Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 21

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Ernest Leroux (p. 159-164).


LES TROIS FRÈRES


Il y avait un Peulh qui demeurait dans le Macina et s’appelait Harnadi Diallo : il avait avec lui un Torodo[1], Mamadou, un captif, Malal, et un tisserand, Malal Horégouyi. Il avait envie d’épouser une femme qui vivait dans son village : il va et lui parle, ils sont d’accord et elle va se loger dans son village. Il attend jusqu’à minuit, il entre seul chez la femme, et la trouve couchée avec un autre homme. Il allume une allumette, voit l’homme, prend son couteau et tue la femme : l’homme dort ; Hamadi pose son couteau sur son estomac et sort. Les parents de la femme viennent la trouver le lendemain et poussent des cris. Quelqu’un dit : « C’est l’homme qui couchait avec elle qui l’a tué ». Le père de la femme vient demander à l’homme : « Pourquoi as-tu tué ma fille ? » L’homme dit : « Elle ne m’a rien fait et je l’aurais tuée ? ». Le grand frère de la femme vient lui dire : « Puisque tu as tué ma sœur, je vais te tuer ». Il fait deux trous : l’un pour mettre sa sœur, l’autre pour l’homme qui l’avait tuée et qu’il voulait faire tuer aussi. Hamadi vient trouver les parents de la femme, et demande : « Pourquoi avez-vous attaché cet homme ? ». « Parce qu’il a tué cette femme ». Hamadi demande à l’homme : « C’est toi qui as tué la femme ? ». « Peut-être », dit l’homme. « Pourquoi ne t’es-tu pas sauvé ? ». « Parce que je n’ai pas voulu. Je n’ai pas peur de ce que la femme soit morte pendant que j’étais avec elle ». Hamadi dit aux parents de la femme : « Ne tuez pas cet homme j’ai quelque chose à vous dire ». Tout le monde s’asseoit. Hamadi dit au père de la femme : « Il faut laisser cet homme : il n’a pas tué la femme. C’est moi que l’ai tuée. Cette femme est très jolie, c’est une fille noble : elle plait à tout le monde : moi aussi je suis fils d’un noble et je plais à tout le monde. Je l’avais demandée en mariage, nous étions d’accord : je suis venu pendant la nuit : je l’ai trouvée couchée avec un autre : elle le faisait exprès : je l’ai tuée parce qu’elle a brûlé mon cœur. J’ai mis mon couteau sur le ventre de l’homme. Il faut me tuer et laisser partir cet homme ». Alors on l’a attaché et on a laissé aller l’autre homme.

Hamadi dit aux parents de la femme : « Il faut que j’aille payer une dette dans mon pays : après quoi vous me tuerez ». Le Torodo, Mamadou, dit à la famille : « Gardez-moi en otage, s’il ne revient pas, vous me tuerez ». Le captif dit aussi la même chose, et le tisserand. Hamadi s’en va, on lui accorde jusqu’au lendemain deux heures, sinon les trois hommes seront tués. Hamadi revient avant deux heures le lendemain. Pendant qu’on l’attachait un homme vient dire au père de la femme : « Ne le tuez pas encore : les Maures viennent de voler votre troupeau ». Le père laisse Hamadi pour courir après son troupeau. Les Maures lui tuent beaucoup de monde et il revient au village. Hamadi lui dit : « Je vais aller me battre avec les Maures ». « Mais, dit le père, si je te laisse aller, tu ne reviendras pas ». Hamadi répond qu’il reviendra. Le père le laisse partir en disant : « Si tu reviens, tant mieux, si tu ne reviens pas, ça ne fait rien ». Le père lui donne trois chevaux et trois fusils, pour son tisserand, son captif et pour lui. Il tombe sur le campement des Maures et reprend le troupeau volé. Il attache les Maures et les amène avec lui. Le père lui dit : « Puisque tu as fait une telle chose, je ne veux pas te tuer, mais tu ne retourneras pas chez toi. Tu resteras avec moi : j’ai une autre femme à te donner ». Il lui donne trois femmes. Tous les jours elles se disputaient. Hamadi leur dit : « La première qui aura un enfant sera ma première femme ». Pendant trois mois elles se tiennent tranquilles, après quoi elles recommencent à se disputer. Hamadi dit : « La première qui aura un garçon sera ma première femme ». De nouveau elles s’apaisent. Toutes les trois ont un petit garçon. Le premier garçon s’appelle Mamadou, le second Hamidou, le troisième Saïdou. Pour chacun il tue un bœuf. Les femmes sont d’accord. Les enfants grandissent, commencent à se battre. Le père leur dit : « Si vous ne pouvez pas vivre d’accord, allez dans la brousse on verra bien qui sera le chef ». Ils s’en vont dans la brousse et marchent jusqu’à un village dont le chef, Faré, les appelle, et leur dit : « Dites-moi ce que vous désirez : je ferai tout ce que vous voudrez ». Il demande à chacun : « Ta mère est-elle libre ou captive ? ». Hamidou dit : « Ma mère est une Torodo ». Le chef le loge parmi les Torodo du village. Il interroge Mamadou, qui répond : « Ma mère est une Peulh ». Il le fait loger avec les Peulh. Il demande à Saïdou, qui dit : « Ma mère est une Mauresque ». Il fait loger Saïdou chez les Maures. Il recommande à chaque groupe de bien faire ce que l’enfant demande.

Au bout d’un certain temps, il rassemble le village avec les trois enfants, et leur demande. « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? ». Hamidou dit : « Je veux apprendre le Coran ». Mamadou dit : « Qu’il veut des vaches », parce qu’il est Peulh. Saïdou dit : « Qu’il veut seulement un bon cheval et un bon fusil ». Il leur donne à chacun ce qu’ils demandent et les garde un an dans sa maison.

Hamidou apprend le Coran et le récite à Faré : Mamadou raconte aussi à Faré tout ce qui concerne le bétail : il sait le soigner et comprend leurs cris. Faré demande à Saïdou ce qu’il a à lui dire. Saïdou lui dit d’attendre, et il fait courir son cheval : il tire des coups de fusil sur tous les gens de Faré et sur Faré, et les tue tous. Il prend tout ce qu’il y avait dans la maison de Faré et ses captifs. Il appelle les gens du village qui viennent avec leurs troupeaux. Il rappelle aussi ses frères et dit : « Mamadou, tu vas passer devant et emporter les troupeaux et le butin ». Il dit à Hamidou : « Tu iras après les troupeaux ». Saïdou marche le dernier. Il vient trouver son père, qui demande : « Quel est le chef ? ». Mamadou dit : « Regarde quel est le plus fort de nous tous ». Alors le père voit que c’est Saïdou.



  1. Marabout.