Contes du soleil et de la pluie/108

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Henry Kistemaeckers
L’Auto (p. 483-484).


MAURICE LEBLANC

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« …Voici toute la nature qui s’unit à l’espace et l’emplit de joie et d’éclat. Je reçois tout cela d’un coup, en pleine figure, comme une vague de parfums, de formes et de couleurs. »

La phrase est de Maurice Leblanc lui-même. Je la lui emprunte parce que je n’en trouverais pas d’autre qui pût rendre avec plus de vigueur et de clarté la sensation qui vient de me fouetter en ouvrant Gueule-Rouge, 80-Chevaux, la nouvelle œuvre de Vie offerte au public par l’écrivain de l’Œuvre de Mort…

Voici toute la nature, en effet… Voici quarante contes qui se déploient comme une gerbe de force, d’amour et de sang. Ils sont plus étroitement unis que les chapitres d’un roman ; la Vie les noue. Elle passe en eux, page à page, phrase à phrase, mot à mot, d’un bout à l’autre bout du livre, de son titre dévorant : Gueule-Rouge, à son cri de la fin : « La Vie est bonne ! » Elle les embrasse de ses tentacules frémissants. Elle les brutalise, les bouleverse, les excite, les caresse, les fait rugir ou gémir, comme un belluaire s’amuse de ses fauves. Ou encore, elle les attendrit. Elle leur donne l’onction des larmes ou les éclabousse de gouttes rouges. Mais elle est toujours là, souriante, féroce, voluptueuse, tragique.

Maurice Leblanc est un possédé de la Vie. Il a reçu l’hostie sanglante. La Vie est toute en lui. Jamais il ne la blasphème. Loyale ou perverse, douce ou monstrueuse, il l’adore également, parce qu’elle est la Vie. Il l’adore pour sa frénésie autant que pour son silence, il l’adore pour tout ce que nous savons d’elle, et pour tout ce que nous n’en saurons jamais. Il l’adore dans son épouvante et dans son mystère, dans la morsure effroyable de Gueule Rouge, et dans l’énigme parée d’amour qui l’attend aux ruines de Buoux. Il va jusqu’à se prosterner devant les « demi-dieux, maîtres des grands secrets », les grands secrets qui se cachent aux ténèbres des moteurs, et sa génuflexion est à peine ironique. Elle serait tout à fait sincère s’il n’y avait pas de gens de lettres dans l’Olympe automobile. Mais, sur l’épiderme du confrère, Maurice Leblanc se fait les ongles : égratigner, c’est encore du mouvement, c’est encore de la Vie.

La vie ! oui, tel est l’autre grand secret dont Maurice Leblanc s’affirme le maître, tel est le secret de la passion qu’il nous communique. Son génie n’est pas un génie « littéraire ». Il déteste la phrase plastique, la phrase qui coquette et qui roucoule, la phrase qui se module pour l’écœurant plaisir de l’ouïe. IL n’écrit pas pour écrire, il écrit pour faire jaillir de la vie. Il n’écrit pas, il plante sa plume dans des artères, et la vie vermeille gicle. Il n’écrit pas ; c’est pour cela qu’il est de la race des plus robustes écrivains.

Vous tous qui vous développez dans l’harmonie du geste, dans la beauté de la Force, relisez Gueule-Rouge. Cette lecture, c’est une heure d’émotion, d’émotion physique tant elle est ardente. Et d’émotion consolante aussi, car elle clame avec Maurice Leblanc qu’« il y a quelque chose de plus fort que la haine, de plus fort que l’orgueil, que la jalousie, que l’amour même : c’est la Vie, la Vie adorable, unique et précieuse. »

Henry Kistemaeckers.