuer la moindre pièce.

Le capitaine resté seul s’occupa de faire la soupe : le nain entra comme d’habitude en disant :

— Hou hou hou ! que j’ai froid !

— Passe dans le foyer et te chauffe, répondit le capitaine.




Le nain voulut aussi mettre de la cendre dans la marmite, mais le capitaine, qui ne le quittait pas de l’œil, le saisit sans mot dire par le fond des culottes et l’envoya rouler au milieu de la cabane.

Le petit bonhomme de trois pouces, se voyant vaincu, dit au capitaine :

— Ne me frappe plus et laisse-moi tranquille, je vais t’enseigner une belle chose. Mais toi qui es fort, lève cette pierre à laquelle est adossée la cabane.

— Je ne puis, répondit le capitaine après avoir essayé.

— Alors je suis plus fort que toi, dit le nain. Il déplaça facilement le rocher, et au-dessous de l’endroit où il touchait la terre s’ouvrait un trou dont on ne voyait pas le fond.

— Tu vas prendre, poursuivit le nain, les cordages qui sont dans les débris de ton navire, et en les mettant bout à bout tu feras une longue corde, puis tu y attacheras un panier et tu te feras descendre au fond du souterrain. Quand tu y seras arrivé, je te dirai par quel moyen tu pourras délivrer trois princesses qui y sont prisonnières.

En finissant ces mots, le nain disparut par le trou, et la pierre retomba aussitôt et le couvrit.

À midi, le capitaine sonna la cloche, et les matelots furent très étonnés de l’entendre et de trouver le repas bien apprêté.

Après le dîner, le capitaine Pierre ordonna à ses matelots d’aller ramasser parmi les débris du navire tous les cordages qu’ils pourraient trouver, et de les réunir ensemble pour en former un long cable ; quand les cordes eurent été mises à bout, elles avaient au moins sept cents pieds de longueur.

À eux trois ils parvinrent à soulever le rocher qui bouchait le souterrain et le capitaine dit :

— Maintenant nous allons essayer de descendre jusqu’au fond.

Ce fut Pierre-Marie qui le premier entra dans le panier, et on lui remit une clochette en lui disant de sonner s’il rencontrait un obstacle ou s’il avait peur ; puis on laissa doucement glisser la corde. Mais dès que le matelot se sentit suspendu en l’air et qu’il ne vit plus le jour que par l’ouverture du puits, il sonna la clochette et on se hâta de le remonter. Pierre-Joseph se mit à son tour dans le panier, et il descendit un peu plus que son camarade ; mais il ne tarda pas à son tour à être effrayé, et il fit retentir la clochette pour dire aux autres qu’il ne voulait pas aller plus loin.

Le capitaine se plaça dans le panier, et dit à ses matelots :

— Vous laisserez glisser la corde jusqu’à ce qu’il ne vous en reste plus qu’un petit bout, et vous vous tiendrez ensuite près du trou pour me remonter.

Le capitaine avait pris avec lui une canne qui pesait sept ou huit cents livres, et tout en descendant, il sondait pour voir s’il trouvait le fond, mais il ne rencontrait que le vide. La corde fut toute filée avant qu’il arrivât au fond du souterrain, et quand elle cessa de glisser, l’ouverture du puits ne paraissait pas plus grosse qu’une étoile. Alors il se laissa tomber hors du panier et arriva sans trop se faire de mal à l’endroit où finissait le souterrain.

Il y faisait noir comme dans un four, et le capitaine Pierre se dirigea d’abord en tâtant le terrain avec sa canne ; mais à force de regarder il aperçut une petite lumière, vers laquelle il marcha, et il se trouva devant la petite cabane d’où partait la lueur.

Quand il y fut entré, il sentit qu’il avait faim, et il dit tout haut :

— Ah ! si j’avais quelque chose à manger, cela me ferait du bien.

Aussitôt une table toute servie et où rien ne manquait se montra devant le capitaine ; il mangea avec appétit ; puis son repas fini, il se sentit fatigué et dit :

— Maintenant, si j’avais un lit, je ferais bien un somme.

Et à la minute un lit vint se placer dans un coin de la cabane. Le capitaine s’étendit dessus et dormit pendant deux heures ; puis il se réveilla en sentant à l’oreille une piqûre, légère comme celle d’une mouche. C’était le petit bonhomme haut de trois pouces qui s’était assis sur l’oreiller et l’avait un peu pincé. Il demanda au capitaine s’il se sentait le courage de tenter les aventures.

— Je suis prêt, répondit-il.

