Contes populaires d’Afrique (Basset)/126

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E. Guilmoto, Éditeur (Les Littératures populaires, tome XLVIIp. 321-328).

b) Dialecte Ba-Rolong.

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HISTOIRE DE L’OISEAU QUI FAIT DU LAIT[1]


On raconte qu’autrefois, dans un certain endroit, il y avait une grande ville où vivaient beaucoup de gens. Ils vivaient uniquement de grains. Une année, il y eut une grande famine. Il y avait dans cette ville un pauvre homme nommé Masilo, et sa femme. Un jour, ils allèrent piocher dans leur jardin et ils continuèrent de piocher toute la journée. Le soir, quand la troupe des gens qui piochaient s’en retourna à la maison, ils s’en revinrent aussi. Alors vint un oiseau qui s’arrêta sur la maison qui était à côté du jardin et commença à siffler en disant :

— Champ cultivé de Masilo, mélange-toi.

Le champ fit comme l’oiseau disait. Après cela, l’oiseau s’en alla.

Le lendemain, quand Masilo et sa femme allèrent au jardin, ils furent dans le doute et dirent :

— Est-ce vraiment l’endroit où nous avons pioché hier ?

Ils reconnurent que c’était lui à cause des gens qui travaillaient de chaque côté. Les gens commencèrent à rire et à se moquer d’eux en disant :

— C’est parce que vous êtes très paresseux.

Ils continuèrent à piocher de nouveau ce jour-là et, le soir, ils s’en allèrent chez eux avec les autres.

Alors l’oiseau vint et il fit la même chose.

Quand ils revinrent le matin suivant, ils trouvèrent que leur champ n’était pas retourné. Ils crurent qu’ils avaient été ensorcelés par quelques autres.

Ils continuèrent de nouveau à piocher ce jour-là. Mais, le soir, quand les troupes de gens s’en retournèrent, Masilo dit à sa femme :

— Va à la maison ; je resterai en arrière pour surveiller et trouver l’être qui détruit notre travail.

Alors elle partit ; lui-même se coucha près du haut du jardin sous cette même maison où l’oiseau avait l’habitude de se poser. Tandis qu’il réfléchissait, l’oiseau arriva. C’était un bel oiseau. L’homme le regardait avec admiration quand il commença à parler. Il dit :

— Champ cultivé de Masilo, mêle-toi.

Alors il le saisit et dit :

— Ah ! c’est vous qui détruisez l’œuvre de nos mains !

Il tira son couteau de sa gaîne et se prépara à couper la tête de l’oiseau. Alors celui-ci dit :

— S’il vous plaît, ne me tuez pas ; je vous ferai beaucoup de lait pour votre nourriture.

Masilo répliqua :

— Il faut d’abord que vous rétablissiez l’œuvre de mes mains.

L’oiseau dit :

— Champ cultivé de Masilo, apparais.

Et il apparut.

Alors Masilo dit :

— Faites-moi du lait, maintenant.

Et voici qu’immédiatement, il leur fit du lait épais que Masilo commença à avaler. Quand il fut rassasié, il porta l’oiseau à la maison. Lorsqu’il fut tout près, il mit l’oiseau dans son sac.

En entrant dans sa maison, il dit à sa femme :

— Lavez tous les plus larges pots à bière qui sont à la maison.

Mais sa femme était de mauvaise humeur à cause de la faim et elle demanda :

— Qu’est-ce que vous avez à mettre dans tant de larges pots ?

Masilo lui dit :

— Écoutez-moi, seulement, et faites ce que je vous commande ; alors vous verrez.

Quand elle eut fini avec les pots, Masilo sortit l’oiseau de son sac et dit :

— Faites du lait pour la nourriture de mes enfants.

Alors l’oiseau remplit de lait tous les pots à bière.

Ils commencèrent à manger et quand ils eurent fini, Masilo donna cet avertissement à ses enfants :

— Gardez-vous bien de dire quoi que ce soit de cela, pas même à un de vos compagnons.

Ils lui jurèrent qu’ils n’en diraient rien.

Masilo et sa famille vécurent alors grâce à l’oiseau. Les gens étaient surpris quand ils le voyaient avec sa famille ; ils disaient :

— Comment se fait-il qu’on soit si gras dans la maison de Masilo. Il est si pauvre ! mais, maintenant, depuis que son jardin a apparu, lui et ses enfants sont si gras !

Ils essayèrent de guetter et de voir ce qu’il mangeait ; mais ils ne purent rien découvrir du tout.

Un matin, Masilo et sa femme allèrent travailler dans leur jardin et, au milieu du même jour, les enfants de la ville se réunirent pour jouer. Ils se rassemblèrent précisément devant la maison de Masilo. Tandis qu’ils jouaient, les autres dirent aux enfants de Masilo :

— Pourquoi êtes-vous si gras, tandis que nous restons si maigres ?

