Correspondance - Lettre du 16 novembre 1918 (Asselin)

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Pâturage, près Mons, en
Belgique ⁁samedi, 16-11-18


Ma chère Alice.

Je t’envoie une note du capitaine Stairs, adjudant du 87e, qui te rassurera sur tes allocations et tes droits xxxxxxx éventuels de pension. Ne m’en veux pas si j’écris si peu : comme sous-commandant de la compagnie, j’ai beaucoup à faire. Barré ne se la foule pas. Je ne boude xxxx pas au travail cependant.

Tu verras par ma lettre à Jean que je t’envoie ces jours-ci $200. J’aurais peut-être pu t’envoyer davantage sans la dépense que m’a occasionnée mon voyage, et qui me sera remboursée (partiellement) Dieu sait quand.

Le P. Doyon, resté au 10e, fait mes commissions à Bramshott ou à Londres avec une obligeance dont je lui suis reconnaissant.

Nous passerons probablement trois ou quatre jours ici ; j’essaierai de t’écrire demain. Ce soir, je venais xxxxxxx de terminer ma lettre à Jean, quand une demi-douzaine de civils, amis de la maison, sont arrivés pour veiller. Il y avait une demoiselle vaguement pianiste qui xxxxxxx pouffait de rire tout le temps et à tout propos, comme si on l’avait chatouillée. Un vieux monsieur xxxxxxx en redingote ⁁et à figure de pompes funèbres, chef de comptabilité dans un charbonnage, a dit d’un ton solennel en entrant : « Messieurs, votre nom vivra pendant des siècles dans les gestes de l’histoire. » Le maître de la maison dit Polche (presque Boche) pour Belge, et finit toutes ses phrases par « sa’ez vous ». La demoiselle chatouilleuse a joué une variation sur les Rameaux, et nous avons chanté le refrain plus ou moins en chœur. Ensuite, à propos des xxxxxxx tableaux xxxxxxx volés par les Allemands, quelqu’un a rappelé l’affaire de la Joconde. Et chaque fois, deux ou trois dames de s’écrier : « Ils connaissent tout ! » Ce sont, au fond, de bien braves gens ! Ils n’aiment pas autant les Boches qu’on l’eût cru tout d’abord, et même je crois qu’on pourrait dire qu’il ne les aiment pas du tout. La « dame » du chef de comptabilité dit que, le matin que les Canadiens sont entrés dans le village, elle a distribué des baisers pendant trois heures. Elle a, à la place ordinaire, une forte moustache. C’était, paraît-il, du délire, et la raison pour laquelle on s’est refroidi, c’est précisément qu’on a trop jeté de chaleur le premier jour. Je dis qu’on s’est refroidi : cela ne les empêche pas de trouver nos soldats polis, avenants, obligeants, bref, chargés de qualités. J’ai peut-être tort d’attendre xxxxxxx d’eux, à l’endroit des C.-F., les mêmes sentiments que des Français…

Mais je m’arrête. Il est 10h.30 et j’ai encore une heure de travail.

Je t’embrasse.
Ton mari qui t’aime,
Olivar


P.S : Barré, qui te salue, me fait observer que la demoiselle transpire sous les bras.

O. A.