Correspondance - Lettre de mars 1917 (Asselin)

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À M. Pierre Asselin,
canonnier.
Mon cher Pierre,

Quand on part d’Angleterre pour le front, on se charge comme un mulet de toute sorte de machines qui ne vous serviront de rien. Moi, à mon arrivée, ici j’avais l’air de ceci :



Tout de suite je me suis mis à jeter du lest. J’ai laissé toute ma coucherie en arrière, aux soins du capitaine d’habillement, qui en est responsable ; je me suis arrangé pour n’ai apporté dans les tranchées que deux couvertures de laine. Avec mon trench-coat, c’est assez, car on n’a pas le droit de se déshabiller. xxxxxxx Ensuite, au lieu de toutes mes sangles et courroies, j’ai fait poser à mes affaires des petits crochets à ressort, dits mousquetons, et avec cela je les accroche à ma ceinture, comme ceci :



C’est mal dessiné, mais tu peux voir combien je me suis allégé. Ça gigote me bat bien encore un peu sur ⁁les flancs et sur le ventre, mais pas la moitié autant qu’auparavant. Je xxxxxxx garde m’apporte dans les tous mes habits vêtements dans le pack, qui est le sac qu’on porte ordinairement sur ses épaules, et je laisse ce meuble en arrière comme mon lit. Je n’apporte dans les tranchées que deux paires de chaussettes, xxxxxxx une paire de chaussures et quelques mouchoirs de rechange. Pour attraper des bibites, on en a toujours assez sur soi. La première nuit, je me suis pris dans le cou une bibite grosse comme toi, mais bien moins chaude. Je l’ai écrasée xxxxxxx entre mes xxxxxxx ongles, dans l’obscurité. Ça a fait : Crac ! Je riais comme une petite baleine. Ça lui apprendra à me faire peur ! Je crois bien que c’était la mère pouse, car, ensuite, j’ai eu la paix. Il y a ici trente-trois espèces de boue. La plus commune, dans les tranchées, ressemble à des pommes de terre pilées. À notre retour vers l’arrière, après cinq quatre milles de marche, j’avais les pieds comme ceci :



Je termine ma lettre, xxxxxxx car je viens d’écrire longuement à Jean, et, dans la position où je suis, j’ai les fesses, les reins et le cou très fatigués. Voici en effet comment je suis :



Je me coucherai, en pensant à mes petits garçons, et car heureux d’avoir, par mes images, fait rire un peu le gros nez de mon vilain petit Pierre.

Papa.