Ils répondirent :

— Sommes-nous gras ? Nous pensions que nous étions maigres comme vous l’êtes.

Ils ne voulurent pas dire la raison. Les autres continuèrent de les presser en disant :

— Nous ne le dirons à personne.

Alors les enfants de Masilo dirent :

— Il y a dans la maison de notre père un oiseau qui fait du lait.

Les autres reprirent :

— S’il vous plaît, montrez-le-nous.

Alors ils entrèrent dans la maison et le tirèrent de l’endroit secret où leur père l’avait placé. Ils le mirent comme leur père avait coutume de le faire et il fit du lait qu’ils burent avec leurs compagnons, car ils avaient très faim.

Après avoir bu, ils dirent à l’oiseau :

— Danse pour nous, et ils le détachèrent de l’endroit où il était lié. L’oiseau commença à danser dans la maison, mais l’un dit :

— Cette place est trop étroite, si bien qu’ils le portèrent hors de la maison. Tandis qu’ils se réjouissaient et riaient, l’oiseau s’envola, les laissant en grand effroi.

Les enfants de Masilo dirent :

— Notre père nous tuera aujourd’hui : il nous faut aller après l’oiseau.

Alors ils le suivirent et ils continuèrent de marcher toute la journée, car, quand ils étaient à une certaine distance, il se tenait tranquille pendant quelque temps, et lorsqu’ils s’approchaient il s’envolait plus loin.

Quand les troupes de gens qui piochaient s’en revinrent de leur travail, les gens de la ville appelèrent leurs enfents, car ils ne savaient pas ce qu’ils étaient devenus.

Mais quand Masilo entra dans la maison et ne put pas trouver l’oiseau, il devina où étaient les enfants, mais il n’en dit rien à leurs parents. Il fut bien attristé à cause de l’oiseau, parce qu’il savait qu’il avait perdu sa nourriture.

Quand le soir arriva, les enfants se déterminèrent à rentrer à la maison, mais il arriva un orage de pluie et de tonnerre, et ils furent très effrayés. Parmi eux était un garçon brave, nommé Mosemanyamatong qui les encourageait en disant :

— N’ayez pas peur ; je puis commander à une maison de se bâtir elle-même.

— Commandez-le, s’il vous plait, dirent-ils.

Il reprit :

— Maison, apparais.

Et elle apparut ; de même le bois pour le feu. Alors les enfants entrèrent dans la maison, allumèrent un grand feu et se mirent à faire rôtir quelques racines sauvages qu’ils avaient déterrées.

Tandis qu’ils étaient en train de les faire rôtir et qu’ils étaient joyeux, arriva un énorme cannibale et ils entendirent sa voix qui disait :

— Mosemanyamatong, donnez-moi un peu de ces racines sauvages que vous avez.

Ils furent effrayés et le garçon brave dit aux filles et aux autres garçons :

— Donnez-m’en des vôtres.

Ils lui en donnèrent et il jeta les racines dehors. Tandis que le cannibale les mangeait tranquillement, ils sortirent et s’enfuirent. Il finit de manger ses racines et les poursuivit. Lorsqu’il fut près, ils éparpillèrent quelques racines sur le sol, et tandis qu’il les ramassait et les mangeait, ils s’enfuirent.

À la fin, ils arrivèrent dans des montagnes où poussaient des arbres. Les filles étaient déjà très fatiguées, en sorte qu’ils grimpèrent sur un grand arbre. Le cannibale arriva là et essaya de couper l’arbre avec son ongle tranchant et long.

Alors le brave garçon dit aux filles :

— Tandis que vous chanterez, il faut que vous continuiez de dire : Arbre, sois fort ! arbre sois fort !

Il chanta ce chant :

— C’est folie,

C’est folie d’être un voyageur

Et d’aller en voyage

Avec du sang de fille sur quelqu’un.

Tandis que nous faisions rôtir des racines sauvages,

Une grande obscurité tomba sur nous.

Ce n’étaient pas les ténèbres :

C’était une effroyable obscurité.

Tandis qu’il chantait, un grand oiseau arriva, voltigea au-dessus d’eux et dit :

— Tenez-vous ferme après moi.

Les enfants le tinrent solidement ; il s’enfuit avec eux et les porta dans leur ville.

Il était minuit quand ils y arrivèrent ; il descendit à la porte de la maison de la mère de Masemanyanamatong.

Au matin, quand la femme sortit de sa maison, elle prit des cendres et les jeta sur l’oiseau, car elle disait :

— Cet oiseau sait où sont nos enfants.

Au milieu du jour, l’oiseau envoya un mot au chef, disant :

— Commande à tout ton peuple d’étendre des nattes dans tous les sentiers.

Le chef ordonna de le faire. Alors l’oiseau amena tous les enfants et le peuple fut très content.



  1. G. Mac Call Theal, Kaffir Folklore, Londres, W. Swan-Sonnenschein, 1897, in-8, p. 39-46.