Correspondance 1812-1876, 5/1867/DCLV

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DCLV

À MADAME ARNOULD-PLESSY, À PARIS


Nohant, 21 octobre 1867.


Chère fille bien-aimée,

J’ai été inquiète de vous. Me voilà rassurée par l’affirmation de la bonne sœur[1] et des médecins, mais non consolée ; car vous souffrez encore, et vous faites connaissance avec une triste chose, énervante ou irritante. Mais vous devez être plus courageuse que ceux qui ont passé leur vie à combattre et à s’user. Votre beau cerveau, si bien conditionné, doit réagir. Ne lui demandez pourtant pas trop et attendez qu’il redevienne le maître du logis. Cela viendra bientôt, j’espère. Vous ne pouvez pas avoir de mal compliqué, organisée comme vous l’êtes, et si jeune encore. Et puis vous connaîtrez ce que nous connaissons tous, ce que vous ne connaissiez peut-être pas encore : le plaisir de se sentir renaître et de reprendre goût à la vie.

Mes enfants vous envoient tous leurs souhaits et tendresses. Ma Lina va bien et s’arrondit. Elle voit arriver pour le printemps des heures de grosse crise, dont elle ne s’effraye plus. La petite Aurore est charmante et vous envoie de gros baisers qu’elle lance à deux mains avec une effusion superbe. Dépêchez-vous de vous bien soigner, que je retrouve à Paris ma grande fille debout et toujours belle.

Je vous embrasse tendrement, et, pour vous donner courage, je vous dis que je suis très forte et bien en train de travailler ; vous m’avez vue pourtant bien bas l’autre hiver, et, moi, je suis vieille, vieille ! Vous allez surmonter tout bien plus vite que moi, Dieu merci.

Encore courage et pensez qu’on vous aime.

G. SAND.
  1. Madame Mathieu-Plessy, veuve Émilie Guyon.