Le nain l’emmena dans un pays qui semblait éclairé par la lumière du soleil, et ils entrèrent dans une ferme où, sur le conseil du nain, le capitaine acheta cent moutons, deux cents vaches, quatre cents bœufs et, sauf l’honneur de la compagnie, huit cents cochons ; et il mit dans les conditions de son marché qu’on lui fournirait des charrettes pour mener toute cette victuaille et des gens pour les conduire où il voudrait.

— Maintenant, lui dit le petit bonhomme, tu vas aller à un château que je vais te montrer ; il est gardé par des bêtes féroces qui ont faim : tu leur jetteras des morceaux de viande jusqu’à ce que toutes soient rassasiées, et c’est alors seulement que tu pourras entrer au château et délivrer la princesse.

En arrivant au portail, le capitaine Pierre vit deux lions enchaînés qui rugissaient à faire peur, et la cour était remplie de toutes sortes d’animaux qui criaient épouvantablement. Il leur jeta des quartiers de viande, et quand il leur eut donné le dernier morceau, ils cessèrent de hurler et de rugir, et le laissèrent passer.

Il entra dans le château qui était superbe, et, après avoir parcouru un grand nombre de pièces, il arriva à une belle chambre où une princesse étendue sur un lit dormait tout habillée. Il lui posa la main sur le front, et aussitôt elle se réveilla en s’écriant :

— Qui donc est ici ?

— C’est un homme qui est venu pour vous délivrer, répondit le capitaine.

La demoiselle le suivit très volontiers ; il l’emmena à la cabane, et elle le pria de songer à ses deux sœurs qui étaient plus belles qu’elle et qui elles aussi étaient enchantées.

— Je le sais, répondit Pierre, et je veux aussi les délivrer.

Par le conseil du petit bonhomme de trois pouces, il alla à une autre ferme et il acheta deux cents moutons, quatre cents vaches, huit cents bœufs, et douze cents cochons (en vous respectant), et se munit de charrettes et de charretiers pour les conduire.

Il arriva à un autre château, et avant de pénétrer dans l’endroit où était la princesse, il avait à franchir cinq cours pleines de bêtes féroces : au portail se trouvaient deux ours qui n’étaient pas enchaînés. Pierre leur jeta de la viande, et ils devinrent si doux qu’ils se laissaient caresser avec la main ; il donna ensuite à manger aux autres bêtes, et quand sa provision fut épuisée et que chacune eut son morceau, elles le laissèrent passer, et il emmena la seconde princesse à la cabane.

— Pour délivrer la troisième princesse, lui dit le nain, il n’est pas besoin de viande ; mais l’entreprise n’en est pas plus facile pour cela : elle est gardée par des moustiques, et l’on ne peut échapper à leur piqûre.

— Avec ma canne je ferai le moulinet, répondit le capitaine, et je les empêcherai de m’approcher.

Quand il ouvrit la porte du troisième château, il vit que les appartements étaient remplis de moustiques, aussi nombreux et aussi serrés que les fourmis dans une fourmilière : au lieu d’essayer de se frayer de vive force un passage avec sa canne, il laissa les portes toutes grandes ouvertes, et les moustiques sortirent pour aller prendre l’air. Lorsqu’il vit qu’il n’en restait plus un seul, il entra tranquillement et vit une princesse gentille comme les amours qui dormait toute habillée sur un lit. Il la réveilla en lui touchant le front, et elle le suivit à la cabane, où elle fut bien joyeuse de retrouver ses sœurs.

Le capitaine alla voir si le panier était encore là, et il remarqua avec plaisir qu’il était à peu de distance du fond du souterrain.

— Maintenant, lui dit le nain, il faut que tu retournes là-haut avec les princesses, et quand, tu y seras, tu frapperas sur la terre avec cette baguette en demandant un navire pour te ramener en France.

Le capitaine plaça dans le panier une des princesses, et les matelots, qui sentaient la corde remuer, hissèrent le panier, tout en se disant qu’il n’était guère lourd.




Lorsqu’il arriva à l’orifice du souterrain, ils y virent une jeune dame qui sauta à terre, et comme ils la trouvaient jolie, ils se disputèrent à qui l’aurait et ils se battirent sans songer au capitaine :

Pierre-Joseph terrassa son camarade, et il fut convenu qu’il pourrait seul faire la cour à la princesse.

Ils descendirent une seconde fois le panier, qui bientôt remonta apportant une dame plus belle que la première ; ils se battirent encore pour elle, et cette fois ce fut Pierre-Marie qui resta vainqueur.

Alors, malgré les prières des princesses, ils laissèrent là le panier et s’en allèrent dans la cabane, en les emmenant avec eux.

Le capitaine, ne voyant plus redescendre le panier, cria de toutes ses forces et agita la clochette ; mais ce fut inutile, et il resta seul dans le souterrain avec la troisième princesse. Il était bien chagrin de se voir abandonné ; mais il se souvint d’avoir vu le nain remonter facilement jusqu’au haut du puits.

