Contes et légendes annamites/Légendes/010 Le génie de la montagne Tan vien

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LE GÉNIE DE LA MONTAGNE TÂN VIÈN.



Dans la province de Hà nôi se trouve la montagne de Tân vièn, dont nul ne connaît la hauteur. Son plus haut étage est rouge ; rouge encore le second ; le troisième est accessible aux hommes ; l’on y voit une pagode construite en pierre, où se trouve une table de pierre et une statue également de pierre, de grandeur naturelle. Ce fut sous la dynastie Ly que se manifesta, pour la première fois, la puissance du génie de cette montagne. Les Chinois ayant envahi l’Annam, il apparut et rendit un oracle qui les effraya tellement qu’ils s’en retournèrent. Le roi d’Annam fit des sacrifices solennels à ce génie, dont on ignore le nom. Depuis ce temps on lui a toujours rendu un culte, et toutes les fois que le royaume est en péril, le roi envoie un ministre vertueux consulter son oracle. Le génie apparaît sous la forme d’un homme ou d’une femme, d’un vieillard ou d’un enfant, remet un écrit à l’envoyé et disparaît. Son oracle se vérifie toujours. Chaque année, le trentième jour du douzième mois, on forge cent fers de hache, dont on lui fait une offrande. Ceux des années précédentes ont disparu et l’on ne sait ce qu’ils sont devenus. La troisième année Tu duc[1], le tong dôc[2] Nguyèn dang giai apprit qu’une révolte avait éclaté à Son lay. Il marcha sur Son tây à la tête de trois mille hommes ; mais, arrivé à moitié chemin, le génie du mont Tân vièn apparut sous la forme d’un vieillard qui, un bâton à la main, se tenait au milieu de la route et barrait le passage. Les officiers voulaient l’écarter, le tông dôc entendit le bruit, et, instruit de ce qui arrivait, demanda au vieillard ce qu’il voulait. « Ne me connaissez-vous pas, dit celui-ci ? J’habite le mont Tan vièn ; je vous aime à cause de vos vertus ; aussi suis-je venu ici pour vous apprendre quelque chose. » Il se fit alors donner un papier sur lequel il écrivit ces mois : « Votre destin est terminé, il vous faut retourner ». Nguyén dang giai s’en retourna et, arrivé à sa demeure, tomba malade et mourut[3].

Par la suite, le tông doc Viêm voulut monter sur l’étage moyen de la montagne et, comme il n’y avait pas de chemin, il s’en fit frayer un par trois cents soldats. Après cinq jours de travail, on n’avait pas encore avancé. Le génie apparut alors au tông doc et lui dit : « Le sommet de cette montagne est le séjour des génies ; il n’est pas permis aux hommes de l’atteindre. Si tu n’écoutes pas mes paroles, tu mourras ». Le tông doc eut peur et renonça à son dessein.



  1. Nom de règne du dernier roi d’Annam mort en 1883. Il régnait depuis 1848.)
  2. Gouverneur de province.
  3. C’est un malheur de mourir hors de chez soi, chêt dwong chêt sà. Cela n’arrive qu’aux vagabonds et aux gens de peu.