Coran Savary/Vie de Mahomet/JC628

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Traduction par Claude-Étienne Savary Voir et modifier les données sur Wikidata.
G. Dufour (1p. 28-31).
(Depuis la chute d’Adam, suivant Abul-Feda. 6213. — Depuis la naissance de J.-C. 628. — Avant l’hégire. 3. — De Mahomet. 50. — De sa mission. 10.)

L’abrogation de l’arrêt des Coreïshites avait suspendu les hostilités sans éteindre l’animosité qui subsistait entre les deux partis. Si Mahomet goûtait quelque repos, il le devait au crédit d’Abutaleb. La mort lui enleva cet appui. Lorsqu’il était sur le point d’expirer, Mahomet voulut profiter d’un moment de faiblesse, pour lui faire prononcer la profession de foi des musulmans : Il n’y a qu’un Dieu, et Mahomet est son prophète[1] ; mais le vieillard conserva assez de force d’âme pour lui répondre en ces mots : « Fils de mon frère, je me rendrais volontiers à vos désirs, si je ne craignais le déshonneur ; mais je ne veux pas laisser croire aux Coreïshites, que la peur de la mort m’a rendu musulman ». C’est ainsi qu’Abutaleb, âgé de plus de quatre-vingts ans, finit sa carrière. Mahomet déplorait encore sa mort, lorsque Cadige lui fut enlevée. Il lui était attaché par l’amour et la reconnaissance. Il la pleura. Cette double perte fut pour lui le signal des disgrâces. Les inimitiés se réveillèrent. Les Coreïshites, n’ayant plus rien à ménager, devinrent plus ardens à le tourmenter. Il se vit entouré de persécuteurs. Abulahab, Elhakem et Ocba, qui avaient été ses amis, ne perdaient aucune occasion de lui nuire. Ils l’insultaient à sa table ; ils l’insultaient lorsqu’il priait ; partout ils se déclaraient ses ennemis. Il s’en plaint en ces mots dans le Coran :

[2] Que penser de celui qui trouble
Le serviteur de Dieu lorsqu’il prie ;
Lorsqu’il accomplit l’ordre du Ciel ;
Lorsqu’il recommande la piété ?

[3] En butte à tous les traits, Mahomet quitta sa patrie. Il tourna ses pas vers Taïef. Cette ville, située dans les montagnes, à vingt lieues à l’orient de la Mecque, réunissait plusieurs avantages. C’était une place forte, habitée par une tribu puissante et belliqueuse. Son territoire était fertile. Ces raisons le déterminèrent à y chercher un refuge. Espérant que les Takifites recevraient plus volontiers sa nouvelle doctrine, il se rendit à leur assemblée. Elle était composée des plus nobles citoyens. Parmi eux, on distinguait Maçoud et Habib, deux fils d’Amrou. Il leur adressa la parole. Après avoir représenté l’absurdité de l’idolâtrie ; après leur avoir offert un tableau magnifique de la puissance du dieu unique qu’il adorait ; après avoir peint les merveilles de sa création[4], il ajouta : « Je suis le messager de ce dieu, et il m’a chargé de vous prêcher l’islamisme. » « Si dieu voulait nous convertir, lui dit froidement un des assistans, tu ne serais certainement pas l’apôtre qu’il eut choisi. Pour moi, continua un autre, je ne combattrai point tes argumens ; car si tu es véritablement l’apôtre de Dieu, ton caractère est trop auguste pour qu’un mortel ose disputer contre toi ; et si tu es un imposteur, tu ne mérites pas que je te réponde ». Mahomet garda le silence, et sortit de l’assemblée. Quelques Takifites, plus raisonnables, lui firent un meilleur accueil ; mais le peuple, dont il avait combattu les divinités, se déchaîna contre lui, et il fut chassé de la ville. « Dieu suprême, s’écria-t-il en quittant Taïef, les insensés vont t’attribuer ma faiblesse, l’impuissance de mon zèle, et l’opprobre dont ils m’ont couvert. Ô toi, dont la miséricorde est sans bornes ! tu es le seigneur des faibles, tu es mon seigneur. Que ta colère n’éclate pas contre moi, si l’homme superbe a dédaigné de m’entendre ! » Il retourna à la Mecque, où il arriva le 23 du mois elcaada[5].

Ces disgrâces ne lassaient point sa constance. Elle était au-dessus des revers. On célébrait les fêtes du pèlerinage[6]. Ces solennités attiraient à la Mecque un grand concours de peuple. Mahomet employait ce temps à prêcher contre l’idolâtrie. Sur les chemins, dans les places publiques, partout il élevait sa voix contre les faux dieux. « Enfans de telle tribu, criait-il aux diverses familles arabes, je suis l’apôtre de dieu[7] ; il vous commande de l’adorer, de ne point lui donner d’égal, de retrancher de son culte tout ce qui n’est pas lui, de croire à ma mission, et d’en attester la vérité ». Cette hardiesse avec laquelle il osait combatre les idoles au milieu de leurs adorateurs, mettait ses jours en danger ; mais la mort n’effraie point l’ambitieux. Cependant il s’adressait plus volontiers aux tribus étrangères, qu’aux citoyens de la Mecque. Un jour qu’il était sur une colline nommée Acaba[8], il rencontra six habitans d’Yatreb qui conversaient ensemble.

  1. Abul-Feda, page 28. Jannab.
  2. Le Coran, chap. 96, verset 9.
  3. Voyez le géographe el Edris.
  4. Abul-Feda, Vie de Mahomet, page 29.
  5. Jannab.
  6. Le pèlerinage de la Mecque était établi long-temps avant Mahomet. Les Arabes y venaient célébrer la mémoire d’Abraham et d’Ismaël : ce n’était qu’un usage. Le législateur en fit un précepte.
  7. Abul-Feda, page 30.
  8. Acaba est le nom d’une colline à peu de distance de la Mecque. Les enfans de Tafr y avaient une maison de campagne où Mahomet se retirait souvent. Abul-Feda.