Contes populaires de Basse-Bretagne/La Fille du Roi d’Espagne

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V


LA FILLE DU ROI D’ESPAGNE
(PEAU D'ÂNE)
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Kement-man holl oa d’aun amzer
Ma ho defoa dennt ar ier.
Tout ceci se passait du temps
Que les poules avaient des dents.


IL y avait une fois un roi d’Espagne dont la femme venait de mourir. Il aimait beaucoup la reine, et fut si désolé de sa perte, qu’il jura de ne pas se remarier... à moins de trouver une jeune fille qui lui ressemblât, et à qui ses habits de noces iraient parfaitement. Or, la reine était d’une beauté si accomplie et de formes si parfaites, qu’il était convaincu qu’il resterait veuf, le reste de ses jours.

Il avait une fille, âgée de dix-huit ans, et qui était aussi d’une grande beauté, et ressemblait à sa mère. Un jour, en jouant, elle mit les habits de noces de sa mère, et ils lui allaient à merveille et comme s’ils avaient été faits pour elle. Son père survint et se jeta à son cou, en s’écriant :

— Ma femme ! ma femme !... J’ai retrouvé ma femme !...

La princesse rit, pensant que son père plaisantait. Mais, il ne plaisantait pas. Quelques-uns prétendent que la douleur qu’il avait éprouvée de la perte de sa femme avait troublé sa raison. Toujours est-il que le lendemain, il parla à la princesse de l’épouser et, pendant huit jours, il la poursuivit de ses instances, sans lui laisser un moment de tranquillité. La pauvre enfant était bien embarrassée.

Elle alla consulter une vieille femme, qui habitait une pauvre hutte, dans un bois voisin. La vieille lui dit :

— Consolez-vous, mon enfant ; je vous conseillerai, et cette sotte passion passera à votre père. Dites-lui que vous voulez avoir d’abord une robe de la couleur des étoiles.

La princesse retourna à la maison, et quand son père revint lui parler de son amour, elle lui dit :

— Commencez, mon père, par me procurer une robe de la couleur des étoiles, puis nous verrons.

Le roi envoie des messagers chez tous les marchands de draps et de tissus de la ville, puis par tout le royaume, avec ordre de lui apporter tout ce qu’ils trouveront de plus beau et de plus riche, sans regarder au prix. On finit par trouver un tissu de la couleur des étoiles. On le présenta à la princesse, et son embarras, loin de se dissiper, ne fit que s’accroître.

Elle alla encore trouver la vieille.

— Hélas ! lui dit-elle, on m’a trouvé un tissu pour faire une robe de la couleur des étoiles !

— Eh bien ! répondit la vieille, dites à présent, à votre père, que vous voulez aussi une robe de la couleur de la lune. Il ne trouvera pas cela aussi facilement, et, pendant qu’on cherchera, peut-être reviendra-t-il à son bon sens.

Le lendemain, quand son père vint lui faire sa cour, elle lui dit :

— Je veux, à présent, mon père, avoir aussi une robe de la couleur de la lune.

— Vous l’aurez, ma fille, répondit-il, quoi qu’il puisse m’en coûter.

Et il envoya encore des messagers, dans toutes les directions.

On finit par se procurer encore ce tissu précieux, au bout de quinze jours de recherches patientes, mais il coûta cher ! Le roi, radieux, alla le présenter à sa fille.

L’embarras de la princesse ne fit qu’augmenter, car son père devenait chaque jour plus pressant, et, la nuit venue, elle alla encore, secrètement, consulter la vieille du bois.

— Hélas ! lui dit-elle, il m’a encore trouvé une robe de la couleur de la lune !

— Vraiment ? Comment s’y prend-il donc ?... Mais, peu importe ; demandez-lui, à présent, une robe de la couleur du soleil, et nous verrons bien comment il s’en tirera, cette fois.

On envoya encore des messagers de tous les côtés, dans le royaume, et même hors du royaume, à la recherche d’un tissu de la couleur du soleil. Un mois, deux mois, trois mois se passèrent, et les messagers ne revenaient pas, et le roi était fort inquiet. On finit pourtant par le trouver aussi, ce tissu merveilleux, et le roi, ne se tenant pas de joie, courut le présenter à la princesse, en criant :

— Le voilà ! Il est trouvé !... Nous allons, à présent, faire les noces !...

— Oui, mon père, répondit-elle tranquillement, vous m’avez procuré tout ce que je vous ai demandé, et je dois tenir ma parole.