— Il faut, pensa-t-il, que je l’attrape et que je lui demande son secret pour monter sans échelle. ;

Il se mit à sa recherche et, l’ayant aperçu qui passait sur un pont, il courut après lui et l’atteignit.

— Ah ! lui dit le petit bonhomme, tes compagnons t’ont laissé ici : je pensais bien que cela arriverait.

— Hélas ! répondit-il, ils m’ont abandonné ; enseigne-moi ton secret pour remonter.

— Non, non, tu ne le sauras jamais.

— Je vais te tuer, si tu ne veux pas me l’enseigner.

— Non, cria le nain, jamais je ne te dirai comment je fais pour aller là-haut ; mais je vais prendre mon livre et appeler les oiseaux : il y en aura sans doute qui seront assez forts pour te ramener à l’endroit d’où tu es parti.

Le nain prit son livre, et nomma les oiseaux par leur nom : il en vint de tous plumages, de toutes grosseurs et de toutes formes ; mais aucun n’était capable de porter jusque sur la terre le capitaine et la princesse. Il jeta encore les yeux sur son livre, et s’aperçut qu’un vieil aigle manquait à l’appel. Il lui cria de venir, et quelques instants après l’oiseau parut.

— D’où viens-tu donc ? demanda le nain en colère ; tu n’as pas répondu quand je t’ai appelé en même temps que les autres.

— J’étais, répondit l’aigle, occupé à déchirer la chair d’un vieux cheval.

— Pour ta peine de t’être attardé, tu vas prendre sur ton dos cet homme et cette jeune fille et les monter jusque sur la terre de là haut.

— Oui, dit l’aigle, je veux bien, mais à la condition qu’on me donne un morceau à manger toutes les fois que je crierai : « Couac ! » en ouvrant le bec.

Le capitaine fit une provision de viande, et il monta avec la princesse sur le dos du vieil aigle.





À chaque coup d’aile, l’oiseau disait : « Couac ! » et engloutissait un morceau de viande ; au moment où ils n’étaient plus qu’à quelques pieds de l’ouverture, le dernier morceau disparut dans le bec de l’oiseau, et comme il criait encore : « couac ! » le capitaine coupa une petite tranche de sa cuisse et la présenta à l’aigle, qui donnant un dernier coup d’aile, arriva à l’ouverture du puits.

— Ouf ! dit le capitaine en sautant à terre, nous voilà sauvés ; mais cela n’a pas été sans peine.

En entrant dans la cabane, il ne trouva plus ses deux compagnons qui s’étaient enfuis en emmenant les princesses avec eux. Il se souvint alors de la baguette que le nain lui avait donnée, et il frappa la terre en disant :

— Je souhaite qu’un vaisseau tout rouge et monté par des matelots rouges arrive ici pour me transporter en France.

Aussitôt il vit sur la mer un vaisseau peint en rouge, qui, toutes voiles dehors, se dirigeait vers le rivage. Il s’arrêta à peu de distance, et une baleinière vint chercher le capitaine et la princesse. Quand il mit le pied à bord, on tira le canon en son honneur, et l’équipage rangé sur la lisse le salua comme son capitaine.

Le vaisseau rouge fit une heureuse traversée et arriva à Paris le jour même où les deux compagnons devaient se marier avec les filles du roi qu’ils avaient ramenées ; en entrant dans le port, le capitaine tira cent coups de canon.

— Voilà, dit le roi de France, un vaisseau qui me salue ; il faut inviter le capitaine au repas de noces, puisqu’il est si honnête.

Le capitaine se rendit à l’invitation du roi, et il se mit à table avec les autres invités. À la fin du dîner, chacun raconta ses aventures, et les deux matelots dirent qu’ils avaient délivré les princesses enfermées dans le souterrain :

— Ce n’est pas vrai, s’écria le capitaine, c’est moi qui suis descendu dans le puits, et vous m’avez abandonné, laissant avec moi la plus jeune des filles du roi, et sans vous occuper de ce que je pourrais devenir.

Quand les matelots entendirent cela, ils reconnurent leur capitaine et auraient bien voulu être loin de là ; mais le capitaine Pierre, qui n’était pas rancuneux, leur dit de rester, et qu’il leur pardonnait.

Ils épousèrent les deux princesses, et lui il se maria avec la plus jeune qui était la plus belle des trois. Ils firent à cette occasion un grand repas auquel ils m’invitèrent, et je ne les ai jamais revus depuis.


Conté en 1879 par Eugène Depays de Saint-Cast, matelot, âgé de 20 ans environ.