Correspondance - Lettre du 14 mai 1917 (Asselin)

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dans les tranchées,
14 mai,....1917
À M. Pierre Asselin,
écolier,
montréal.


Mon cher Pierre,

C’est à toi que j’écris parce que, étant moins instruit, tu as plus de mérite à m’écrire, et parce que je sais bien qu’après avoir lu ma lettre tu vas t’empresser de la lire a tes petits frères. Je dis tes petits frères, et c’est a dessein, car ta maman me dit que tu as beaucoup grandi, et que tu seras bientôt aussi grand que Jean et Paul.

Ta maman me dit aussi que tu couches avec elle, et [?] et que tu la réchauffes le matin. Il a y a plusieurs semaines de cela. Je crois bien qu’a présent ta maman n’a pas besoin de ta chaleur. Tu pourrais, tac[?] ta chaleur, me l’envoyer par la poste pour que je m’en serve dans les tranchées. On passe dans les tranchées jusqu’a cinq jours a la fois, et comme on y est presque toujours en plein air, on y dort quelquefois assez mal. Hier il a plu, et nous etions dans la boue. Mais j’etais quand meme de bonne humeur, car je venais de recevoir a la fois ⁁une une lettre de toi, une de Jean et une de ta maman, et tous [?] trois vous me disiez que vous priez pour moi. Je crois que le bon Dieu entend la prière des bonnes mamans et des bons petits enfants. Si vous demandez que je fasse bien mon devoir, je crois que vous serez exaucés. Le bon Dieu vous accordera peut-être aussi que je revienne vivant, car je lui ai promis de ne vivre désormais que pour vous, de faire de vous mes amis, et associés. Je te raconterai la guerre et nous laisserons écouter maman, Paul et Jean. J’ai de la crotte jusque dans les cheveux, et j’ai beaucoup de poux. La nuit, je vais avec mes hommes poser du fil de fer barbelé entre nos tranchées et celles des Allemands. Ensuite, quand les boches veulent avancer, ils se prennent les pieds dans le fil, et ça leur joue un bon tour. Nous autres, nous savons où est notre fil, et quand nous voulons avancer nous allons, la nuit, faire des brèches xxxxxxx dans le fil. Mais ça c’est xxxxxxx un métier dangereux, car les Allemands lancent toute la nuit des fusées pour éclairer le terrain. Ordinairement, ce n’est pas la besogne des majors, mais, étant xxxxxxx ici pour apprendre, il faut bien que j’apprenne xxxxxxx tout.

C’est tout. Je t’embrasse.

Papa


Olivar


[ce qui suit inséré en marge gauche de la première des deux pages manuscrites de la lettre, sur l'original mieux lisible en tournant le document vers la gauche]

P. S.— Dis par téléphone à M. Biron que je lui ai ecrit deux longues lettres depuis deux mois, et que je viens de recevoir la sienne du 10 avril , qu’il m’avait adresse a Shoreham.