Mais, la nuit venue, elle sortit encore secrètement du palais, pour aller trouver la vieille du bois, et elle lui dit :

— Hélas ! c’en, est fait de moi ! Il m’a aussi procuré la robe de la couleur du soleil !

— Et comment diable a-t-il pu faire cela ! s’écria la vieille, étonnée... A présent, ma pauvre enfant, il vous faut quitter la maison de votre père. Mettez dans un coffre vos trois robes couleur des étoiles, de la lune et du soleil, et aussi la toilette de mariage de votre mère, et emportez-les, de nuit. Vous vous habillerez simplement, comme la fille d’un artisan, et ferez en sorte de vous placer comme servante, dans quelque ferme, à la campagne.

La princesse suivit les conseils de la vieille et quitta la maison de son père, en emportant un coffre contenant les trois robes merveilleuses et la toilette de mariage de sa mère.

Quand le roi s’aperçut, le lendemain matin, de la disparition de sa fille, il pleura comme un enfant, et il envoya des soldats partout à sa recherche. Elle allait être prise par une troupe de cavaliers, quand elle se cacha sous l’arche d’un pont, et les cavaliers passèrent, sans l’apercevoir. Ils repassèrent presque aussitôt, en s’en retournant à la maison, et elle les entendit qui disaient : — A quoi bon aller plus loin ? La princesse est beaucoup plus sage que son père !

Elle sortit alors de sa cachette et continua sa route. Au coucher du soleil, elle arriva à un vieux château, et y demanda logement, pour la nuit. On eut pitié d’elle, tant elle était exténuée de fatigue, et on la logea. Le château était habité par une veuve riche, et qui n’avait qu’un fils unique.

Le lendemain, la princesse demanda à être gardée comme servante dans la maison. On la prit pour garder les pourceaux. Elle passait toutes ses journées avec ses bêtes dans le bois qui entourait le château.

Un jour, que le temps était beau et le soleil clair, elle tira de son coffre, qu’elle ne quittait jamais, sa robe de la couleur des étoiles et la revêtit. Le jeune seigneur du château, qui chassait dans le bois, l’aperçut et s’approcha à la hâte. Mais, la princesse aussi l’avait aperçu de loin, et elle ôta vite sa robe et la serra dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson. Quand le jeune seigneur arriva près d’elle, et ne vit qu’une gardeuse de pourceaux, au lieu de la belle princesse qu’il s’attendait à trouver, il fut bien déçu, fit un geste de dépit et s’en retourna au château, sans rien dire.

Le lendemain, la princesse mit sa robe de la couleur de la lune. Le jeune seigneur l’aperçut encore et courut à elle. Mais, elle eut encore le temps d’ôter sa robe et de la serrer dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson, et le chasseur, désappointé, se trouva, comme la veille, en présence de la gardeuse de pourceaux.

— N’avez-vous pas vu une belle princesse par ici, tout à l’heure ? lui demanda-t-il.

— Non, Monseigneur, répondit-elle, je n’ai vu personne.

Et il tourna encore les talons, d’un air dépité, et en se disant :

— Cette gardeuse de pourceaux doit être autre chose que ce qu’elle paraît ; il faut que je la surveille.

Le lendemain, la princesse mit sa robe de la couleur du soleil, et elle était si belle, que les petits oiseaux sautillaient et chantaient d’allégresse, sur les branches, au-dessus de sa tête, et ses pourceaux eux-mêmes l’admiraient, en faisant : Oc’h ! oc’h !...

Le jeune seigneur, qui la guettait, caché derrière un tronc d’arbre, courut à elle. Mais, il trébucha et tomba dans une fosse recouverte de fougère et d’herbes folles. La jeune fille eut encore le temps d’ôter sa robe et de la serrer dans son coffre, qu’elle cacha dans un buisson, et quand le seigneur arriva près d’elle, il se trouva encore devant la gardeuse de pourceaux. Mais, il savait à quoi s’en tenir, à présent, et il retourna au château, en songeant à la manière dont il s’y prendrait, pour connaître toute la vérité.

Sa mère voulait le marier, et trois jeunes demoiselles devaient arriver au château, pour y passer quelques jours. La veille de leur arrivée, il prit son fusil et partit, plus tôt que d’ordinaire, pour la chasse, afin, disait-il, de prendre quelques pièces de gibier pour les demoiselles attendues. Il se rendit tout droit à une ferme, qui était sur la lisière du bois, et demanda à la fermière de lui permettre de passer trois ou quatre nuits et autant de jours dans un lit placé sous l’escalier, et où n’arrivait pas la lumière du jour.

— Jésus ! Monseigneur, s’écria la fermière, vous serez très mal là ! J’ai un bon lit de plume, dans la chambre, et vous y serez beaucoup mieux.

— Non, non ! répondit-il, c’est sous l’escalier que je veux être. Demain matin, vous irez au château, et vous demanderez un peu de bouillon frais pour une mendiante malade, à qui vous avez donné l’hospitalité. Si l’on vous demande si vous ne m’avez pas vu, vous direz que non.

Il se coucha donc dans le lit, sous l’escalier, et la fermière alla, le lendemain matin, au château et dit à la dame :

— Je viens, Madame, vous demander un peu de bouillon frais, pour une pauvre mendiante, à qui j’ai donné l’hospitalité, la nuit dernière, et qui est restée dangereusement malade, chez nous.

— Oui, certainement, fermière, et venez tous les jours en chercher, pendant que la malade sera chez vous. Mais, dites-moi, n’avez-vous pas vu mon fils, hier ?

— Nous le voyons, presque tous les jours, Madame, qui va à la chasse ou en revient, mais hier, nous ne l’avons pas vu.

— Il est parti, hier matin, pour la chasse, selon son habitude, et il n’est pas rentré, et je suis un peu inquiète. Si vous le voyez, dites-lui que les demoiselles que nous attendions sont arrivées, et qu’il revienne, vite, à la maison.

La fermière s’en retourna avec le bouillon, et accompagnée d’une des trois demoiselles, qui voulait voir la malade.

— Où est cette pauvre femme ? demanda-t-elle, en entrant dans la maison.

— La voici, dans ce lit, sous l’escalier.

— Dieu ! comme il fait noir là ! Apportez une lumière, pour que je puisse la voir.

— Hélas ! elle est si mal, qu’elle ne peut supporter la lumière.

La demoiselle s’approcha du lit, à tâtons, et demanda :

— Comment êtes-vous, ma pauvre femme ?

— Mal, répondit une voix si faible, qu’on l’entendait à peine ; hélas ! j’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me peine le plus, c’est de songer que j’ai laissé mourir, faute de soins, un petit enfant que j’ai eu...

— Que cela ne vous tourmente pas, ma pauvre femme ; moi aussi, j’ai eu un enfant, du jardinier de mon père, et personne n’en a jamais rien su.

Et elle lui donna une pièce d’or et s’en alla.

Le lendemain, la fermière alla encore chercher du bouillon au château, et une autre des trois demoiselles l’accompagna, pour voir la malade.

— Comment vous trouvez-vous, ma pauvre femme ? lui demanda-t-elle.

— Mal, fort mal ! répondit une voix d’une faiblesse extrême ; hélas ! j’en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me peine le plus, c’est un enfant que j’ai eu, sans être mariée, et que j’ai laissé mourir, faute de soins.

— Bast ! que cela ne vous tourmente pas tant ; moi aussi, j’ai eu deux enfants, sans être mariée, et ils sont morts tous les deux, et personne n’en a jamais rien su.

Et elle lui donna aussi deux pièces d’or, et s’en alla.

— Tout ceci est bon à savoir, se disait le jeune seigneur.

Le troisième jour, quand la fermière alla encore chercher du bouillon, au château, pour la prétendue malade, la troisième demoiselle vint avec elle à la ferme.

— Comment allez-vous, ma pauvre femme ? demanda-t-elle, comme les autres.

— Mal, très mal ! et j’en mourrai, sans doute ; mais ce qui me tourmente le plus, en ce moment, c’est la pensée d’un enfant que j’ai eu, sans être mariée, et que j’ai laissé mourir, faute de soins.

— Bast ! ne vous tourmentez donc pas tant, pour si peu ; j’en ai eu trois, moi, et ils sont morts tous les trois, sans que personne en ait jamais rien su.

Et elle lui donna aussi trois pièces d’or, et s’en alla.

— Je me souviendrai de tout ceci... Et elles veulent encore m’avoir pour mari !... se dit le jeune seigneur.

Le lendemain matin, il dit à la fermière :

— Allez encore, pour la dernière fois, chercher du bouillon au château et demandez, de plus, un panier de salade et la gardeuse de pourceaux pour vous le porter jusqu’à la ferme.

La fermière se rendit au château, pour la quatrième fois, et en revint avec la gardeuse de pourceaux. Celle-ci demanda à voir aussi la malade.

— Comment êtes-vous, ma pauvre femme ? lui demanda-t-elle.

— Mal, très mal ! J'en mourrai, sans doute ; mais, ce qui me chagrine le plus, c’est que j’ai laissé mourir, faute de soins, un enfant que j’ai eu.

— Vous êtes mariée ?

— Hélas ! non.

— Dieu ! que me dites-vous là ? Et moi, qui suis la fille du roi d’Espagne, j’ai quitté le palais de mon père, habillée en servante, et je me suis faite gardeuse de pourceaux, pour ne pas tomber dans le péché !... Mais, peu importe, Dieu est bon et miséricordieux ; priez-le, du fond du cœur, je le prierai aussi, et il vous pardonnera.

Et elle s’en alla.

— Je sais, à présent, ce que je voulais savoir, se dit le jeune seigneur.

Il se leva alors et prit, joyeux, la route de la maison. Il tua une perdrix, et l’apporta au château. Quand il arriva, sa mère lui sauta au cou, pour l’embrasser, et les trois demoiselles firent comme elle. Il fit cuire la perdrix qu’il avait prise et dit à sa mère qu’il voulait souper seul avec les trois demoiselles, dans sa chambre.

Quand on servit la perdrix, il la découpa en six morceaux : en mit un dans l’assiette d’une des demoiselles, deux dans celle de la seconde, et ois dans celle de la troisième.

— C’est moi, pensa celle-ci, qui suis celle qu’il préfère et qui l’épouserai !

— A présent. Mesdemoiselles, dit-il alors, il faudra danser !

— Oui, répondirent-elles, après souper ; mais, nous n’avons qu’un danseur et pas de sonneur (ménétrier).

— Voici le ménétrier qui vous fera danser, mères dénaturées et sans cœur, dit-il en prenant un fouet pendu à un clou au mur.

Et il se mit à cingler les demoiselles, à tour de bras. Et des cris, des sanglots et des larmes.

— Pardon ! pitié ! miséricorde ! criaient-elles.

— Pitié, dites-vous ? Et avez-vous eu pitié, vous, de vos enfants, que vous avez fait mourir secrètement : vous, un ; vous, deux, et vous trois ?...

Ce n’est pas vrai ! criaient-elles.

Comment, ce n’est pas vrai ? Mais, c’est vous-mêmes qui me l’avez avoué ! Car sachez que je suis la prétendue malade à qui vous avez livré votre secret, dans la ferme. Retournez, vite, chez vos parents, et que je ne vous revoie plus !

Et les pauvres demoiselles s’en allèrent, toutes honteuses et tout en larmes.

Alors, le jeune seigneur fit appeler la gardeuse de pourceaux :

— Il faut, Mademoiselle, lui dit-il, que vous me disiez, à présent, la vérité et avouiez qui vous êtes, car je sais que vous êtes autre chose que ce que vous paraissez.

— Qui je suis ? répondit-elle, une pauvre fille sans père ni mère, ni aucun soutien au monde, et qui a été bien heureuse d’avoir été prise, dans votre maison, pour garder les pourceaux.

— A quoi bon dissimuler, plus longtemps ? Vous êtes la fille du roi d’Espagne, et je sais pourquoi vous avez quitté le palais de votre père.

— Qui donc vous l’a dit ?

— Vous-même.

— Moi ?... Quand donc et où ?

— Dans la maison de la fermière, car c’est moi qui étais la prétendue malade couchée dans l’obscurité, sous l’escalier.

— Est-ce vrai, mon Dieu ?

— C’est parfaitement vrai, comme je désire vous avoir pour femme, et non une autre.

On écrivit au roi d’Espagne, qui se hâta de venir, et on célébra le mariage, et il y eut des fêtes et des festins magnifiques.

J’étais là moi-même, comme tournebroche ; mais comme je trempais mon doigt dans toutes les sauces, un grand diable de cuisinier vint, qui me donna un coup de pied dans le c. et me lança jusqu’ici pour vous conter ce joli conte.


Conté par Barbe Tassel,
Plouaret, 1869.


Serait-ce ici le thème primitif d’après lequel Perrault aurait écrit son conte si connu de Peau d’Ane ? Dans ce cas, il l’aurait sensiblement modifié, dans sa seconde partie surtout, en substituant l’épisode du gâteau et de l’anneau à l’épreuve de la ferme, dans le nôtre, qu’il aura jugé trop cru et trop réaliste pour les jeunes lecteurs à qui il s’adressait.